Yannis Stiggas : l’invisible est une autre forme de lumière

Par |2025-11-06T12:43:59+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Essais & Chroniques, Yannis Stiggas|

Présen­ta­tion et tra­duc­tion Anne Barbusse

Le chemin vers le kiosque à jour­naux est le  qua­trième recueil de poésie de Yan­nis Stig­gas, et sa pre­mière col­lab­o­ra­tion avec les édi­tions Mikri Ark­tos, a été pub­lié en 2012. Il com­prend trois longs poèmes (A la manière de S.G., This is the place gen­tle­men, Le chemin vers le kiosque à journaux).

Bien qu’il s’agisse d’un recueil poé­tique bref, il pos­sède toute son impor­tance et son orig­i­nal­ité par sa ten­sion dra­ma­tique, ses références his­toriques et poli­tiques, son écri­t­ure personnelle.

Le texte de Yan­nis Stig­gas situe le poète et la poésie dans le monde actuel, con­tem­po­rain de la crise grecque en cours. Il tâche de don­ner au poète sa place, han­té par les fig­ures du passé (Maïakovs­ki ou Byron), entre espoir et dés­espoir, entre bravoure de héros ou geste banal de tra­vers­er la rue pour aller au kiosque à jour­naux, ou de pren­dre le métro. Et même là il est encore ques­tion d‘Ithaque, car les mythes dans la poésie grecque sont encore là pour expli­quer le con­tem­po­rain. Tou­jours il inter­roge la place du poète dans la cité aujourd’hui, élargie à l’Europe voire au monde. C’est d’ailleurs dans une langue résol­u­ment con­tem­po­raine que le poète s’exprime et prend à par­tie, avec cette cul­ture européenne qui le car­ac­térise, et ce alors même que son pays a été ven­du à l’Europe. Texte fort, engagé, poli­tique au sens noble et grec du terme, celui du citoyen dans la polis, texte qui sec­oue comme sa langue, pour une poésie qui crie et inter­pelle, entre humour et sar­casme face au mal répété, entre roman­tisme et réal­isme, dans une langue tan­tôt brisée et sac­cadée, tan­tôt ample comme les vers des poètes d’avant. Entre les deux se trou­ve le style si par­ti­c­uli­er de Yan­nis Stig­gas, lors de ce chemin pour par­venir au kiosque à jour­naux, une langue crue et directe. Car la poésie n’est pas un jeu, mais un acte essen­tiel, acte d’écrire tel acte de résistance.

∗∗∗

Γιάννης Στίγκας
Yan­nis Stiggas

Ο δρόμος μέχρι το περίπτερο
Le chemin vers le kiosque à journaux

 

A la manière de Y. S.

Invari­able­ment je rêve
une colline qui con­duira directe­ment dans tes entrailles
j’entre et je change les algorithmes
de telle sorte que le cœur
assour­disse soigneuse­ment l’intellect
Αγχιβατείν1 — Pallaksch
comme dis­aient aus­si mes ancêtres
(foulant de leurs pieds le moût)
sous-enten­dant obscurément

 Sang que con­tient notre avenir
et com­ment le danser

                          *

Peut-être
si venait aujourd’hui un homme
avec seule­ment la qual­i­fi­ca­tion stan­dard de l’époque
ce goût du gouf­fre improvisé
- vous savez –
un par­mi les mil­liers d’apprentis de la 
panique

Dieu en les cousant
a oublié une aigu­ille dans leur poitrine

s’il venait
et regar­dait

par le chas de l’aiguille dont je vous parlais

toutes les voyelles seraient pour lui hantées
un bégaiement lui foulerait le cerveau

m‑m-m-m-m‑m…m‑m-m-maintenant q‑q-q-q-q-…q‑q-q-que
l‑l-l-l-l-l-l-…l‑l-l-l-les ch-ch-ch-ch-choses
s‑s-s-se s‑s-sont gâ-gâ-gâ-gâtées tu-tu-tu-tu
p‑p-p-pens­es q‑q-q– …q‑q-q-que la-la-la…
la-la-la-la….la l‑l-l-l-l-…l‑l-l-lu-lu-lumière
c‑c-c-c-c‑c …c‑c-c-com…c‑c-c-cc-cc-c‑c…
c‑c-c-com-com-com­prend ?

