Les mots que j’écris ont per­cé la neige
d’un hiv­er que je croy­ais éternel
B.M.

 

Le titre intrigue. Les rêves se résol­vent-ils en s’accomplissant ? La réso­lu­tion, est-ce un dépasse­ment de ce qui entrave, une lev­ée d’obstacle ?

Le livre com­mence par un avant-dire, par « [c]ette parole / saisie au vol », l’interruption féconde d’un élan, pour le retenir dans le poème qui le tend au lecteur, dans sa force brute et non tail­lée, polie par un tra­vail de la forme ou du vers. Les lignes sont cour­tes, le mou­ve­ment rapi­de et la force vive « de la pluie qui ruis­selle », prise comme mod­èle. Mon­ter et descen­dre, une ver­ti­cal­ité rédemptrice génère l’écriture qui tente la réso­lu­tion. En trois par­ties plus une, « Ce qui reste », Réso­lu­tion des rêves rassem­ble des traces1.Traces comme des volutes, mer et ses mou­ve­ments : le soulève­ment dans les aquarelles brunes, titrées Paysages de sel, de Marie Alloy crée un paysage de courbes et froisse toute ligne con­tin­ue. Les dessins sem­blent les empreintes mêmes des paysages. Cristaux de sel ou de givre ?Nervures sèch­es de feuilles tombées dont le limbe foli­aire a dis­paru, en voie vers l’humus… Paysages d’automne ou d’hiver à la lumière incer­taine, prop­ice aux songes.

« […] les arbres de novembre
entre brume et grisaille
s’illuminent de flammes,

flammes d’un feu couvé
au sein de trois saisons
qui s’embrase en mêlant
dans la même beauté
la des­tinée des feuilles et des hommes. »

Il s’agit d’exprimer cette part de soi qui appa­raît dans les rêves, faite de sou­venirs, de désirs, de craintes, de regrets et d’espoirs. Inter­préter les rêves sans les détru­ire, ni leur appli­quer des sché­mas tout faits, sans l’aide d’une quel­conque Clé des rêves ou des songes. Ce tour­bil­lon, la vie l’impose et le pre­mier poème prend un chemin nar­ratif et sym­bol­ique, aqua­tique, il fait remon­ter l’être vers sa nais­sance pour retrou­ver une « eau de recréa­tion ».La poète en appelle à la méta­mor­phose. Ponc­tu­a­tion excla­ma­tive, en ce poème lim­i­naire de jou­vence (joie). Or le lac sus­cité enferme une image, celle de la nar­ra­trice qui entrevoit « le mirage / d’un remède et de la joie. » L’eau faiseuse de nais­sance court durant tout le début de Réso­lu­tion des rêves, comme une réponse au ques­tion­nement qui serait jail­lisse­ment et non réflex­ion, « monde présent par sur­prise ». Cette métaphore touche la nature (les sap­ins) comme le cal­en­dri­er, Noël et la neige, ravivée par cette évo­ca­tion du lac et du fleuve qui indiquent un chemin – remon­ter le cours invite à renaître.

L’immobile éter­nité souf­fle un même mou­ve­ment : « sans fin s’avancent les vagues vers la grève », les allitéra­tions (-s et –v) por­tent ce rythme inces­sant qui berce et façonne le paysage, un des­tin. « [L]igne d’horizon » imper­turbable pour­tant, où le rêve peut-il se situer sur cette ligne ? Peut-être est-ce ce lieu où insiste « l’énigme / des lointains » ?

Les poèmes, portés par un rythme réguli­er aux asso­nances douces, dépla­cent leur cen­tre de grav­ité : tou­jours ils pointent vers le renou­veau, à peine per­cep­ti­ble par­fois (print­emps, arc-en-ciel). Tels les bour­geons, bou­tons qui, répétés, sèment la nais­sance dans les poèmes, « un print­emps / de pluies au feuil­lage ten­dre » est annon­cé. Langue d’invocation et de sur­gisse­ment dans les poèmes de Béa­trice Mar­chal, le pou­voir est lais­sé à la présence d’un vis­age qui ouvre les possibles :

« Non pas des armes
à déposer

mais un rempart
de peur et de fierté
à renverser. »

L’arête de vers plus courts ouvre une « mai­son ardente / que sa flamme renou­velle ». Au présent se résout le passé en des empreintes, une trace accueil­lie par le poème par­mi les eaux. Béa­trice Mar­chal est née sous le signe des Pois­sons, un 29 févri­er. Ce hasard (dé lancé) du cal­en­dri­er ne peut que faire s’interroger très tôt sur ce qu’est le temps : un anniver­saire pour soi, qua­tre pour les autres. Ne vieil­lis­sons-nous pas tous au même rythme ?

« Dans cet appen­dice du temps, cette exception
régulière qui le féconde, j’ai appris
qu’il me fal­lait dis­paraître pour naître
plus tard, qua­tre fois plus
tard dans l’ambition patiente
d’un avène­ment de soi
à tra­vers les mots. »

Nav­i­ga­tion vitale sur les eaux d’un main­tenant sen­si­ble. L’île le fig­ure et rassem­ble les morceaux dis­per­sés d’un je égaré, recon­stru­it pour régénér­er ce qui a sombré.

