Traduit du polon­ais par Michał Grabows­ki avec la col­lab­o­ra­tion pré­cieuse de Nico­las Bragard

 

Urszu­la Honek débute en poésie à l’âge de 28 ans lorsqu’elle présente le recueil Sporysz (« l’ergot », 2015). Sor­ti en 2021, Zimowanie (« Hiver­nage ») dont provi­en­nent les poèmes présen­tés ci-après est son troisième ouvrage et aura valu à la jeune poétesse orig­i­naire de la région des Carpates polon­ais­es le prix Bourse Stanis­law Baranczak et deux autres nom­i­na­tions pour des prix poé­tiques en Pologne (Orphée et Gdynia).

Le style poé­tique d’Urszula Honek la place en marge des ten­dances actuelles dans la poésie con­tem­po­raine. L’autrice renoue avec l’esthétique roman­tique, tout en adop­tant un reg­istre très sobre, presque dépourvu de fig­ures de style. Elle place au cen­tre de son intérêt poé­tique une col­lec­tion d’histoires avec des per­son­nages qui lui sont fam­i­liers, lim­i­tant son rôle à celui d’une ten­dre obser­va­trice, pour para­phras­er Olga Tokar­czuk, sa com­pa­tri­ote nobélisée. Elle n’est cepen­dant pas ten­tée de créer des romans-poèmes comme l’ont fait avec suc­cès Lau­ra Vazquez ou Marie Tes­tu. Honek pro­pose plutôt des minia­tures nar­ra­tives com­posées d’images incom­plètes, recousues et à nou­veau déchirées, accrochées aux détails insignifi­ants qui font revivre les souvenirs.

Urszu­la Honek, Ami, Przy­jaciół­ka, extrait du recueil  Zimowanie.

La référence à l’esprit roman­tique passe par une aura de mys­tère omniprésent. Celui-ci se décline à tra­vers les élé­ments de la trame nar­ra­tive (« j’essaie de me rap­pel­er son vis­age ou sa manière / de pronon­cer mon nom (sz son­nait com­ment dans sa bouche, déjà ? »), dans la fron­tière floue entre le ici et le là-bas (tem­porels, spa­ti­aux, réels ou non : « je me réveille avant l’aube et je ne sais tou­jours pas / si je suis ici ou là-bas »), ou encore dans la référence à la mort qui revient sans cesse et se mêle à l’histoire (« on a retrou­vé le petit garçon des P. dans un silo à grains » ; « le dimanche, nous allions nous promen­er là-haut. à droite, / le cimetière » ; « les cheveux d’Eleonora ont pris feu en pre­mier »). La mort, par ailleurs, ne touche pas unique­ment les humains mais s’étend à une mai­son à qui on coupe l’eau comme on couperait l’oxygène. Elle envoie des ani­maux comme mes­sagers (des chiens appor­tant des jou­ets au moment du som­meil dans le sou­venir de l’autrice, ou des renards dans un autre poème de ce recueil, non traduit dans cette sélec­tion). Nous sommes au cœur d’un con­te fan­tas­tique. Le rythme des poèmes n’est pour autant guère tumultueux. Honek pro­pose une ambiance apaisée, muséale et douce, pour appuy­er une fois encore le fait que les sou­venirs de son vil­lage natal qu’elle tente de sauver de l’oubli font par­tie d’un passé révolu auquel l’accès n’est pos­si­ble que par l’exercice de l’écriture.

Prix Con­rad 2023, Urszu­la Honek. La céré­monie de remise du prix de la meilleure pre­mière œuvre en prose a clô­turé le 15e fes­ti­val Con­rad. La stat­uette a été remise à Urszu­la Honek, pour White Nights. (Mai­son d’édi­tion Czarne).

La poé­tique d’Urszula Honek se trou­ve aux antipodes d’une poésie her­méneu­tique, au point où la sim­plic­ité des phras­es et l’économie des moyens employés inter­ro­gent. Sommes-nous tou­jours dans la poésie, ou s’agit-il déjà d’une prose stylisée ?

Plus que de répon­dre à cette ques­tion, il sem­ble intéres­sant de soulign­er quelques élé­ments sup­plé­men­taires. Le rythme de la phrase est pré­cis, lent, comme dans Dead man de Jim Jar­musch, et le décor util­isé par la poétesse reste très chargé.

