Quentin Baffreau, Pratique du disparate

Par |2025-09-06T07:25:01+02:00 6 septembre 2025|Catégories : Poèmes, Quentin Baffreau|

depuis ma vieille haine l’idée ce mythe du cerveau ce morceau d’ocre ensanglan­té j’essaye de 
com­pren­dre ce que fleur veut dire rap­por­teur de son chiffre que je ne con­nais pas

vieille pho­to de toi l’herbe folle la charo­laise der­rière toi la sen­tence au fond du tiroir plein 
d’eau dans le ven­tre ton cou tor­du par l’éclair la corde la poignée de porte

une bouche un sys­tème de vents et tu es tombée malade et le vent est ren­tré dans ton ven­tre tu 
étais allongée sur la table sur l’album pho­to tel l’oiseau rap­porté par le chat l’après-midi la
ton­deuse est passée sur ta robe

un pot de fleurs pris avec un portable celui de maman de ma main qui trem­ble l’abeille se noie 
dans son miel je suis prise dans l’ambre

des coulées de boue la veille de ton départ le matin de la salive sur les draps sor­tie de ta bouche 
la nuit des mon­ceaux de mots mais pas la moin­dre trace tant de points de sus­pen­sion dans tes
yeux ton absence les nuages de fumée der­rière la fumée

petite image exem­ple de ciel

le sirop dans l’eau la glace fond on apprend du désert tu es passée devant des images du monde 
entier tu glanais les nou­velles peurs imag­i­nais les nou­velles fleurs toutes anci­ennes toutes 
déchiffrées le tour était joué la famine des cartes cha­cun son petit enfer les mis­sions noires de 
l’aube les blancs man­teaux car­céraux les graines dans les têtes la ban­quise craque tu m’as appris 
la pous­sière pul­vérisées mémoires j’étais de celles-là

j’ai mille pattes cha­cune est une folie qui te prend dans ses bras tu aimes trop fuir j’en suis 
tombée amoureuse le chien sous le banc n’a pas cette chance il souf­fre des mêmes mots que le 
silence j’ai tous ces noms dans ma poche qui ne ser­vent à rien qui ne ser­vent qu’à te par­ler qu’à
t’épeler dans le vide loin­tain où tu es j’échangerai tous les regards je tro­querai tous les fantômes 
pour te voir

j’ai deux blessures dans la glace police des reflets tu me man­ques comme l’ombre à mes 
trouss­es mémoire sous vide par peur d’un regard parce qu’on ne regarde que ce qu’on ne peut 
regarder

nos noms sig­nent nos arrêts de mort nous en avons par­lé dans la cham­bre con­tre le mur
des malen­ten­dus com­ment ai-je pu te men­tir aimais-je jusqu’aux os on ne pleure pas mes coudes 
saig­naient jusqu’à rou­gir le bois c’était une longue his­toire qui sommes-nous pour la dire qui 
êtes-vous pour juger un peu de tout est une parole de saint

c’est une mai­son qu’on veut brûler les con­ju­gaisons aus­si planch­es par planch­es chutes par 
chutes ces lignes droites qui nous menèrent au sui­cide à chaque pilonne nous atten­dions la pluie 
mais les nuages tou­jours venaient panser nos plaies nous tra­cions les con­stel­la­tions de nos 
erreurs comme l’enfant les paque­ts d’encre sur sa copie

sur­saut la chaise face à la fenêtre est une ten­ta­tion à laque­lle il faut par­fois suc­comber au risque 
de ren­dre le monde plus beau qu’il n’est

cet océan j’aurais voulu l’ouvrir avec toi

les hommes de tous les temps table ronde de leurs yeux per­dus dans une forêt de clous écrasée 
par leurs hail­lons je ne suis que le dessous d’une nappe scin­til­lante les îlots de ciment sous leur 
éblouisse­ment les car­reaux som­bres de la mer les poumons noirs aux­quels s’abreuvent les 
frelons

je serai mort qu’est-ce que je voulais dire cail­lou dans la bouche dans la chaus­sure hors cette 
pous­sière trou­vée dans les boîtes les os d’un oiseau éteint ce bateau pris par les glaces

je suis au milieu du zéro mon rythme j’ai du mal à vivre j’ai du mal à vivre 
j’ai du mal à vivre bat­tu par les vents j’ai craché dans l’océan pour écrire l’e dans l’o pour voir ce cœur avec un 
sac sur la tête même si la buée n’a plus le temps de se déposer

