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Bernard Grasset , Fontaine de Clairvent

 Une lampe éclaire le destin
 Des matins et des soirs marcher »

(Vendredi 5 mai 2023 Causses du Quercy)

De 2021 à 2022, au fil des jours, au fil des saisons, Bernard Grasset a rédigé soixante-quatorze quatrains, une forme brève qui concentre la force de l’écriture, la force d’une inspiration méditative au plus près du silence et une écriture au plus près de la nature quand l’homme devient marcheur et que le poète regarde et écrit

Chaque quatrain s’inscrit dans un espace-temps et cette invitation au voyage commencée le dimanche 14 mars 2021 à la Chaume Paracou, s’achève le mercredi 7 juin 2023 à l’Ile-d’Yeu.

Ce journal poétique est aussi un pèlerinage intime, une incitation à regarder, à sentir et ressentir, à poser ses pas sur le sable, le sable… celui aussi du sablier qui égrène le temps car «  tout s’efface, tout s’oublie » , mais pour ne pas oublier, les mots des quatrains pour saisir l’instant, tous ces instants vécus dans le secret qui murmurent « le chant des vagues » et au commencement du jour, mettre «  nos pas dans le matin » pour retrouver le vent et « les monts au bord du ciel » pour que naissent aussi les mots  au bord du ciel .

Cheminer du silence à la lumière, marcher et méditer pour entrer au plus intime de son être et parfois rejoindre l’enfance, marcher et s’ouvrir à l’infini.

Un élément l’eau et une couleur le bleu sont  deux occurrences constantes, l’eau de mer, l’eau des fleuves et surtout celle de la Loire, l’eau des fontaines celle du mont Beuvray ou celle de Lorèze. Des fontaines qui ne sont pas sans rappeler la fontaine bretonne de Brocéliande.

Bernard Grasset, Fontaine de Clairvent, éditions Au Salvart, 2023, 50 pages, 12 €.

Des fontaines de jouvence qui ouvrent à l’ailleurs ; le bleu celui de l’eau et celui du ciel pour entendre le « chant bleu d’oiseau » franchir « la porte bleue » et en cueillir « l’instant bleu ». Le bleu, la couleur dominante des illustrations qui accompagnent les mots de Bernard Grasset, le bleu des aquarelles et encres monotypes de l’artiste Isaure. Le bleu, ce « calme muet » qu’évoque Vassily Kandisnsky.

Les quatrains pour l’essentiel sont souvent rédigés en phrases nominales avec verbe à l’infinitif, et souvent aussi dans un rythme binaire pour se calquer sur le rythme des pas. « de silence/et d’espérance » « tout commence/ tout s’achève », des mots qui donnent l’impression d’être nés pendant la marche, au plus près des sensations éprouvées.

La nature est poème, les mots pour en capter le mystère. La poésie est offerte, partagée, elle ouvre sur le mystère, sur la lumière comme « l’aube au creux des mains ».

Parcourir une contrée, c’est aussi entrer en « pays de mémoire » parfois sur les pas d’un Autre qui a su aller à la rencontre des plus petits, des enfants, qui a su désaltérer la Samaritaine venue au puits , qui a su partager le pain, un pain de Vie :

Voix d’enfants, puits, Cène
Revenir au pays de mémoire 

Le poète dit l’invisible, il marche vers l’au-delà du visible, par sa marche il incarne sa parole et sait « Etre homme de Clairvent ».

Extraits

Terre blanche, silence,
Chalet, tant de lumière,
Celui qui atteint les cimes oublie,
Echo de pas, bleu éclat.

(dimanche 6 mars 2022 Lac des confins)

L’eau reflète les feuillages
Harpe de l’heure immobile
Grue rouge, bateau blanc, un banc
Le ciel abrite les passants.

(jeudi 2 février 2023 Nantes, canal Saint-Félix)

 

Présentation de l’auteur

Bernard Grasset

Poète, penseur et traducteur, Bernard GRASSET, régulièrement publié en revues depuis 1985, est l’auteur d’une vingtaine de recueils inspirés librement de la Bible, des peintres et des musiciens ou de ses voyages. Expérimentateur d’une écriture poétique bilingue à travers des recueils écrits en hébreu – français et en grec – français, il est également le premier traducteur de la poétesse Rachel en français. Tout en poursuivant la traduction de l’œuvre de cette poétesse, il s’est tourné plus récemment vers la traduction de trois poètes grecs contemporains de la lumière.