Le choix de la forme n’est pas anodin non plus. Par­al­lèle­ment au développe­ment de Hiver­nage, Honek écrivait des micro-réc­its, com­pilés en 2023 sous le titre de Białe noce (les nuits blanch­es) et qui dévelop­pent cer­tains thèmes de son recueil sous une forme nou­velle. Dans cette optique, Hiver­nage n’est pas une pub­li­ca­tion d’esquisses mais un for­mat réfléchi qui per­met de présen­ter cer­tains aspects dans leur volatil­ité, dans leur car­ac­tère éphémère.

C’est une poésie vue comme une mise à l’épreuve, comme l’avance le chercheur en lit­téra­ture Oskar Cza­piews­ki en déclarant que « la lec­ture de son recueil est un test de ten­dresse et d’empathie plus qu’un test d’érudition ou d’orientation dans la lit­téra­ture con­tem­po­raine ». Urszu­la Honek elle-même revendique sa poésie comme « com­préhen­si­ble pour tout le monde, autant pour les uni­ver­si­taires que pour le maire ou le curé de [son] vil­lage de naissance ».

Urszu­la Honek sur la poésie dans la forêt.

uciekinierzy

chłop­ca od P. zasy­pało w silosie zboże.
próbu­ję przy­pom­nieć sobie jego twarz albo sposób,
w jaki wymaw­iał moje imię (jak brzmi­ało w jego ustach sz?).
tak samo, jak próbu­ję przy­pom­nieć sobie twarz Janka
i Mir­ka, których nie ma, a z który­mi pod­palam pusz­ki z
kar­bi­dem i kruszę lód na zama­raznię­tym stawie.

les fugi­tifs

on a retrou­vé le petit garçon des P. dans un silo à grains.
j’essaie de me rap­pel­er son vis­age ou sa manière
de pronon­cer mon nom (sz son­nait com­ment dans sa bouche, déjà ?).
j’essaie aus­si de me rap­pel­er les vis­ages de Janek
et Mirek qui ne sont plus là, mais avec qui je fais toujours
sauter des pétards et casse la glace sur l’étang gelé.

z odd­ali

w niedzielę chodzil­iśmy na spac­er w górę, po prawej
był cmen­tarz. w mar­cu zawsze brakowało słoń­ca, zniszc­zone kwiaty i
przewró­cone znicze zbier­ali grabarze, roz­maw­ial­iśmy tylko o szczęś­ciu, ale
gdy­by przysłuchać się naszym roz­mowom, mogło­by się wydawać,
że są o czymś innym.

psy niosły w pyskach zep­sute zabaw­ki: gumowe maskot­ki i pił­ki wyprute z powi­etrza. sierść jeżyła się od mrozu albo podniecenia,
choć po lat­ach trud­no rozpoz­nać, co bardziej kłuło w serce.

od cza­su do cza­su budzę się nad ranem i cią­gle nie wiem:
jestem tam czy tu.

de loin

le dimanche, nous allions nous promen­er là-haut. à droite, 
le cimetière. en mars, il fai­sait tou­jours gris. les fos­soyeurs ramassaient 
les fleurs délavées et les bou­gies ren­ver­sées. nous par­lions du bon­heur mais,
à nous écouter, on aurait pensé
que nous par­lions d’autre chose.

les chiens avaient dans la gueule des jou­ets en caoutchouc cassés et des bal­lons éven­trés. leur poil se héris­sait, de froid ou d’excitation : 
après des années, il est dif­fi­cile de retrou­ver la vraie cause de cet émoi.

de temps à autre, je me réveille avant l’aube et je ne sais tou­jours pas
si je suis ici ou là-bas.

let­ni­cy

co sobotę chodz­iłyśmy z Mar­ią do państ­wa L.
w suter­e­nach pach­ni­ało kwaśnym mlekiem i szarym mydłem.
Maria liczyła w kącie drob­ne i chowała do reklamówki
zaw­inię­ty w pieluchę ser. ter­az dzieci państ­wa L. przyjeżdżają
tu tylko na wakac­je. dom ocieplono z zewnątrz i ktoś regularnie
strzyże trawnik. na zimę zakrę­ca dopływ wody.

les vacanciers

avec Maria, on allait chez les L. tous les samedis.
leur sous-sol sen­tait le lait fer­men­té et le savon noir.
dans son coin, Maria comp­tait sa mon­naie puis cachait dans un sac 
le fro­mage embal­lé dans du linge. aujourd’hui, les enfants des L. ne viennent
que pour les vacances d’été. on a refait l’isolation de la mai­son et quelqu’un
tond régulière­ment. l’hiver, on coupe l’alimentation en eau.

