Afrique, une écopoésie active ! Entretien avec Samy Manga

Par |2025-11-06T12:45:56+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Essais & Chroniques, Samy Manga|

Samy Man­ga, poète, musi­cien et per­formeur né en 1980 dans la forêt équa­to­ri­ale camer­ounaise, est une voix majeure de la poésie africaine con­tem­po­raine. Fon­da­teur du mou­ve­ment des Écopoètes du Camer­oun, il con­stru­it une œuvre mul­ti­dis­ci­plinaire où se croisent poésie, sculp­ture et musique, pro­fondé­ment atten­tive à la bio­di­ver­sité, aux héritages colo­ni­aux et aux enjeux soci­aux. Son par­cours auto­di­dacte et son engage­ment artis­tique illus­trent une écopoésie à la fois sen­si­ble et cri­tique, pro­fondé­ment ancrée dans les réal­ités locales tout en dia­loguant avec les enjeux uni­versels. Des œuvres comme Choco­laté : le goût amer de la cul­ture du cacao témoignent de cette démarche, mêlant con­science sociale et sen­si­bil­ité poétique.

Cet entre­tien s’inscrit dans le cadre de l’anthologie hors-série de la revue Les Haleurs, con­sacrée à l’éco-poésie africaine fran­coph­o­ne, dont Samy Man­ga est l’initiateur. De l’idée à la sélec­tion des voix et à la coor­di­na­tion édi­to­ri­ale, il a façon­né le pro­jet, définis­sant les grandes lignes de cette antholo­gie unique. La dis­cus­sion qui suit per­met de com­pren­dre non seule­ment son œuvre et son par­cours, mais aus­si la vision qui a con­duit à réu­nir ces voix africaines con­tem­po­raines, révélant un engage­ment poé­tique à la fois indi­vidu­el et collectif.

