Antoine Maine, 72 Micro-saisons

Par |2025-11-06T12:42:40+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Antoine Maine, Poèmes|

GRAND FROID
25 › 29 jan­vi­er : Sawamizu kōri tsumeru
La glace s’épais­sit sur les ruisseaux

Demain encore je voudrais
comme les ruisseaux
goûter la joie des confluences

* * *

Au-dessus du port
jai vu pass­er les oies dEgypte
et les bernach­es à tête blanche
jai enten­du leurs cris sauvages

elles qui sont vieilles bêtes
de bien avant les porte-conteneurs

* * *

À quand le réarme­ment des mésanges et des perce-neige, des saules pleureurs et des mulots vagabonds ?

 

Début du printemps
4 › 8 févri­er : Harukaze kôri o toku
Le vent dEst fait fon­dre la glace

 S’émerveiller cest résis­ter. Ce nest pas moi qui le dis cest la dame à la radio.

* * *

Jai vu Julianne Moore. Elle pleu­rait. En sor­tant du ciné dans la rue les pavés bril­laient encore. Sou­venir de la dernière averse. Nous avons marché un peu. Sans nous touch­er. On a croisé quelques pas­sants, leur tête cachée sous les capuch­es, un livreur à vélo avec sa boîte à piz­zas et au fond de ses yeux noirs une fatigue longue de mil­liers de kilomètres. Peu après elle est repar­tie vers Savan­nah. Elle aus­si sem­blait épuisée. Par je ne sais quelle charge. Trop lourde pour ses épaules.

* * *

Vent dEst
dans lair un parfum
de soleil levant

DÉBUT DU PRINTEMPS
14 › 18 févri­er : Uo kôri o izuru
Les pois­sons jail­lis­sent de la glace

Adossés au ciel, les arbres peu à peu se remplument. 

* * *

Jai beau chercher. Pas de pois­sons, pas de glace, ou alors quelques pois­sons panés dans le con­gé­lo. Mais est-ce que ça compte vrai­ment ?

* * *

Ren­tré avec choux de Brux­elles grand soleil filets de mer­lan roucoucou des tourterelles dent-du-chat Libé Naval­ny tarte à lbadrée ciel bleu oignons rouges et dorés 

 

L’EAU DE PLUIE
19 › 23 févri­er : Tsuchi no shô uruoi okoru
La pluie humid­i­fie la terre

Je retire le bonnet
qui pro­tégeait mon crâne
de cette fine pluie
(petite pluie de rien du tout
bru­ine dirait-on)

et main­tenant tête nue
me goin­fre du chant liquide
des oiseaux

* * *

Cest Paris sous la pluie. Cest jan­vi­er. Trot­toirs mouil­lés. Une femme savance. Les traits tirés les cheveux défaits la mine chif­fon­née. Elle marche. Elle marche vite. Droit devant elle et cest comme si pour elle la ville avait cessé dexis­ter. Des bou­tiques des lam­padaires des portes cochères et des trot­tinettes elle na que faire. Télé­phone en main. Elle marche. Elle pleure. Sous ses lunettes coulent des rivières de larmes. Elle pleure. Ça creuse des rigoles à pleines joues. Ça fripe son men­ton. Ça ravine sa pau­vre face. Ça dévaste la rue toute entière dune rive à lautre.

Elle par­le elle pleure elle écoute elle pleure elle marche elle pleure elle dégouline elle pleure elle passe elle pleure elle.

Cest Paris sous la pluie. Et quoi faire dautre que d’éviter toutes ces flaques sur le trottoir.

* * *

Quelques jon­quilles
au pied du cerisier
et lhiv­er pourtant

L’EAU DE PLUIE
24 › 29 févri­er : Kasu­mi hajimete tanabiku
La brume com­mence à sattarder

For­cé­ment avec la brume le paysage douce­ment glisse vers lOri­ent extrême.

* * *

Départ dans le soleil. Puis peu à peu sur lA16 lhori­zon vire au bleu blanc gris. 

À la radio une Chi­noise musi­ci­enne nous fait enten­dre à la cithare (guzheng daprès Wikipedia) le son du ciel.

Je me demande bien quelle est cette Yvette sur quoi vien­nent se pos­er Gif, Bures puis Ville­bon ?

Con­tourne­ment de Paris, au volant les mots me vien­nent. Dif­fi­cile de sarrêter dans ce monde péri-urbain. Vaste enchevêtrement de rocades de bretelles d’échangeurs et de voies rapi­des. Alors je choi­sis la bifur­ca­tion. La sor­tie de sec­ours. Une zone com­mer­ciale vers les Ulis ou Courtabœuf. Dépass­er le Point P et se gar­er sur le park­ing du Lidl. Là sor­tir le petit car­net et lâch­er les mots.

* * *

Der­rière le rideau de brume
la mon­tagne se désha­bille

 

LEAU DE PLUIE
1 › 5 mars : Sōmoku mebaeizuru
Lherbe se remet à pouss­er, les arbres bourgeonnent.
Ligne neuf, la voix dans le haut-par­leur annonce Bonne nouvelle.

* * *

Mon­tagnes quon devine au loin. Ver­sants cou­verts dune fine couche de neige (résille dirait-on). Neige tombée à la nuit. La forêt, elle si som­bre, ain­si blanchie devient gri­saille et se fond dans la masse des nuages bas. Une lumière dans cette fin de nuit. Les phares dune voiture. Elle grimpe tout là-haut entre deux morceaux de forêt. Quelquun quelquune à vivre dans ce paysage. On en est tout éton­né (déçu peut-être) tant on avait le sen­ti­ment dhabiter seul dans ce petit matin des mon­tagnes. Mais le monde est là encore un peu endor­mi et bien­tôt il sagit­era.

Sous mes doigts la man­darine s’épluche. Je sens la chair molle et juteuse.

Dans lenceinte blue­tooth Mozart sifflote.

Au bout de la ter­rasse les branch­es des lilas, cou­vertes déjà de gros bour­geons gorgés de la sève mon­tante, oscil­lent dans le vent. Vent froid encore ce matin, lhiv­er nest pas fini. Pour­tant je sens venir le print­emps, l’éternel recom­mence­ment. Je lentends gron­der dans le ven­tre du poème.

* * *

Sur lA71
dans les bas-côtés
les prunel­liers en fleurs

Présentation de l’auteur

Antoine Maine

Antoine Maine. en Picardie en 1960, vit à Amiens. Poèmes et nou­velles. Directeur artis­tique et co-fon­­da­­teur de la revue de créa­tion poé­tique Mete­or.

Bibliographie 

Jaurais pu tappel­er sep­tem­bre (Toto éditions — 2024)
La Ville était lumière (Toto éditions — 2024)
Le Cerisi­er (La Chou­ette imprévue — 2021)
Une Vie avec du ciel (Cahiers de Poésie Verte — 2016. Prix Trou­ba­dours Trobadors)
La Perdi­tion (Nou­velle, Tierslivre.net — 2013)

Ouvrages col­lec­tifs :

La Force des mots. Antholo­gie du PEN Club Français (Oxy­bia — 2025)
Le Cab­i­net Lamb­da (Cac­tus Inébran­lable — 2021)
Les Con­fins (La Chou­ette imprévue — 2020)

Autres lec­tures

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