Rachel Allaoui, Bribes

Par |2021-03-07T07:44:46+01:00 5 mars 2021|Catégories : Poèmes, Rachel Allaoui|

A Ecorner les bœufs

Le vent mugit à écorner les bœufs
Son souf­fle essore le silence
des arbres
Les plaies sècheront vite
la bouche du paysage est grande ouverte
sur les ocelles de sang

Sur les ocelles de sang
pas une mouche
Herbes et branch­es ont comblé la terre absente
se décom­posent  
se recomposent
soudain sismiques
au gré des spi­rales d’air qui les traversent

Le vent emporte dans son ressac
les âmes chères
qui flottent
                          parfois
                                    encore un peu
sur les ocelles du temps
et saccadées
tombent

Cornes coupées

 

Etreintes

La pluie est en marche dans le jardin
Cica­tri­ces lumineuses sur les fenêtres

La mai­son résonne de voitures imaginaires
Les feuilles parlent

Le vent lance ses sortilèges
Les gris du ciel s’emmêlent

Le souf­fle fan­toma­tique slalome par­mi les herbes 
Et soudain saute

Dans les ramures
Il devient fou
Entre leurs bras captifs

 

 

 

Piquets

 

Ils se dressent, noirs
Pétri­fiés forêt sombre
dressée sans chevelure

Quel sol les retient ?
Par­lés en secret par la mer
dess­inés de rêves et d’eaux profondes
Os brûlés par­mi les algues brunes qui elles
s’effilochent
et se raidissent
saisies de sable loin d’eux

Mats
Si noirs sur la peau bleue de leur mère
Per­pen­dic­u­laires au luisant gris de son eau
Hors d’elle torses
Indéchiffrables

 On ne sait où s’achèvent leurs pas dans les profondeurs

 Vague après vague l’eau vive les épèle
Mur­mure à tâtons sur le bois ses baisers
tisse de ses doigts aux signes flottés
des chemis­es de lichen et cal­ligra­phie sans cesse
leur ombre qui cille

Leur ver­ti­cal­ité s’offre aux glacis
et nous versent en plein midi
l’eau inno­cente des longs soirs d’été
Là où le temps lente­ment ouvre
sa main
pour caress­er d’or translucide
la peau pâle du ciel
et emplir d’encre arbres et buissons
Seuls à recueil­lir la nuit de tous leurs pores

 

 St. Gilles

 

Le gris vire en aplat
tout autour du bef­froi ailé d’or
qui pointe
à gauche dans la fenêtre
et se dresse hors
de la buée de  nos songes
méan­dre moelleux glis­sant au bord
de la vitre
aus­si doucement
que les cloches vite évanouies

 A peine si leur son a frôlé le silence

Le long du bois
les gout­telettes s’étirent
des rangées de toits rouges y flot­tent et trois
chem­inées à cinq branches
petits rec­tan­gles aux fines bou­gies noires

Entre elles presque invisible
Et sur­git d’un autre toit
le fil d’une croix mouille
dans les larmes lais­sées par nos souffles

Sur les cen­dres lavées de cendres
s’élance la girou­ette dorée
du bef­froi presque noyé sous les perles

Et Saint-Gilles devient Venise
de briques d’or et d’eau

 

Volto San­to

La mort est sus­pendue au pla­fond d’un palais
Prête à se jeter sur nous
Aujourd’hui elle a le visage
D’un cheval dont on retient le galop
Elle fait pitié dans sa peau empaillée
Alors nous allons d’une île à l’autre
et avons déposés nos attentes
Le bateau transporte
nos con­ver­sa­tions nos solitudes
toutes cer­clées par le jour blanc

Au cœur du vaporet­to qui bourdonne
cer­tains sont pris dans les mailles de la fatigue
d’autres par­lent ou rêvent
Les poteaux de bois défilent
empreintes du temps que l’espace lai­teux décompte
Mais pour nous pas de traces ici
rien que la craie du paysage

Le jour et l’eau se sont allongés
sans défaire les draps blancs
de leur étreinte pâle
Au-delà les rives sont grises

J’aurais aimé que tu boives
les ver­res opaques
du ciel et de l’eau
Que tu gliss­es avec moi encore
sur les canaux
passés au blanc d’Espagne
à nous aimer

Avant de dis­paraître en face
dans les plis de la buée
Comme s’en vont les doigts des anges
sur le vis­age des statues
ou le sil­lage ténu des bar­ques nocturnes

Les vit­res sont sales
ou bien est-ce le voile de la brume 
Tu es loin

 

Présentation de l’auteur

Rachel Allaoui

Je vis au bord du Rhône en face de Vienne. Ce lieu, les lieux, sont impor­tants pour mon écri­t­ure qui se déploie, je pense, parce qu’elle tente d’habiter un espace. Ces endroits et surtout le fleuve me poussent au sondage mémoriel et men­tal.  J’écris depuis longtemps, mais par inter­mit­tences, par bribes… Je m’essaie à dif­férentes formes, de la nou­velle au théâtre en pas­sant par la poésie.  

Je crois que je peux tiss­er des liens entre cet élan vers l’écriture et mon méti­er de pro­fesseur : celui de la trans­mis­sion, vu comme un mail­lage entre les êtres et les choses, vu comme une réflex­ion sur notre rap­port au temps, vu comme une volon­té d’assumer une atti­tude poé­tique au monde. Les pro­jets que j’ai pu men­er, à la croisée des let­tres, des arts plas­tiques et du théâtre ont été cen­trés autour de la réso­nance mémorielle que peut pos­séder un lieu, à la recherche de traces à qui don­ner des voix. Ecrire, pour moi, c’est faire un pas de côté.

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