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Perrine Le Querrec, Vers Valparaiso

« Et nous irons à Valparaiso où d’autres laisseront leur peau. » Ce vers de la très belle chanson de marins Nous irons à Valparaiso n’apparait pas dans l’ouvrage haletant de Perrine Le Querrec ; le nom même de Valparaiso est ignoré. Seul le titre témoigne de la quête. C’est un livre sur l’écriture, l’acte d’écrire, l’art de penser l’écriture – de se perdre définitivement sans mourir dans l’écriture. On pense l’écriture avec toutes les ressources extérieures au geste et avec celles que recèlent le corps de l’écrivain et sa pensée.

Mais la musique, le chant, si bien portés par Marc Ogeret en son temps et par le capitaine Haddock dérivant dans l’espace dans On a marché sur la Lune, la petite musique de la lente dérive de l’écrivain vers Valparaiso, le port ultime de la pensée totale, cette petite musique hante les pages de l’ouvrage :   et ho-hisse et ho !

Les ressources extérieures sont multiples : des plus petits objets, les grains du sol, l’orange, aux plus imposants, les toits de l’usine… La ressource intérieure est infinie et mêlée intimement à l’environnement ; l’éthologie n’est pas absente non plus des ressources de l’écrivain. Les bêtes écrivent aussi dans sa tête aux milliers d’yeux : des animaux à vouvoyer là où l’humain… note Le Querrec, ou encore un poulet à gagner des visages avides. L’image d’un singe sur l’épaule, comme celui du général Pichegru, reclus en Guyane à la fin du XIXème siècle : un ouistiti, le plus sûr compagnon de son Journal. Toutes les ressources de la symbolique, de la métaphore sont engagées durement par l’artiste. L’écrivain est un artiste, c’est le pari de Perrine Le Querrec. 

Perrine Le Querrec, Vers Valparaiso, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune, Bruxelles, 2019, 102 pages, 16 euros.

Il n’est pas celui qui raconte une histoire forcément attachée à l’actualité et ainsi liée au monde du commerce et de la rentabilité immédiate du livre. L’art est au-dessus de cette position.

Le titre d’abord : la première page intitulée Titre de Vers Valparaiso cache Valparaiso pour mieux le dévoiler dans les arcanes de la pensée ; le développement en boucle reviendra par La Fin (dernière page) au début, soit au Titre, grâce à ce Jamais jamais plus nue que nue dans la salle des nus jamais jamais. Ainsi le titre est nu, jamais prononcé il ne sera. Mais toujours sera porté par la petite musique des voies et voix explorées.

Revenons, juste le temps d’une phrase, à l’intime, à la ressource intérieure : elle dit, Perrine Le Querrec, sur le chemin de Valparaiso, les lèvres flottent autour des mots, ou encore, je suis enceinte des livres. On soupçonne des grossesses pathologiques. Il faut aller jusqu’au noir […] le monde n’arrête pas de tomber. Il est temps de déshabiller le cheval. Formule extraordinaire, qui dit plus qu’un roman. Déshabillons-le ce cheval d’envie.

L’acte d’écrire se meut dans ces entrelacs mais il ne s’y résout pas. Cheval déshabillé, écriture déshabillée, acte majeur et souverain. Loin de l’industrie littéraire qui « répond » à la demande supposée des lecteurs et qui, en fait, assèche l’écriture en la réduisant à un simple moyen de raconter des histoires sans qu’il soit besoin de penser, surtout pas, Perrine Le Querrec renoue avec l’écriture magique, vectrice du chant venu des profondeurs, de l’ancien. Comment ? En bannissant une ponctuation régulière trop écrite et banalisant le sens, elle œuvre pour l’émergence d’une littérature cherchant l’empreinte pure, et propose au lecteur plus un travail qu’une lecture. Mais un travail réjouissant, poétique, à l’école de tous les dieux accompagnant le naturel – sous le regard de Baruch de Spinoza  ; pourquoi là une virgule et pas ici (point ici sèmerai le trouble) ? Parce que. Parce qu’il faut cesser de se raconter des histoires convenues, il faut désapprendre à être trop raisonnable et enfermé dans la boite à quatre coins qu’on appelle livre marchandé, normé ; la ponctuation arrachée à sa norme soulève le livre, le « machine » à l’envers, en fait une arme à penser ce qui n’est pas écrit mais possible. Lisons et écoutons cette musique :