oui oui oui par­fois je me demande par­fois je me tords je me tor­ture les doigts oui par­fois pendant 
l’averse j’appelle au sec­ours oui par­fois les voisins me marchent dessus me dépla­cent tel un 
meu­ble oublié oui sur mon vis­age pavé oui ça ne se fait pas de deman­der de s’arrêter pour un 
peu de silence oui ça ne va pas la tête au moins il ne pleut pas oui par­fois c’est le cas et les 
gout­tent tapent con­tre la fenêtre comme de petits oiseaux kamikazes oui par­fois ça devient le 
bruit de fond de ma per­cep­tion lors d’après-midis brûlantes ou de nuits blanch­es dans lesquelles 
je me perds comme ce futur qui s’éloigne oui par­fois je laisse des chutes der­rière moi oui parfois 
je suis l’otage de mes rêves qui me ron­gent et dont je suis l’os à moelle

la gri­saille du soleil sur mon vis­age la mine pâle d’une per­son­ne ces quelques grains que je 
n’arrive même pas à porter le vide le creux ce peut être quelqu’un

le jas­min a l’odeur du soufre

je ne sais même pas quelle forme ont les arbres paysage d’après tech­nique boule de feu au loin 
je suis dur de vis­age mon sourire est une butée sur com­bi­en d’images suis-je passé pour ne pas 
le savoir ? com­bi­en de fois me suis-je tuée en glis­sant sur ce miroir ?

ces coor­don­nées dans lesquelles je me fonds en pen­sant être aus­si indis­cern­able qu’une fenêtre

je suis à vie mais qui ? mais quoi ?  comme si ma vie n’était que post-mortem vais-je marcher 
dans ce siè­cle ? qua­tre chiffres font-ils qua­tre pas ?

sou­te­nance des nuages

j’aimerais tou­jours ce vœux éter­nel vivre l’existence par­al­lèle d’une étoile de jour comme de 
nuit fantôme

mal­heureuse­ment on a mis le soleil sous cloche pour fab­ri­quer de la mémoire

je suis ren­trée pour écrire une let­tre je me fiche de savoir si c’est moi qui l’écris sur ces mots 
aus­si durs ces let­tres que je n’envoie pas car déjà dans le ciel comme nul autre avion j’étais en 
fait tou­jours sur le quai piégée dans ce rêve
larmes devant l’ultimo elles rejoignent les mille fais­ceaux de ce fleuve tox­i­co de la peine

même était un masque ma mort est-il encore temps de devenir ? juste quelques sec­on­des de 
lévitation

il se passe que c’était une erreur à refaire dans toute sa beauté

Dahlia

 

d’emblée cer­taines déchirures
entretemps incertains
racontent-elles ?
des briques, des bancs déser­tiques dans les jardins, des murs pas­tels, des folies par excellence

chutes
neige un matin
tes morts suc­ces­sives et variables

faire le tour du pro­prio, un seau plein d’ardoise à la main ; aux murs rétro­grades, sub­stituer un 
monde

incom­préhen­si­bles ressorts
mais peur du peu d’avenir
panique, lais­serai du silence
et si la vie avait un titre

grandes gerbes osant demain
pour­tant fauchées aux con­fins de la table

pay­er même la mort
la merde qu’on laisse après son passage
lui ren­voy­er la baballe

sur le lit de mort, por­traits des épreuves, relec­ture des travaux préparatoires
pas de danse oubliés
indéclinables
du balais

demande qu’on te chante une chanson
cherche tes accords, même dissonants
débar­rasse-toi du com­plexe de la rose

vies qui se passèrent dans l’oubli

à deux poumons sur la carte
les radios ne dis­ent rien
enfant de bois sur le bil­lot glacial
masque et opacité
le ciel pré­fab­riqué de l’hôpital
se referme sur lui
un par­mi les autres
des heures d’opération dans la nuit
il rêve de son corps à ciel ouvert
sous les radars médicaux
des mots tapés à la machine

méla­to­nine
trafi­quante d’espoir

ta cara­pace sera une passoire
tu absorberas les déserts comme les oasis

chi­enne piquée aux yeux lunaires
poches de sang dans le frigo

soleil d’enfant dans la marge
plus proche des nuages que de la carte
d’identité

Papi­er de soi

 

d’abord et longtemps
un tout petit fragment
devant mon couteau
dans les vagues de la page

j’avais l’habitude du noir
un bloc de sel sur la lagune
j’avais du ciel et de l’eau dans les yeux
j’essayais de me capturer
je cher­chais ce gouf­fre à la frontière

