Arbër Selmani : ce que la nuit ne dit pas

Par |2025-11-06T16:26:18+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Arbër Selmani, Essais & Chroniques|

Présen­ta­tion et tra­duc­tion Eve­lyne Noygues

La lit­téra­ture au Koso­vo est prin­ci­pale­ment représen­tée par des œuvres d’auteurs koso­vars et albanais (à savoir d’Albanie) de langue albanaise ain­si que par des tra­duc­tions d’écrivains des Balka­ns et de la lit­téra­ture mon­di­ale. Pour mémoire, au Koso­vo, la langue et la cul­ture albanais­es ont été autorisées par la Con­sti­tu­tion yougoslave de 1974. C’est à par­tir de cette péri­ode que cette lit­téra­ture a con­nu un impor­tant essor.

Par­mi les auteurs « clas­siques » de langue albanaise, on cit­era Anton Pashku (1938–1995), auteur de réc­its, romans et drames expéri­men­taux que cer­tains rap­prochent des écrits de George Orwell et Franz Kaf­ka ; Ali Podrim­ja (1942–2012), con­sid­éré comme un des poètes les plus mar­quants des Balka­ns, auteur de nom­breuses antholo­gies de la jeune poésie koso­var et dont plusieurs recueils ont été traduits en français à par­tir des années 2000 ; Rex­hep Qos­ja (1936), cri­tique lit­téraire pro­lifique et un his­to­rien lit­téraire de la lit­téra­ture albanaise auteur de « La mort me vient de ces yeux-là »1 (1974) ; ou encore Eqrem Basha (1948), poète et écrivain, pro­fesseur de français à l’université de Prishti­na, qui a résidé à plusieurs repris­es en France (Arles en 1992 et Paris en 1994) et qui, en plus d’écrire des romans, réc­its et poésies, a traduit en albanais Eugène Ionesco, Giuseppe Ungaret­ti, Samuel Beck­ett ain­si que des textes dra­ma­tiques d’au­teurs français.

Enfin, plus récem­ment, le dra­maturge Jeton Nezi­raj (1977) est l’auteur de plus d’une ving­taine de pièces mis­es en scène au Koso­vo, en Europe (Vidy- Lau­sanne) et aux Etats-Unis (La MaMa à New York), et traduites dans de nom­breuses langues des Balka­ns et de l’Eu­rope occi­den­tale dont le français.

Arbër Sel­mani, quant à lui, fait par­tie de la jeune généra­tion des écrivains koso­vars de langue albanaise qui con­duisent plusieurs car­rières de front. Poète, écrivain, jour­nal­iste, édi­teur et chercheur basé au Koso­vo, son tra­vail lit­téraire et jour­nal­is­tique explore l’i­den­tité, l’in­tim­ité et les fron­tières entre l’ex­pres­sion per­son­nelle et poli­tique, sou­vent à tra­vers une per­spec­tive queer. Son œuvre explore les com­plex­ités d’une société d’après-guerre aux pris­es avec des normes tra­di­tion­nelles et religieuses rigides. Il est l’auteur de cinq ouvrages pub­liés — deux recueils d’en­tre­tiens cul­turels, deux recueils de poésie et TESTOSTERON — son dernier ouvrage hybride de nou­velles et de réflex­ions pub­lié par ALBAS à Tirana en novem­bre 2025. Mil­i­tant de la représen­ta­tion LGBTQ+ en lit­téra­ture, il donne des con­férences et mène des recherch­es sur les réc­its LGBTQ+, explo­rant les croise­ments entre iden­tité, cul­ture et résistance.

 

Arbër Sel­mani — Kur vdiq baba 

 

Cinq poèmes traduit de l’Al­banais par Eve­lyne Noygues

1 JE T’ATTENDS A LA MOSQUÉE DE LA VILLE

Je t’attends à la mosquée de la ville
au milieu des prières et des péchés
viens et dis à Dieu que tu es plus petit que lui
tu es la honte de ma vie
viens et prie
donne-lui à enten­dre les ver­sets du Livre Saint
à l’entrée, déchausse-toi
à la porte, donne un bout de pain à la men­di­ante rom,
avance au milieu de la foule des hommes,
et approche-toi
pour me trouver.

Je t’attends à la mosquée de la ville
viens et prie pour la Terre, le Soleil, les animaux
pour chaque âme qui tremble
je suis au pre­mier rang
viens et par­lons ensemble
viens et rap­pelle au Tout-Puis­sant, com­bi­en tu es faible
toi, la grande blessure de l’amour.