*

Je n’ai bien sûr aucune réponse

 je porte ce qui reste sur mes épaules comme vous tous
avec ce vieux
défaut print­anier qui est le mien
je n’en ai pas encore fini
et je me laisse brouter la gorge
— quelques mar­ques rouges
ne provi­en­nent pas – hélas – de baisers

 on appelle suf­fo­ca­tion la femme en question

 mais
      ce n’est pas la poésie qui met le nœud coulant
mais
   elle donne le coup de pied dans le tabouret

*

Parce que la poésie
- hé, mec
n’est pas un hamac à rêveries
n’est pas ton ani­mal domes­tique à plumes
- hé, mec
Quand tu joues la lune
tu la joues aus­si dans son déclin
 — je ne vais pas t’expliquer plus clairement –
Si tu conçois cela
                    c’est bien
             sinon
C’est de Maïakovs­ki dont tu as besoin

*

Où peux-tu être main­tenant, Vladimiro
main­tenant que nos deux Nobel aussi
      sont devenus écueils
Per­son­ne ne vogue plus pour les voiles
per­son­ne pour l’azur
tout seul on traîne dans les grandes altitudes
et les amours anciennes

*

Dora
      Constantina
Evan­thia
Chaque fois que je change de côté dans mon sommeil
elles me déten­dent silen­cieuse­ment le signe du zodiaque
jusqu’à ce que jamais devienne
notre numéro chanceux
- quelle roulette russe, Sainte Vierge –
toi tu en sais quelque chose, Vladimir,
c’est arrivé
c’est arrivé à Odessa

 tu devrais voir ce qui se passe ici

*

Ici 

 the evil eye is work­ing overtime

je suis désolé d’écrire cela mais

 nous avons réduit la lumière
en planque par­faite  – pour rien -

 - que veux-tu que je te dise d’autre –

hier soir dans le métro
se touchaient des mil­liers de corps
et pas même une étin­celle pour les apparences
ni un élec­tron si petit soit-il
quelque chose
à faire frémir les regards perdus

 de peur de voir Ithaque toute nue
sous les tailleurs
                          et les chemises

*

Il y a de quoi devenir fou

comme ils décousent ain­si les jours et les nuits
ton sang fil à fil
tes trois Moires de se flétrir
qu’attends-tu que com­mence, espèce d’idiot,
ceci n’est pas un con­te de fées

 c’est

 seule­ment ton cadavre

*

La tragédie de mon pays
Si bien sûr tu exclus les séismes
tous les autres ‑isme
ils nous ont ven­dus sous notre nez
Mon cher lord Byron,
pour rien tu as souf­fert la sortie
pour rien tu as enclenché la sortie
ta fièvre aujourd’hui
est rarement men­tion­née dans les écrits
on lui a refilé quelques microbes abjects
alors que c’était pure bravoure
Christ huit sur l’échelle de Beaufort
et plus encore

 Autre­fois – per­du par­mi les roseaux
main­tenant – per­du dans les boîtes de nuit

 

 

 

ΜΕ ΤΟΝ ΤΡΟΠΟ ΤΟΥ Γ.Σ.   

Μονίμως ονειρεύομαι
μια ανηφόρα που θα βγάζει ολόισια στα σπλάχνα σου
να μπαίνω και ν’ αλλάζω τους αλγόριθμους
έτσι που η καρδιά
να ξεκουφαίνει ενδελεχώς τη νόηση
Αγχιβατείν – Pal­laksch
που λέγαν κι οι παππούδες μου
(πατώντας με τα πόδια τους τον μούστο)
υπονοώντας σκοτεινά

 Αίμα που’ χει το μέλλον μας
και πώς να το χορέψεις

                                  *

Ίσως
εάν ερχόταν σήμερα ένας άνθρωπος
μονάχα με το τυπικό προσόν της εποχής
αυτή τη γεύση πρόχειρου γκρεμού
—ξέρετε—
ένας απ’ τους χιλιάδες παραγιούς του
πανικού

όπως τους έραβε ο Θεός
ξέχασε μια βελόνη μες στα στήθια τους

Eάν ερχότανε
και κοίταζε

α π ό  τ ο  μ ά τ ι  τ η ς  β ε λ ό ν α ς  π ο υ  σ α ς  έ λ ε γ α

θα του στοιχειώναν όλα τα φωνήεντα
θα του πατούσε το μυαλό ένα τραύλισμα

τ‑τ-τ-τ‑τ… τ‑τ-τ-τώρα π‑π-π-π‑π… π‑π-π-που
ζ‑ζ-ζ-ζ-ζ‑ζ… ζ‑ζ-ζ-ζ-ζορίσανε τ‑τ-τ-τ-τα-τα-τα-τα
π‑π-π-ππ-πρα-πρα… π‑π-πράγματα ν‑ν-νο-νο…
νο-νο-νομίζεις π‑π-π… π‑π-π-πως το-το-το…
το-το-το-το… το φ‑φ-φ-φ‑φ… φ‑φ-φ-φω-φω-φως
κ‑κ-κ-κ-κ‑κ… κ‑κ-κ-κα… κ‑κ-κ-κκ-κκ-κ‑κ…
κ‑κ-κ-κα-κα-καταλαβαίνει;

