Un demi- siè­cle après l’émergence d’une nou­velle poésie insu­laire, inscrite dans le mou­ve­ment dit du Riac­quis­tu, il était néces­saire de faire un point d’étape et de met­tre à la dis­po­si­tion du pub­lic un large choix de textes en ver­sion bilingue. De nom­breux ouvrages avaient dis­paru des étals des libraires et, par­fois, cer­taines maisons d’édition avaient fer­mé leurs portes, il était donc temps de sauve­g­arder un pat­ri­moine en péril.

L’idée de base était d’ouvrir large : il ne fal­lait pas réper­to­ri­er seule­ment la poignée de poètes con­nus du grand pub­lic au risque de faire une antholo­gie en tout point sem­blable à celles qui l’ont précédée. Mais alors quel critère choisir ? Nous avons opté, avec l’éditeur, sur les principes suiv­ants : que les poètes soient en vie (ceci jus­ti­fie la notion de con­tem­po­ranéité) et qu’ils aient pub­lié au moins un ouvrage (afin d’évacuer les paroliers qui, bien sou­vent pro­posent de véri­ta­bles textes poé­tiques). Tout critère dis­crim­i­nant est injuste et nous en avions con­science mais notre but était d’être clairs dans nos inten­tions et de ne pas pub­li­er un ouvrage élaboré « au gré du vent » dans lequel les liens de com­plai­sance auraient joué un rôle surdéterminant.

Par le nom­bre de poètes retenus (26 hommes et 26 femmes) l’ouvrage est la plus impor­tante antholo­gie con­sacrée à la poésie corse con­tem­po­raine. Cer­tains (très peu) n’ont pas souhaité y être asso­ciés ou n’ont pas répon­du à temps et nous le regret­tons comme nous regret­tons le procès de par­tial­ité qui nous a été fait mais quelle entre­prise de ce type ne sus­cite pas de critiques ?

Nor­bert Paganel­li, Musa di un pop­u­lu — Flo­rilège de la poésie corse con­tem­po­raine, Le bord de l’eau, 584 pages, 33€.

Devenu un ouvrage de référence par l’importance de son cor­pus, son impor­tante bib­li­ogra­phie et la mise en évi­dence, par les auteurs eux-mêmes de leur art poé­tique, ce flo­rilège demeure un témoignage de l’état de la pro­duc­tion poé­tique dans la Corse d’aujourd’hui. C’est cer­taine­ment l’une des raisons de son suc­cès et nous en sommes fiers.

Voici donc un petit aperçu de son contenu.

 

∗∗∗

 

 

Anne Albertini

 

Infir­mière psy­chi­a­tre à l’hôpital de la Tim­o­ne à Mar­seille, Ane-Xavier Alber­ti­ni se per­fec­tionne en géri­a­trie à Genève. Pigiste pour le quo­ti­di­en Le provençal à Mar­seille, elle est engagée au Cen­tre Méditer­ranéen se Presse de la même ville et devient rédac­trice, puis journaliste.

Très présente au sein des man­i­fes­ta­tions cul­turelles insu­laires, elle con­serve un franc par­ler qui est bien présent dans ses écrits.

