Du poème considéré comme acte révolutionnaire nous exigeons ceci : un nouvel 
incendie dans l’ordre du sensible, cyprès, améthystes et cytises embrasés en plein cœur. 
Alliages intensifiés dans la composition des corps, l’alignement des fluides sur la solaire 
ascension. Une plus-value vitale.
            À l’épicentre comme aux pourtours la résurgence des sèves encore jeunes, l’activation 
des fleuves dans le réseau surchauffé du souffle. Le souffle. Le souffle plein, total, iridescent. 
L’immense et l’incommensurable dans l’éclat tout-puissant du plein jour.
            L’affinité privilégiée des astres, des orchis et des geais lorsqu’ils se confondent 
absolument avec leur chant ; la terre lorsqu’elle prend part à l’absolu.
Être de ce chant.
Comment savoir sans se risquer
à son appel que le poème ne promet
rien qu’une furieuse danse de gouffres, 
un firmament rêvé que vient crever  
la battue artésienne des mots, que 
chaque vocable — hyène ou murène, 
vif ou sanguin — porte la voix au point 
d’ébullition, le désespoir jusqu’à saturation ; 
que cette croisade contre le rien 
creuse dans le corps des fleuves obscurs, 
des fleurs fiévreuses, de démentes 
résonances ne conduisant à rien 
qu’à ce réseau de nerfs striant 
le corps ardent, le ciel vacant.   
Parfois tu te trouves confronté 
à ce silence sans rives et sans confins 
et qui serait du ressort de la nuit, 
ce silence que tu sens perler 
sur le bout de ta langue comme 
des îlots à la dérive, comme gouttes 
de sang fusant dans les abîmes du temps, 
et pour lequel la langue serait 
d’insuffisante lumière quand bien même 
pulse en ton plexus tout le souffle condensé 
de l’enchantement ; car pour ce dire 
il te faudrait grammaire d’étoiles et 
syntaxe océane, des strophes illimitées 
toutes torsadées d’un feu à faire s’embraser 
les lointains furtifs du poème.
Cela commencerait, si commencement 
il y avait, par un battement, une 
vibration, n’importe quel élément, 
l’air ou la terre, l’eau et le feu, 
faisant sauvagement irruption 
par les gouffres désaxés du corps 
et l’assiégeant, par vagues se propageant,
par l’infinie, l’insondable fêlure que nous 
nommons désir et qui est tout 
aussi bien un espace bleu et démuni 
qui se met à brûler, se consumer, 
en butinant la fine fleur du présent.
On ne sait pas très bien, 
un quelque chose comme un 
grondement de basse fréquence 
du côté des racines, comme un élan 
sans cause identifiable du côté 
des soleils, et qui progresse et se renforce,
soulève la plèvre, enclenche 
les cordes vocales en attisant 
la forge des mots, ce quelque chose 
comme l’être tressaillant en bord 
d’abîme et qui avant de vivre 
ou de mourir une première fois, 
expire — et tout le corps devient 
espace océanique et c’est le chant 
qui roule en nos artères et pulvérise 
notre réserve jusqu’à nous rendre 
lumineux et déments, 
illimités.
Turbulences encore loin, encore 
inconcevables comme d’inorganiques 
craquements de nuit dans le système 
hydraulique du cœur qui par marées 
par subversion par disruption dérèglent 
l’éclatante machinerie du corps 
avant que l’impensable, que l’innommable 
n’endiguent flux et reflux vers la place forte 
de la passion, vers la crête cristalline
de la folie et qu’en la lumineuse spirale
de l’air ne se mettent à danser 
les particules d’un feu qui sont 
les pétales du poème en devenir.
D’où cela vient-il alors puisque 
ces eaux surgissent comme d’un 
non-lieu, ou de la nuit informulée 
dans la doublure d’une autre nuit, 
laquelle erre aléatoire et neutre 
par les nervures assoiffées du langage, 
et que nul ciel n’y prend racine, 
nulle source palpable, nul sol 
avide de semaisons, et qu’à l’encontre 
de tout espoir de toute logique,
néanmoins en surgissent ces signes
comme des astres séditieux  
dilapidant leurs éclats et leurs cris 
par les brèches écarlates de notre voix.
Mouvement d’approche autant
que de se sentir touché en son centre
irradiant d’uranium lorsque le sang 
lunaire aimante les mots comme 
métal exalté, chimie ondulatoire des corps 
et des affinités ; de l’humus à la bouche 
la nature vibre de tout son long 
et il n’y a d’autre mystère que cette mer 
immatérielle et diaphane jointant 
les pôles en un seul corps et puis 
cette houle qui se démène comme une 
lumière assoiffée d’impossible — langue 
centrifuge inaugurant son ciel 
par la force de l’éclat.
Parce qu’il y a le langage 
et qu’en nos os, qu’en nos expirations, 
sa mécanique interne imprime
des rythmes des tensions des orages
qui ne nous ressemblent pas, ne nous 
transportent pas ; des mots comme 
des fers des lames des instruments de lestage 
alors que de tout notre être nous 
n’aspirons qu’à voir les eaux 
de la langue se déliter et les soleils rageurs 
décrire leurs sulfureuses révolutions 
dans les cieux syntaxiques du désir pur, 
et d’alors nous lever comme au premier 
matin du monde, la bouche en fleur et 
transcendés de musique et d’azur.
À l’origine des mots, 
de chaque mot qui sur la page pèse 
de sa charge de sueur et de sa charge 
de sang, des mots vastes comme la mer, 
de simples mots aux senteurs de pinèdes, 
des mots d’amour des mots marins des mots 
comme des embruns sauvages éclaboussant 
les aspirations enfiévrées de l’esprit — 
à l’origine ce même impondérable, 
ce même imprononçable tremblement
lorsque le ciel vacille sur ses assises,
que s’en échappe quelque oiseau dérouté 
venant chercher refuge au foyer incendié  
de nos lèvres en émoi.
 
			
					
