Associant la poésie à la pensée, il a publié plusieurs essais sur la Bible et sur Pascal dont il est devenu spécialiste, ainsi que des articles philosophiques ou littéraires en France et à l’étranger.

Écrire, pour Bernard Grasset, c’est comme remonter aux sources, à travers les langues et les cultures fondatrices, pour dégager la voie d’une autre modernité, d’un nouvel humanisme.

Dernières publications : Brise, J. André, 2020 ; Ainsi parlait Blaise Pascal, Arfuyen, 2020.

 

crédit photo © Wikipedia

Poèmes choisis

Autres lectures

Chemin de feu, peinture et poésie, de Bernard Grasset

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Bernard Grasset, Brise

Dans le premier livre des Rois, le prophète Elie rencontre Celui que son cœur cherchait dans le murmure d’une brise légère.

Brise : c’est le titre de ce recueil ; or, après cette brève rencontre, Dieu dit à Elie : « repars par le chemin du désert ».

Ce chemin, c’est une quête qui traverse tout le recueil de Bernard Grasset, le poète met ses pas dans ceux d’Elie, il parcourt un chemin d’exil et emmène le lecteur à sa suite ; dès le premier poème, il nous invite à : « Partir s’arracher/… marcher ». Toute vie est chemin et le plus souvent parcouru dans le « feu de l’exil ».

Le poète comme le prophète habite la terre, guette le secret, la Présence et sait que dans le désert on trouve aussi la manne. Il nous emporte en cette communion de la terre et du ciel, en ce partage du pain et du vin. S’associent ici le pain du souvenir : la manne et « le vin de l’avenir » ; résonnent alors comme un écho des paroles christiques : « ceci est mon corps, ceci est mon sang ».

La brise ne cesse de traverser ce recueil, qu’elle soit « la brise du soir » ou regardée « dans les bruns feuillages », elle est toujours : « brise de l’enfance ».

Bernard Grasset Brise Jacques André éditeur coll. Poésie XXI, 2020, 44 p. 13 €.

Cette brise venue à la rencontre d’Elie avant l’injonction qui lui sera faite de repartir sur le chemin du désert, souffle encore aujourd’hui « au secret de l’homme » et inspire toujours les mots du poème. Le recueil s’achève sur ces vers :

 

La brise souffle encore
Au secret de l’homme,
Et les pages de la vie
S’exhalent en poème

 

En ce recueil, nous cheminons sur des chemins d’Orient, en des déserts habités par des bergers et des rois qui découvrent un jour ensemble dans une auberge qu’est né le Signe de vérité. De l’Ancien Testament au Nouveau Testament, le poète nous guide sur les traces du prophète Elie qui se désaltère près du torrent de Kerith à l’est du Jourdain. Elie qui préfigure le Christ dont la présence bien que tue est si forte ; dans l’avant-dernier poème on y retrouve le pain et le vin, le mont des Oliviers, la croix dressée, la pierre du tombeau bien sûr et les aromates apportés à l’aube du troisième jour ; on est bien devant le tombeau  à la rencontre de ce souffle de l’Esprit qui fera courir celle qui l’entend, pour aller porter la bonne nouvelle d’un « cœur brûlant » :

 

Le blé et la vigne
Ombres d’oliviers,
Les mots saignent
A l’heure de veiller.
La croix et la nuit,
Coupe de silence,
Sur le mont solitaire
Il n’est plus qu’un cri.
La pierre et le souffle,
Aromates de l’aube,
Courir, murmurer,
Ô cœur si brûlant.

 

La grande force de ce recueil, c’est de mener sur ces chemins de spiritualité tout homme, qu’il croit au ciel ou qu’il n’y croit pas, qu’il connaisse ou pas les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament ; car le chemin d’Elie c’est aussi le chemin de tout homme, les paysages bibliques sont en osmose avec ceux d’Occident ; le peuplier et le chêne côtoient le sycomore et le figuier.

Le poète est comme le prophète, un témoin, il est donc appelé à témoigner de ce souffle et de cette lumière qu’il a rencontrés et il se doit comme le fait Bernard Grasset « d’écrire la lumière ».

                                                                                                     

Quelques poèmes extraits du recueil :

Partir, s’arracher,
Alliance d’étoiles,
Présence voilée.
Sable du désert,
Tente d’exil,
Marcher, se souvenir.
Chêne, éclat de midi,
Temps d’hospitalité,
Trois d’hospitalité,
Trois ombres s’approchent.
La déchirure, le puits,
Promesse de miel,
La vie devient chemin.