A musi­ca

Pas­su in carrughju
Cum’è s’è fussi inde mè
Cum’è s’è fussi cunnusciutu
Cum’è s’è mi duvianu fà mottu
Cum’è s’è andessi inde mamma.
Pas­su in carrughju
Cum’è s’è andessi à a scola
Cum’è s’è era biancu
Cum’è s’è era biondu
Cum’è s’è era francese,
Pas­su in carrughju
Ingum­brati di sog­ni interdetti
Pas­su in car­rughju capighjembu 
Cum’è s’è fussi culpevule
Cum’è s’è fussi un ladru,
Cum’è s’è duves­si sparisce
Cum’è s’è fussi in eccessu.
Ùn pas­su più sin’à a scola
Ogni ghjor­nu e sedie sò viote
S’anu pur­tatu à Mous­sa, Karim, Viddi.
Chì hè a vita, Maestra ?
Chì hè a ghjus­tizia è i dirit­ti di l’omi ?
È quel­lu di i zitelli ?
Ella hà det­tu « ùn sò più, ma eiu vi ten­gu cari »
È hà pientu.
Tan­du l’avemu basgiata
Di tut­tu u nos­tru core
Di tutte e nos­tre paure,
È l’avemu las­ciatu i nos­tri quaterni.
Pas­su silenziosu
À pena se osu rispirà
U mio core bat­te à scimesca
À un ritimu barbaru :
Sen­za duc­u­men­ti, sen­za duc­u­men­ti, sen­za ducumenti.
U sentite ?
Pez­zu di jazz ? Solò di batteria ?
Nò, gof­fa musi­ca, false note,
Ùn ai à bas­tan­za ampara­tu, nè ripetutu,
Eppu­ru, nant’à u pianó aghju vis­tu i tasti bianchi è neri
È a musi­ca era cusì bel­la, cusì bella
Chì l’aghju pus­su­ta rispirà.

La musique                

Je marche dans la rue                                               
Comme si jétais chez moi                  
Comme si jétais con­nu                                              
Comme si on allait me saluer            
Comme si j’allais chez ma mère.                              
Je marche dans la rue                                                           
Comme si j’allais à l’école                                        
Comme si j’étais blanc                                  
Comme si j’étais blond                                              
Comme si j’étais français, 
Je marche dans la rue 
Embar­rassés de rêves interdits 
Je marche dans la rue tête basse 
Comme si j’étais coupable
Comme si j’étais un voleur, 
Comme si je devais disparaître 
Comme si j’étais de trop.                   
Je ne marche plus jusqu’à l’école                
Chaque jour des chais­es sont vides 
Ils ont emporté Mous­sa, Karim, Viddi. 
C’est quoi la vie maîtresse ? 
C’est quoi la jus­tice et les droits des hommes ?       
Et celui des enfants ?                                    
Elle a dit « je sais plus, mais moi je vous aime »      
Et elle a pleuré.                                                         
Alors nous l’avons embrassée 
De tout notre cœur 
De toutes nos peurs,                                                  
Et nous lui avons lais­sé nos cahiers. 
Je marche silencieux 
A peine si j’ose respirer 
Mon cœur bat à grands coups 
Sur un rythme barbare : 
Sans papiers, sans papiers, sans papiers. 
Est-ce que vous l’entendez ?                                     
Morceau de jazz ? Solo de bat­terie ?                        
Non, mau­vaise musique, fauss­es notes,         
Tu n’as pas assez appris, ni répété.              
Pour­tant, sur le piano j’ai vu des touch­es blanch­es et noires          
Et la musique était si belle, si belle 
Que j’ai pu la respirer.

 

 

 

∗∗∗

 

Marie-Ange Antonetti-Orsoni

 

Née à Paris en 1946, Marie-Ange Antonet­ti-Orsoni est aujourd’hui retraitée de l’Education Nationale. Orig­i­naire de Molti­fao, elle vit à Bas­tia où elle a effec­tué la majeure par­tie de sa car­rière d’enseignante.

Elle a pub­lié deux recueils de poésies en langue corse, dans la col­lec­tion Ver­anu di i pueta du C.C.U. (Cen­tre Cul­turel Uni­ver­si­taire de Cor­ti) : Sfoghi (Albiana, Ajac­cio, 2009) et Sog­ni di culori (Albiana, Ajac­cio, 2012).

Puesia

A parol­la.
A pigliu.
A cappiu.
A ripigliu.
Ghjè à u capu di l’asta.
S’azzinga à l’amu,
Mur­se­ca, pò cap­pia tuttu.
Pur­tan­tu u ver­su ùn hè compiu.
Fugh­je, ma a ripigliu.
Sfrugne in a mo manu.
A fiu­mara a si ne porta.
Striscia nant’à u biancore
Di a car­ta di u scularu.
I filari negri l’anu inchjustrata.
Nimu ùn si ne scurderà.
Hè nata a puesia.