Pourquoi pub­li­er aujourd’hui une Antholo­gie d’Écopoésie Africaine ?
Pour éveiller les con­sciences sur le bien-fondé de la préser­va­tion des ressources naturelles, source d’équilibre du Vivant et de la planète, au regard des dégra­da­tions cli­ma­tiques et envi­ron­nemen­taux liés à l’ordre mon­di­al actuel. Les cat­a­stro­phes écologiques sont actées sur tous les Con­ti­nents : la pol­lu­tion liée à la sur­con­som­ma­tion, aux extrac­tions minières, l’accumulation de déchets tox­iques, les extinc­tions d’espèces ani­males et végé­tales sont autant de défis aux­quels seuls l’éducation, la sen­si­bil­i­sa­tion pop­u­laire et le respect des normes peu­vent pour assur­er un développe­ment durable effi­cace. De mon point de vue, les solu­tions à ces crises envi­ron­nemen­tales doivent être globales.
En tant que mil­i­tant, artiste engagé avec l’association Écopoètes Inter­na­tion­al, mon idée était de rassem­bler toutes les voix d’Afrique à la fois pour célébr­er le Vivant sous toutes ses formes, mais aus­si pour la néces­sité de sa préser­va­tion. Cette Antholo­gie d’Écopoésie est un cri d’alerte inter­na­tion­al con­tre le cli­ma­to-scep­ti­cisme. Une insur­rec­tion Écopoé­tique face au con­sumérisme plané­taire. Je voulais qu’en tant que poètes, écrivains, artistes de tout bord, citoyens et citoyennes d’Afrique et du Monde, nous nous mobil­i­sions poé­tique­ment avec un regard lucide sur l’avenir de notre planète.
Cette antholo­gie est présen­tée à la fois comme une antholo­gie de la poésie africaine et de la poésie écologique. Pour­riez-vous expli­quer com­ment ces deux dimen­sions se con­juguent dans votre projet ?
Si ce pro­jet d’Anthologie a été ini­tié avant tout pour répon­dre à l’urgence envi­ron­nemen­tale de notre époque. L’Afrique comme on le sait est une terre de cul­ture, d’écriture, d’oralité, de poésie et surtout de trans­mis­sion. La poésie fon­da­men­tale africaine n’est pas dis­so­ciée de l’écologie ni des autres espèces qui for­ment la Bio­di­ver­sité, au con­traire, par sa puis­sance, sa créa­tiv­ité, et sa sagesse, la poésie africaine a tou­jours lié tous les élé­ments et les aspects de la vie humaine. 
Ses tra­di­tions ani­mistes, ses pra­tiques mys­tiques, son ali­men­ta­tion, son rap­port à la matière, à l’invisible, et à la Terre sont autant de spé­ci­ficités traduites par l’Écopoésie comme vecteur des valeurs du NOUS NATURE.
Quelle est la lit­téra­ture africaine con­tem­po­raine réelle­ment représen­tée et traduite en France ? Pourquoi la poésie africaine est-elle si peu présente ?
 Je ne suis spé­cial­iste ni en ten­dance ni en sta­tis­tiques lit­téraires, et mon champ de bataille n’est pas de m’efforcer à faire traduire la lit­téra­ture africaine en France. Il nous faut sor­tir de cette cen­tral­i­sa­tion fran­co-française qui restreint notre présence dans l’espace poé­tique. La lit­téra­ture africaine existe et doit exis­ter pour ce qu’elle est, pour la puis­sance de son imag­i­na­tion, de son his­toire, et son apport à la cul­ture uni­verselle. La lit­téra­ture africaine ne peut pré­ten­dre exis­ter par procu­ra­tion pour espér­er une forme de recon­nais­sance. La poésie africaine est de plus en plus présente sur le Con­ti­nent et ailleurs, elle a le mérite d’être nour­rie par sa diver­sité lin­guis­tique, ses cou­tumes et ses tra­di­tions. En l’espace de trente ans, nous avons vu l’éclosion de mil­liers d’auteur.e.s édités ou auto édités dans tous les domaines de la littérature.
Mal­heureuse­ment dans cer­tains pays d’Afrique fran­coph­o­ne, nous faisons encore face à des poli­tiques cul­turelles peu vision­naires qui engen­drent des prob­lèmes de dif­fu­sion, de droits d’auteurs, de mobil­ité des poètes – poét­esses, peut de maisons d’éditions capa­bles de mieux porter les voix de la poésie africaine à l’intérieur comme à l’extérieure du Continent.
 Pourquoi cer­tains pays africains sont-ils si peu représen­tés dans votre anthologie ?
Pour la réal­i­sa­tion de cette pre­mière antholo­gie d’Écopoésie nous avons choisi unique­ment les pays fran­coph­o­nes pour uni­formiser nos voix face aux crises envi­ron­nemen­tales qui men­a­cent la survie des espèces vivants. Sur les 32 pays fran­coph­o­nes d’Afrique, 23 sont présents dans l’ouvrage. 