(p.11)

 

 

Les ailes et le temple,
Une flèche de lumière,
Les îles du silence,
Le poème s’embrase.
Un joug solitaire,
L’amandier et le cœur,
Oracle d’enfance,
Bâtir, semer.
La roue de l’exil,
Le livre de miel,
Sur les ossements gris
Viennent les grands vents.

(p. 21)

 

Barques et filets,
Lac scintillant,
Tu écoutes et devines.
Le monde de l’ombre,
La soif des signes,
Quitter le néant.
C’est l’heure pourpre,
Témoin et ami,
Ecrire la lumière.
Le vent souffle encore,
Proche et lointain.
Le vent du mystère.

(p.31)

 

 

 

Présentation de l’auteur

Bernard Grasset

Poète, penseur et traducteur, Bernard GRASSET, régulièrement publié en revues depuis 1985, est l’auteur d’une vingtaine de recueils inspirés librement de la Bible, des peintres et des musiciens ou de ses voyages. Expérimentateur d’une écriture poétique bilingue à travers des recueils écrits en hébreu – français et en grec – français, il est également le premier traducteur de la poétesse Rachel en français. Tout en poursuivant la traduction de l’œuvre de cette poétesse, il s’est tourné plus récemment vers la traduction de trois poètes grecs contemporains de la lumière.

Associant la poésie à la pensée, il a publié plusieurs essais sur la Bible et sur Pascal dont il est devenu spécialiste, ainsi que des articles philosophiques ou littéraires en France et à l’étranger.

Écrire, pour Bernard Grasset, c’est comme remonter aux sources, à travers les langues et les cultures fondatrices, pour dégager la voie d’une autre modernité, d’un nouvel humanisme.

Dernières publications : Brise, J. André, 2020 ; Ainsi parlait Blaise Pascal, Arfuyen, 2020.

 

crédit photo © Wikipedia

Poèmes choisis

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Refrain, de Bernard Grasset

 

 

Aux « rives de l’ailleurs » 

Cet ouvrage rassemble des poèmes composés entre 2003 et 2005, inspirés pour les premiers par la peinture, pour les suivants par la musique ; il prolonge la démarche entreprise dans de précédents livres. Chacune des deux sections compte 18 poèmes de quatorze vers libres, segments de phrases ou syntagmes nominaux brefs, comptant le plus souvent 4 à 7 syllabes. On devine que le poète veut, par ce laconisme quasi asyntaxique, construire le poème comme un collage d’éléments décontextualisés, ramenés à l’essentiel. En témoignent l’usage fréquent du zeugme (« La soif et l’amitié », p. 14 ; « colonnes de présence », p. 31), de l’article défini de notoriété (« le geste de la liberté », p. 14 ; je souligne), les hypallages (« Arcades patientes », p. 32 ; « Colline indicible », p. 37), les éléments descriptifs souvent en apposition, les constructions duales (un grand nombre de vers sont formés de deux termes coordonnés par « et »).

Refrain, de Bernard Grasset, Lyon, Jacques André éditeur, coll. Poésie XXI, 2017, 56 p., 11€

Refrain, de Bernard Grasset, Lyon, Jacques André éditeur, coll. Poésie XXI, 2017, 56 p., 11€

Chaque poème de la première section est coiffé du nom du peintre dont les toiles l’ont inspiré. Cette association fait surgir dans l’esprit du lecteur, au cours de sa lecture, l’image d’une chimère composée des œuvres du peintre qui lui sont familières. Ainsi, le lecteur se fait un Chagall imaginaire des Chagall fondus dans le poème de la p. 23, et s’il n’a pas précisément en tête « The Ludwigskirche In Munich », il voit en son for intérieur une toile de Kandinsky, le poème lui fournissant juste assez d’éléments évocateurs pour que cette toile intérieure représente une église comme la toile originale. En consultant un fonds d’images numérisées, on devine que le poème de la p. 26 fait se rencontrer des toiles appartenant à différentes séries (rurale, circassienne et inspirée de l’iconographie orthodoxe) de Rouault, comme le poème suivant condense les estampes que ce peintre a réunies dans son ouvrage spirituel Miserere.

