Andrea Moorhead, L’étrangeté du regard

Par |2022-03-06T08:17:49+01:00 1 mars 2022|Catégories : Andrea Moorhead, Poèmes|

Déboussolé

 

Je veux t’inviter à par­tir, quit­ter la terre ce soir, 

entr­er dans le roy­aume des pertes et des con­flits invis­i­bles. 

Tu y ver­ras l’échange des gaz vol­caniques 

le reflux de la con­science qui s’égare facilement

par­mi les souch­es brûlées et la canopée de vit­res cassées,

à la lisière de la parole où la vision s’enflamme

tu ver­ras des tours lointaines

des océans asphyx­iés couleur de plomb,

tu n’auras pas d’ailes, tu seras dans un bateau sans rames

tes veines soyeuses allongées sur le vent

comme une voile pour l’âme meurtrie,

tu ver­ras l’absence et la perte

à tra­vers un brouil­lard de fan­taisies et d’angoisses,

seule la nuit te soulagera,

ses sor­tilèges roulant au rythme des étoiles,

tu chanteras une vieille berceuse

avant de t’endormir 

les brais­es de l’aube sous ta langue affamée.

 

 

∗∗∗

Témoin complice 

 

J’aurais déplacé le poids

sur ta poitrine

le bruit percutant

qui bouche ton oreille

détourne ton regard rêveur.

L’après-midi blan­chit

les reflets sur la fenêtre,

tu y guettes le pas­sage des moineaux

l’illumination des pas­sages de rêve,

mais la syn­cope ne per­met aucun retour

ton regard restera à jamais

par­mi les branch­es des buissons

et la lumière écras­ante de la réalité.

 

 

 

 

 

∗∗∗

Dans un rêve diurne

 

Je monte sans penser aux consignes,

l’ascenseur vide, l’escalier en mau­vais état,

la salle est loin de l’entrée

per­son­ne à la porte,

j’y traine des arcs-en-ciel

des papil­lons bleus et blancs

tout ce que tu aimes voir et entendre

la musique des arbres

par un soir de velours, 

le par­fum exquis des orages 

qui nous mènent loin

de ce silence incon­gru 

figé au bout des lèvres.

 

 

∗∗∗

À hôpital

 

Endormie. Des tach­es de soleil sur le lit.

Ses paupières glis­sent vers le noir,

Il est impos­si­ble de lui parler.

Un bocal de miel, de l’eau chaude.

J’ai mis du cit­ron dans une tasse.

Un peu d’eau, du miel. Ma gorge est blanchie

par l’effort de par­ler au vide.

Ses joues ond­u­lent sous la lumière

mais aucun mou­ve­ment de la peau.

L’après-midi dans le silence.

Les vit­res pous­siéreuses, striées par

le regard manqué.

 

∗∗∗

L’étrangeté du regard

 

Une voile blanche éten­due vers l’océan

la sil­hou­ette indis­tincte d’un homme qui marche

sans rien dire de ce qui se passe autour de lui

veines élas­tiques, poumons en feu

le résul­tat des scans déchirant

il par­le d’une voix de feuille

de la pro­fondeur de son angoisse 

des fis­sures luisantes de sa vie

sa perte sa désil­lu­sion 

ses mains blanch­es dans le vent

cherchent des cordes pour hiss­er la voile

des chutes de feuilles des larmes des mots brisés

son regard en brais­es, son corps disparu.

 

 

 

Présentation de l’auteur

Andrea Moorhead

Andrea Moor­head est direc­trice de la revue inter­na­tionale Osiris qui vient de célébr­er cinquante ans de poésie. Elle a pub­lié plusieurs recueils de poèmes dont Présence de la terre aux Écrits des Forges, À l’ombre de ta voix aux Édi­tions du Noroît, Fukushi­ma Dreams au Fin­ish­ing Line Press et Trac­ing the Dis­tance au Bit­ter Ole­an­der Press. Pho­tographe ama­trice et nat­u­ral­iste pas­sion­née, elle a fait paraître ses pho­togra­phies dans de nom­breux livres à Anterem Edi­zioni en Ital­ie ain­si que dans les revues lit­téraires Ce qui reste, Pos­si­bles et The Jan­u­ary Review.

