Florence Trocmé, P’tit bonhomme de chemin

Par |2021-11-06T10:30:58+01:00 31 octobre 2021|Catégories : Florence Trocmé|

Une réus­site que ce livre de Flo­rence Trocmé que la com­mu­nauté poé­tique con­naît dans un autre rôle que poète à pro­pre­ment dit. Livre dense, généreux, sub­til, sin­guli­er, bref intéres­sant. L’auteure « reprend ici à son compte un réc­it mécon­nu de Jules Verne, P’tit Bon­homme, qui relate le périple d’un orphe­lin au temps de la dom­i­na­tion anglaise et des famines en Irlande, au XIXè siècle. »

On rajoutera : et dont l’itinéraire dévoile une véri­ta­ble épopée. L’admiration de Flo­rence Trocmé pour Jules Verne est un fait avéré par sa let­tre adressée à l’auteur comme s’il était tou­jours vivant (« Cher Mon­sieur, cher Jules Verne »), lui exp­ri­mant sa recon­nais­sance sous un regard affec­tif et expli­quant la rai­son de ce livre-hom­mage. En plus de la référence au réc­it mécon­nu de Jules Verne, le livre puise au doc­u­men­taire, relate des faits pré­cis cou­vrant le XIXème siè­cle, avec une mise en par­al­lèle de l’Histoire plus récente, voire en cours. « Con­te, con­te, serais-tu con­te, ton his­toire est- / elle un con­te, P’tit Bon­homme ? » Com­ment s’aborderait l’Histoire lacu­naire avec ses zones d’ombres sans ces « rap­por­teurs » que furent entre autres Hugo, Balzac ou Zola ? Véri­ta­ble emboite­ment que la con­struc­tion de ce recueil entre exégèse du livre de Jules Verne et éclairage sur­ex­posé du monde défi­ni par la con­di­tion humaine en son chem­ine­ment con­tin­uel, sans que ces deux niveaux de lec­ture ne se parasitent. 

Flo­rence Trocmé, P’tit bon­homme de chemin, édi­tions Lan­sk­ine, 2121, 14 €.

Véri­ta­ble machine à remon­ter le temps par sa valeur doc­u­men­taire sur les con­di­tions de tra­vail, l’évolution tech­nologique d’une époque (pas si éloignée), sur ses mœurs d’une façon générale, où l’on apprend ce qu’étaient les chap­books (medi­um cul­turel), la Ragged-School (« étab­lisse­ments (…) pour accueil­lir des enfants aban­don­nés et ten­ter de leur don­ner un / sem­blant d’éducation » soutenus par Charles Dickens). 

Des notes essai­ment d’un bout à l’autre du recueil, ren­voy­ant à des cita­tions d’auteurs con­tem­po­rains (de Proust à J.C Bail­ly en pas­sant par Wal­ter Ben­jamin), à des arti­cles de jour­naux, des émis­sions radio, des expo­si­tions récentes, des sources Wikipé­dia, et même à la cor­re­spon­dance privée de l’auteure. « Comme pour tout vrai con­te, on / n’en épuise pas le sens (…) ». Comme il est rap­pelé, toutes les cita­tions en italiques non référencées sont tirées du P’tit bon­homme de Jules Verne, en fil­igrane tout le long du texte. Les asso­ci­a­tions d’idées chez Flo­rence Trocmé rési­dent dans une con­fronta­tion de son ressen­ti à celui du grand auteur, en trem­pant sa pro­pre sen­si­bil­ité dans la sienne comme on le ferait d’un aci­er pour ajouter à sa dureté. Ses références cul­turelles et artis­tiques afin de dress­er un por­trait de ce « p’tit bon­homme » selon son image, font briller des valeurs à l’abri des grands principes dis­souts dans ce qu’on pense d’époque en époque comme l’élévation du niveau de conscience.

Le poème prend forme par des vers jus­ti­fiés plutôt courts en des para­graphes comme des aplats espacés sur la page par des res­pi­ra­tions. Mal­gré tout un fil rouge est vis­i­ble dès le début pour men­er le lecteur à la suite d’une pen­sée qui s’autorise d’elle-même avec ses apartés, ses aspérités ren­con­trées sans qu’on se perde puisque par nature la pen­sée s’éparpille pour revenir à soi-même, créant ain­si au fur et à mesure son « p’tit bon­homme de chemin ». C’est donc en toute quié­tude qu’on chem­ine dans le paysage intérieur de Flo­rence Trocmé (ou ce qu’elle nous en laisse voir). La révéla­tion der­rière le rythme, le ton et le phrasé s’annonce dès le début : « Né de per­son­ne, fils de rien et de rienne, / P’tit bon­homme qui donc t’a craché tout seul / À la face du monde tout nu sans rien. (…) Sauve-toi vite fait, sauve-toi, allez P’tit / Bon­homme, poudre d’escampette par le / Chas, file, hue&dia, file, plus jamais cette / Vieille Hard, ne regarde pas en arrière, / Fonce au creux du noir (…) » Le vers coule mais cingle.

C’est l’histoire d’un livre qui ne pou­vait pas s’écrire sans un sen­ti­ment de révolte tel qu’il sus­ci­ta chez Jules Verne l’écriture de son P’tit Bon­homme. Flo­rence Trocmé fait du héros livresque l’instrument de l’innocence en tant que seule révolte pos­si­ble. Le poème rachète cette iner­tie néga­tive, mon­trant qu’innocence et fragilité sont des forces allant à l’encontre de ce qu’on nomme ici ou là l’échec de la lit­téra­ture devant la vio­lence, l’injustice et le dés­espoir. « P’tit bon­homme, n’est-ce pas ce que j’essaie de faire ici, te don­ner forme et vie nou­velles ? » Dans la mesure où un héros sur le papi­er est l’incarnation de l’esprit de son temps, c’est tout naturelle­ment que Flo­rence Trocmé lui redonne souf­fle et vie, en rap­pelant com­bi­en la poésie qui refuse cet échec est une alter­na­tive dans cet espace médi­a­tique aux images de plus en plus cal­i­brées. A coup sûr ce « p’tit bon­homme de chemin » garde l’empreinte d’une grande liberté.

Présentation de l’auteur

Florence Trocmé

Flo­rence Trocmé est née en 1949 à Paris, vit à Paris. Elle est membre de la rédac­tion de la revue Siè­cle 21 et de la com­mis­sion Poésie du CNL (2006–2009), elle a créé et ani­me un site sur la poésie con­tem­po­raine, Poez­ibao.

© Crédits pho­to Jean-Luc Bertini/Pasco.

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Mazrim Ohrti

Mazrim Ohrti est né en 1966. Il a gran­di en ban­lieue parisi­enne. Il est l’auteur de plusieurs chroniques en revues : Le Nou­veau Recueil, Poez­ibao, et Europe, prin­ci­pale­ment. Il vit en Bretagne.

 

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