Sur la voix chamanique de Car­ole Car­cil­lo Mesrobian

 

 

La poésie de Car­ole C. Mes­ro­bian n’est pas un leurre, ni un don, pas un tra­vail, non, c’est une porte qui s’ouvre au fil de la lec­ture sur un monde en expan­sion, qui jamais ne s’arrête, une exal­ta­tion vitale, une souf­france aus­si, indis­pens­able au vivre, qui nous prend, tout, et nous cham­boule et nous laisse k. o. :

 

Je porte man­teau de vieil­lesse et parole de nou­veau-né (1)

 

Car­ole C. Mes­ro­bian nous met au pied du mur : franchi­rons-nous le seuil ? Après-nous le déluge dis­ent cer­tains qui se con­tentent d’un quo­ti­di­en bla­fard ; avec l’auteure, la parole tombe juste, défini­tive… pas d’anecdote, elle vise l’essentiel :

 

Et tu cherch­es dans les mains dans tes poches
Pour t’offrir le feu
Les briques ont pali comme un tison éteint
Quel enton­noir est l’existence
A regarder où s’en va la culbute
Où passeront nos os sur un rythme de chute (2)

 

Carole Carcillo Mesrobian et Jean Attali, Le sursis en conséquence, Les éditions du littéraire, 92 p, 2017, 15€

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian, Le Sur­sis en conséquence, 
dessins Jean Attali, Les Edi­tions du Lit­téraire, Paris, 2017.

Elle est de ceux qui ne sont pas sor­tis indemnes de l’existence :

 

J’ai des siè­cles endormis
Aux sil­lons de mes mains
Et je con­nais déjà la mort  (2)

 

Si il y a plusieurs façons d’écrire et de lire la poésie, là, c’est de saisir la vie à bras le cops dont il est question :

 

Il est des matins obscurs et des soirs livides
Le corps des voûtes enc­los nos âmes

 Ecrire répand nos doutes comme un sang vaniteux
sur une vacuité irré­ductible  (1)

 

et cela de toute urgence, sans rien laiss­er pass­er. Tout aus­si bien nos peurs, tout autant le regard sur le monde et son cortège de malheurs :

 

Com­bi­en de labyrinthes
Com­bi­en de sépultures
Et de siè­cles la feinte
Pour attein­dre l’azur  (1)

Au fil des livres, au gré de la vie, Car­ole C. Mes­ro­bian nous donne à lire ses attentes, ses doutes, ses frayeurs. Elle pub­lie aujourd’hui : A part l’élan, mis en scène par Jean-Jacques Tachd­jian, mais le ton a changé. L’élan des poèmes tend vers la fra­ter­nité, l’écriture se veut mou­ve­ment, ten­sion vers l’autre, impul­sion. L’auteure, la douleur passée, se sou­vient de l’autre et com­pose avec lui :

 

Tes bras de ronces tendus
Transper­cent la clôture
Une mai­son le rêve troué fenêtres écloses
Git sous l’ardoise crayeuse des mémoires  

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian, A part l’élan,
La Chi­enne édi­tions, 2019.

la parole prend chair, la curiosité l’emporte et du détail sur­git l’essentiel :

 

Et puis dans le mur­mure d’oiseaux désemparés
Le mou­ve­ment des heures

Jusqu’à ne plus peser  

 

douleur aus­si qui nous dit le fos­sé entre l’homme et son image, la vie ce mirage, ce :

 

par­tir vivre comme on va mourir  

 

belle inco­hérence comme un appel aux esprits au fond d’une pro­fonde nuit, de celle où tout se dit, où tout s’entend.

 

 

 

Car­ole C. Mes­ro­bian nous guide car elle pos­sède les clefs du ciel. Avec elle nous pour­rons sur­vivre en toutes saisons, cela un peu à la manière d’une trans­mis­sion ;  elle nous dit : allez‑y tout est permis.

Cette écri­t­ure face au vide qui men­ace nous main­tient à flot, avec elle nous pour­rons rester sur le rivage.

Et puis, lire A part l’élan : c’est regarder. Soix­ante trois pages dyna­mitées par le tal­ent de Jean-Jacques Tachd­jian qui revis­ite chaque poème en un cal­ligramme de son imag­i­na­tion. Ce recueil est un bijou d’art graphique pous­sant les mots vers l’espace, libérant les phras­es du car­can de la ligne, du car­ac­tère ou de quoi que ce soit.

Alors, oui, c’est bien d’un voy­age dont il s’agit ici : poé­tique, humain et graphique.

 

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  1. Aper­ture du silence ; PhB édi­tions ; 2018.
  2. Le sur­sis en con­séquence ; Les édi­tions du Lit­téraire ; 2017.

 

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Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et édi­teur depuis 1973. Vit entre le Vau­cluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui don­né est partagé entre l’écriture et la vie.