Je t’attends à la mosquée de la ville
viens et entre dans le lieu de prière, toi minus­cule ver de terre
viens et bats-toi avec le temps quand tu étais un hon­nête homme
quand tu étais un être humain
j’ai ouvert les fenêtres, le Hod­ja attend la pluie
et moi, je t’attends
la ville, elle, attend le chant du salut.
Je t’attends à la mosquée de la ville
viens
pour qu’on se com­prenne pour la pre­mière fois.
mets ta chemise verte, fais-toi le chef religieux de l’islam
regar­dons les coupoles, les minarets,
toi, tu pleurs sur ton sort
moi, je pleure de n’avoir jamais pleuré.

Je t’attends à la mosquée de la ville
Viens, même si tu ne m’aimes pas
Viens car ton silence a trop duré
ton esprit a longtemps jeûné,
Viens et dis au Tout-Puis­sant et à ses amis
qu’il n’y a per­son­ne d’honnête aujourd’hui dans cette mosquée.

Je t’attends à la mosquée de la ville
je t’en prie, viens, car moi non plus je ne t’aime pas
age­nouil­lons-nous sur le tapis de prière en velours
à la porte, débar­rasse-toi des idi­oties qui te tien­nent en vie
Assieds-toi près de moi, n’insulte pas le créateur.
Tu me trou­veras au calme, je suis là où s’assoie le malheureux
approche, ne me prends pas la main,
tais-toi, prie pour toi et pour nous deux,
je t’attends
dans la dernière mosquée de nos deux vies.

 

2

LE DIMANCHE

Le dimanche
la prière du matin a commencé
j’ai quit­té l’église, tra­ver­sé la ville que je hais.

Le dimanche, dès le début des hymnes du Pape
quelqu’un s’est mis à me harcel­er au coin de la rue
je sais que j’ai crié
je sais que j’ai demandé aux morts de se réveiller
je sais que j’ai vu une fenêtre se refermer,
je sais qu’un enfant me regar­dait au loin et riait.

Le dimanche,
la musique liturgique con­tin­u­ait à son rythme
cet homme der­rière moi me tue
je sais que les feux rouges fai­saient du bruit, que les pié­tons ne tra­ver­saient pas les clous
je sais que der­rière moi deux chats se sont bagar­rés dans une poubelle
que quelqu’un m’agressait et qu’aucune aide ne venait à mon secours.

Le dimanche,
Les prêtres son­naient les cloches
cet homme est sans doute d’une mau­vaise engeance
je sais qu’il n’y a aucune raison
juif, albanais ou rom crasseux
j’ai per­du connaissance.

Le dimanche,
les âmes per­dues cherchent leur voie,
cet homme me frappe, sa vio­lence dépasse mes forces
il m’a bâil­lon­né, Dieu m’a fer­mé sa porte
je sais que tout est devenu noir, éblouissement,
je sais qu’un homo­sex­uel pre­nait plaisir à me regarder au loin
je sais que deux vieilles femmes sour­des, le matin au marché, ne m’entendaient pas même si nous étions tout proches
les dieux m’ont jeté en bas de la montagne.

Le dimanche,
hommes et femmes avec le Livre Saint à la main
avec les par­ti­tions pour la paix et la colombe
cet homme m’a pénétré, tripoté et lais­sé sans force
toutes les phar­ma­cies sont fermées
toutes les laver­ies automa­tiques sont closes
cet homme vient juste de me salir
ça ne s’enlève plus.

Le dimanche
il n’y a que cette église qui ait échap­pé au confinement
ma tête a tapé sur le pavé à côté du musée de la ville
je sais que la voiture de police a fait comme si de rien n’était
je sais que j’ai regardé droit dans les yeux de deux policiers
à 30 mètres de l’Église.

Le dimanche
dans l’église on communie
cet homme ne s’arrête pas, il a per­du tout discernement
il abuse de ma fragilité
il m’a agrip­pé par le bas-ven­tre, là où ma mère me pre­nait avec douceur
les salons de beauté sont fermés
les sonates et sym­phonies sont terminées
le bâti­ment de l’Opéra de la ville est cadenassé
le pas­sage par lequel m’échapper est fermé
l’école où j’étais élève est verrouillée
je sais que le hurlement d’une sirène a salué l’homme qui me violentait.

Le dimanche
Dans l’église, on chante pour les hommes puissants.
Mon pan­talon est tombé sur mes savates, ma chemise est en lambeaux
J’ai un peu vomi, le corps brisé et courbé.
Le dimanche
Dans l’église, une ronde a com­mencé qui doit me sauver la vie.