Com­ment avez-vous choisi les poètes ? Quelle démarche avez-vous suiv­ie pour cette sélection ?
Pour assumer une géo­gra­phie édi­to­ri­ale typ­ique, il nous a fal­lu faire des choix styl­is­tiques ancrés dans les tra­di­tions d’Afrique et de ses îles afin de pro­pos­er une antholo­gie col­lec­tive inspi­rante et ouverte au monde, tout en reflé­tant notre vision en matière d’écologie et notre rap­port à la Terre.
Vous avez évo­qué le rôle du chant et de la tra­duc­tion dans la poésie. Pour­riez-vous pré­cis­er ce point ?
En réal­ité le chant et la poésie sont issus de la même matière, de la chair des mots, du même tis­su de res­pi­ra­tion alliés à l’expérience humaine. Habités par le feu de la parole poé­tique, les mots chan­tés, lus, peints, déclamés ou sculp­tés se traduisent sous des formes divers­es pour attein­dre le domaine des émo­tions. D’ailleurs vous qui êtes Tunisi­enne, votre ques­tion me fait penser à un des grands noms, l’incantatrice de la poésie arabe, Oum Kalthoum.
Dans votre antholo­gie, cer­taines notes expliquent des mots issus de langues ou dialectes africains. Com­ment avez-vous pen­sé ces notes pour aider le lecteur à com­pren­dre ces termes…
Toute tra­duc­tion est une trahi­son. Cela dit nous avons voulu ouvrir la com­préhen­sion des lecteurs en met­tant quelques notes de bas de page qui per­me­t­traient de mieux sen­tir, de mieux imag­in­er, de mieux saisir les ora­cles qui tra­versent la beauté des langues locales asso­ciées au français.
Quel rôle la poésie joue-t-elle dans cette approche de médi­a­tion lin­guis­tique et culturelle ?
Seule la poésie sauvera le monde. Le rôle de la poésie comme de toute expres­sion artis­tique est d’exprimer des émo­tions, de pein­dre des sen­sa­tions, et de dire le monde à par­tir d’un soi col­lec­tif ou per­son­nel. Par le canal des iden­tités, des par­tic­u­lar­ités, et des expéri­ences qui habitent les mots de l‘existence, la poésie per­met d’instaurer des ponts, des mis­es en dia­logues, et des regards croisés entre les cultures.

Pourquoi avoir choisi la mai­son d’édition Les Haleurs pour pub­li­er cette antholo­gie ? Quel rôle cet édi­teur a‑t-il joué dans le projet ? 
Après plusieurs années de recherche de parte­naires pour la pub­li­ca­tion de ce pro­jet, j’ai ren­con­tré David Die­len à Paris en 2023, grand pas­sion­né de lit­téra­ture verte, auteur végé­tal avec une grande sen­si­bil­ité poé­tique, et surtout, respon­s­able d’une mai­son d’édi­tion ayant pour ligne édi­to­ri­ale : l’É­copoésie. Vous l’aurez com­pris, la graine est tombée en bonne terre. Les Haleurs Édi­tion s’est donc avérée être une belle oppor­tu­nité de col­lab­o­ra­tion. De 2023 à 2025, nous avons enrichi ce pro­jet de lit­téra­ture verte pub­lié offi­cielle­ment le 10 octo­bre 2025 à l’occasion de la 35e édi­tion du Salon de la revue de Paris.

Présentation de l’auteur

Samy Manga

Écrivain, eth­no-musi­­cien, mil­i­tant écopoète, Samy Man­ga tra­vaille actuelle­ment à Lau­sanne. Né dans un petit vil­lage à 45 km de Yaoundé au Camer­oun, où il révèle son engoue­ment pour les Arbres et la créa­tion lit­téraire. Ini­tié ‘’ Enfant écorce ‘’, à l’âge de 14 ans il écrit son tout pre­mier recueil de poèmes inti­t­ulé, Terre de Chez Moi. Écopoète engagé pour la lit­téra­ture verte. Activiste décolo­nial et pro­mo­teur de l’Écopoésie, enten­dez : l’Écriture en Faveur de l’Écologie et de la Bio­di­ver­sité. Par ailleurs, Samy Man­ga est le Fon­da­teur de l’Association Écopoètes Inter­na­tion­al, co-fon­­da­­teur et directeur artis­tique de l’espace cul­turel Art­Viv Pro­jet de Lau­sanne. Final­iste du Prix des Cinq Con­ti­nents 2023, final­iste du Prix Amadou Kourouma 2023, lau­réat du Prix MILA du livre Fran­coph­o­ne ‘’ Meet­ing Inter­na­tion­al du Livre et des Arts Asso­­ciés-MILA ‘’ 2025. Il a égale­ment reçu le Grand Prix de poésie Africaine d’Expression Française du Fes­ti­val Inter­na­tion­al du FIPA, Abid­jan– 2021.

