Fig­ure incon­tourn­able de la poésie française, on le con­naît avant tout pour son “mil­i­tan­tisme poé­tique”, ses nom­breuses inter­ven­tions pour faire con­naître la poésie hors les murs, Du Print­emps des poètes où il a été directeur artis­tique à la direc­tion de la col­lec­tion Poésie / Gal­li­mard, Jean-Pierre n’a cessé de ques­tion­ner le rôle de la poésie et la place du poète dans nos sociétés à l’air du tout numérique. Aujourd’hui c’est bien le poète aus­si dra­maturge qui se livre et qui nous revient avec un nou­veau recueil chez Gal­li­mard, Avenirs suivi de Le pein­tre au coqueli­cot. Jean-Pierre s’entretient avec nous de son ascèse par l’écriture, d’une pas­sion qui ne cesse de grandir, nour­rie par une belle exigence.

Vous dites lors d’un entre­tien que « le poète détient une part de la vérité et que la mécon­naître c’est per­dre beau­coup, qu’un peu­ple qui perd sa poésie perd son âme ». Est-ce pour vous une crainte en vous pro­je­tant un tant soit peu dans l’avenir ?
Il n’est pas besoin de se pro­jeter dans l’avenir pour crain­dre que les peu­ples per­dent leur âme : c’est mal­heureuse­ment un proces­sus à l’œuvre aujourd’hui un peu partout sur la planète. La poésie et l’art sont en effet de mon point de vue le lieu d’expression de ce qu’on appelle l’âme humaine, la meilleure part de ce qui fonde l’humanisme, le ques­tion­nement inces­sant, le goût de l’inconnu, le sens de l’ouvert, la réfu­ta­tion obstinée de ce qui clôt le sens, toutes choses qui fondent une con­science altru­iste et vivante. L’oppression vio­lente aujourd’hui d’un rap­port au réel pro­duc­tiviste, égoïste, d’un matéri­al­isme à courte vue, tout cela avec les moyens d’une tech­nolo­gie qui ne doute pas d’elle-même, va de pair évidem­ment avec le mépris crois­sant dans lequel on tient la poésie, l’art et toutes les formes d’une pen­sée indocile et créa­trice. Lire, écrire, penser en poète, c’est donc s’opposer frontale­ment à cette logique mor­tifère. Soyons donc quant à nous, par objec­tion, poètes inlassablement.
Dans votre dernier recueil inti­t­ulé juste­ment « Avenirs » suivi de Le pein­tre au coqueli­cot vous déclarez de nou­veau votre flamme à la poésie, on pour­rait par­ler ici d’un acte de foi, le courage dont elle en est l’expression face à un monde voué à dis­paraitre un jour ou l’autre. Pou­vez-vous nous en parler ?
Je ne vois pas com­ment vouer son exis­tence à la poésie comme je le fais, et comme le font tant d’autres, ne s’appuierait pas sur une foi résolue dans les pou­voirs de la poésie. C’est le con­traire qui m’étonne, de voir tant de poètes, écrire, pub­li­er, lire en pub­lic leurs poèmes et tenir un dis­cours min­i­mal­iste à ce sujet, comme s’excusant d’être poètes. La foi en la poésie que je pro­fesse en effet, et sans état d’âme, n’est pas une lubie per­son­nelle, elle s’argumente de la présence con­stante de la poésie, de son ray­on­nement, dans toutes les civil­i­sa­tions depuis le début de l’histoire humaine. Elle n’est pas seule­ment ce que notre moder­nité occi­den­tale en a fait, un genre lit­téraire par­mi d’autres pour exégètes savants, elle relève d’une posi­tion exis­ten­tielle fon­da­men­tale, qui pro­pose depuis tou­jours à l’homme une alter­na­tive quant à la pen­sée de son des­tin et de son rap­port au monde. Cette posi­tion a tou­jours été à con­tre-courant des valeurs dom­i­nantes en toute société, la grandeur, la force, l’avoir et le pou­voir, elle est donc un con­tre-ordre. Il faut pour tenir cette posi­tion effec­tive­ment le courage d’aller con­tre l’opinion courante et les valeurs admises. 
Pourquoi ce choix du titre Avenirs au pluriel ? Faites-vous la dis­tinc­tion entre dif­férents pos­si­bles, un monde avec et sans poésie ?