Je crois reconnaître en « An Die See Und An Die Sonne » (« Vers la mer et le soleil ») la toile de Kandinsky qui a inspiré le poème de la p. 24. J’y vois ce que B. Grasset a traduit par « l’angle du matin ». Mais le poème m’avait évoqué une tout autre image. Faut-il y voir un échec du poème ? Non, s’il avait vocation à autre chose qu’à produire dans mon esprit une représentation mimétique de la toile. Le poème de la p. 14, inspiré, à ce que je devine, par une « Cène » du Tintoret, montre comment le poète, à l’instar du peintre, amalgame l’ensemble des épisodes formant un récit (en l’occurrence, tentation au désert, dernier repas, trahison, calvaire) en peu de lignes, épurées autour de quelques suggestions. B. Grasset ne cherche pas à traduire la toile en poésie verbale, il la filtre, en recueille des parcelles dont il fait une chose autre. La représentation picturale est pré-texte et prétexte, les toiles se fondent dans les « paysages intérieurs » (« Avant-propos », p. 8) du poète, paysages entraînés dans le mouvement d’une quête à caractère mystique, « la recherche, à travers un autre langage, d’un lointain qui murmure le sacre de l’aurore » (Ibid.).

Ce murmure sacré, le croyant croit l’entendre bruisser dans les représentations de l’histoire sainte comme dans des toiles qui me semblent être profanes. Le poème de la p. 24 mentionne un « sablier [qui] murmure ». Ce sablier, je ne le retrouve pas dans la toile de Kandinsky précitée qui, comme je l’ai avancé, a sans doute inspiré le poème. On retrouve un « horizon [qui] murmure » p. 28, dans un poème qui me paraît inspiré de « Paysage avec barque sur l’eau » de Rouault, où je ne saurais dire si l’horizon murmure. Dans le « Paysage aux deux chênes » de Van Goyen, le poète voit que « Dans les feuillages / Souffle le vent. Un poème s’élève. » (p. 16) ; je ne vois rien de cela. Même remarque concernant le poème de la p. 17, issu de la fusion de toiles de Van Goyen, où intervient un « Je » qui « écoute le vent » (un message, sans doute), jusqu’à ce que la fin du poème évoque des mots qui résonnent comme une « alliance » de la terre et du ciel. Il est convenu de dire que le poète voit ce que le non poète ne sait pas déceler ; appliquée à une poésie religieuse, cette tradition relègue l’athée dans l’erreur et l’aveuglement, ce avec quoi je ne saurais m’accorder. Renseignements pris, il s’avère que Chagall, Kandinsky, Rouault (pas Van Goyen) ont peint des épisodes bibliques, mais pas nécessairement dans les toiles précédemment citées. Je ne sais donc dans quelle mesure B. Grasset extrapole, je ne sais s’il y reconnaît l’expression des convictions religieuses des peintres, ou s’il y ajoute des souffles, des murmures, donc des messages (peut-être les « signes » qui sont régulièrement mentionnés au fil du recueil) pour tirer les toiles, avec ses poèmes, dans une direction mystique. Si, parmi les toiles inspiratrices, il en est de profanes, le lecteur athée pourra être froissé par la liberté qu’aura prise l’auteur de leur attribuer une dimension qui n’était pas dans les intentions du peintre ; reste que chacun est absolument libre d’entretenir avec une œuvre d’art une relation qui lui est personnelle, qu’il se choisit, sans considération des intentions de son créateur, car les intentions des artistes ne peuvent prétendre circonscrire les effets de la culture qu’elles ont produite. Le poème de la p. 11, inspiré de Fra Angelico, est sans doute issu de la contemplation d’une Nativité ou d’une Annonciation ; dans le second cas, je dirais qu’il s’agit plutôt de celle du Musée de la Basilique Santa Maria delle Grazie que de celle du couvent San Marco car, s’inspirant de celle de San Marco, comment ne pas se saisir des couleurs délicieuses et surprenantes des ailes de l’ange ? Si je digresse ainsi pour parler de mon Fra Angelico, c’est pour amener l’idée que nous ne voyons pas tous la même chose lorsque nous contemplons une même toile, et que nos voyages parmi les œuvres suivent des logiques variées. B. Grasset y voit les signes et le sens que sa foi lui fait rechercher, et que l’athée que je suis n’y cherche pas, concentrée sur d’autres aspects, où le mysticisme n’intervient que comme clé de lecture historico-sociologique de compréhension des conditions de conception et de réception des œuvres.

