Déboussolé
Je veux t’inviter à partir, quitter la terre ce soir,
entrer dans le royaume des pertes et des conflits invisibles.
Tu y verras l’échange des gaz volcaniques
le reflux de la conscience qui s’égare facilement
parmi les souches brûlées et la canopée de vitres cassées,
à la lisière de la parole où la vision s’enflamme
tu verras des tours lointaines
des océans asphyxiés couleur de plomb,
tu n’auras pas d’ailes, tu seras dans un bateau sans rames
tes veines soyeuses allongées sur le vent
comme une voile pour l’âme meurtrie,
tu verras l’absence et la perte
à travers un brouillard de fantaisies et d’angoisses,
seule la nuit te soulagera,
ses sortilèges roulant au rythme des étoiles,
tu chanteras une vieille berceuse
avant de t’endormir
les braises de l’aube sous ta langue affamée.
∗∗∗
Témoin complice
J’aurais déplacé le poids
sur ta poitrine
le bruit percutant
qui bouche ton oreille
détourne ton regard rêveur.
L’après-midi blanchit
les reflets sur la fenêtre,
tu y guettes le passage des moineaux
l’illumination des passages de rêve,
mais la syncope ne permet aucun retour
ton regard restera à jamais
parmi les branches des buissons
et la lumière écrasante de la réalité.
∗∗∗
Dans un rêve diurne
Je monte sans penser aux consignes,
l’ascenseur vide, l’escalier en mauvais état,
la salle est loin de l’entrée
personne à la porte,
j’y traine des arcs-en-ciel
des papillons bleus et blancs
tout ce que tu aimes voir et entendre
la musique des arbres
par un soir de velours,
le parfum exquis des orages
qui nous mènent loin
de ce silence incongru
figé au bout des lèvres.
∗∗∗
À hôpital
Endormie. Des taches de soleil sur le lit.
Ses paupières glissent vers le noir,
Il est impossible de lui parler.
Un bocal de miel, de l’eau chaude.
J’ai mis du citron dans une tasse.
Un peu d’eau, du miel. Ma gorge est blanchie
par l’effort de parler au vide.
Ses joues ondulent sous la lumière
mais aucun mouvement de la peau.
L’après-midi dans le silence.
Les vitres poussiéreuses, striées par
le regard manqué.
∗∗∗
L’étrangeté du regard
Une voile blanche étendue vers l’océan
la silhouette indistincte d’un homme qui marche
sans rien dire de ce qui se passe autour de lui
veines élastiques, poumons en feu
le résultat des scans déchirant
il parle d’une voix de feuille
de la profondeur de son angoisse
des fissures luisantes de sa vie
sa perte sa désillusion
ses mains blanches dans le vent
cherchent des cordes pour hisser la voile
des chutes de feuilles des larmes des mots brisés
son regard en braises, son corps disparu.