Pourquoi un S à Avenirs ? pour que juste­ment vous me posiez la ques­tion, pour que le lecteur se pose la ques­tion… Cela en effet ne va pas de soi, ce qui va de soi, c’est avenir au sin­guli­er, tel qu’il a été pen­sé, ressen­ti par tous depuis le début de l’histoire humaine : un avenir, un seul, comme une ligne droite dans l’éternité avec certes des avancées et des reculs, mais sans lim­ite. Or, la grande muta­tion dans la con­science col­lec­tive s’est faite ces dernières décen­nies, puisqu’on a enfin mesuré ce que la sci­ence dit depuis longtemps, qu’il n’y a pas d’éternité, pour notre planète. Ce que je dis dans ce livre, c’est que nous pou­vons ou non hâter notre fin et qu’il y a au moins deux avenirs possibles…Et que le seul monde qui serait viable avec un avenir loin­tain à peu près garan­ti serait un monde gou­verné par l’inverse de ce qui le gou­verne aujourd’hui et qui amène la cat­a­stro­phe. Ce dont je par­lais plus haut : la volon­té de pou­voir, l’exploitation éhon­tée de son envi­ron­nement par l’homme, l’anthropocentrisme qui implique une jouis­sance du réel au seul prof­it de l’espèce humaine. Il ne s’agit pas donc seule­ment d’un peu plus ou d’un peu moins de poésie : il s’agit d’inventer les moyens d’un monde dont le principe serait comme un dia­pa­son un art d’habiter poé­tique­ment la terre.

Vous avez déclaré à ce pro­pos : « J’appelle ici beauté tout ce qui en l’homme, par l’homme et hors de l’homme, exhausse le réel et offense la mort (…) à elle de pro­mou­voir, poème à poème, une poli­tique de la beauté dont le principe est d’incandescence dans la nuit. » De recueil en recueil et même dans vos essais (dont le plus con­nu La poésie sauvera le monde), vous con­tin­uez à croire en ce pou­voir de la poésie d’éclairer la nuit. La voix du poète est-elle encore intel­li­gi­ble avec ce déploiement d’informations un peu partout sur les réseaux soci­aux, ces images qui se con­som­ment à la chaîne ?
 La poésie est à mes yeux, l’exact con­traire de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion telles qu’elles sont véhiculées par les réseaux dont vous par­lez. Un des grands mal­heurs de notre temps, qui est un mal­heur ancien mais ampli­fié et accéléré par les sup­ports tech­nologiques, c’est la façon dont la langue dom­i­nante, telle qu’elle est exigée par ces sup­ports, accélérée, tapageuse, sans nuances ni pré­cau­tions, est l’instrument de la perte du sens…c’est une langue qui, mal­gré ce qu’elle pré­tend, perd le réel, n’en donne qu’une représen­ta­tion scan­daleuse­ment réduite, par­tielle et frag­men­tée. Elle se donne toutes les apparences du vrai mais on a ici l’exemple de la con­fu­sion entre le vrai et le vraisem­blable. Il se trou­ve que les réseaux soci­aux qui ne sont pas nocifs a pri­ori ou par principe, porte en eux les moyens du désas­tre intel­lectuel et moral dont ils sont le vecteur. Ils priv­ilégient l’instantané, don­nent légitim­ité à des paroles qui ne sont que l’effet d’une impul­sion voire d’une pul­sion et de l’émotion du moment : or il n’est je crois de parole légitime que si elle est le fait d’un min­i­mum d’élaboration, d’une prise de temps qui est une prise de dis­tance, que si elle naît d’une sorte de silence intérieur où la pen­sée prend le temps de se retourn­er con­tre elle-même, de se peser. La poésie donc est l’exact con­traire du vite-pen­sé, vite-écrit, vite-pub­lié, puisqu’elle ne peut naître que dans la lenteur et le silence pre­mier d’une longue et intérieure élab­o­ra­tion, où tout est saisi dans une inter­ac­tion entre la con­cep­tu­al­i­sa­tion, le savoir acquis, l’expérience vécue, bref, dans un aller-retour intense entre la pen­sée et la sen­sa­tion. Ceci dit, nous pour­rions dire para­doxale­ment que la poésie prend ain­si toute sa valeur d’objection, qu’elle est l’échappatoire du sys­tème répres­sif à l’œuvre. Non, seule­ment, elle ne risque pas de dis­paraître, mais sa valeur de con­tre-pied ou de con­tre­point n’a jamais été aus­si fla­grante et aus­si utile.

