Jean-Claude Leroy, ÇA contre ÇA

Par |2019-11-14T10:43:48+01:00 25 septembre 2019|Catégories : Jean-Claude Leroy|

Poète dis­cret, ayant tout de même pub­lié une quin­zaine de livres, Jean-Claude Leroy nous livre ici un recueil au titre énig­ma­tique, par­tant d’une équa­tion à dou­ble incon­nue. La pre­mière sec­tion en guise de préam­bule affiche comme un roman­tisme mod­erne con­tre la rai­son qui assume la dérive annon­cée de cette ère nou­velle avec ses tro­pismes mal­sains. « Des cat­a­pultes pour envoy­er au loin les évi­dences / des attache­ments irré­so­lus qui secrè­tent / quand le cœur gros bal­ance entre renaître et renier / quand l’hystérie sert de mes­sage pub­lic / aux désirs con­tra­dic­toires d’une aveu­gle volon­té. » ÇA con­tre ÇA (dès la sec­onde sec­tion ain­si titrée) évoque l’échelle de valeurs que fig­urent nou­veaux fonde­ments et critères de notre société.

Jean-Claude Leroy, Ça con­tre ça, Rougerie édi­teur, 64 pages, 12 euros.

Tout est inter­change­able car tout se vaut dans la mesure où rien ne vaut plus rien. Le poète n’a pas voca­tion à cri­ti­quer mieux ni davan­tage ce qui y porte si facile­ment de nos jours chez tout un cha­cun tant le spec­ta­cle du monde est aus­si ter­ri­ble qu’absurde à maints égards, tant un nou­v­el hédon­isme pour cer­tains tient dans l’espoir de survie, mais ses mots visent à créer un décalage avec la parole quo­ti­di­enne noyée sous elle-même. En out­re, s’il relève les tra­vers et les illu­sions de notre temps, jusqu’aux con­tra­dic­tions grossières du dis­cours dom­i­nant, le ton dépasse évidem­ment celui de la révolte instinc­tive et emportée. Il prône plutôt « la muta­tion des ego/aux pris­es avec une fatale aven­ture googueulisée » devant l’infantilisation, la gam­i­fi­ca­tion, la sur­in­for­ma­tion stérile du monde, symp­tômes d’un par­a­digme sur sa fin. Dans la mesure où l’esprit indi­vidu­el se con­stru­it où « le feu te prend par tous les bouts (…) otage par­mi les otages/soldats par­mi les soldats/rampouille sophis­tiquée ou citoyen soumis/toujours prêt à élire des bien présen­tants/ou à cern­er un bouc émissaire/plutôt qu’assumer un com­bat intérieur», com­ment inter­roger celui-ci sur ce qui lui reste de cohérent, d’unique, de cri­tique, sinon par l’éloquence frontale, l’ironie dra­ma­tique dont le poète se sert pour met­tre ses mots en scène. Car la banal­i­sa­tion de l’événement grave, cru­cial, comme la mort de l’individu, le tue deux fois et ne pour­rait se pass­er de com­men­taire. Ain­si « - qui a tué la mort de Rémi Fraisse » ? Réponse : « ni exé­cu­tant ni décideur/tout juste la police indus­trielle, l’industrie de l’industrie ».Eclairagesur cette actu­al­ité qui s’offre au quo­ti­di­en en holo­causte au tra­vers des amplifi­ca­teurs, vouée comme tant de choses à la dématéri­al­i­sa­tion. Peut-on alors, juste pour sauver les meubles, échang­er son corps con­tre sa tête « si le mot “homme” se passe de l’homme » ? Le « ça » pul­sion­nel de la psy­ché chez Freud répond au seul principe de plaisir, à la sat­is­fac­tion immé­di­ate et incon­di­tion­nelle des besoins biologiques ; ajou­tons, assumés comme jamais aupar­a­vant selon une norme uni­verselle. Avant nihilisme et repli sur soi ambiants, le poète, né dans les 60’s, a vu la société chang­er peu à peu à par­tir de nou­veaux cen­tres d’intérêts ; et le cynisme dés­abusé est le nou­veau lan­gage qui les porte. Juste retour des choses, il tente de rat­trap­er son inno­cence per­due, muée désor­mais en une désaf­fec­tion grinçante telle que chère à Dio­gène vis-à-vis des préoc­cu­pa­tions matérielles : « je guette la panne universelle/et que cesse la sociét’écran et l’enfer sta­tis­tique ». Même l’ironie sur le mode hyper­bolique menant à une impasse, porte en elle, envers et con­tre tout, ce qui reste d’accomplissement pos­si­ble (« j’avale un cachet d’iode/le droit de voir ÇA plus longtemps »). « ÇA » appa­raît comme sub­stance ayant nour­ri de con­tra­dic­tions, d’incohérences, de boule­verse­ments  l’humanité, aus­si autode­struc­trice, sui­cidaire que résis­tante, organ­isatrice de son sauve­tage, en quête d’une nou­velle rai­son de vivre. Douleur con­tre réminis­cences d’un par­adis per­du, savoir-être con­tre inno­cence dés­abusée, une guerre s’est déclarée depuis longtemps à l’intérieur de cha­cun. Et si  la lutte reste hasardeuse envers cet enne­mi invis­i­ble qui y réside, « il fau­dra bien s’approcher de ce soi qui manque à la fig­ure ». Ou bien, s’agit-il en amont d’une dérive exogène à même d’exempter l’homme de ses erreurs de com­porte­ment fatales ? « Qui donc mar­rion­net­tise l’univers/et ce sen­ti­ment de soli­tude ? » ose le poète ouvrant une porte sur un mys­ti­cisme de sec­ours tant le monde est devenu impens­able selon toute logique. « Je suis au cœur d’un con­flit entre ÇA et ÇA », pour­suit-il au nom de la com­mu­nauté, dans cette impos­si­bil­ité de ren­dre leur valeur aux choses, déjà indi­ci­bles, innom­ma­bles (dans les deux accep­tions). Jean-Claude Leroy, assume, en poète et philosophe que le fatum n’effraie pas, le réel syn­onyme de com­bat qui com­mence en soi-même ; en met­tant sur la bal­ance (geste sim­ple) d’un côté le prix des choses, et de l’autre leur valeur, con­fon­dus de nos jours. Sa philoso­phie, dès le début du livre, prend racine dans l’éternité ter­restre, la seule éter­nité pos­si­ble, à vivre dans les meilleures con­di­tions, selon un nou­veau principe de causal­ité qu’on dira salu­taire sinon sal­va­teur, où « pas de repos si pas de réel » , dans « un bien mourir qui ressus­cite ». 