3

LA PRINCIPALE PROSTITUÉE DE CETTE VILLE

C’est une évidence,
Je suis la prin­ci­pale pros­ti­tuée de cette ville !

Je vole tous les pétales de chaque fleur.
Je suis entourée de sang­sues, d’insultes et de profiteurs.

Je suis l’abeille qui pique le plus fort dans la ruche
Je suis l’antidote, le lait le plus doux au printemps
Je suis chaque robe déchirée, chaque dard, chaque gifle qui claque
Par mon bruisse­ment, je main­tiens cette ville en vie.

Le long des rues et des ruelles, dans les cab­ines téléphoniques
Sous les ponts, à côté des trottoirs
Dans les cuisines des bars, dans les cafés de quartier
Sous le clig­note­ment des lumières de la nuit, dans des maisons effrayantes,
Même en plein jour, au milieu des voitures
Je calme les esprits fébriles, les langues énervées,
Une couronne sur la tête, sou­veraine, je suis l’oiseau qui jamais ne se plaint,
J’endure tout, je main­tiens cette ville en vie.

Je suis spec­ta­trice du malheur,
Dans des rési­dences uni­ver­si­taires, des parcs humides
Dans des saunas brûlants, des piscines avec des muscles,
Aux sta­tions à essence, dans des toi­lettes luxueuses
Je me perds et je cause la perdi­tion des hommes qui me payent
Je suis un objet par­mi d’autres, témoin muet de leurs rencontres
Je retarde le moment des embras­sades, j’écarte les caress­es, les baisers
Je suis la femme la plus dan­gereuse, au pou­voir non meurtrier
Je fais de mon mieux, je main­tiens cette ville en vie.
Je com­prends la peine de n’importe quel ray­on de lune
Des femmes me haïssent, d’autres me jalousent
Je me glisse entre les jambes des mal­heureux, je les laisse se délecter
Je suis garante de la morale, objet des désirs de tous les politiciens,
Je suis la plus belle avec des yeux de porce­laine, je suis une sultane
Je brise toutes les lois, tous les codes, toutes les normes
Je me casse le cou, me dés­espère, je suis toute mouillée
Je suis la gare fer­rovi­aire, la halte, une reine sans roi
Je suis vénéneuse, je main­tiens cette ville en vie.

Je fais face aux tem­pêtes, au vent froid, une auréole éblouis­sante m’enveloppe

Mon vis­age n’est pas sex­ué, sous la peau je suis un être mas­culin, et aus­si une femme utile
Je suis en enfer et au par­adis, j’embrasse qui je veux
Au four à pain, dans un motel per­du au fond d’un vil­lage perdu
Sur les tables du foy­er du théâtre, à même le sol,
Aucune par­tie de mon corps ne se dérobe
On veut me faire dis­paraître, alors nous faisons l’amour, je suis le plus dan­gereux des requins
Je suis faite d’acier, je main­tiens cette ville en vie.

J’ai pris mon envol, j’ai élevé mon âme,
Je suis la prin­ci­pale pros­ti­tuée de cette ville !

Je me tor­tille ivre sous le regard de ceux qui me menacent,
Je suis l’angoisse des gens heureux, je suis un corps abîmé par l’exil
Je suis la pel­licule fine qui enserre les hommes, les femmes, les lits des rivières
Au pied des cas­cades, dans la boue, dans les grands bureaux de l’administration
Je me suis ruée, comme une mère enragée, sur chaque cra­vate, chaque miséreux.
Les prêtres me suiv­ent des yeux, les enfants mal élevés aussi.
Les berg­ers, les femmes au foy­er, les musiciens,
les hor­logers lorgnent sur moi, les forg­erons et les vil­la­geois me désirent aussi.
Mes lèvres ne sont pas belles quand elles restent seules, sans faire de profit
Je trem­ble, je fris­sonne, sur mes talons rouges je main­tiens ce vil­lage en vie.

Non,
Avec la ville aussi.

 

4

À LA MORT DE MON PÈRE

A la mort de mon père,
une par­tie de moi a cessé
de vivre,
avec lui un peu de ma mère
et un peu de ma sœur aussi,
envolées ses chemises
volatil­isé mon dernier salaire
dans ma poche droite
évanoui ce jour béni,
dis­parus à jamais par­dons et regrets,
gifles bru­tales et aspirations
tout comme les rêves que je n’ai pas faits
le marché du matin agonise
et avec lui le matin même de ce jour-là.

A la mort de mon père,
un chêne aus­si a péri
ter­rassé quelque part sur la mon­tagne sainte,
emportés une grâce, un bienfait,
une his­toire à jamais contée,
anéan­ti le corps dont la vie
n’a que faire
on ne peut pas appel­er ça
une vie
quand tous les cinq ans, le malheur
s’abat sur toi et y trou­ve la paix.