 

Je crois avoir lu que vous n’étiez pas croy­ant mais je perçois vos poèmes comme des prières. Quelle place occupe votre édu­ca­tion, votre cul­ture religieuse dans votre pra­tique de l’écriture ? Ne pensez-vous pas que la poésie relève d’une forme de spir­i­tu­al­ité, qu’elle per­met d’ac­céder à une tran­scen­dance dans l’immanence ?
 Oui, je suis plutôt du genre mécréant et un laïque mil­i­tant. Ce qui ne m’empêche pas évidem­ment de m’intéresser à toutes les spir­i­tu­al­ités et de m’en nour­rir. J’ai eu une édu­ca­tion chré­ti­enne et mes par­ents étaient dis­ons des chré­tiens laïques, proches un moment par exem­ple des prêtres ouvri­ers. Mais j’ai une forte aver­sion pour toutes les reli­gions dans la mesure où elles ont été his­torique­ment des instru­ments d’oppression tant morale que physique. Les insti­tu­tions religieuses, comme tous les pou­voirs tem­porels, sont cor­rompues par le goût du pou­voir et ses orne­ments. Mais le dia­logue avec des croy­ants de tout bord me pas­sionne et j’ai le plus grand respect pour des théolo­giens qui le plus sou­vent sont des esprits ouverts dont la foi n’exclut pas le doute. Pour en revenir à la poésie, il est évi­dent qu’elle a par­tie liée avec la spir­i­tu­al­ité, et je crois comme vous le dites qu’elle est la man­i­fes­ta­tion d’un désir de tran­scen­dance, qui ne pos­tule pas un au-delà hors du monde, mais comme le dis­ait Paul Élu­ard, dans le monde…il y a un autre monde, dis­ait-il, mais il est dans ce monde. C’est cet au-delà de l’expérience immé­di­ate et de la pre­mière vue qu’investit la poésie, elle sauve l’homme de l’emprise vite total­i­taire du besoin et des deman­des du réel immé­di­at. Mais la poésie relève d’une spir­i­tu­al­ité si je puis dire, incar­née, char­nelle même, qui ne nie ni n’oublie jamais l’inscription de l’être dans le con­cret du monde :  c’est en quelque sorte l’esprit en corps à corps avec le monde. Comme elle ne fait pas le pari de cet au-delà que promet­tent les reli­gions, elle fonde une spir­i­tu­al­ité laïque en quelque sorte, partage­able par tous. J’ai écrit quelque part que la poésie était l’espéranto de l’âme humaine, cette for­mule résume je pense assez bien ma pen­sée dans ce domaine.

Ton poème — Jean-Pierre Siméon, Les Belles Personnes.

Pour revenir à votre dernier recueil ain­si que sur les précé­dents, je con­state que vous ne boudez en rien un cer­tain lyrisme, un tra­vail sur la musi­cal­ité, entre le chant et la prière, une pas­sion cer­taine pour Péguy, pour le poème dra­ma­tique. Com­ment tra­vaillez-vous vos recueils, les met­tez-vous en bouche, en les incar­nant dans votre corps avant de les fix­er sur le papier ?