Eleono­ra

musi­ała być piękna.
wyobrażam sobie, jak trzy­ma sztućce i
w jaki sposób patrzy na mężczyznę, którego kocha.
w sierp­niowy dzień kołysze śpiące niemowlę.
nie może doczekać się wiec­zo­ra. spadł drob­ny deszcz
i zamknęła okna. burza nad­cią­gała od zachodu.
pies obszczeki­wał każdy grzmot.
łuna ognia rozświ­etliła całą dolinę.

Eleonorze najpierw zapal­iły się włosy.

Eleono­ra

devait être jolie.
je l’imagine tenir ses cou­verts et
regarder à sa manière l’homme qu’elle aimait.
bercer la petite endormie un jour du mois d’août.
s’impatienter en atten­dant le soir. une pluie fine est tombée
et elle a fer­mé les fenêtres. la tem­pête venait de l’ouest.
le chien aboy­ait à chaque coup de tonnerre.
un halo orangé illu­mi­nait toute la vallée.

les cheveux d’Eleonora ont pris feu en premier.

Helen­ka

śpi w upalne sierp­niowe popołudnie.
obok kołys­ki kot bawi się młodą martwą myszą.
jest tak cicho, że sły­chać jego zad­owolone pomrukiwanie
i uderzanie łapą w des­ki podłogi.
dziew­czynce śni się mali­nowy ogród i bucze­nie owadów,
które ją przebudza.
kot drapie w zamknięte drzwi, gdy ogień zwala strop.

La petite Hélène

som­meille un après-midi étouf­fant du mois d’août.
près du berceau, le chat joue avec une jeune souris morte.
le silence est tel qu’on entend ses ron­ron­nements satisfaits
et les bat­te­ments de sa pat­te con­tre le plancher.
la fil­lette rêve d’un jardin, de fram­boisiers et du bour­don­nement des insectes
qui la réveille.
le chat griffe la porte fer­mée au moment où les poutres tombent sous les flammes.

Source : Urszu­la Honek, Zimowanie (fr. hiver­nage), édi­tions WBPi­CAK, Poz­nań 2021. 

Remer­ciements à l’autrice pour son accord gra­cieux à la publication.

Urszu­la Honek — Effraie

Bib­li­ogra­phie pour l’article

Woj­ciech Bonow­icz, Moi, mis­tr­zowie: Urszu­la Honek, [dans :] Miesięcznik Znak, en ligne, mars 2022.

Oskar Czap­niews­ki, Śmierć w kale­j­doskopie, en ligne, août 2022.

Michał Pabi­an, Czy jeszcze żywe światy?, en ligne, octo­bre 2021.

 

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Michał Grabowski

Né en 1989, Michał Grabows­ki est diplômé en let­tres et langue français­es à l’Université de Gdańsk et en Langues étrangères appliquées à l’Université Paris-Sor­bonne. Chargé de pro­jets lit­téraires à l’Institut Polon­ais de Paris pen­dant six ans, puis respon­s­able des pro­jets de la Mis­sion cul­turelle du Lux­em­bourg en France, il gère actuelle­ment dif­férents pro­jets cul­turels et édi­to­ri­aux. Il coopère régulière­ment avec des revues lit­téraires français­es (Sar­razine, Place de la Sor­bonne, Cat­a­stro­phes, Po&Sie, Europe). Tra­duc­teur spé­cial­isé dans la poésie con­tem­po­raine, il a pub­lié (en col­lab­o­ra­tion avec Clé­ment Llo­bet, Blaise Guinin et Nico­las Bra­gard) le tra­vail de poètes polon­ais con­tem­po­rains dans des revues français­es et a traduit plusieurs auteurs con­tem­po­rains (Ado­nis, Ben Clark, Cécile Coulon, Vic­tor Malzac, et plusieurs poètes lux­em­bour­geois) en polon­ais. Dernière­ment, en col­lab­o­ra­tion avec Clé­ment Llo­bet, il a traduit et pub­lié aux édi­tions Lan­sk­ine le recueil de Tomasz Bąk inti­t­ulé Canada.