Louis Bertholom, Anatomie du cri et autres poèmes

Explosion de l’âme, souffle qui perce
une voie sonore dans l’espace

Pensée exaltée, prolongement du mot
qui s’épanche avec furie
se fracasse sur un mur impalpable
au spectre de l’écho

De sa source, le jet phonique
comme une lame projetée
scarifie le silence

Crier avec ou sans message
telle une déchirure invisible
dans l’air alors que le tonnerre d’acier
crayonne son parcours dans le ciel

Le cri peut être muet
au creux d’un regard
une souffrance pudique
qui suggère l’empathie

Joie, douleur,  communication
chant, folie, démence
le cri est langage originel
au confluant des espèces

Crions, à nous extirper de la torpeur
avant le grand effacement

Quimper, le 13 février 2025

 

Au feu

Beau désastre
dans la majesté des flammes
puissance de  l’irrémédiable
langues jaunes
qui lapent l’air
narguant le ciel

La plainte des combustions
s’éreinte au fil
de la digestion calorifère

Feu, entité conquérante
dont la fumée
est la victoire émanée

Il contient
peine, joie, survie
sournoiserie et maléfice

Apprivoisé, il miaule
s’en rit dans le triomphe
pleure sous la pluie
dans la braise il rumine

Le feu est la lumière
de nos ténèbres

Nous sommes tous
des feux potentiels
qui flambent, s’éteignent
au gré de nos humeurs

Quimper, le 13 février 2025

Écrire à Trois-Rivières

Écrire
dans la sérénité des tombes
avoisinantes
alors que l’ampoule
tutoie les œuvres sombres
soleil des boiseries
du plancher qui parle
au Christ solitaire
aperçu de la fenêtre quadrillée
par les escaliers de fer
qui grimpent comme les arbres
vers d’improbables destins

Qui suis-je ici
penché sur la table à tiroirs
à trifouiller mon esprit
près d’un animal figé dans un ultime cri ?

La prose trifluviale
me le dira peut-être…

Trois-Rivières (Québec), le 6 octobre 2024 à l’occasion d’un atelier d’écriture animé par Maryse Baribeau, dans le musée des Ursulines, au sein  du 40è Festival International de la Poésie de Trois-Rivières.

Les regrets

Pareils à des bijoux désuets
Qu’on ne peut  jeter
Qu’on n’ose plus porter
Ils gisent dans les tiroirs de l’âme

On ne s’en débarrasse jamais
Les remords nous font face
Comme reflet dans le miroir
Ainsi sont les regrets

Ils se sont assombris
Dans la langueur des jours
En nous poursuivant
Comme des ombres

On aura beau fuir le temps
Appuyer sur l’accélérateur
Aller au bout du monde
Ils s’obstinent,  les regrets

Les sentiments fanés
De la lente mélancolie
Rêvent de leurs éclats
En nous pinçant le cœur

Ils ne lâcheront rien
Qui ne soient les instants
Où la solitude nous ronge
Pour s’immiscer, les regrets

Quimper, le 2 novembre 2023

L’abomination contemporaine
À Sylvain Tesson

Trottinette turbo
tranche l’air sans effort
pour dépasser
l’ombre du temps.

Cœur au repos,
esprit désincarné,
stupidité
de la propulsion assistée.

Abêtissement du mouvement,
soumission de l’espace publique
à la vitesse au détriment
de la nonchalance.

Cheveux au vent, ahuri
sur mécanique nucléique
dont on ne saura
un jour que faire.

Assistance électrique
de l’individu connecté
aux musiques compressées,
sourd aux chants d’oiseaux.

Mouton assujetti
aux startupers
préempte pistes et chemins
dans sa bulle filante.

Kerler à Fouesnant, le 17 août 2023, entre 21h et 23h, après avoir entendu sur Facebook une réaction de Sylvain Tesson au sujet des trottinettes électriques.

Présentation de l’auteur

Louis Bertholom

Textes

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Louis Bertholom, né en 1955 à Fouesnant, Bretagne (France). Ancien chanteur de rock. Auteur de 23 livres, 10 livres d’artiste, 2 CD, et DVD. Prix Xavier-Grall pour l’ensemble de son œuvre. Il donne des récitals avec musiciens de jazz. Critique, sociétaire Sacem, membre de la Société des Gens de Lettres et de l’Association des Écrivains bretons, il publie en revues. Figure dans plus de 80 anthologies à travers le monde. Il coorganise salons et soirées littéraires. Outre en France, il participe à de nombreux festivals et des scènes au Québec (4 fois), Ontario, Bénin, Maroc, République Tchèque, Roumanie, Serbie, Belgique, Russie… Des poèmes ont été traduits et publiés en 12 langues dans une vingtaine de pays, il a préfacé environ 20 livres. Il intervient  en ateliers d’écriture et d’oralité dans des écoles, collèges, lycées et a donné des récitals dans des amphithéâtres d’universités. Héritier des bardes celtiques, il est aussi influencé par la Beat Generation. Bibliographie visible sur Wikipédia. Sa biographie écrite par l’écrivain et universitaire Alain-Gabriel Monot : Louis Bertholom, le poème comme un cri, est parue en 2020 aux Éditions Yoran Embanner.

© J.M.Hérin.