Mon apport à l’écriture a évidem­ment beau­coup évolué, au fil des décen­nies. Même si j’ai tou­jours été dans mes lec­tures (qui ont tou­jours été très divers­es, sans exclu­sive et très nour­ries depuis mon plus jeune âge de la poésie étrangère) attiré et porté par la poésie dis­ons lyrique pour faire sim­ple, ce n’est qu’au fil des années que j’ai mieux pris en compte l’oralité dans ma pro­pre écri­t­ure. Nul doute que mon tra­vail au théâtre à par­tir des années 90 y a con­tribué, mais aus­si, et cela ne me con­cerne pas seul, le fait que dès des années 80, nous avons été nom­breux dans ma généra­tion, à mul­ti­pli­er les lec­tures publiques de poèmes, à une époque où la poésie avait qua­si­ment dis­paru de l’espace pub­lic. C’était une manière de renouer avec les lecteurs, une néces­sité donc, mais je suis sûr que cela a eu un effet sur l’ensemble de la pro­duc­tion poétique.

 Pour répon­dre plus pré­cisé­ment à votre ques­tion con­cer­nant mon pro­pre tra­vail d’écriture, il est absol­u­ment vrai que je prends en compte désor­mais comme une don­née pre­mière la part vocale du poème, je veux plus que jamais que le poème soit une parole adressée. Mais le défi que je me pro­pose est au fond celui de la poésie depuis tou­jours : ne rien céder sur la den­sité par­ti­c­ulière de la langue, qui est le fait même de la poésie, sur la den­sité de la pen­sée aus­si (car la poésie n’est pas qu’un affect) sans rien per­dre de l’élan de la parole.

 

J’aimerai que vous nous par­liez du tra­vail de la scène. La poésie se déclame beau­coup (Fes­ti­vals, rue, café, Marché de la poésie, Mai­son de la poésie, Print­emps des poètes…), voyez-vous ça comme un retour à son essence première ?

Votre ques­tion me per­met de rap­pel­er une chose : cette mul­ti­pli­ca­tion des occa­sions de dire le poème en pub­lic, n’est pas née spon­tané­ment. Elle est le résul­tat comme je l’ai dit plus haut de l’effort mil­i­tant et résolu de très nom­breux poètes de ma généra­tion et de celle qui l’a précédée, des nom­breux petits édi­teurs pio­nniers des années 70 (Rougerie, Cheyne, Jacques Bre­mond, Louis Dubost, Obsid­i­ane, Jean Le Mauve, Yves Prié, pour n’en citer que quelques-uns). Ce qu’on voit aujourd’hui n’existait pas dans les années 80/90, il a fal­lu se bat­tre con­tre les préjugés, l’indifférence, l’opinion com­muné­ment admise que la poésie n’intéressait per­son­ne, opin­ion hélas alors partagée par la plu­part des médi­a­teurs et respon­s­ables cul­turels. Je sais de quoi je par­le puisque j’ai été un acteur par­mi d’autres de ce com­bat. La créa­tion du Print­emps des poètes est venue oppor­tuné­ment au début des années 2000 pour don­ner légitim­ité à ce tra­vail jusqu’alors souter­rain et invis­i­ble, et pour ampli­fi­er et struc­tur­er cet élan col­lec­tif. Dis­ons donc que cela est d’abord venu de la volon­té des acteurs de la poésie aban­don­nés par la cri­tique nationale et par les grands édi­teurs pour l’essentiel, de rejoin­dre les lecteurs. Il y avait aus­si chez la plu­part cette idée poli­tique que la poésie ne devait pas être l’affaire de quelques-uns mais n’avait de sens et de valeur que dans sa présence sociale. 

Ceci dit, comme vous le sug­gérez, cela était l’occasion aus­si de renouer avec la plus anci­enne tra­di­tion poé­tique, qui n’avait dis­paru au vrai que dans le monde occi­den­tal mais pas ailleurs, tra­di­tion qui veut que la poésie soit une parole partagée par tous. Exigeante certes, mais fon­da­men­tale­ment pop­u­laire. Il faut rap­pel­er aus­si à ce pro­pos que nous n’avons rien inven­té : on dis­ait déjà des poèmes dans les bistrots du temps de Vil­lon, des roman­tiques, du sur­réal­isme, etc. et si par exem­ple le slam a pour antécé­dent immé­di­at la poésie protes­tataire améri­caine, on peut voir par exem­ple un Jehan Ric­tus décla­mant ses poèmes rimés en argot parisien au Chat noir à la fin du XIXe siè­cle comme un ancêtre direct de nos slameurs…