Poème

Le mot. 
Je le sai­sis. 
Je le lâche.
Je le reprends.
Il est au bout de ma canne. 
Il s’accroche à l’hameçon,
Mord, puis lâche tout. 
Pour­tant le vers n’est pas fini. 
Il est fuyant mais je le rat­trape. 
Il glisse dans ma main. 
Le courant l’emporte.
Trace sur la can­deur 
Du papi­er d’écolier.
Les lignes noires l’ont enserré.
Per­son­ne ne l’oubliera.
Le poème est né.

 

 

∗∗∗

 

Carine Adolfini Bianconi

 

Carine Adolfi­ni Bian­coni, est diplômée de Let­tres mod­ernes. Elle ani­me des ate­liers poésie pour enfants à Bas­tia, sa ville natale, au sein dArzil­la, une asso­ci­a­tion cul­turelle qui a pour objet la pro­mo­tion dartistes insu­laires et la création littéraire.

Pas­sionnée de musique, de chant lyrique, mais aus­si de lin­guis­tique, de préhis­toire et dhis­toire des reli­gions, elle sadonne à ses heures per­dues à lobser­va­tion et à lanalyse des systèmes sym­bol­iques.

 assai dilusa di u bian­core di l’albore 
u so sen­tore d’assenza
u so sapore di vita falza,
ind’u fiatu sbia­di­tu di u celu
tut­tu hè sen­za voce o sus­sur­ra, svanisce pianu pianu
l’asgiatezza  sof­fia nant’u velu bian­cu è sudachjo­su 
s’infucia per a fines­tra cume un sguardu lacrimosu
i chjas­si è a luce s’uniscenu
ind’u spis­ci­ume torbidu 
di sbagli è di cutone
un zir­lu di rag­iu sbiecu zuc­chit­ta a mo tristezza
a fidan­za si sva­po­ra in un dub­bitu nibbiosu 
solu a casa di petra chì sente a matina
pare Essere in stu son­niu mutu.

 

Je suis déçue par la pâleur de l’aube
son odeur d’absence
son goût de vie feinte,
dans l’haleine pâle du ciel
tout se tait ou mur­mure, dis­paraît lentement
la paresse souf­fle sur le voile moite et blanc
elle entre par la fenêtre comme un regard humide
la lumière et les sentes se mêlent 
dans un flou ruissellement
d’erreurs et de cotons
la giclée imprévue d’un ray­on oblique tail­lade ma mélancolie
la con­fi­ance s’évapore dans un soupçon de brume
seule la mai­son de pier­res aux odeurs de matin
sem­ble de l’Être dans ce songe muet.

 

∗∗∗

 

Alain Di Meglio

 

Orig­i­naire de Boni­fa­cio, Alain Di Meglio est né en 1959 à Mar­seille et est pro­fesseur des Uni­ver­sités, Directeur du Cen­tre Cul­turel Uni­ver­si­taire à l’Université de Corse. Il est par ailleurs élu à Boni­fa­cio, délégué à la cul­ture. Poète et paroli­er, il écrit pour de nom­breux groupes et chanteurs corses.

