Olivier Vossot, L’écart qui existe

Par |2021-04-06T12:38:25+02:00 5 avril 2021|Catégories : Olivier Vossot|

Olivi­er Vos­sot, con­nu pour un pre­mier texte, Per­son­ne ne s’éloigne (prix du pre­mier recueil de poésie 2018 de la Fon­da­tion Lab­bé), signe un deux­ième opus, tou­jours con­sacré à grand-père, texte qui tente en une épreuve poé­tique intense de ralen­tir le soir qui unit les peurs enfan­tines aux images for­mi­da­bles du grand corps à l’ombre pesante :

 

L’absence est lisse.
J’épiais son regard,
le vert lente­ment dilué.

 

Peurs diluées dans La mélan­col­ie (qui) se referme sur nos yeux vides. Reste l’orbite en effet, ce vide absolu, privé du regard intérieur de l’œil mais qui regarde de nulle part le rien qui enveloppe le poète. Le poète envolé dans l’écart, cette erreur naturelle éten­due comme l’univers (un point ou le ver­tige de l’infini) ; poète qui cherche à remem­br­er son corps dans le corps écarté de l’autre. De cette impos­si­bil­ité ressur­git, soir après soir, l’angoisse anci­enne. Si le père trop proche ne peut engen­dr­er mythe, sinon en exer­gue, grand-père, l’arpenteur sup­posé de l’écart – nom­mons les choses : ce dieu ful­gu­rant et loin­tain comme une île pos­si­ble, per­due dans l’océan du rêve – est approchable comme on approche l’horizon, sans jamais le toucher.

La mort douce emprunte toutes les voies de ce poème sans dire son nom, par pudeur sans doute, comme pour s’excuser de devoir, une heure, un jour, s’en venir fauch­er le gazon jaunâtre d’une vie élaborée dans le cristal nom­mé grand-père. Et moi le noy­au pleure patiem­ment, écrit Olivi­er Vos­sot, qui iden­ti­fie patience et temps, temps qui est le noy­au et l’étendue.

Olivi­er Vos­sot, L’écart qui existe, Les Car­nets du Dessert de Lune, Brux­elles (Bel­gique), automne 2020, 84 pages, 14 €. 

En ce poème de la page 72 est résumé un livre mélan­col­ique, écoutons-le :

Des guêpes tra­versent les jardins moites.
Que capte l’oreille
de ce qu’on peut dire, de ce qu’on a pu ?
Des fenêtres n’ont rien ouvert.
Le monde entier se referme comme un œil
On ne l’emporte pas, il est fini sans nous.
Il con­tin­ue, la nuit n’en finit pas de tomber.

 

Un monde finit sans nous car les fenêtres n’ouvrent rien sur une nuit éter­nelle­ment tombante ; les guêpes, elles, buti­nent et ense­men­cent les jardins moites : toi­son déi­fiée mater­nelle, un éden poème à lui seul, sans les hommes échap­pés au soir de leur vie. Mais qui pense alors ? Des mots vien­nent dont on ne sort pas. La pen­sée hors de soi.

L’énigmatique Le temps passe un peu plus vite que nos vies clôt l’exercice poé­tique douloureux d’Olivier Vos­sot. Son sens est clair : il n’est pas de dire l’éternité de l’homme ni même celle de son esprit mais de not­er que le temps s’échappe de nos vies avant que celles-ci ne finis­sent. Le temps, comme un délire. Le temps de grand-père, cette fig­ure de dieu.

La pré­facière, Albane Gel­lé, note que « Olivi­er Vos­sot dis­paraît au milieu de ce qu’il regarde, yeux ouverts ou fer­més, et c’est cette vie absorbée qui devient poème… » Le poète dis­paraît dans cette fig­ure mythique – le com­man­deur des nuits – qu’il crée avec les mots dont il ne peut sor­tir, mots qui n’en finiront pas de finir, sans lui, c’est ain­si qu’il le veut.

 

Présentation de l’auteur

Olivier Vossot

Olivi­er Vos­sot est né en 1980 à Dijon. Il vit depuis 2005 en Alsace, près de Stras­bourg, où il enseigne les let­tres clas­siques. Il a pub­lié ses poèmes dans divers­es revues (Diérèse, Arpa, Con­tre-allées, Décharge, Voix d’encre, Tra­ver­sées, L’intranquille…). Son pre­mier livre Per­son­ne ne s’éloigne est pub­lié en 2017 aux édi­tions l’échappée belle et obtient le Prix du pre­mier recueil de poésie 2018 (Fon­da­tion Labbé). 

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Philippe Thireau

 Philippe Thireau vit en France. Il est régulière­ment pub­lié (essais, réc­its, poésie, théâtre… ) depuis 2008. Bib­li­ogra­phie : Le bruit som­bre de l’eau, Z4 édi­tions, La diag­o­nale de l’écrivain, 2018 Ben­jamin Con­stant et Isabelle de Char­rière, Hôtel de Chine et dépen­dances, Cabédi­ta, 2015 Le Voyageur dis­tant ou Bon­jour Stend­hal, adieu Beyle, Jacques André édi­teur, 2012 Le Sang de la République, Cêtre, 2008                          THÉÂTRE Cut, Z4 édi­tions, 2017 Mortelle faveur et J’entends les chiens, Z4 édi­tions, 2017                           POÉSIE Soleil se mire dans l’eau (pho­togra­phies Flo­rence Daudé), Z4 édi­tions, 2017                           REVUES Cio­ran ver­ti­cal (essai) in Les Cahiers de Tin­bad n° 3 et 4, Tin­bad, 2017 Le cireur de Par­quet in Les Cahiers de Tin­bad n° 6, Tin­bad 2018 En ton sein in FPM n° 18, Édi­tions Tar­mac, 2èmetrimestre 2018   Je te mas­sacr­erai mon cœur, PhB édi­tions, 2019 Melan­cho­lia, Tin­bad, 2020
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