En rond

Tourne en rond

Tourne mes pages en rond

Je tourne en rond mes pages

Mets en pièce et reconstruit l’univers

La phrase se recourbe et enroule ses

tourbillons parfaits

Son rythme me noie, me dévoile me noie,

insatiable inlassable

Emportée par le courant de la raison,

si j’aspire une grande bouffée de mots

survivrais-je ?

 

Me dévoile me noie… mis en exergue entre deux rares virgules… au loin se devinent les lumières du port de Valparaiso.

Présentation de l’auteur




Perrine Le Querrec, Vers Valparaiso

« Et nous irons à Valparaiso où d’autres laisseront leur peau. » Ce vers de la très belle chanson de marins Nous irons à Valparaison’apparait pas dans l’ouvrage haletant de Perrine Le Querrec ; le nom même de Valparaiso est ignoré. Seul le titre témoigne de la quête. C’est un livre sur l’écriture, l’acte d’écrire, l’art de penser l’écriture – de se perdre définitivement sans mourir dans l’écriture.

On pense l’écriture avec toutes les ressources extérieures au geste et avec celles que recèlent le corps de l’écrivain et sa pensée. Mais la musique, le chant, si bien portés par Marc Ogeret en son temps et par le capitaine Haddock dérivant dans l’espace dans On a marché sur la Lune, la petite musique de la lente dérive de l’écrivain vers Valparaiso, le port ultime de la pensée totale, cette petite musique hante les pages de l’ouvrage :   et ho-hisse et ho !

Les ressources extérieures sont multiples : des plus petits objets, les grains du sol, l’orange, aux plus imposants, les toits de l’usine… La ressource intérieure est infinie et mêlée intimement à l’environnement ; l’éthologie n’est pas absente non plus des ressources de l’écrivain.

Perrine Le Querrec, Vers Valparaiso, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune, Bruxelles, 2019, 102 pages, 16 euros.

Les bêtes écrivent aussi dans sa tête aux milliers d’yeux : des animaux à vouvoyer là où l’humain… note Le Querrec, ou encore un poulet à gagner des visages avides. L’image d’un singe sur l’épaule, comme celui du général Pichegru, reclus en Guyane à la fin du XIXème siècle : un ouistiti, le plus sûr compagnon de son Journal. Toutes les ressources de la symbolique, de la métaphore sont engagées durement par l’artiste. L’écrivain est un artiste, c’est le pari de Perrine Le Querrec. Il n’est pas celui qui raconte une histoire forcément attachée à l’actualité et ainsi liée au monde du commerce et de la rentabilité immédiate du livre. L’art est au-dessus de cette position.

Le titre d’abord : la première page intitulée Titrede Vers Valparaisocache Valparaiso pour mieux le dévoiler dans les arcanes de la pensée ; le développement en boucle reviendra par La Fin(dernière page) au début, soit au Titre, grâce à ce Jamais jamais plus nue que nue dans la salle des nus jamais jamais. Ainsi le titre est nu, jamais prononcé il ne sera. Mais toujours sera porté par la petite musique des voies et voix explorées.

Revenons, juste le temps d’une phrase, à l’intime, à la ressource intérieure : elle dit, Perrine Le Querrec, sur le chemin de Valparaiso, les lèvres flottent autour des mots, ou encore, je suis enceinte des livres. On soupçonne des grossesses pathologiques. Il faut aller jusqu’au noir […] le monde n’arrête pas de tomber. Il est temps de déshabiller le cheval. Formule extraordinaire, qui dit plus qu’un roman. Déshabillons-le ce cheval d’envie.

