UN ÉVÈNEMENT QUI NE SE RATE PAS !

 

A l’oc­ca­sion de l’en­trée cette année de Xavier Bor­des dans la pres­tigieuse col­lec­tion de poche Poésie/Gallimard (La Pierre Amour, pré­face de Gwen Gar­nier-Duguy), dans le cadre de l’an­niver­saire de cette col­lec­tion, Recours au Poème édi­teurs est heureux de don­ner à lire ce fort livre d’en­tre­tiens : Un poète et le monde (entre­tiens avec Serge Maison­nier). Cette paru­tion est accom­pa­g­née de la réédi­tion, chez Recours au Poème édi­teurs, du pre­mier recueil de Xavier Bor­des : Le Sans Père A Plume (col­lec­tion Pre­miers Poèmes), pré­facé par Michel Deguy.

 

Décou­verte des récents ouvrages de Xavier Bor­des et poèmes extraits de La Pierre Amour

 

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Le Sans Père à Plume

 

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Un poète et le monde

 

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5 poèmes extrait de LA PIERRE AMOUR, Col­lec­tion Poésie/Gallimard, paru­tion novem­bre 2015, 9782070466252

 

MA PYTHIE

 

 

Dans le moin­dre brin d’o­seille, il y a plus de vérité
que dans tous les pro­pos du philosophe
dis­ait un truand

Elle sait quand le monde va soulever sa gerbe de lumière
et la jeter sur son épaule tel un souvenir
de massacre

Tous par­lent de ce qu’ils ignorent elle ignore
ce dont elle parle

Ce qui se dit par sa voix est cela même qui ne peut
rester celé

 

 

 

 

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LE SIGNE AURORE

 

 

Je lui avais fait signe alors elle est venue
C’est aus­si sim­ple que cela
Sur le A de ses bras ten­dus j’ai enroulé mon las­so d’encre
Éche­veau de caress­es noires sur l’ab­surde nudité
Et il y eut sa chair

Et j’ai su que je devais mourir d’aube et de lin
L’un ou l’autre matin
Quand le grand papil­lon aux ailes mordorées
Embrassera le tremble
Quand les galeils sur­giront de l’eau
Comme des songes au goût de mangues

Quand le Jour com­para­î­tra au syn­ode doré des oiseaux
Réveil­lant avec lui la chamaille dans l’am­phithéâtre des palmes
Et que pour lui le juge­ment sera : Désert !

 

 

 

 

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NOCES

 

 

Je suis entré en elle comme au désert

Et les étoiles se sont mis­es à briller plus fort qu’ailleurs
Au-dessus de moi
Plus vives et plus vites comme à la fin d’un wayno
Les let­tres de la nébuleuse étourdissante

Désert, j’épu­rai l’homme, j’épu­rai la race
Au milieu de mes pier­res et de mes rares fruits

J’ai ten­du des ros­es de pierre et des nuées de sable
Comme un pont de cristal
Entre le con­cev­able et l’inconcevable

Comme au désert j’en­trai en elle

Juste un gémisse­ment der­rière le vit­rail de la rosée
D’où les anciens me regar­daient du haut de leurs paroles
Comme s’ils habitaient le sou­venir de celle
Qui n’est que jaillissement

J’ai pavé le chemin du matin de dalles de clair de lune
Et d’obsidienne
Joué des cha­connes de silence aux orgues de mes hamadas

Juste un gémisse­ment avant la grande marche nuptiale
Et une pointe de sang sur le linge de l’infini

 

 

 

***

 

PAROLE

 

 

Elle respire dans sa pro­pre étoile
Et boit dans la trans­parence de sa pro­pre fontaine

Elle n’a jamais soif et s’al­i­mente de soi-même
comme le feu
Elle s’éteint de soi-même
comme coupure de courant

Et ne rend la lumière qu’à son heure

 

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SONNET

À LA DAME LOINTAINE

 

 

 

Il se peut et je vous le dis, ô vous qui êtes
tout mon amour, il se peut que je ne sois pas
le grand poète que je vois siéger dans mon ombre,
et sans doute ne suis-je rien qu’une graine

d’é­ter­nité, ô Dame de mes vœux, comme il se peut
que dans vos yeux je trou­ve enfin le diamant
d’un pleur du des­tin, ô mon amour d’eau verte,
et je serai livré au bon­heur de tant de lèvres

que le monde en pour­ra compter, ce que je dis
sera la loi de ceux qui se voudront aimer,
ô mon amour, aux cheveux longs comme des

nos­tal­gies : vous me ver­rez alors redire avec mille
bouch­es qui ne sont pas miennes, avec mille
voix ignorées, mon amour, redire : que je t’aime !