Bibliographie 

Poussière d’Ombres. Éditions Blanc Silex, 1995. Illustré par Malo. Épuisé

Glenmor, terre insoumise aux yeux de mer. Avec Bruno Geneste, Éditions Blanc Silex, 1997. Collectif. Épuisé

Les Ronces bleues. Éditions Blanc Silex, 1998. Préface Gil Refloch. Épuisé (1ère édition)

Les Îles internes. Éditions Cahiers Blanc Silex, 2000. Illustré par Youenn Gwernig. Épuisé

Le rivage du cidre. (Récit), Éditions Blanc Silex, 2002. Illustré par Claude Huart. Épuisé (1ère édition)

Pèlerin de l’infini. Éditions Encres Vives, 2006

Infinisterres. Les Éditions Sauvages, 2007. Illustré par Marc Bernol

Amerika blues. Les Éditions Sauvages, 2009

Bréviaire de sel.  (Fragments), Atelier de Groutel, 2011. Livre objet Illustré par Jean François Hémery. Épuisé

Les Ronces bleues. Les Éditions Sauvages.  Nouvelle édition augmentée, 2012. Préface Gil Refloch

Mordre le monde. Les Éditions Sauvages, 2012

Bréviaire de sel. Les Éditions Sauvages, 2013. Préface Alain-Gabriel Monot. Illustrations Paul Quéré

Paroles pour les silences à venir. Les Éditions Sauvages, 2015. Préface Alain-Gabriel Monot

Avec les orties du temps. Les Éditions Sauvages, 2016

Nous te souvenons Glenmor. Avec Bruno Geneste, Éditions des Montagnes Noires, 2016. Collectif. Épuisé

Mémoire des sources vives. (Récits), Éditions des Montagnes Noires, 2017

Le rivage du cidre. Éditions des Montagnes Noires, réédition augmentée,  2018. Préface Mark Gléonec

L’enfant des brumes. Éditions Rafael de Surtis, 2018

Au milieu de tout. Les Éditions Sauvages, 2019

Blues-rock. Éditions Sémaphore, 2020

À mes amis envolés, oraisons funèbres. Éditions Vivre tout simplement,  2020. Préface Nicole Le Garrec

La lyre du silence. Les Éditions Sauvages, 2021

Passager du rivage.  Les Éditions Sauvages, Photos de Jean-Michel Hérin, 2023

Le Graal de Kerouac. Les Éditions Sauvages, préface Bruno Geneste, collages Marie-Josée Christien, 2024

Le rock transgressif vu de Bretagne,  Éditions des Montagnes Noires, préface Alain-Gabriel Monot, 2024

Calice de la pensée, sur des dessins de Marc Marchant. Les Éditions Sauvages, 2025

Autres lectures

Louis BERTHOLOM, Au milieu de tout

Strophes courtes, vers brefs le plus souvent, ces poèmes sont marqués par l’oralité, ils sont faits pour être dits, pour être chantés. Et ce n’est pas un hasard si Louis Bertholom est par [...]




Louis BERTHOLOM, Au milieu de tout

Strophes courtes, vers brefs le plus souvent, ces poèmes sont marqués par l’oralité, ils sont faits pour être dits, pour être chantés. Et ce n’est pas un hasard si Louis Bertholom est par ailleurs chanteur : il a publié une vingtaine de livres, deux CD et deux DVD. 

Dès le début du recueil (quo comprend quatre parties respectivement intitulées Migrants, Ailleurs, Villes et En vrac, ce qui fait que ça a une allure un  peu fourre-tout : je m’intéresserais surtout aux premiers poèmes, et, secondairement, à ceux de Villes), le ton est annoncé : « On ne revient jamais / en pays d’enfance, / la vie serait un exil / au plus profond de soi-même » (p 10). Propos renforcés par ce tercet : « Se réveiller / pour relever l’autre / dans la gratitude » (p 31). Dans ce livre de poèmes, Louis Bertholom interroge le phénomène migratoire, comme le dit la quatrième de couverture, il prend parti… Pour les migrants ! C’est écrit très simplement, sans recherches inutiles. La tonalité se fait volontiers volontariste : « S’ouvrir au divers / Pour mieux l’apprécier » (p 33).  De fait, de nombreux  textes ici regroupés, ont déjà été mis en musique et interprétés sur scène.

Louis Bertholom, Au milieu de tout, Editions Sauvages, collection Askell, 184 pages, 16 euros. En librairie ou sur commande : Marie-Josée CHRISTIEN  7 allée Nathalie-Lemel 29000 QUIMPER.

Le fonds est marqué par séparer le droit de circuler et envahir (la différence est de taille : les hordes nazies ont envahi la France !), revendication du droit de choisir de vivre son particularisme, présent et passé qui se mêlent… Louis Bertholom va jusqu’à proclamer (p 42) : « Qu’importe qu’on me traite de démago, / de gauchiste, de naïf, »,  l’essentiel est  de se montrer solidaires de ceux qui manquent de tout ; solidarité contre les nantis, solidarité avec les misérables ! Je relève trop d’âmes, trop de bénédictions dans les poèmes de Louis Bertholom; mais je rachète le poème de la page 88 pour ce vers « Voyage de vie et de mort ». Le poète semble aimer tout particulièrement le terme voyage(s) qu’il reprend. Mais, page 99, il y a ce poème qui commence par ces vers : «  Seul Dieu ne le sait pas / Qu’il n’existe pas ».  Louis Bertholom est un citoyen du monde, il a beaucoup  voyagé (Ottawa, Timisoara, Belgrade, Alençon où il ne connaît que déboires, Cordes-sur-Ciel où il participe au festival international de poésie, Krasnodar, Bruxelles ou petits villages provinciaux…

Si nous ne voulons pas être Ces obscurs qui refusent / De voir et d’admettre, il nous faut changer d’attitude : combattre aux côtés des migrants.