L’acte d’écrire se meut dans ces entrelacs mais il ne s’y résout pas. Cheval déshabillé, écriture déshabillée, acte majeur et souverain. Loin de l’industrie littéraire qui « répond » à la demande supposée des lecteurs et qui, en fait, assèche l’écriture en la réduisant à un simple moyen de raconter des histoires sans qu’il soit besoin de penser, surtout pas, Perrine Le Querrec renoue avec l’écriture magique, vectrice du chant venu des profondeurs, de l’ancien. Comment ? En bannissant une ponctuation régulière trop écrite et banalisant le sens, elle œuvre pour l’émergence d’une littérature cherchant l’empreinte pure, et propose au lecteur plus un travail qu’une lecture. Mais un travail réjouissant, poétique, à l’école de tous les dieux accompagnant le naturel – sous le regard de Baruch de Spinoza  ; pourquoi là une virgule et pas ici (point ici sèmerai le trouble) ? Parce que. Parce qu’il faut cesser de se raconter des histoires convenues, il faut désapprendre à être trop raisonnable et enfermé dans la boite à quatre coins qu’on appelle livre marchandé, normé ; la ponctuation arrachée à sa norme soulève le livre, le « machine » à l’envers, en fait une arme à penser ce qui n’est pas écrit mais possible. Lisons et écoutons cette musique :

 

En rond
Tourne en rond
Tourne mes pages en rond
Je tourne en rond mes pages
Mets en pièce et reconstruit l’univers
La phrase se recourbe et enroule ses
tourbillons parfaits
Son rythme me noie, me dévoile me noie,
insatiable inlassable
Emportée par le courant de la raison,
si j’aspire une grande bouffée de mots
survivrais-je ?

 

Me dévoile me noie… mis en exergue entre deux rares virgules… au loin se devinent les lumières du port de Valparaiso.

 

Présentation de l’auteur




RUINES, de Perrine Le Querrec : L’éblouissement

Unica Zürn (Berlin 6 juillet 1916 – Paris 19 octobre 1970) est une plasticienne et poète. Elle rencontra Hans Bellmer (Kattowice 13 mars 1902 – Paris 23 février 1975) en 1953 ; Bellmer l’introduisit dans les milieux artistiques parisiens, notamment auprès du groupe surréaliste. De leur union fusionnelle, de leur relation sado-masochiste, l’œuvre d’Hans Bellmer, répétant à l’envi des poupées désarticulées, des représentations d’Unica dans l’enfermement du corps, a trouvé sa substance. Au détriment d’Unica ?

Les amants vécurent un enfer programmé de 1957, date de la première hospitalisation d’Unica, dépressive, dans l’univers psychiatrique, à 1970, date d’une dernière hospitalisation suivie du suicide d’Unica se jetant par la fenêtre de l’appartement parisien de Hans Bellmer (devenu hémiplégique en 1969 et profondément mutique depuis). C’est cette relation perturbée que décrit Perrine Le Querrec dans Ruines.

Voyage impossible et pourtant. Unica Zürn et Hans Bellmer ne voyagent pas ensemble dans l’ouvrage de Perrine le Querrec. Non, pas ensemble, séparés, amants régurgités, l’un à côté de l’autre mais séparés. Deux histoires qui se cognent ; seul le corps d’Unica souffre. L’autre ne souffre pas et se contente d’éjaculer une œuvre d’art. Éjaculer, est-ce voyager ensemble ? Le Querrec écrit : « Le trou violet foré jusqu’à l’os / Une blessure sans cesse à combler / Et Hans aura beau manipuler… » Il manipule Hans Bellmer, en pervers narcissique, clope au bec, jamais il ne voyage. Manipulateur. Il distrait les voyeurs immobiles avec le corps violé d’Unica criant de vérité, saucissonné, assaisonné. « Unica assise dans un silence de presque morte. », « Unica la vicieuse / Hans sodomise… » L’histoire morte d’Unica contée par Perrine le Querrec pénètre la bouche foireuse d’Hans Bellmer, lui fait un linceul de mots (car Unica est poète et Perrine Le Querrec est grosse de ces mots ; une femme peut en ensemencer une autre, le transfert s’établit), lui mord la langue, lui arrache la langue.