Fris­gi mediter­ranii 

Mi piaci l’af­fac­cà di a spon­da l’altra
men­tri chì dare­tu à mè
si stin­za l’al­ma dul­ci è tagliuta
di u me ritornu

Di u filu tesu di l’orizonti
a musica
Di issa pun­tet­ta di sci­u­ma chì sfris­gia a custera
u filà
D’un silen­z­iu à impastà
u levitu
Di i fiati aduniti
u ventu
Di issu bughju
l’inchjostru

Lignes méditer­ranéennes

J’aime voir venir l’autre rive
pen­dant  que der­rière moi
se tend l’âme douce et abrasive
de mon retour

Du fil ten­du de l’horizon
la musique
De la den­telle d’écume le long des côtes
la couture 
D’un silence à pétrir 
le lev­ain 
Des souf­fles réunis
le vent 
De cette obscurité
l’encre

 

 

∗∗∗

 

Jacques Fusina

 

Pro­fesseur émérite des Uni­ver­sités, Jacques Fusina est à la retraite depuis plusieurs années. Il est l’une des fig­ures les plus mar­quantes et les plus con­nues du mou­ve­ment de réap­pro­pri­a­tion cul­turelle des années 70.

Son tra­vail d’écrivain, si l’on excepte les nom­breuses pub­li­ca­tions sci­en­tifiques uni­ver­si­taires, a util­isé aus­si bien la langue corse que la langue française qu’il con­sid­ère comme ses deux langues mater­nelles et avec lesquelles il n’hésite pas à utilis­er les cor­re­spon­dances. 

Alzà di memoria

Gris­giu u celu sopra
Ch’o vecu da casa mea
Rimore ribombu
Tan­fu di storia
È parul­la caghjata

Gris­giu u core sottu
Ch’o sen­tu palpità
Rimore notte
Tan­fu di memoria
È parul­la cutrata

Gris­giu u mon­du attornu
Ch’o sen­tu à u postu
Rimore noia
Puz­za di guerra
È parul­la accampata

Lever de mémoire

Gris le ciel noir par-dessus
Que je vois de chez moi
Reflet de bruits
Relents d’histoire
Et mon dire figé

 Gris le cœur par-dessous
Que je sens bat­tre en moi
Reflet de nuits
Relents de mémoire
Et mon dire gelé

Gris le monde alentour
Que la radio renvoie
Rumeurs d’ennui
Relents de guerre
Et mon dire assiégé

 

 

∗∗∗

Patrizia Gattaceca — Patrivia Gattaceca

Auteur-com­pos­i­teur, inter­prète, comé­di­enne, Patrizia Gat­tace­ca enseigne égale­ment la langue et la cul­ture cors­es à l’Université de Corse. C’est peut-être Jacques Thiers qui a défi­ni le mieux l’expression de Patrizia « Dans les accents d’une voix où la Corse d’hi­er et d’au­jour­d’hui se mêlent et se con­fondent, on se sou­vient du temps où la poésie ne fai­sait qu’un avec le chant. »

Elle est l’auteur cinq recueils poé­tiques parus entre 1998 et 2012 ain­si que de nom­breux poèmes édités dans dif­férentes antholo­gies et ouvrages col­lec­tifs (France, Ital­ie, Por­tu­gal, Hol­lande, Cana­da, Bel­gique, Ital­ie, Etats Unis).

Un filu di filetta

E voce ghjunte di fora ribombanu
È pocu à pocu falanu
È si calanu
I penseri stanu bassi
È a mente ingutuppata
Trema fritulosa 
U rinchjusu sparghje
U so pru­fume paestosu
È bal­lanu sen­za ballà
Duie idee cun­trarie chì si cercanu 
Una dice schjavitù
È si para di spin­zoni fiuriti
Colti à fior di sangue
È chì facenu ride
L’altra mugh­ja libertà
È ste­mu impauriti
Drit­tu l’omu ùn hè più
E dinochje inde­bu­lite cedenu
I brac­ci pendenu
U men­tu toc­ca u pettu
U pede hà scruchjatu
A per­sona si strughje,
A fronte s’hè schjacciata
È a petra hà sunatu
Quan­du sòghjun­ti pè purtallu
A chjoc­ca era spalancata,
D’issa chjoc­ca spalancata
Escianu e cer­belle pallide
È nan­tu sem­pre inturchjatu,
Verde è ten­neru sbucciava
Un filu di filetta !