A la mort de mon père,
je me suis brisé en morceaux
sur le tapis de la salle-de-bain.
J’ai ram­pé jusqu’à l’arrivée d’eau
pour me laver le visage,
regarder ma pro­pre mort,
et oubli­er que son corps
s’éteignait le même jour.

A la mort de mon père,
per­son­ne n’est plus revenu
à la maison,
finie la dernière dispute,
fichue une bourse d’études
aux Etats-Unis,
bal­ayé aus­si le cer­ti­fi­cat d’études,
réduit à moins que rien.
Morts les hommes faibles
de ce monde,

Tombées aus­si les femmes
de plus en plus
dure­ment frap­pées par la nature.
A la mort de mon père
évanoui à son tour mon bonheur,
éva­porées les mers où je plongeais autrefois
mon corps sans âge,
fauchées les plaines où j’ai gran­di heureux,
mon amour oublié,
ma femme qui n’existera jamais,
avec la mort de mon père,
une part anci­enne de moi s’en est allée.

Avec mon père
dis­parues aus­si la beauté,
la col­lec­tion com­plète des œuvres d’Asdreni
et Le cap­i­tal de Marx,
à la mort de mon père,
j’ai ressen­ti un pince­ment au cœur
et l’étreinte de Dieu,
j’ai vu défil­er devant moi ceux
qui ne sont pas aus­si admirables que lui
car per­son­ne ne sur­passe la grâce divine du père,
tous ont eu la vie belle,
sauf mon père
tous ont été comblés
quand, lui, a ver­sé des larmes amères,
si le des­tin s’est promené pieds nus
dans la ville,
il n’a jamais ren­con­tré mon père
dans les ruelles.
A la mort de mon père,
les esprits diaphanes
se sont transformés
en grands ser­pents noirs.

A la mort de mon père,
j’ai mis la mai­son sans dessus dessous
sans pou­voir le trouver,
j’ai pris l’avion pour un autre pays
où il n’avait pas non plus sa place,
j’ai rassem­blé les miettes de l’ennui
et je les ai nouées ensemble,
à la mort de mon père,
un dieu qui s’était épuisé à vivre
a suc­com­bé aus­si quelque part là-haut,
mort égale­ment le dieu Éros
dont les jours heureux étaient comptés,
ses cama­rades et ses amies ont disparu
tout comme ses proches qui ne l’ont jamais été.
A la mort de mon père,
je me suis assis
au bord de la riv­ière de mes larmes
et j’ai pleuré.

 

5

AIMER UN HOMME

Aimer un homme,
c’est comme défi­er une tempête
Elle arrive rarement avec grâce,
l’homme encore moins
Et toi, tu as peur de l’un comme de l’autre.

La tem­pête
Attend que ton cœur éclate
et que tu redoutes
La pluie,
Toute cette eau, cette masse liquide,
cette rosée torrentielle,
On dirait qu’à la place des gouttes,
une lourde pierre tombe sur la terre.
Cet homme éruc­tera le dis­cours de son triomphe,
comme la tem­pête fait trem­bler la ville.

Tiens-toi prête, devant cet homme
A détester le fardeau qui repose,
assis sur son cœur
Quand ce dernier explose
comme une canal­i­sa­tion dans la rue
des décen­nies de colère, de dés­espoir, de malédictions
com­primées dans une bouteille de gaz
Des bagar­res qui jail­lis­sent d’un rien,
L’homme à tes côtés cache une tempête
der­rière un vis­age mal rasé.

Il appar­tient au monde entier,
et d’une cer­taine façon il est à toi aussi
Cet homme envahissant,
qui fait feu des qua­tre fers
Ses lèvres n’ont jamais pronon­cé de paroles tendres
Pour aimer un homme comme il le souhaite,
il faudrait d’abord ensevelir tout signe de vie.

Quelque chose de sur­na­turel, d’épuisant, de tempétueux,
affaib­lit ton âme,
La tempête.
Mais tu ressens presque la même chose,
Aimer un homme,
Être foudroyée par la fureur de ses griefs,
avaler des couleuvres
sous l’effet une névrose avancée,
enfer­mée aux toilettes,
les deux mains plaquées sur les oreilles,
tu le fuis comme la peste,
maud­is­sant les Grecs maîtres de l’amour.
Qu’ils soient dans le monde des morts ou dans celui des vivants,
ils sont des mil­lions d’hommes
à vouloir échap­per à la solitude.