Hans Bellmer, la bête aimée aux mille postures, regarde de travers la belle Unica, jamais de face. Hans

 

jamais ne désherbe / Les racines du mal qui / Soulèvent Unica, la fendent, la ruinent… 

 

La poésie de Perinne Le Querrec, qui ose s’attaquer au monstre formé par Unica et Hans, un monstre en ruines, est à chaque ligne une blessure. Aucune fécondation n’émerge cependant de ce livre absolu (contenu dans le temps contenu), le plus beau, le plus laid, tant le geste laid d’Hans Bellmer vient polluer le sexe vivant, les lèvres petites et grandes d’Unica que Perrine Le Querrec berce au creux de sa plume.

Il est un moment ou l’extrême vérité du corps révélé au jour, le martyre du corps rabouté, ficelé, devient éblouissement de l’âme, la grande lumière noire effaçant l’idée de beauté même. C’est ce que raconte Perrine Le Querrec dans Ruines, le livre de l’éblouissement.

 




Perrine Le Querrec, Ruines

C'est une poésie noire, un drame poétique que nous propose Perrine Le Querrec, avec Ruines, publié aux éditions Tinbad. Une poésie dérangeante, fouillant le glauque, le sordide d'une vie de souffrance et de la relation de folie amoureuse et créatrice entre Unica Zürn et Hans Bellmer.

Unica Zürn était une artiste et écrivaine d'origine allemande, née en 1916 et proche des surréalistes français. A partir de 1953, elle entame à Paris une relation destructrice avec le plasticien Hans Bellmer. C'est cette relation, étudiée à partir de leur correspondance, que Perrine Le Querrec intitule Ruines.

Voici ce que dit l'auteure dans sa note d'intention : "J'écris par la voix d'Unica. Je pose des mots, les reprends, les soustraie au regard lorsqu'elle s'enfonce dans l'obscur de la psychose, lorsque les traitements oblitèrent son langage. J'écris concis, portée par la fragilité d'Unica, forcée par le respect de ces personnalités balayées par de trop grands vents." Il ne s'agit donc pas d'une biographie et dans sa postface Manuel Anceau résume très bien cette écriture : "Le Querrec écrit avec les ongles longs de qui laisse pousser au bout de ses doigts cet accent de vérité qu'on voudrait parfois limer, ne pas entendre, mais qu'intraitable notre écrivain fait si souvent crisser sur ce qui est moins une marge qu'un mur".

 

Perrine Le Querrec, Ruines, Tinbad poésie, 2017, 64p, 12€

Perrine Le Querrec, Ruines, Tinbad poésie, 2017, 64p, 12€

La mise en page de cet ouvrage colle parfaitement aux fragilités psychologiques d'Unica, mais aussi sans doute aussi à celle de Hans Bellmer faite de passion perverse et de violence morale. Mais il n'y a ici aucun jugement, juste la volonté d'explorer une folie créatrice entre deux artistes.
C'est le fait de fouiller dans le sordide de cette relation de passion destructrice qui dérange  "Les racines du mal qui / soulèvent Unica, la fendent, !a ruinent." Mais le poète est là aussi pour explorer les abîmes "Chacun a sa lisière, l'abîme au bord du cœur." Aimer à la folie, ce n'est pas qu'un pétale de marguerite, c'est aussi une pierre tombale au Père