B. Grasset semble vouloir que sa poésie participe au murmure mystique auquel il croit, ce qui explique peut-être le titre de Refrain. Littré nous apprend que le refrain, étant étymologiquement lié au latin refringere (« briser », d'où « se réfracter »), est aussi ce qui se réfléchit, se répète. Plusieurs poèmes sont encadrés de deux vers qui se font écho : « Un homme s’éloigne […] Un poème s’élève » (p. 16), « L’eau et le ciel, […] La terre et le ciel » (p. 17), « Arcades de présence, […] Arcades de sérénité. » (p. 25). Ces échos aux frontières des poèmes sont structurants, analogiques ; ils disent un ordre du monde révélé (selon le croyant) ou inventé (selon l’athée) par le poète. Dans le poème inspiré de J. Van Ruisdael se superposent diverses mesures du temps : « Les arches du temps », « le pas des hommes », le début des moissons et l’attente de l’aurore ; c’est en cette conjonction de temporalités que le poète veut « Guetter les signes », entendre « L’appel du secret » (p. 18). B. Grasset fait se réfléchir les toiles les unes dans les autres ; ainsi de « Paysage avec pont de pierre » et de « Philosophe en méditation », deux toiles de Rembrandt que son poème articule autour d’une virgule, créant un mouvement circulaire depuis le « paysage » vers le cabinet de travail du philosophe, lui-même assis de façon à observer ce qu’il y a – un paysage peut-être – au-delà d’une large fenêtre.

Autre forme de refrain : la répétition de mots porteurs d’une charge symbolique spéciale dans le cadre de la référence chrétienne ; on peut voir dans cette espèce de litanie la traduction d’un exercice spirituel de l’auteur. L’écriture des poèmes aurait donc valeur d’ascèse pour celui-ci. Mais il ne peut s’agir d’une démarche uniquement personnelle, puisqu’il propose ces textes à la publication. Le poète est martyr au sens grec du mot, il est « témoin », comme en écho aux martyrs de l’histoire chrétienne qui peuplent le recueil (p. 13 et 20). « J’écoute, je marche / Témoin bouleversé / Attendant l’aurore. » (p. 36). Ainsi, le poète convie le lecteur à suivre son chemin de croyant depuis les « rives de l’ailleurs » (p. 20) ; libre au lecteur de prendre le large à ses côtés, ou de demeurer sur le littoral, en retrait, pour observer à distance son cheminement.

La quatrième de couverture de Recueillement exprime le projet de ce précédent ouvrage de B. Grasset ((Éditions du Petit Pavé, 2005.)), par l’emploi figuré des termes habituel dans le discours spirituel : « Recueillement demeurera mon chant des profondeurs. Qu’il puisse rejoindre ceux qui cherchent dans les méandres du monde, incliner le regard du côté du mystère et laisser la trace, dans la neige du silence, du pas de l’Ami. » La quatrième de couverture de Refrain annonce que B. Grasset est l’auteur « d’une vingtaine de recueils inspirés librement de l’Écriture », mais il n’est nulle part signifié que le livre est intégralement orienté par la recherche spirituelle de l’auteur. Ainsi, le poème de la p. 40 renvoie à « Bruckner, Symphonie no 9 en ré mineur », sans dire qu’elle fut dédiée à Dieu par le compositeur. Celui de la p. 46 renvoie à « O. Messiaen, Quatuor, V », pour référer au Quatuor pour la fin du temps, partie « V. Louange à l’Éternité de Jésus ». B. Grasset parle de la « Poignante lenteur, / Violon et piano » qui accompagne le retour de l’« Ami », Jésus, ce qui correspond bien à ce « mouvement très lent [qui] réunit le violoncelle et le piano ». J’ignorai les convictions ou les sources d’inspiration des peintres et compositeurs choisis par l’auteur (selon des critères spirituels et non pas seulement esthétiques, apparemment), et c’est l’Internet qui m’a renseignée à ce sujet ; j’aurais préféré qu’une mention explicite sur l’ouvrage m’apprenne d’emblée son orientation religieuse, afin d’entrer dans la lecture en connaissance de cause.