 

Une branche de fougère

Les voix venues d’ailleurs résonnent
Descendent
Et bais­sent peu à peu
Les pen­sées se taisent
Et l’esprit emmitouflé
Trem­ble frileusement 
Le ren­fer­mé répand
Son par­fum majestueux
Et deux idées contraires
Se cherchent et dansent sans danser
L’une dit « esclavage »
Se pare d’épine en fleur
Cueil­lies à fleur de sang
Qui provo­quent les rires :
L’autre crie « liberté »
Et l’effroi nous assaillit
L’homme ne se tient plus droit.
Affaib­lis, ses genoux se dérobent,
Ses bras pendent
Son men­ton touche sa poitrine
Son pied s’est effacé
Son corps se dissout
Son front s’est écrasé
Sur la pierre sonore
Quand on est venu le prendre
Son crâne était béant
Et de cette béance
Sor­tait une cervelle pâle
D’où sans cesse enroulée
Verte et tendre
Nais­sait une branche de fougère !

 

Trad F.M. Durazzo

 

 

∗∗∗

 

Sonia Moretti

 

Née en 1976 à Ajac­cio, Sonia Moret­ti est pro­fesseur de corse, orig­i­naire des vil­lages de Lentu et d’Ortale d’Alisgiani. Elle tra­vaille actuelle­ment au cen­tre de doc­u­men­ta­tion péd­a­gogique de Haute-Corse, à Bastia.

Son pre­mier recueil   Dis­crit­tura, dédié, en grande par­tie, au jeu formel sur la langue a été pub­lié aux édi­tions Albiana en 2003.

Il fut suivi de Puesie di a cur­tali­na, plus per­son­nel et plus abouti, enrac­iné dans le monde d’une enfance passée au tamis du poème (éd Albiana-CCU, 2009). Cet ouvrage a obtenu le prix du livre corse de la col­lec­tiv­ité ter­ri­to­ri­ale la même année.

 

Duv’ella hè l’umana logica
Nun­da resiste, nunda.
A sò chì quand’elli anu da cum­min­cià i lavori
Culà
Anu da spi­antà dui arburi.
Sò gigan­ti sapete.
Chì sà chì forze chjuc­cute l’anu man­tenu­ti arritti
Super­bii à mezu à e macagne cita­tine è i veleni soii.
Fat­tu si stà.
Sin’ora u so suchju hà sap­pi­u­tu innac­quà è mantene
E so car­cazze altiere
Preghera longa
Tenen­du alta a catedrale
È frà i vit­raglii fini di den­tel­la à fronde fatta
Ci scupri­ate u celu ancu più bellu
Dio sà chì ombre aghjumpate ci sò venute sot­tu quand’era pios­sa zeppa…
Sic­cati da una sentenza :
Eccu cum’elli falanu i gigan­ti un ghjornu
È cun elli u mirac­u­lu astu­tu chì i tenia arritti.

Où la logique des hommes ordonne
Rien ne résiste, rien.
Je le sais, ils vont com­mencer les travaux
Et couper deux arbres.
Ce sont deux géants vous savez.
Des forces mys­térieuses les ont main­tenus debout
Superbes au beau milieu des scories de la ville et leur poison.
Le fait est.
Leur sève a su les faire grandir
Main­tenir leurs car­cass­es imposantes
Comme une longue prière
Qui garde debout la cathédrale.
Entre les fins vit­raux de den­telle des feuilles
Vous pou­viez lire un ciel encore plus beau
Et Dieu sait quelles ombres cour­bées sont venues sous eux
Quand la pluie était lourde…
Con­damnés par la sentence
Voilà com­ment meurent les géants, un jour
Et avec eux le mir­a­cle qui les tenait debout.

