La revue Phoenix n’en est qu’à son cinquième numéro mais il ne faut pas se fier aux apparences. Elle s’inscrit dans une très longue his­toire, celle qui est passée par Sud puis Autre Sud. Phoenix est la descen­dante directe des deux pre­mières. Cha­cun des numéros de Phoenix est orchestré autour de la fig­ure d’un poète con­tem­po­rain. Ain­si, les pages de la revue ont-elles accueil­li par exem­ple Marc Alyn, Bernard Mazo, Hen­ri Bauchau… Ce numéro 5 est con­sacré à la poésie de Boris Gama­leya. On trou­vera des études et témoignages au sujet du poète de la Réu­nion signés de André Ughet­to, Jacques Dar­ras, Christophe For­geot, Damien Lopez, Frédéric Werst, Thier­ry Bertil, Françoise Sylvos et Patrick Quil­li­er. Une belle oppor­tu­nité pour décou­vrir une poésie que pour ma part je ne con­nais­sais pas et au sujet de laque­lle Jacques Dar­ras écrit ceci : « Dès que je lis la poésie de Boris Gama­leya, je suis à la Réu­nion. Peu de poèmes sont aus­si géo­graphique­ment justes que le sien. Les yeux, les siens et donc les nôtres par l’entremise de ses mots, ren­con­trent partout une cime, une anfrac­tu­osité, une fuite directe vers le large. Qu’est-ce que sa poésie a comme pou­voir secret pour qu’il en soit ain­si ? Celui de la mul­ti­plic­ité, l’exubérance des angles à sen­sa­tions, la cor­rec­tion infinie des pos­es du corps, à plat, en hau­teur, sur la pente, à fond de val, d’abîmes. Nous voici géo­graphique­ment dans le paysage métaphorique de l’existence même. Autant d’histoires humaines s’avèrent pos­si­bles qu’il y a d’accidents au relief. C’est d’une richesse d’être que nous entre­tient le lan­gage du poète. Par l’économie de ses con­struc­tions et la saveur de ses images. Justesse et approx­i­ma­tions me sem­blent les deux maîtres mots de cette poésie. Il arrive qu’elles soient con­fon­dues. Grande réus­site, alors. » Jacques Dar­ras est un poète qui sait ce qu’être poète sig­ni­fie, la chose n’est pas aus­si fréquente que l’on voudrait le croire. Et ce savoir est juste­ment tout sauf un « savoir ». Plutôt une sorte de con­nais­sance. Le poète ? Un arbre. Les racines plan­tées dans le ciel et la cime dans le roc. Une irri­ga­tion de con­tra­dic­toires dont les com­plé­ments font naître le Poème. Dar­ras ne le dit pas et ne le dirait cer­taine­ment pas ain­si, du moins pas exacte­ment ain­si, cepen­dant il écrit plus loin : « Ce qui nous saisit et nous donne plaisir à lire sa poésie c’est son osmose légère avec la den­sité cos­mique de la terre qu’il habite. » Ce que dans son arti­cle, Christophe For­geot nomme « la langue de feu ». Tout est feu en effet chez Gama­leya. Comme tou­jours chez ceux qui ont cet étrange état de l’esprit que l’on nomme poésie ; feu et arbre… Cela sem­blera éton­nant à d’aucuns, et pour­tant… Il est un cer­tain point de l’esprit et cetera où feu et arbre sont une seule et même chose.
La revue se pour­suit par un beau partage des voix, duquel je retiens en toute sub­jec­tiv­ité revendiquée les poèmes de Stéphen Bertrand, ou bien ces vers de Béa­trice Libert :

Et la terre était tiède
Quand je l’ai retournée.

Je l’ai prise à deux mains.
J’ai ressen­ti son âge

Trem­pant, dans le soleil,
L’octobre de ses fruits.

Elle se ter­mine, pour ce qui est de la créa­tion (avant les notes de lec­ture et cetera) par une par­tie « voix d’ailleurs » con­sacrée en par­ti­c­uli­er à Sam Hamill, poète améri­cain dont les textes sont ici don­nés en anglais et en français. Par­mi de nom­breux « faits d’armes », Sam Hamill a créé le mou­ve­ment des « Poètes con­tre la guerre » en 2003. On ne sera donc pas sur­pris de la hau­teur de vue de sa poésie quand ce qui nous est don­né à lire ici (Ars Poet­i­ca) com­mence ainsi :

Achille, longtemps après Troie
          se risqua à un nou­veau départ
et dans cette sortie
fit retour vers le sans lieu

Et qu’aurait-il pu con­naître d’autre, comme Ulysse,
que frappe des vagues sur la proue
         et les his­toires qu’elles disent :
la douce danse d’Eros et Thanatos

et les amours,
les vic­toires, les trahisons des hommes ordinaires…

Un long et essen­tiel poème s’étendant sur plusieurs pages, précé­dant un deux­ième en forme de con­ver­sa­tion avec Milosz, à Vil­nius. La poésie de Sam Hamill s’ancre dans la pro­fondeur du Poème. Le « sans lieu ».
 

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