Voyez-vous ce palais ?
Nous sommes en Grèce, en Thessalie,
il y a longtemps.
Si longtemps qu’il faut plisser les yeux de l’âme
Pour le faire apparaître.
C’est une maison de marbre, toute de marbre,
Avec des oliviers sur ses flancs,
Alignés comme une fête des sens,
Langoureusement.
On entend des rires,
de la musique d’une telle douceur
Qu’elle donne envie de boire et d’aimer.
Il y a banquet chez Scopas, noble et riche.
Scopas a tout prévu, les plus belles viandes,
Et garnitures, les vins, liqueurs, douceurs
Et tous les fruits imaginables,
Comme pour inviter toute la nature,
Comme si c’était la fin du monde,
On entre, doucement.
Simonide, le fameux poète lyrique,
À l’instant, finit son chant.
Un enfant blond s’est approché de lui.
Lentement Simonide sort
Avec l’air de chercher quelqu’un.
Devant le palais, il cherche
Comme si c’était lui qu’on cherchait.
Et il n’y a personne.
Et, tandis qu’il tourne et se retourne,
Voilà qu’en une seconde le toit s’effondre
De la salle du banquet. Dans un bruit de saccage,
de pierres perdues, d’horreurs.
Un séisme.
Il n’y a plus d’heure, mais de la poussière
Et des râles.
Scopas et tous
Gisent là dans les décombres.
Qui est là ? Où ?
On accourt, on veut secourir.
Les serviteurs, les familles.
Puis, on ne court plus.
Dans le silence maintenant,
Sous la lune qui ne dit rien,
On voudrait reconnaître
Ces corps broyés.
Qui dira ces visages confondus ?
Qui pour reconnaître
Le visage de chacun d’eux,
Ces joyeux ensevelis entre les lyres brisées. ?
Alors, il se rappelle, Simonide.
Il revoit les yeux qui rient, les tics, les chevelures,
Lui qui dormait déjà,
Elle trop fardée,
Lui qui disait toujours oui
Elle qui ne disait jamais non.
Et beaucoup d’autres,
Il les connaissait.
De tête, il remet chacun à sa place
Qui retrouve son nom par la bouche du poète.
L’art de la mémoire c’est ainsi qu’il est né.
Ainsi, pas autrement.
*****
ENTRE-TEMPS
Petite mélancolie
l’instant glissé
entre hier et tout de suite
qui danse
comme une image hors cadre
c’est une aube pristine
un rayon entre des arbres
tournant autour
ce qui un moment
s’interpose
commence
et finit
*****
MOTS EN L’AIR
Tous les oiseaux, sans y penser,
travaillent aux couleurs.
Les histoires qu’ils se racontent,
elles seules, créent le rouge, le vert,
le bleu poignant, le jaune mat…
Certains oiseaux bégaient ; ceux-là font des pâtés comme d’amples éclats de rire.
Dans le désert, c’est tout autre chose,
on dit que les couleurs
dépendent plutôt du sable et des vents.
*****
ON AURAIT CRU UN POÈME
On le voyait bien
Des oiseaux sortaient de sa bouche et
De ses aisselles
On entendait de petites cloches
Et le pas ancestral de vieillards
Qui passaient en bas
Leurs bâtons tapaient les pierres
C’était un chant d’histoires
C’est-à-dire de possibles.
À nouveau il faisait jour

