Vous êtes égale­ment dra­maturge, quelle dif­férence faite-vous entre l’écri­t­ure théâ­trale et l’écri­t­ure poétique ? 
C’est une ques­tion très vaste et qui mérit­erait une longue réponse. Je dirais sim­ple­ment qu’il y a plusieurs tra­di­tions d’écriture théâ­trale, la tra­di­tion du théâtre d’art français dans lequel je me situe est fondée dans la poésie. C’est un poète, Paul fort, qui a inven­té, à 20 ans, à la fin du XIXe siè­cle le terme de Théâtre d’art. Les plus grands textes du réper­toire français et inter­na­tion­al, sont le fait de poètes : par exem­ple Racine ou Shake­speare, Mus­set, Hugo, Claudel, ou Brecht, Beck­ett ou Jon Fos­se… la ques­tion de fond est de savoir com­ment on peut con­cili­er une écri­t­ure poé­tique assumée et les néces­sités de la représen­ta­tion théâ­trale qui exige une récep­tion immé­di­ate, ce qui, d’une cer­taine façon, con­tred­it la néces­sité d’une latence pour la com­préhen­sion du poème. J’ai essayé pour ma part d’inventer une poésie de théâtre qui tienne compte de cette con­tra­dic­tion, c’est-à-dire qui reste de la poésie mais qui puisse être incar­née et ne sat­ure pas l’écoute du spec­ta­teur… la grande dif­férence donc c’est que quand j’écris des poèmes, je sais que la lec­ture peut en être lente, réma­nente et récur­rente, que le lecteur a le livre le plus sou­vent dans les mains, ce qui ne sera pas le cas du texte écrit pour le théâtre.
Vous êtes égale­ment un passeur impor­tant, alors je vous le demande pour con­clure : un con­seil ou plusieurs que vous aimeriez don­ner aux jeunes poètes en herbe qui aimeraient se lancer à leur tour et écrire de la poésie ?
Pour ma part, je donne un seul con­seil : il faut lire, lire et relire sans cesse les poètes qui nous ont précédés, ceux qui, comme dit René Guy Cadou, ” sont passés avant nous au guichet”. Lire de la poésie d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs. Je fais remar­quer aux jeunes que je ren­con­tre qu’ils n’imagineraient pas écrire une chan­son sans con­naître aucun des chanteurs de leur époque, devenir un joueur de foot­ball pro­fes­sion­nel sans regarder toutes les semaines les exploits de leurs joueurs préférés. Je ne crois pas à la poésie spon­tanée. Les gri­ots africains qui impro­visent ont la mémoire de siè­cles de tra­di­tion poé­tique, et n’oublions pas que Rim­baud lisait à 15 ans les poètes de son temps et qu’il avait une cul­ture hors du commun.

∗∗∗

Extraits de Avenirs suivi de Le peintre au coquelicot :

23

Le soleil un jour avalera le monde

Regar­dons-nous mon Dieu quel hiver
Dans les vis­ages quel froid dans les bouches !
Si jeune encore et déjà vieux le monde
Déjà le grand âge qui tremble
Plus que le corps le cœur défait
Et lui chercher un avenir
C’est chercher des fruits aux arbres dans la neige
Hommes et ciels tout usés
Il fait si nuit dedans
Qu’un moin­dre rire est un print­emps mais
Moi qui suis vieux de beau­coup de pluies et de pas
Je vous le dis comme l’enfant
Qui voit la mer dans une flaque
Lais­sez le froid aux effarés
Lais­sez le froid manger leurs lèvres
Prenez le pre­mier vent qui passe
Sautez du lit trou­vez l’échelle
Volez leur nid aux hirondelles
Dansez dansez sur les toits
Dansez riez défiez le vide
Que votre rire éclate comme une orange qu’on égorge