*

Δεν έχω φυσικά καμιάν απάντηση

σηκώνω το λοιπόν στους ώμους μου όπως όλοι σας
μ’ εκείνο το παλιό
κουσούρι μου της άνοιξης
ακόμα δεν ξεμπέρδεψα
κι αφήνω να μου βόσκουν τον λαιμό
—κάτι σημάδια κόκκινα
δεν είναι φευ από φιλιά
τη λένε πνιγμοσύνη τη λεγάμενη

αλλά
          δεν είναι η ποίηση που βάζει τη θηλειά
αλλά
          κλοτσάει το σκαμνί

*

Γιατί η ποίηση
ψιτ, μεγάλε
δεν είναι αιώρα ρεμβασμών
δεν είν’ το φτερωτό σου κατοικίδιο
ψιτ, μεγάλε
Όταν υποδύεσαι το φεγγάρι
να το υποδύεσαι και στη χάση του
—δε θα σ’ το κάνω πιο λιανά–
Αν το νοείς αυτό
                   έχει καλώς
          αλλιώς
Ε ρε, Mαγιακόφσκι που σου χρειάζεται

*

Πού να ’σαι τώρα, βρε Βλαδίμηρε,
τώρα που και τα δυο μας νόμπελ
     έγιναν συμπληγάδες
Κανείς δεν αρμενίζει πια για τ’ άρμενα
κανείς για το γαλάζιο
μονάχο του συχνάζει στα μεγάλα υψόμετρα

και στις παλιές αγάπες

*

Η Δώρα
          η Κωνσταντίνα
η Ευανθία
Όποτε αλλάζω το πλευρό στον ύπνο μου
μου ξεκουρδίζουν σιωπηλά το ζώδιο
μέχρι να γίνει το ποτέ
το τυχερό μας νούμερο
—τι ρώσικη ρουλέτα, Παναγία μου–
εσύ γνωρίζεις απ’ αυτά, Βλαδίμηρε,
έγινε
έγινε στην Οντέσσα

εδώ να δεις τι γίνεται

*

Εδώ

τhe evil eye is work­ing overtime

λυπάμαι που το γράφω αλλά

το φως το καταντήσαμε
την τέλεια —για το τίποτε— κρυψώνα

—τι άλλο θέλεις να σου πω—

εχθές το βράδυ στο μετρό
αγγίζονταν χιλιάδες σώματα
κι ούτε ενα τσαφ για τα προσχήματα
ούτε ένα τόσο δα ηλεκτρόνιο
κάτι
ν’ ανατριχιάσει τα χαμένα βλέμματα

μήπως και δούμε την Ιθάκη ολόγυμνη
κάτω από τα ταγιέρ
                                και τα πουκάμισα 

*

Είναι που να τρελαίνεται κανείς

όπως ξηλώνουν έτσι τα μερόνυχτα
το αίμα σου κλωστή-κλωστή
οι τρεις σου μοίρες να πανιάζουνε
τι περιμένεις ν’ αρχινίσει, βρε κουτέ,
δεν είναι παραμύθι αυτό

είναι

μονάχα το κουφάρι του 

*

Η τραγωδία του τόπου μου
Αν εξαιρέσεις βέβαια τους σεισμούς
όλοι οι υπόλοιποι  ‑ισμοί
μάς πούλησαν κατάμουτρα
Καλέ μου λόρδε Βύρωνα,
τσάμπα τη λούστηκες την έξοδο
τσάμπα την άναψες την έξοδο
ο πυρετός σου σήμερα
υπάρχει — δεν υπάρχει στα συγγράμματα
του ’χουν κοτσάρει κάτι ελεεινά μικρόβια
ενώ ήταν σκέτη λεβεντιά
οχτώ μποφόρ Χριστός
κι ακόμα τόσα

Τότε – χαμένα μες στις καλαμιές
τώραχαμένα στα σκυλάδικα

Présentation de l’auteur

Yannis Stiggas

Yan­nis Stig­gas est né à Athènes en 1977. Il a fait des études de médecine et il tra­vaille comme neu­ro­logue à Athènes.  Il pub­lie dans des revues de poésie, des antholo­gies et a été traduits en dix-neuf langues (alle­mand, français, por­tu­gais, anglais, bul­gare, serbe…).