 

 

∗∗∗

 

Lucie Santucci

 

Corse de Paris, Lucie San­tuc­ci est ren­trée au pays dans les années 60. Elle retourne alors à cette expres­sion ances­trale qu’elle a renou­velée avec sa sen­si­bil­ité d’éducatrice  et une vig­i­lance  engagée dans les com­bats pour l’émancipation de la femme. Con­seiller péd­a­gogique puis Inspecteur de l’Education Nationale, elle a tou­jours asso­cié l’éducation avec l’illustration de la langue corse.

 

Cura­ta

Infilà l’acu 
           Ùn lu sò infilà
Chi sai fà ?
          Ùn sò chè cantà*

Da la manu à lu core
Si stin­za u filu
Un bracciu
Sticchitu
Misura  l’esse
Una o doppia
Sec­on­du l’ore
Misura  l’opera
À vene

Cura­ta
Anudata
Principia
A cusgera
Chì

Di  duii
Face unu

 Curata

*filas­troc­ca zitellina

Aigu­ille

Enfile l’aiguille  
           Je ne sais l’enfiler
Que sais-tu faire ?
          Je ne sais que chanter.*

Depuis la main 
Jusqu’au cœur
Se tend le fil
Une  longue coudée 
Mesure de  l’être
Une ou dou­ble selon l’heure 
Mesure l’œuvre
À venir :
Fils ennoués

Com­mence 
La couture
Qui de deux
Fait  un

Aigu­il­lée du cœur.

*for­mulette /comptine traditionnelle

 

 

∗∗∗

 

Ghjacumu Thiers — Jacques Thiers

 

Né à Bas­tia en 1945. Agrégé de l’U­ni­ver­sité, aujour­d’hui Pro­fesseur émérite. Chargé de mis­sion “Créa­tiv­ité” à l’U­ni­ver­sité de Corse. depuis les années 1970, il tra­vaille à l’élab­o­ra­tion d’outils des­tinés à l’ap­pren­tis­sage du Corse et a présidé le CAPES de langue corse.

Sguar­di

Andarete à sapè
per­chè chì  stanu chjosi
dare­tu à e persiane
issi sguar­di di finestre
spente à fior di mare
men­tre chì un altru viaghju
s’appronta à la calata

L’anima ùn si disceta
per qual­si­asi ochjata
i sgiò por­tanu sempre
u seg­nu di l’onore
l’alba si deve tene
ch’ella ùn sbat­ti à libecciu
è sbris­giulà di un colpu
anni di galateiu
chì ci cus­tonu tantu
di riv­olte inghjuttite

Regards

Mais allez donc savoir
pourquoi restent enfermés
der­rière leurs persiennes
ces regards de fenêtres
éteintes au fil de l’eau
pen­dant que se prépare
une autre traversée

L’âme ne s’éveille pas
pour le moin­dre clin d’œil
les rich­es arborent toujours
la mar­que du respect
retenir le volet
le libec­ciu peut frapper
et d’un seul coup rabattre
des années d’élégance
qui nous coûtèrent tant
de révoltes ravalées

Trad.Claude Tris­tani

 

