Nastasia Rugani, Je ne sais plus qui est mort et autres poèmes

Par |2024-05-06T10:40:07+02:00 6 mai 2024|Catégories : Nastasia Rugani, Poèmes|

Je me rends aux funérailles
Fleurs au bord des pha­langes imprimées de pistils
Je te regarde toute de bois vêtu, grise et striée
Le corps con­tenant, l’âme slave cer­clée de fleurs
Broderie sur les yeux de la grand-mère
Broderie de part et d’autre de la riv­ière, entre elle et toi,
La Dra­va, les tombes et l’iris,
Macabre boudoir saupoudre la chair sous la pierre et les mots,
Reliefs d’un père au bord de la fosse
Petite fille blanche, yeux de satin,
Miroir ten­du à mon cercueil
Je ne sais plus qui est mort.

Il n’y aura pas d’été

Je retiens le blanc de mars posé sur les branch­es amaigries,
Encore saisies d’hiver,
Déjà les vis­ages ocres et le soleil alangui.
Il n’y aura pas d’été.
La cen­dre aura recou­vert jusqu’à la mémoire des frais­es avalées.
Les pan­talons bruns — d’avoir essuyé la terre sem­blable à des riv­ières d’argile — ouvriront les tib­ias décharnés.
Il n’y aura pas d’été pour les enfants
qui oublieront les pères et leurs noms, et les mur­mures de leurs barbes
sur leur joues étanch­es – oubliés, les baisers.
Il n’y aura pas d’été.

Se sou­venir de la morsure

Tu por­tais la den­telle haut sur le velours de ton crâne
Tu courais d’un cos­tume à l’autre,
Tes mains encore col­lées de meringue et de praline.
Dans les siennes, immenses à broyer,
Tu te repliais,
Mon­naie-du-pape asséchée.
Com­bi­en de bou­quets se sont fanés sur ta tombe ?
Vis­age posé dans le blanc du sommeil,
Men­songes sous les ongles.
Larves de coléop­tère remuant le macérât qui a vu tes pieds grandir,
Stat­ue friable,
Mai­son de séismes,
Où est la petite fille ?
Le cadre penche en haut du mur,
Mouche morte sur la plinthe dégarnie,
De la pein­ture sur les pieds nus ;
Tu avais déménagé.
Tu avais changé la mai­son et le nom du pays,
Avais gardé le lan­gage ennemi.
Tu avais bu une autre mer et craché un autre sable,
L’œil sur le fil tou­jours décousu.
Tu as rac­com­modé les jacquards et les flanelles
Ton nom pris dans le sien ; mor­sure éternelle.

Nena

Tu es morte, hier
Et avec toi, l’Algérie.
L’Algérie avec toi, main soucieuse sous le bras flasque de chair tendre.
Le monde entier se sou­vient de tes mains,
Dig­i­tales posées sur les autres.

 

Présentation de l’auteur

Nastasia Rugani

Nas­ta­sia Rugani est née en 1987, à Pont-à-Mous­­son. Après des études de let­tres mod­ernes à la Sor­bonne, elle écrit des romans de lit­téra­ture jeunesse.

Bib­li­ogra­phie 

Tous les héros s’appellent Phénix (L’école des loisirs), Mil­ly Vodović (Édi­tions Mémo) et Je serai vivante (Gal­li­mard jeunesse) sont lau­réats de nom­breux prix lit­téraires dont la men­tion spé­ciale du Prix Ven­dre­di, et le Prix Sor­cières. 

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