Son pre­mier livre a été pub­lié en français sous le titre Vagabondages du sang aux édi­tions Les Van­neaux en 2012 (tra­duc­tion de Michel Volkovitch).

Bibliographie

Il a pub­lié huit recueils de poésie :

– Vagabondages du sang, 2004, édi­tions Gavriilidis
– La vision recom­mencera, 2006, édi­tions Kedros
– Une blessure encore, 2009 (rééd. 2015), édi­tions Kedros
Le chemin vers le kiosque à jour­naux, 2012 (rééd. 2014 et 2020), édi­tions Mikri Arktos
– J’ai vu le Rubik’s Cube dévoré, 2014 (rééd. 2016), édi­tions Mikri Arktos
– Exupéry sig­ni­fie que je suis per­du, 2017 (rééd. 2018), édi­tions Mikri Arktos
– Comédie, 2021, édi­tions Agra
– Son­derkom­man­do, 2023, édi­tions Agra.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Yannis Stiggas : l’invisible est une autre forme de lumière

Présen­ta­tion et tra­duc­tion Anne Bar­busse Le chemin vers le kiosque à jour­naux est le  qua­trième recueil de poésie de Yan­nis Stig­gas, et sa pre­mière col­lab­o­ra­tion avec les édi­tions Mikri Ark­tos, a été publié […]

image_pdfimage_print
mm

Anne Barbusse

Anne Bar­busse pub­lie des recueils de poésie depuis 2021. Après une agré­ga­tion de Let­tres clas­siques, elle reprend ses études à dis­tance à l’université Paul Valéry de Mont­pel­li­er, jusqu’à un mas­ter tra­duc­tion en lit­téra­ture grecque mod­erne en 2017, où elle a traduit, en pleine crise grecque, l’œuvre incon­nue en France de Takis Kalonaros (Du bon­heur d’être grec, Athènes, édi­tions Euclide, 1975, réponse à Du mal­heur d’être grec de Nikos Dimou, traduit et pub­lié en France en 2012 aux édi­tions Pay­ot). Depuis, elle traduit de la poésie grecque con­tem­po­raine. Elle a pub­lié des tra­duc­tions dans plusieurs revues de poésie, dont Terre à ciel, Recours au poème, Apulée, Teste, margelles et Fran­copo­lis. Elle a traduit plusieurs recueils de poésie grecque actuelle : ‌ Yor­gos Ster­giopou­los (Exil à la nais­sance, Gavrié­lidis, 2015) https://www.terreaciel.net/Yiorgos-Stergiopoulos-traduit-du-grec-moderne-par-Anne-Barbusse Chloé Kout­soubéli (Les con­vives de l’autre terre, Gavrié­lidis, 2016) https://www.terreaciel.net/Chloe-Koutsoubeli-traduite-du-grec-par-Anne-Barbusse Panos Kyparis­sis (Objets de valeur, Mélani, 2013) https://www.terreaciel.net/Panos-Kyparissis-traduit-du-grec-par-Anne-Barbusse‌ Dim­itris Péro­daskalakis (Le sph­ynx envoy­ait un email, Gavrié­lidis, 2018) https://www.terreaciel.net/Dimitris-Perodaskalakis-traduit-du-grec-par-Anne-Barbusse‌ et https://www.recoursaupoeme.fr/dimitris-perodaskalakis-entre-realite-et-mythe-il-y-a-la-poesie/ Thodoris Rakopou­los, (La con­spir­a­tion des poudres, Néféli, 2014) https://www.terreaciel.net/Thodoris-Rakopoulos-traduit-du-grec-par-Anne-Barbusse‌ Yan­nis Stig­gas (Le chemin vers le kiosque à jour­naux, Mikri Ark­tos, 2012) Son pre­mier recueil traduit vient de paraître aux édi­tions Bruno Guat­tari édi­teur en 2025 (Exil à la nais­sance, de Yor­gos Ster­giopou­los). Sa tra­duc­tion de Panos Kyparis­sis va paraître prochaine­ment en édi­tion bilingue à Athènes aux édi­tions Mélani. ‌

Sommaires

Aller en haut