 

© photo Isabelle Poinloup

Bibliographie

En anglais :

Iris, 1970, poems, pri­vate­ly printed
Mor­ganstall, 1971, poems, Fid­dle­head Poet­ry Books, New Brunswick, Canada
Black Rain, 1975, poems, pri­vate­ly printed
The Snows of Troy, 1988, poems, Osiris
Win­ter Light, 1994, prose, Oasis Books, Lon­don, England
From A Grove Of Aspen, 1997, poems, Uni­ver­si­ty of Salzburg Press
The Open Gate: Four Deer­field Poets, 1999, anthol­o­gy, pages 109–139, Deer­field Acad­e­my Press
Deer­field 1797–1997: A Pic­to­r­i­al His­to­ry of the Acad­e­my, 1997, with Robert Moor­head, Deerfield
Acad­e­my Press
The Hearth, 2003, prose, Deer­field Acad­e­my Press
The Carver’s Dream, poems, 2018, Red Drag­on­fly Press
Trac­ing the Dis­tance, poems, 2022, The Bit­ter Ole­an­der Press
Fukushi­ma Dreams, poems, 2022, Fin­ish­ing Line Press
The Magician's Tales, poems, forth­com­ing 2024, Mad­Hat Press
En français :
Entre nous la neige, cor­re­spon­dance québé­caméri­caine, 1986, Les Écrits des Forges, Québec
Nia­gara, 1988, poèmes, Écrits des Forges, Québec
Le silence nous entoure, 1991, poèmes, Écrits des Forges
La blancheur absolue, 1995, poèmes, Écrits des Forges/Autres Temps, Québec/France
Le vert est frag­ile, 1999, poèmes, Écrits des Forges/Autres Temps
Présence de la terre, 2004, poèmes, Écrits des Forges
La déchirure des mots: poèmes choi­sis de Jean Chapde­laine Gagnon, 2007, Édi­tions du Noroît
De loin, 2010, poèmes, Édi­tions du Noroît
Ter­res de mémoire, 2012, poèmes, Édi­tions de l'Atlantique
Sans miroir, 2013, poèmes, Encres Vives
Géo­cide, 2013, poèmes, Édi­tions du Noroît
À l’ombre de ta voix, 2017, poèmes, Édi­tions du Noroît

 

Tra­duc­tions :

The Edges of Light, select­ed poems of Hélène Dori­on, 1995, Guer­ni­ca Edi­tions, Toronto
The Cav­erns of His­to­ry, poet­ic suite by Hélène Dori­on, 1996, Édi­tions en Forêt/Verlag Im Wald,
Germany
Do Not Dis­close This Word, poet­ic suite by Jean Chapde­laine Gagnon, 1997, Spec­tac­u­lar Diseases,
England
Updates, poems by Françoise Han, 1999, 10 folios, 3‑lingual, Édi­tions en Forêt/ Ver­lag Im Wald
Bridges, Dust, poet­ic suite by Hélène Dori­on, 2000, Édi­tions en Forêt/Verlag Im Wald
Night Watch, poet­ic suite by Abder­rah­mane Djelfaoui, Red Drag­on­fly Press, 2009
Stone Dream, poems by Madeleine Gagnon, Guer­ni­ca Edi­tions, Toron­to, Cana­da, 2010
Dark Menagerie, poems by Élise Tur­cotte, Guer­ni­ca Edi­tions, Toron­to, Cana­da, 2013
The Red Bird, poems by Marie-Chris­­tine Mas­set, Oxy­bia Édi­tions, Grasse, France, 2020

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