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Norbert Paganelli

Né en 1954 à Tunis, il pas­sa son enfance à Sartène. Après une licence en droit et un doc­tor­at es sci­ence poli­tique il accom­plit toute sa car­rière pro­fes­sion­nelle dans la fonc­tion publique d’Etat où il exerça des activ­ités aus­si divers­es que directeur du con­tentieux, de la com­mu­ni­ca­tion, des ressources humaines et du man­age­ment général. Durant plusieurs années, il dis­pen­sa des sémi­naires de for­ma­tion à des­ti­na­tion des enseignants, des com­mer­ci­aux ou des cadres supérieurs au sein de cab­i­nets con­seils. Ses écrits en langue corse com­mencèrent à être appré­ciés en Sar­daigne où il obtint en 2009 le pre­mier prix à San­ta Tere­sa di Gal­lu­ra avant d’être couron­né, en 2014, par le prix de la créa­tion lit­téraire de la Col­lec­tiv­ité Ter­ri­to­ri­ale de Corse et se voir attribuer le prix du livre corse en 2015 ain­si que le prix Don Joseph Morelli­ni (Con­seil départe­men­tal de Haute Corse) en 2016. Il est le prési­dent de l’association Per­for­mance qui organ­ise des lec­tures poé­tiques théâ­tral­isées dans les lieux publics et le secré­taire général de la Mai­son de la Poésie de la Corse. Bib­li­ogra­phie Ouvrages :  Soleil entropique, Les Para­graphes lit­téraires, 1973 ; Sept chants pour l’amnistie, L’Ecchymose, 1979 ; A Stra­da, a vulpi è u banditu/La Route, le renard et le ban­dit (bilingue), Mai­son rho­dani­enne de poésie, 1975 ; A Petra ferta/la Pierre blessée (bilingue), La Mai­son Rho­dani­enne de Poésie, 1981 ;  A Fiara /La Flamme (bilingue), LADS, 1992 ;  Invistita/Errance (bilingue), Pub­li­book, 2007 ; Can­ta à i Sarri/ Chants aux crêtes (bilingue), A’ Fior di Car­ta, 2009 ; Mimo­ria arghjintina/Un sel d’argent (bilingue), A’ Fior di Car­ta, 2010 ; A not­ti aspetta/La nuit attend (bilingue), Colon­na édi­tions, 2011 ; Paroles et couleurs, essai sur la non-fig­u­ra­tion de Nico­las Cot­ton, édi­tions La Bouinotte, 2012 ;  Da l’altra parti/De l’autre côté (bilingue), Colon­na édi­tions, 2014 ; U Can­tu di i canti/Le Can­tique des can­tiques (tra­duc­tion), A’ Fior di Car­ta, 2014 ; Parol­li in bian­cu è neru/Paroles en noir et blanc (bilingue) avec C. Fer­rara et A. Di Meglio, Le Bord de l’Eau édi­teur, 2016 ; Sanguinarii/Sanguinaires (bilingue), Musa édi­tions, 2017 ; Calendariu/Calendrier (bilingue), Musa/A’ Fior di Car­ta, 2019. Solil­oque poly­phonique de l’enfermé/ Solil­o­quiu puli­fu­nicu di u sar­ratu (bilingue), A’ Fior di Car­ta, 2021. Œuvres col­lec­tives Petre sen­za nome/Pierres anonymes, créa­tion de l’Operata cul­tur­ale, A’ Fior di Car­ta, 2010  A Cerca/La Quête, créa­tion de l’Operata cul­tur­ale, A’ Fior di Car­ta, 2012  Tar­ra d’accolta/Terre d’accueil (35 auteurs con­tre le racisme et la xéno­pho­bie), A’ Fior di Car­ta, 2015  Parol­li in bian­cu è neru/Paroles en noir et blanc (bilingue) avec C. Fer­rara et A. Di Meglio, Le Bord de l’Eau, 2016  Mi ramentu/Je me sou­viens, A’ Fior di Car­ta, 2017  Musa d’un Pop­u­lu (Flo­rilège de la poésie corse con­tem­po­raine), Le Bord de L’Eau, 2017 Par tous les chemins (Flo­rilège poé­tique des langues de France), Le Bord de L’Eau, 2019 Créa­tions scéniques :  Escales poé­tiques : lec­tures théâ­tral­isées de la poésie con­tem­po­raine (40 représen­ta­tions de 2013 à 2018). Altru Mare/Autra Mar/Autre Mer : Spec­ta­cle poéti­co musi­cal en occ­i­tan, corse, espag­nol et français créé en col­lab­o­ra­tion avec Gérard Zuchet­to et présen­té en Corse et en Occ­i­tanie dans le cadre du fes­ti­val : les trou­ba­dours chantent l’art roman, 2018–2019. Par tut­ti i chjas­si : Con­cert scénique avec la par­tic­i­pa­tion de Muriel Bat­bie-Castell (chanteuse sopra­no et musicienne).