Bibliographie 

4 degrés cel­sius entre toi et moi, pour une lit­téra­ture cli­ma­tique, Col­lec­tif. Édi­tion Point, 2025.

La Dent de Lumum­ba – régi­cide con­tre la col­in­ie, Édi­tions Météores – Brux­elles, 2024.

Choco trau­ma – le goût amer de la cul­ture du cacao, Édi­tions La Croisée des Chemins, Casablan­ca, 2023

Choco­laté - le goût amer de la cul­ture du cacao, Édi­tions Écoso­ciété, Mon­tréal 2023.

Opin­ion poé­tique, Coécrit avec Car­o­line Despont. Édi­tions L’Harmattan, Paris, 2018.

Les Hiron­delles de Mebou, coécrit avec Faustin Embo­lo. Mai­son des Savoirs, Yaoundé, 2012.

Les Acapel­la du bois, sculp­tures sur poésie, Édi­tions Art­Déclic. Paris ‑Yaoundé.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Afrique, une écopoésie active ! Entretien avec Samy Manga

Samy Man­ga, poète, musi­cien et per­formeur né en 1980 dans la forêt équa­to­ri­ale camer­ounaise, est une voix majeure de la poésie africaine con­tem­po­raine. Fon­da­teur du mou­ve­ment des Écopoètes du Camer­oun, il con­stru­it une […]

image_pdfimage_print
mm

Hanen Marouani

Hanen Marouani est une poétesse, tra­duc­trice et chercheuse tuniso-ital­i­enne. Doc­teure en langue et lit­téra­ture français­es, elle a con­sacré sa thèse au dis­cours rap­porté dans les réc­its d’Albert Camus, qu’elle abor­de selon une approche énon­cia­tive et styl­is­tique. Son œuvre poé­tique, tra­ver­sée par une quête de lib­erté, de lumière et d’humanité, réu­nit plusieurs recueils pub­liés et récom­pen­sés : — Tout ira bien…, Le Lys Bleu, Paris, 2021 ; — Le sourire mouil­lé de pleurs, L’Harmattan, Paris, 2020 ; — Le soleil de nuit, Alyssa édi­tion et dif­fu­sion, Tunis, 2020 ; — Les Pro­fondeurs de l’Invisible, Édilivre, Paris, 2019. Ses textes, traduits en plusieurs langues, fig­urent dans des antholo­gies, revues et ouvrages col­lec­tifs à l’international. Lau­réate du pre­mier Prix de la Fran­coph­o­nie Europoésie UNICEF à Paris, elle a égale­ment été dis­tin­guée à Lyon en 2022 pour son œuvre poé­tique. Par­al­lèle­ment à son tra­vail d’écriture, elle s’illustre comme tra­duc­trice lit­téraire, ayant traduit de l’arabe vers le français des poèmes du poète pales­tinien Mohamed Bakria et du poète syrien Ado­nis. Elle a été for­mée au Col­lège Inter­na­tion­al des Tra­duc­teurs Lit­téraires d’Arles, où elle a appro­fon­di sa réflex­ion sur la tra­duc­tion comme pas­sage, dia­logue et recréa­tion poé­tique. Ses séjours en Roumanie, en France et en Algérie ont nour­ri sa réflex­ion sur la diver­sité, le dia­logue des cul­tures et la créa­tion partagée. Active dans le domaine asso­ci­atif, elle s’engage pour la défense des droits des femmes et des enfants et ani­me des ate­liers autour de la langue, de la poésie et de la tra­duc­tion. Elle par­ticipe régulière­ment à des col­lo­ques, lec­tures et événe­ments cul­turels en Europe et dans le monde fran­coph­o­ne. Sa poésie se veut une tra­ver­sée vers la lib­erté intérieure, un espace où la parole devient souf­fle, mémoire et résistance.

Sommaires

Aller en haut