Lave ses pieds, pose un bais­er sur son front,
sat­is­fais son estom­ac, fais-lui l’amour.
Aime ses sœurs, renonce à faire ton ménage
car il est en retard à son travail,
récite par cœur les recettes de cuisine,
Par­donne-lui de te faire attendre
atten­tion tu as mis trop de sel dans cette fichue salade,
aère la pièce,
Cire ses chaus­sures, chante les chan­sons qui lui plaisent,
caresse son chat, éloigne le tien
Ouvre les jambes, ferme les jambes, ouvre la bouche,
col­tine-toi ses dents noir­cies par le désœuvrement.

On ne nous a jamais appris à aimer un homme,
Dans aucune uni­ver­sité, ni à l’école
où nous étions beau­coup d’élèves,
assoif­fés de lecture,
Nous explo­ri­ons le théâtre
à la recherche de la dig­nité et de la grandeur
qui arrivent comme un bon­heur, à un homme.

Epuisant, homme desséché
à qui tu t’épuises à don­ner à boire
plus sou­vent qu’à un laurier.

Cou­ve-le de tes regards,
dis-lui que tu ne le quit­teras jamais,
gave-le de sucreries
Débar­rasse-le de ses ennemis,
débou­tonne sa chemise qui lui colle à la peau,
avale l’eau fétide dans laquelle
ses ongles ont trempé
Men­ace-le d’une furieuse terreur,
éduque ses enfants à l’attendre,
change l’hiver en été,
agite l’eau noire de la mer où il a sombré
Prends le pouls de ses veines gonflées,
masse son bras engourdi,
gifle-le pour qu’il revi­enne à lui
Ouvre les jambes, ferme les jambes,
épluche-lui des quartiers de pommes et de prunes,
rend grâce au seul fait qu’il existe,
offre-lui ton corps
tempétueux,
avec les affres de la vie qui te sont restées en tra­vers de la gorge,
serre-le à nou­veau dans tes bras
car il est ton unique temple.

Image de Une Soirée poésie avec Arber Sel­mani à la Mai­son de l’Eu­rope à Pristi­na : https://www.europehouse-kosovo.com/poetry-does-not-know-barriers-and-knows-how-to-heal-arber-selmani/

Présentation de l’auteur

Arbër Selmani

Arbër Sel­mani est un écrivain, jour­nal­iste, édi­teur et chercheur basé au Koso­vo. Auteur de trois recueils de poésie : « Pourquoi grand-père est triste » — « Le Koso­vo en 14 his­toires cul­turelles, 1 » et « Le Koso­vo en 14 his­toires cul­turelles, 2 » ain­si que de nom­breux arti­cles de presse. Son œuvre est pro­fondé­ment ancrée dans les com­plex­ités d’une société d’après-guerre aux pris­es avec des normes tra­di­tion­nelles et religieuses strictes. Fer­vent défenseur de la représen­ta­tion queer dans la lit­téra­ture, il donne des con­férences et mène des recherch­es sur les réc­its queer, explo­rant les croise­ments entre iden­tité, cul­ture et résis­tance. Il est très investi dans la défense des droits de l’Homme et LGBTQI.

© Crédits pho­tos KultPlus.com

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Présen­ta­tion et tra­duc­tion Eve­lyne Noygues La lit­téra­ture au Koso­vo est prin­ci­pale­ment représen­tée par des œuvres d’auteurs koso­vars et albanais (à savoir d’Albanie) de langue albanaise ain­si que par des tra­duc­tions d’écrivains des Balkans […]

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Evelyne Noygues

Eve­lyne Noygues, tra­duc­trice lit­téraire (domaine albanais). En 2008, après un Master2 « Études européennes » à l’Inalco et un dou­ble cur­sus en langue albanaise et en his­toire, elle passe de la tra­duc­tion uni­ver­si­taire à la tra­duc­tion lit­téraire : con­tes, fic­tions, pièces de théâtre, bande dess­inée. Récom­pen­sée par le Prix de tra­duc­tion du P.E.N. Club français (2022) dans la sec­tion « théâtre » pour la tra­duc­tion avec Sébastien Gri­court de la pièce : Vol au-dessus d’un théâtre du Koso­vo de Jeton Nezi­raj (L’Espace d’un instant, 2020), elle avait été aupar­a­vant final­iste du Prix Révéla­tion de la tra­duc­tion de la SGDL (2018) et du Prix Pierre-François Cail­lé de la SFT (2019) pour sa tra­duc­tion du roman de Rid­van Dibra : Le Petit Bala. La légende de la soli­tude (Edi­tions le Ver à Soie, 2018).

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