Uni­ca Zürn (Berlin 6 juil­let 1916 – Paris 19 octo­bre 1970) est une plas­ti­ci­enne et poète. Elle ren­con­tra Hans Bellmer (Kat­tow­ice 13 mars 1902 – Paris 23 févri­er 1975) en 1953 ; Bellmer l’introduisit dans les milieux artis­tiques parisiens, notam­ment auprès du groupe sur­réal­iste. De leur union fusion­nelle, de leur rela­tion sado-masochiste, l’œuvre d’Hans Bellmer, répé­tant à l’envi des poupées désar­tic­ulées, des représen­ta­tions d’Unica dans l’enfermement du corps, a trou­vé sa sub­stance. Au détri­ment d’Unica ?

Les amants vécurent un enfer pro­gram­mé de 1957, date de la pre­mière hos­pi­tal­i­sa­tion d’Unica, dépres­sive, dans l’univers psy­chi­a­trique, à 1970, date d’une dernière hos­pi­tal­i­sa­tion suiv­ie du sui­cide d’Unica se jetant par la fenêtre de l’appartement parisien de Hans Bellmer (devenu hémi­plégique en 1969 et pro­fondé­ment mutique depuis). C’est cette rela­tion per­tur­bée que décrit Per­rine Le Quer­rec dans Ruines.

Voy­age impos­si­ble et pour­tant. Uni­ca Zürn et Hans Bellmer ne voy­a­gent pas ensem­ble dans l’ouvrage de Per­rine le Quer­rec. Non, pas ensem­ble, séparés, amants régur­gités, l’un à côté de l’autre mais séparés. Deux his­toires qui se cog­nent ; seul le corps d’Unica souf­fre. L’autre ne souf­fre pas et se con­tente d’éjaculer une œuvre d’art. Éjac­uler, est-ce voy­ager ensem­ble ? Le Quer­rec écrit : « Le trou vio­let foré jusqu’à l’os / Une blessure sans cesse à combler / Et Hans aura beau manip­uler… » Il manip­ule Hans Bellmer, en per­vers nar­cis­sique, clope au bec, jamais il ne voy­age. Manip­u­la­teur. Il dis­trait les voyeurs immo­biles avec le corps vio­lé d’Unica cri­ant de vérité, saucis­son­né, assaison­né. « Uni­ca assise dans un silence de presque morte. », « Uni­ca la vicieuse / Hans sodomise… » L’histoire morte d’Unica con­tée par Per­rine le Quer­rec pénètre la bouche foireuse d’Hans Bellmer, lui fait un linceul de mots (car Uni­ca est poète et Per­rine Le Quer­rec est grosse de ces mots ; une femme peut en ense­mencer une autre, le trans­fert s’établit), lui mord la langue, lui arrache la langue.

Hans Bellmer, la bête aimée aux mille pos­tures, regarde de tra­vers la belle Uni­ca, jamais de face. Hans

 

jamais ne désherbe / Les racines du mal qui / Soulèvent Uni­ca, la fend­ent, la ruinent… 

 

La poésie de Perinne Le Quer­rec, qui ose s’attaquer au mon­stre for­mé par Uni­ca et Hans, un mon­stre en ruines, est à chaque ligne une blessure. Aucune fécon­da­tion n’émerge cepen­dant de ce livre absolu (con­tenu dans le temps con­tenu), le plus beau, le plus laid, tant le geste laid d’Hans Bellmer vient pol­luer le sexe vivant, les lèvres petites et grandes d’Unica que Per­rine Le Quer­rec berce au creux de sa plume.

Il est un moment ou l’extrême vérité du corps révélé au jour, le mar­tyre du corps rabouté, ficelé, devient éblouisse­ment de l’âme, la grande lumière noire effaçant l’idée de beauté même. C’est ce que racon­te Per­rine Le Quer­rec dans Ruines, le livre de l’éblouissement.

 

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Philippe Thireau

 Philippe Thireau vit en France. Il est régulière­ment pub­lié (essais, réc­its, poésie, théâtre… ) depuis 2008. Bib­li­ogra­phie : Le bruit som­bre de l’eau, Z4 édi­tions, La diag­o­nale de l’écrivain, 2018 Ben­jamin Con­stant et Isabelle de Char­rière, Hôtel de Chine et dépen­dances, Cabédi­ta, 2015 Le Voyageur dis­tant ou Bon­jour Stend­hal, adieu Beyle, Jacques André édi­teur, 2012 Le Sang de la République, Cêtre, 2008                          THÉÂTRE Cut, Z4 édi­tions, 2017 Mortelle faveur et J’entends les chiens, Z4 édi­tions, 2017                           POÉSIE Soleil se mire dans l’eau (pho­togra­phies Flo­rence Daudé), Z4 édi­tions, 2017                           REVUES Cio­ran ver­ti­cal (essai) in Les Cahiers de Tin­bad n° 3 et 4, Tin­bad, 2017 Le cireur de Par­quet in Les Cahiers de Tin­bad n° 6, Tin­bad 2018 En ton sein in FPM n° 18, Édi­tions Tar­mac, 2èmetrimestre 2018   Je te mas­sacr­erai mon cœur, PhB édi­tions, 2019 Melan­cho­lia, Tin­bad, 2020