 

Présentation de l’auteur

Jean-Claude Leroy

Né en 1960 à Mayenne, Jean-Claude Leroy est un écrivain français vivant à Rennes. Pho­tographe de for­ma­tion, puis tour à tour libraire itinérant, aux­il­i­aire de vie, manœu­vre intéri­maire, édi­teur, il déclare sur le mode plaisant avoir « exer­cé des métiers divers, surtout l’été ».
Il a pub­lié des poèmes, des nou­velles et des arti­cles dans divers­es revues. Ses longs séjours en Inde et en Égypte ont nour­ri cer­tains de ses écrits.
Au sein de l’association Les Amis de L’Éther Vague (1998–2007), il fut core­spon­s­able, avec Roger Roques, des édi­tions L’Éther Vague, suite au décès de leur fon­da­teur, Patrice Thier­ry, sur­venu en 1998.
Depuis 1996, il ani­me Tiens, « revue locale d’expression uni­verselle » dev­enue à par­tir de 2009 le site Tiens, etc

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Mazrim Ohrti

Mazrim Ohrti est né en 1966. Il a gran­di en ban­lieue parisi­enne. Il est l’auteur de plusieurs chroniques en revues : Le Nou­veau Recueil, Poez­ibao, et Europe, prin­ci­pale­ment. Il vit en Bretagne.

 

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