La revue Point de Chute en est déjà à son cinquième numéro – six­ième même si l’on compte le numéro zéro – et comme à chaque fois les poèmes qu’elle porte sont plein de la sin­gu­lar­ité de leurs auteur×ices. À chaque nou­velle paru­tion, on déam­bule dans une « cabane » à la réson­nance dif­férente, assem­blée avec soin par Joep Pol­d­er­man, Vic­tor Malzac et Stéphane Lambion.

Point de Chute

 … est née au print­emps 2020 d’un désir com­mun de jeunes poètes d’offrir à celles et ceux qui comme eux tâtonnent, un abri, une cabane dans laque­lle repren­dre son souf­fle, l’espace d’un instant. Tout est ques­tion de rythme, de cadence, de ponc­tu­ca­dence : il ne s’agit pas de s’attarder mais de s’y ressourcer pour mieux repar­tir – et revenir. Cette cabane, nous la recon­stru­irons ensem­ble chaque automne et chaque printemps. 

Sans para­texte, autre que les biogra­phies des poet­es×ses et une cita­tion en guise d’édito, les mots sont don­nés à lire dans la pureté de leurs échos. Les textes s’enchaînent en un déroulé flu­ide, « Peu de notes, des per­cus­sions surtout – à peine le bruit des mots qui chutent. » 

Revue Point de chute, som­maire n°5, 70 pages, 7 €.

Résol­u­ment con­tem­po­raines, les voix de ce numéro placé sous l’égide d’Annie Ernaux cisè­lent leurs textes. Les mots sont sim­ples, les langues per­cu­tantes « C’est un truc tu sais de l’ordre de ce qui tient » écrit Mar­gaux Lalle­mant au début de son poème. Les styles sont nets, affir­més, dif­férents. Plusieurs des poet­es×ses abrité×es ont une pra­tique de la lec­ture et de la per­for­mance de poésie. Lors du lance­ment organ­isé à la librairie EXC, leurs voix ont occupé l’espace ; celle de Camille Ruiz, habi­tant au Brésil, s’est même don­née en poème sonore brûlant et aérien dif­fusé par­mi les lec­tures, tout aus­si incar­née qu’elles. On croise aus­si dans cette cabane Héloïse Brézil­lon qui offi­cie notam­ment à Mange tes mots dont elle est la co-fon­da­trice et où ses vers à l’intensité métallique tien­nent chaque fois la salle en haleine, ou encore Norah Benar­rosh Orsoni adepte des per­for­mances radio­phoniques, sou­vent collectives.

Point de chute pro­pose aus­si à chaque nou­velle paru­tion de faire tra­vers­er des poèmes qui n’existaient pas en français. On décou­vre les vers mys­tiques et sen­suels de Vio­la Lo Moro, poétesse ital­i­enne traduite par Sara Bal­bi di Bernar­do et la poésie spi­ralaire, par­fois trash de Toby Sharpe traduite de l’anglais par Samuel Ferrer.

Héloïse Brézil­lon – « Les lieux qui m’ont sculp­tée ont per­du leur tranchant »

sur la table chêne
les mandibules des guêpes
déchiquètent mon enfance
en petits bouts
mordus
il y a
dans le son de la cloche d’alpage
le bour­don des voix de mes années 90
à table ren­tre il va neiger tu vas 
attrap­er froid il faut la vinaigrette 
pour les endives 

 Camille Ruiz – « Terre rouge »

c’est dans un sec­ond temps
que vient l’odeur une vague
de mort endormie
dans une boîte en carton
cachée sous la bruyère

le duvet est blanc-neige-des-cimes
le sang rouge-car­di­nal autour
de la plaie se décompose
un tout petit animal
un chiot peut‑être
sa tête est recouverte
par une servi­ette éponge
je dis mon chien ne regarde pas et il regarde
impos­si­ble de pleur­er car les four­mis ont soif

« Corps célestes » – Toby Sharpe traduit par Samuel Ferrer

la prochaine éclipse solaire vis­i­ble depuis Lon­dres aura lieu le 29
mars 2025,
et dans huit min­utes l’alarme de mon coloc se déclenchera,
et je l’entendrai cuire des oeufs sous une hotte rouillée.
en 1997, ma mère me donne le bain dans la salle de bain ambre,
des bulles de savons se mélangeant aux bénédictions dont je ne
con­nais que le son,
pen­dant qu’au tra­vers des siècles
mes ancêtres s’enveloppent d’espérances,
des berg­ers offrant leurs trou­peaux à l’horreur

La tra­ver­sée, comme à chaque fois, ani­me et ras­sure, on en ressort empreint de fraicheur et du désir de con­tin­uer à construire.

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Selima Atallah

Séli­ma Atal­lah est poète per­formeure et chercheure. Elle a gran­di à Tunis et habite à Paris depuis une dizaine d’années. D’une curiosité sans lim­ite, ses errances uni­ver­si­taires l’ont menée de la médecine à la créa­tion lit­téraire en pas­sant par la psy­cholo­gie et l’anglais. Elle tra­vaille actuelle­ment à un pro­jet de recherche-créa­tion liant le corps, les lieux et les langues par la per­for­mance poé­tique. Sa poésie intime et engagée est atten­tive au rythme et à l’oralité. Con­va­in­cue que la poésie a sa place partout, Séli­ma Atal­lah porte ses textes lors de scènes de slam, de théâtre ou de lit­téra­ture mais égale­ment en com­pag­nie de DJ ou lors d’expositions d’art con­tem­po­rain.  Bib­li­ogra­phie – Bod­ies Decay in the light of Day – Textes pub­liés dans Man­hat­tan Mag­a­zine, 2022 – Crevette dans Le Ven­tre et l’oreille, 2022 – Ommi sis­si dans Il était tant de fois, Al Man­ar, 2021 – Trou dans Point de chute n°2, 2021 – Ma Bouffe est verte comme une orange dans Contre5ens, 2021 – Najoua dans Deux­ième Page, 2020 – Au Pieu – Mon­tic­ules – Entre deux rives en 2022 – Sam­sara dans le Kra­choir en 2022 www.selimaatallah.wordpress.com