 

 

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(Avant pre­mière : début de la pré­face de Gwen Gar­nier-Duguy à la réédi­tion de La Pierre Amour, Poésie/Gallimard, novem­bre 2015)

 

            La Pierre Amour, poème écrit entre 1972 et 1985, est une œuvre-monde. Aujourd’hui, comme à l’heure de la com­po­si­tion de ce livre, nous évolu­ons dans un monde com­plexe. À la com­plex­ité de ce monde mon­di­al­isé, la respon­s­abil­ité du poète écrivant dans sa langue mater­nelle est de répon­dre par une œuvre prenant en compte cette com­plex­ité en pro­posant, pour la sup­port­er, pour la sub­limer, une pro­fondeur con­ciliant les forces en présence, forces con­tra­dic­toires, voire même adver­saires. Le poème peut cela. Le poète, lorsqu’il est homme de la plus haute mémoire, le sait. Ain­si agit La Pierre Amour de Xavier Bordes.

            La Pierre Amour : titre par lequel le lecteur est invité à entr­er dans ce cos­mos pro­posé par le poète, et répon­dant au chaos dans lequel chaque indi­vidu se débat, ce désert dont la récur­rence nous four­nit des indices méta­physiques tout au long du recueil. En quoi une pierre peut-elle être asso­ciée, en son essence, à l’amour ? Les indices de ce titre inscrivent l’attitude du poète dans le réc­it de sa ren­con­tre avec une femme, qui est LA Femme par essence, et « n’ap­par­tient » à per­son­ne. D’ailleurs, la dédi­cace du livre nous le con­firme : « à la Femme/que l’On dit mienne… », la majus­cule du pronom On faisant peut-être référence à la reli­gion mythique de la ville d’Héliopolis ain­si qu’à la sym­bol­ique du chiffre 9, la cité du soleil, orig­inelle­ment nom­mée On. Nous savons l’importance que revê­tent pour Xavier Bor­des ces notions de lumière et de poli­tique con­sti­tu­tives de la poésie. Dès le fran­chisse­ment du seuil de La Pierre Amour, Bor­des appelle à ses côtés Milosz et Bon­nefoy, et dans leur voix résonne le tim­bre du lourd amour et de la mort. Mais cette mort et cette pesan­teur ne sont pas ce qu’elles sem­blent être. Car cette pierre, stèle poly­sémique, représente, out­re la dalle gravée, l’amour sur lequel se con­stru­it l’édifice fon­da­men­tal de toute vie poé­tique­ment vécue, ini­tiant la ren­con­tre méta­mor­phosante. La femme, l’aimée, porte ici plusieurs noms – Marie-Ange, Aphrodite, Vénus, Isis, la Pythie, le print­emps – et tous se rejoignent sous celui d’Aïlenn, dérivé notam­ment du « Aïn » de la Cab­bale. « Sur le A de ses bras ten­dus j’ai enroulé mon las­so d’encre », écrit le poète, indi­quant que la A ini­tial, le Aleph hébraïque inau­gu­rant l’alphabet et le verbe entier per­me­t­tent, dans un même mou­ve­ment con­san­guin, la créa­tion de la vie, intime­ment attachée par le lamèd (let­tre L le bâton avec lequel Moïse fit jail­lir l’eau du désert) à la fig­ure du féminin, orig­ine amni­o­tique de toute vie ter­restre. C’est dans la per­spec­tive de cette vie ter­restre que se com­prend la pesan­teur attachée à la matéri­al­ité des phénomènes et des corps ; de même que cette mort inscrite sur le lin­teau du livre ne ren­voie pas tant à un pur anéan­tisse­ment qu’à la mort sym­bol­ique, c’est-à-dire au pou­voir de renais­sance et d’éclosion lié au détache­ment d’un état ancien vers un état renou­velé grâce à l’« éche­veau de caress­es noires » de l’écriture. 

 

Organ­iste, com­pos­i­teur, musi­co­logue, Xavier Bor­des (né le 4/7/1944 − année du Singe !) après des études de com­po­si­tion, se tourne vers l’histoire en Sor­bonne, puis étudie la lit­téra­ture à l’Université de Vin­cennes avec J.P. Richard, Michel Butor, Michel Deguy en par­ti­c­uli­er. À par­tir de 1968–69, devient enseignant en let­tres, jour­nal­iste, et traduit des poètes grecs, Odysseas Elytis, Mano­lis Anag­nos­takis, D. Davve­tas, Alex­is Zaky­thi­nos, en par­ti­c­uli­er, ain­si que plusieurs auteurs latins et alle­mands (Heyn­icke). Xavier Bor­des a pub­lié chez divers édi­teurs, dont trois gros recueils de poèmes chez Gal­li­mard : La Pierre Amour (1987), Comme un bruit de source (1999), À jamais la lumière (2001). Il a par­ticipé à la fon­da­tion des Édi­tions. Mille et une Nuits, pub­lié des textes cri­tiques sur de nom­breux pein­tres et pho­tographes (Rouge­mont, Le Cloarec, Tis­serand, Four,Brandon, Leick, etc…) et col­laboré avec le Cen­tre Georges Pom­pi­dou (expo­si­tion Elytis – un méditer­ranéen uni­versel – 1988. Expo­si­tion Les Sur­réal­istes grecs – 1989). Dernier livre : Quand le poète mon­tre la lune… (Cor­levour – 2002) Il con­tin­ue à com­pos­er des poèmes qu’il offre sur divers blogs, et col­la­bore aux revues Po&sie et Tra­ver­sées (Bel­gique).

 

 

 

 

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