Peu de lecteurs auront en tête tout, ou seulement partie, du répertoire pictural et musical qui a inspiré le recueil. Je suis partie presque sans bagage, mais je suis revenue souvent sur mes pas, l’Internet à mes côtés, pour repasser devant ce que j’avais vu à mon premier passage, afin d’élargir ma compréhension de la démarche de B. Grasset. D’autres lecteurs, qui n’ont ni culture religieuse, ni article à écrire, ne feront pas ces allers-retours. La proposition de B. Grasset, s’adressant de façon privilégiée à une communauté nourrie de culture religieuse, a des chances de rencontrer son public malgré cette difficulté. Par le lectorat le plus large, l’ouvrage sera peut-être perçu comme élitiste car, considéré comme une invitation à découvrir des œuvres, il demande au lecteur de faire un effort, de passer à l’action de la découverte pour co-construire une culture artistique commune avec l’auteur.

La seconde section, où l’auteur fait référence à des compositeurs, non plus à des peintres, associe de façon récurrente les trois termes : souffle, jardin, souvenir. Cette importance du souvenir est peut-être à relier au fait que les poèmes de cette section semblent avoir un point d’ancrage autobiographique. Il me semble qu’ils réfèrent au moment vécu par l’auteur, alors qu’il écoutait la musique, plutôt qu’ils n’évoquent la musique elle-même (on pourrait en effet interchanger les noms des compositeurs sans que cela modifie la réception du poème, ce qui n’était pas le cas dans la section I). Le lien du texte avec l’œuvre musicale à laquelle il est associé est nettement plus lâche que lorsqu’il s’agissait de peinture, les caractéristiques qui spécifient les œuvres sont quasi inexploitées. Pour cette raison, ces poèmes pourraient être moins dépendants de la culture du lecteur que ceux qui étaient liés à la peinture, et donc plus généralement accessibles.




Chemin de feu, peinture et poésie, de Bernard Grasset

 

Bernard Grasset sur un « chemin de feu »

 

    Il qualifie son livre de « journal poético-pictural en quête de lumière ». Bernard Grasset voit juste à propos de l’entreprise artistique qu’il a menée en compagnie du peintre Glef Roch. « Un chemin de ferveur humaine, un chemin de lumière malgré l’angoisse et les ténèbres », déclare-t-il dans la préface à son ouvrage.

     Avec Bernard Grasset, il n’y a vraiment pas de surprise. Et c’est tant mieux. Nous voici de plain-pied avec lui dans un « lyrisme de l’intériorité ». Ce qu’il creuse dans chacun de ses livres, comme il le dit si bien, c’est « le sens de la profondeur de l’existence, le sens de l’invisible, d’un indicible si tenu et pourtant totalement fondateur ».

     Il y a un fil rouge pour mener à cet indicible, c’est le chemin, décliné ici en « chemin rouge » ou « chemin de feu ». L’importance symbolique de ce chemin saute, bien entendu, aux yeux. Il a quelque chose à voir avec la Voie, magnifiée sous d’autres cieux et dans d’autres cultures, mais sûrement aussi avec le chemin qu’indique le Christ (« Je suis le Chemin, la vérité et la Vie »). Pour autant, Bernard Grasset n’alourdit pas son texte de références bibliques. Il ne force pas le trait, même si certains titres de poèmes (en résonance avec les peintures) indiquent bien à quelle source il puise : « Ascension », « Pieta », « Terre d’Israël », « Procession »… Il y a aussi la référence explicite à la figure de Job dans le poème intitulé « Souffrant ».

         Lisons donc avec ferveur ces beaux textes en prose poétique de l’auteur. « Tu sais l’alliance de la parole et du silence. Un battement d’ailes monte de la nuit. Comme une coulée de lumière. Créer et lutter. Au plus secret du cœur » (extrait du poème intitulé « Surgissement »). Ou ceci encore : « Quand le soleil est brûlant, s’effacent les heures. Penser à l’autre versant. Célébrer les mots et les couleurs. Un peu de lointain dans les paumes rougeoyantes » (poème intitulé « en route vers la maison »).

         Bernard Grasset est un homme des marges. Il est d’origine vendéenne,  né aux confins de la Bretagne, de l’Anjou et du Poitou. Ses marges sont aussi spirituelles. « Lumière dans les champs de blé. Ecrire et peindre. Peindre et écrire. La langue de feu apprend les ultimes paroles » (extrait du poème intitulé « chemin de feu »).

     Veilleur, incontestablement, Bernard Grasset se révèle ici, plus que jamais, comme un « poète des présences », dans des textes illuminés par les peintures fulgurantes de Glef Roch.