« Ce qu’aura eu d’imparfait
notre amour n’était peut-être
que les nuages d’un ciel
de pluie où le vent ouvrait
brusque­ment des fentes de
lumière comme un chemin
dont nous point la nostalgie. »

7 vers de 7 syl­labes. Nous retrou­vons ici le chiffre per­son­nel de Stéphane Mal­lar­mé sur lequel il con­stru­isit plusieurs poèmes, et surtout Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Ce texte, plutôt con­stru­it sur 707 selon Quentin Meil­las­soux2, dit et cache à la fois son secret. Le secret ultime de cha­cun, même s’il appa­raît dans le rêve, peut-il et doit-il être révélé et expliqué ? La poète revendique « cet inex­pliqué qui te fonde ». Que le lecteur entre dans ces poèmes, qu’il y trou­ve un peu de lui-même et ce que dis­ent ses pro­pres rêves, tel est le vœu de la poète :

« Une peur m’étreint aujourd’hui que manque
le temps de met­tre au jour
une parole
réduite à peu de chose
si elle me décou­vrait à moi-même
sans que d’autres puis­sent y pénétrer
et par-delà nos dif­férences se sentir
suff­isam­ment à l’aise pour faire une halte
et dépos­er les bagages trop lourds. »

Pas inter­pré­ta­tion, réso­lu­tion. Les rêves sont comme des énigmes qui pour­raient met­tre sur la voie d’un tré­sor enfoui. C’est la carte trou­vée par le jeune Jim Hawkins dans le cof­fre de Bil­ly Bones. Il faut d’abord résoudre le mys­tère d’un mes­sage cryp­té avant de par­tir pour une belle et ter­ri­ble aven­ture, « joie vio­lente », vers l’île au tré­sor. Jim n’en revient qu’avec une par­tie du tré­sor, sans inten­tion d’y retourn­er, mal­gré la nos­tal­gie qu’il éprou­ve : « J’ignore encore de quel tré­sor / per­du je pour­su­is si opiniâtre quête […] ». Ou encore :

« Au-delà
de la lumière
et de sa joie
violente

l’île à l’horizon. »

Il est donc ici ques­tion de « secrets », de « tal­is­mans », de par­chemins au fond des cof­fres. Dans cette nav­i­ga­tion aven­tureuse, le naufrage est à craindre :

« Sans doute n’atteindrons-nous jamais l’île,
d’un charme fatal
ses brisants la couronnent.

Le cof­fre le plus sûr
con­serve à fond de cale
le tis­su de nos émotions
le par­chemin de notre histoire
scel­lé d’un inou­bli­able regard. »

Le tré­sor enfoui est fait d’amour, de ten­dresse, de sourires, de moments heureux, d’enfance. Et le vrai tré­sor est peut-être l’île elle-même et les moments heureux qui y furent vécus.

Les for­tunes de mer et l’imaginaire marin sont présents dans plusieurs poèmes du recueil. L’un d’entre eux cite un vers du célèbre poème de Walt Whit­man : « Ô cap­tain ! My cap­tain ! », dans lequel le poète améri­cain déplore la mort de Lin­coln et s’inquiète du sort du navire après la mort de son cap­i­taine. Quand manque un amour, quand le bon­heur s’éloigne :

« Le retour est impossible,
toute marche arrière entraînerait
le naufrage
d’un navire
chargé d’amis au long cours. »
« But O heart! heart! heart! », s’exclamait Whitman.

Mais on peut aus­si penser à Un coup de dés jamais n’abolira le hasard qui racon­te un naufrage, dont on ne sait si le « Maître » (ou le mètre) va sur­vivre. Ce qui survit sûre­ment, c’est le poème qui sera tou­jours à décrypter.

Lors de l’hiver cana­di­en sont célébrées des retrou­vailles « dans les rues enneigées / et silen­cieuses d’Ottawa ». La nar­ra­trice souligne le point com­mun de neige entre ici et « ce pays d’arbre et de forêts », comme « la mai­son des vacances fer­mée » privée « de ses hôtes fam­i­liers » révèle ceux qui man­quent. Ces lieux dif­férents, les êtres qui les ont tra­ver­sés les unis­sent, par la neige, le sou­venir de rires. Présent et passé ne sont pas séparés, les deux reten­tis­sent comme les lieux dis­joints peu­vent être rassem­blés par la pen­sée de ce qui leur est commun.
« [S]ous le bais­er de la mémoire », la vie s’entend encore et revit en « ce qui reste » qui donne le titre de la qua­trième et dernière par­tie du livre de Béa­trice Mar­chal. Les couleurs se dif­fractent, rouge, bleu pour « une mai­son qui pal­pite et respire ». L’amour alors, comme les couleurs, devient « autre chose     autrement » avec la con­science « des men­aces, des lim­ites » que lui rap­pelle celle qui est là, à l’hôpital, tou­jours la même, et pour­tant déjà dif­férente, « [p]auvre mère pitoy­able / funam­bule pris de ver­tige / sur une strate du temps » :

« Les mots
t’ont désertée,
l’oubli
à grands coups de brosse éparpille
la craie
de tes sou­venirs en poussière. »

Il pleut en ce jour de novem­bre, mais il faut bien voir « ce qui reste de lumière retenu – moins cap­tive que préservée – dans les flaques ».

Le cof­fre au tré­sor est dans les poèmes. L’essentiel y est préservé. Tout ne peut pas s’abolir.
Le rêve se résout en exer­ci­ce de patience et de com­préhen­sion, en accep­ta­tion d’une vie qui n’est pas un absolu mais une douceur qui con­naît ou devine ce qui échappe et blesse, le poème désor­mais l’entend et le restitue avec le sourire généreux et la force de « [m]ots perce-neige ».

 

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1 « [L]a chose dite garde tou­jours trace humide de ce qui est dit », épigraphe de Pao Keineg.

2 Quentin Meil­las­soux, Le Nom­bre et la sirène, (Un déchiffrage du Coup de dés de Mal­lar­mé) – Édi­tions Fayard, coll. Ouver­tures, 2011.

 

 

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