41

Grâces ultimes

Nous ne saurons jamais ce que voulaient de nous
La terre ni ce bleu infi­ni qui la retient
Comme un vis­age le miroir
De qui l’aventure humaine sera-t-elle le souvenir ?
De quoi la trace déchirée ?
Oh je sais la ques­tion aus­si vaine
Qu’un clou plan­té dans l’eau
Mieux vaut par­ler peut-être
Du repas de demain ou
Du vieil­lisse­ment du jour à la ter­rasse puis
Lac­er ses chaus­sures et descen­dre au jardin
Et pourtant
L’homme n’existe
Que de tenir tout entier dans la question
Nous ne saurons jamais pourquoi
Touch­er des lèvres de ses lèvres
Ou un cœur du regard
Est de siè­cle en siècle
La seule vérité qui tienne
Comme tou­jours revient comme une grâce
La fleur mille fois piétinée

Présentation de l’auteur

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Grégory Rateau

Gré­go­ry RATEAU est rapi­de­ment devenu une fig­ure incon­tourn­able de la nou­velle scène poé­tique con­tem­po­raine. Lau­réat du Prix Amélie Murat et Renée Vivien en 2023 pour son recueil Impré­ca­tions noc­turnes aus­si final­iste du Prix Robert Gan­zo. Des cri­tiques et des entre­tiens fleuris­sent dans Europe, Arpa, Zone Cri­tique, Esprit, En Atten­dant Nadeau, Poe­si­bao, Les Let­tres Français­es, La Cause Lit­téraire… Son dernier recueil en date, Le pays incer­tain, à la Rumeur libre, creuse son obses­sion de la marge et reçoit le Prix Rim­baud 2024 de la Mai­son de poésie. Il a débuté très tôt dans le ciné­ma, à 17 ans, écrivant (un scé­nario avec Michael Lons­dale) et réal­isant plusieurs court-métrages sélec­tion­nés dans une quin­zaine de fes­ti­vals inter­na­tionaux. Il a enseigné l’esthé­tique du ciné­ma au Lycée St Sulpice et ani­mé des ciné-clubs dans Paris. Parrain/juré pour dif­férents con­cours (AUF, OIF, Poésie en Lib­erté), pré­faci­er, ce poète “révolté” et “engagé” par l’écri­t­ure et seule­ment par elle, ce pas­sion­né de voy­age et de jazz, ques­tionne sans cesse le réel comme ses grands mod­èles : Maïakovs­ki, Cen­drars, Rim­baud, Pre­v­el, Bukows­ki, Cor­tazar, Kaf­ka… Ses poèmes ren­con­trent un véri­ta­ble engoue­ment, en seule­ment quelques années, ils font l’ob­jet de lec­tures publiques : Insti­tuts, Maisons de la poésie, Fes­ti­vals (Voix vives de Sète, Sémaphore…), pub­liés dans plusieurs antholo­gies (dont celle du Cas­tor Astral 2024 et Seghers pour 2025), et dans plus d’une quar­an­taine de revues papiers et numériques en France/Corse/Haïti, au Séné­gal, en Suisse, au Québec, au Por­tu­gal, en Roumanie, en Bel­gique, Espagne, Pérou, Liban, Ital­ie (L’Ori­ent le jour, Le Jour­nal des poètes, Arpa, Gus­tave, Le Cafard Héré­tique, Place de la Sor­bonne, Ver­so…). Il mène égale­ment des entre­tiens pour les revues et signe un édi­to sur la résis­tance en poésie. Jean-Bap­tiste Para, rédac­teur en chef chez Europe écrira : “Un kaléi­do­scope. De mul­ti­ples éclats du monde réel, en con­stant mou­ve­ment, leur reten­tisse­ment sen­si­ble dans une con­science et un corps, la saisie des impromp­tus des jours dont le poème garde trace pour longtemps, tout cela inter­vient dans la rela­tion que le lecteur peut entretenir avec ces poèmes qui ®avivent son pro­pre regard sur le monde.” Il vit aujour­d’hui à Bucarest où il se pas­sionne pour l’art de la nou­velle. Il est égale­ment l’au­teur d’un réc­it de voy­age sur la Roumanie et d’un pre­mier roman, Noir de soleil (en final du Prix France-Liban et Ulysse 2020). Source : Babelio