Mag­nifique « petit » livre de Mérédith Le Dez, avec des encres de Flo­Fa qui ne le sont pas moins. Lyrisme on y trou­ve, mais para­doxale­ment pour mieux en dégager la pudeur des sen­ti­ments. L’auteure invoque la mémoire, elle l’enjoint par ce « sou­viens-moi », leit­mo­tiv dès l’entrée en matière et toile de fond aux trois autres sec­tions for­mant le livre. La « Fierté faite femme libre » revendique son statut iden­ti­taire selon désor­mais une « Fierté seul hori­zon pos­si­ble ». « Résis­tance » et « respect » son­nent ain­si comme des appels à la réaf­fir­ma­tion de l’être devant sa con­di­tion gen­rée par les codes établis. 

Mérédith Le Dez, Cav­a­lier seul, Edi­tions Mazette, 2015, 10 €.

On pour­rait par­ler ici de réaf­fir­ma­tion trans­genre quand « la fierté (et le respect) n’a pas de sexe » et dès lors que le regard sache embrass­er le monde avec ses souf­frances, « l’horreur sans nom / (qui) ronge à vif / les hommes hurlants depuis / la grotte de leur bouche / cousue de force sur des rats affamés ». C’est d’abord cette « fierté con­tre le temps » out­il d’exploration de ses mul­ti­ples galeries, en dépit de sa linéar­ité, qui fait admet­tre que le bilan d’une vie con­siste à tout pren­dre. « Ce cor­ri­dor qu’il faut quit­ter / de mémoire des­sine-le ». Pour cette prouesse, Mérédith use de son ascen­dance dont la fierté déjà « aide à retrou­ver la mémoire des orig­ines » (thème au cœur de son œuvre (cf livres Pol­ka et Bal­tique) « L’horizon / est clair / pour regarder / sans mal / la courbe du temps », don­née (métaphorique) d’une vision enfin ajustée. Ajustée car « équanime », autrement dit rap­portée avec sérénité et sagesse. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette écri­t­ure au couteau rap­pelle l’âme qui s’élève avec ses tour­ments (telle qu’une cer­taine Madame Dick­in­son). « Le cheval des heures enfuies » avec « à ses côtés (celui) des lende­mains / qui auraient chan­té » abstraient ensem­ble toute mesure tem­porelle con­traig­nante, ou à con­train­dre par la sagesse donc, indépen­dam­ment de l’événement poé­tique, jusqu’à se dire : « Ce qui a changé : rien ». Et faire « cav­a­lier seul » est une façon de con­tredire la peur de se per­dre sans cheval en s’y con­fon­dant, s’y iden­ti­fi­ant, en y faisant un (« et moi faisant corps / avec lui »), une façon d’assumer sa lourde masse de vide et de silence restants, même quand « Il est trop tôt pour la ques­tion / suis-je ten­tée de répon­dre / sans com­pren­dre » affirme Mérédith ; cette ques­tion insol­u­ble qui ren­voie au « (…) miroir / cet autre que moi / tout aus­si éton­né / par l’âge énig­ma­tique (…) ce corps cav­a­lier » insai­siss­able. Ain­si, le pou­voir de con­tin­uer de s’étonner tou­jours est-il un luxe, une poire pour la soif de cette vie, à rebours d’une cer­taine Emi­ly qui s’y est brûlée. Et cette soif de vie de ce qui résiste devant la vacuité de ses arti­fices vaut par le plus riche et le plus beau dénue­ment de celle qui a gag­né son âme : « Je porte indis­tincte­ment / en lieu de casaque / le man­teau pèlerin / sans éclat / qui se con­fond / avec l’ardoise / l’eau / le silence. » Mais la voix de Mérédith est aus­si l’articulation d’une sen­su­al­ité, dont l’approche hyper­esthésique recrée la réso­nance de l’espace et l’odeur du temps. Même lorsque la nos­tal­gie dans sa nature intro­spec­tive s’intitule « Noirétable » (4ème et dernière sec­tion du livre), boîte noire où puis­er des sou­venirs que délim­i­tent car­togra­phie (« monts du Forez ») et data­tion (« 2005 ») pour raviv­er d’autant mieux des ambiances, des sen­teurs, des sen­sa­tions à cru que la poésie aide à traduire rétro­spec­tive­ment en expéri­ence : « J’ai com­posé sur le pare-brise / sans le savoir / le poème à venir ». L’éloignement ici, n’écrase pas comme à l’accoutumée les per­spec­tives de la mémoire, dans le geste indompt­able d’écriture, au con­traire : « Tout dans ma boîte crâni­enne / remonte comme une marée / d’équinoxe brasse le sel ». Noirétable est mot-valise, quoi de mieux pour un tel voy­age. Nos­tal­gie selon sa par­tic­u­lar­ité enrichissante, bilan exis­ten­tiel avec ses zones d’ombres éclairantes, rêve salu­taire devant la haute muraille des ques­tion­nements, mémoire orig­inelle entre­tenant le mythe per­son­nel, telles sont les étapes tra­ver­sées par la fougue tran­quille de Mérédith Le Dez, cav­al­ière seule, tan­dis qu’elle trace des qua­tre fers « sur la mappe­monde qui tapisse / l’envers de (son) crâne / l’itinéraire familier ».

 

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Mazrim Ohrti

Mazrim Ohrti est né en 1966. Il a gran­di en ban­lieue parisi­enne. Il est l’auteur de plusieurs chroniques en revues : Le Nou­veau Recueil, Poez­ibao, et Europe, prin­ci­pale­ment. Il vit en Bretagne.