trop fugi­tif, me disais-je
mais aus­si trop poli, trop lisse
ravir du regard

je pen­sais aux yeux des bêtes
je pen­sais à la rivière
je pen­sais au médecin
je pen­sais aux pouvoirs
je pen­sais à la loupe qui craque­lle le visage

puis, peu à peu,
la pour­ri­t­ure dorée a succédé
à la hache polie
on payait, on tuait pour être semblable
on véri­fi­ait qu’on était bien humain

il m’est arrivé quelque fois
de pass­er à travers
je me dis­ais que ma mai­son se trou­vait sur l’autre versant

j’ai atten­du
j’ai veil­lé tard dans les siècles
et j’ai tapé con­tre le mur
et j’ai tapé la sur­face de l’eau
pas la moin­dre trace
pas le moin­dre écho

j’ai fini par feuil­leter cet amas par la fenêtre,
un grand miroir dans la pierre jaune,
et suis devenu l’otage des nuits blanches

et soudain et longtemps
ce rêve disséqué
comme un cail­lou gris sur la table

           

Words fail me

Je vous écris dans l’instant qui me sépare de l’incendie. Vous êtes ce départ de flamme
1 minute
Tu as dit
quelque part à quelqu’un : pourquoi la couleur orange, si vive et vivante, leur donne-t-elle la 
mort ?
Et plus loin, ailleurs : de quelle couleur est le ciel de l’apocalypse ?

Ça me touche, ça met le doigt quelque part. Ces deux ques­tions n’en for­ment en vérité qu’une
seule, elles pour­suiv­ent la même épiphanie, elles dis­ent les plus grandes souf­frances qui passent 
et qui repassent, elles souf­frent des mêmes insuff­i­sances qui font poésie. Elles sont trop grandes, 
trop belles, elles me don­nent les yeux et les larmes en même temps, non pas pour voir, mais
pour embrass­er ce ver­tige grâce auquel nous voyons, cette angoisse de ne plus voir

Quoi

Qui

2 min­utes

Nous plon­gent dans le noir

J’ai essayé de faire le suivi de ces couleurs, de les dater. En vain. C’était faire l’épreuve de
l’acidité du temps. Les per­les sont aus­si pous­sière ; la con­ser­va­tion, destruction.

J’ai caressé l’illusion de les trou­ver dans un livre, de les sur­pren­dre au détour d’une peinture

J’ai cru qu’en promenant mes yeux

As far as the eye can see

3 min­utes

En fait, elles ne fai­saient qu’accentuer ce que je pressen­tais comme l’irréversible vari­a­tion de 
l’obscurité, elles me rap­pelaient mon oubli de ce blanc qui accom­pa­gne toutes les fins, lorsque 
tout bascule

Chou­ca

 

reçu en ces murs
créneau de l’histoire

ce n’est plus le soleil qui frappe

j’écoute les séquelles d’une voix à la radio
roule­ment rocailleux

nou­velles des cadavres
sous les gra­vats de l’est

je ne compte plus les loups dans les ruines
ni les enfants qui jouent au loup

toutes les mers rouges
les guer­res avec les osse­ments des cultures 

j’ai pris la porte

elle me dis­ait : que veux-tu ?
son nom était dans une corbeille
avec quelques pommes moisies
et d’autres choses inoubliables

écrire le mien mais je n’avais pas de quoi écrire
par­ler de mes paysages sans croyances

ce que je ne n’écrirai jamais est poème

bous­sole qui s’affole
qui perd le cap
et qui dis­tribue, non plus les vents,
mais les voix de let­tres errantes
à des inconnus

Prague, 882km

chat qui reste des heures devant la fenêtre
mono­ma­ni­aque à regarder les oiseaux

je don­nerai tout pour chang­er de cri

Présentation de l’auteur

Quentin Baffreau

Né en 1998. Il se sou­vient qu’un été, il devait avoir quinze ou seize ans, il entra dans une librairie et acheta Alcools d’Apol­li­naire. Il igno­rait tout du monde qui allait s’ou­vrir, bru­tale­ment. Il y eut ensuite le lycée, des ren­con­tres, des lec­tures, les pre­miers poèmes ; main­tenant, il y a l’u­ni­ver­sité, entre philoso­phie, let­tres et his­toire de l’art. Dans tout cela, lec­ture et écri­t­ure se suc­cè­dent, ryth­ment son temps, sa vie et, telle une pein­ture du vieux pein­tre Wang-Fô (Yource­nar, Nou­velles Ori­en­tales), lui ouvrent des rap­ports à la lim­ite des sens humains. Quelques-uns de ses textes vont prochaine­ment paraitre dans les revues Lichen et La Page Blanche.

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