Éric Sarner, ANAMNÈSE et autres poèmes

Par |2025-11-06T12:42:57+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Éric Sarner, Poèmes|

Voyez-vous ce palais ?
Nous sommes en Grèce, en Thessalie, 
il y a longtemps.
Si longtemps qu’il faut pliss­er les yeux de l’âme
Pour le faire apparaître.
C’est une mai­son de mar­bre, toute de marbre,
Avec des oliviers sur ses flancs,
Alignés comme une fête des sens,
Langoureusement.
On entend des rires,
de la musique d’une telle douceur
Qu’elle donne envie de boire et d’aimer.
Il y a ban­quet chez Sco­pas, noble et riche.
Sco­pas a tout prévu, les plus belles viandes, 
Et gar­ni­tures, les vins, liqueurs, douceurs 
Et tous les fruits imaginables, 
Comme pour inviter toute la nature,
Comme si c’était la fin du monde,
On entre, doucement. 
Simonide, le fameux poète lyrique, 
À l’instant, finit son chant.
Un enfant blond s’est approché de lui.
Lente­ment Simonide sort
Avec l’air de chercher quelqu’un.
Devant le palais, il cherche 
Comme si c’était lui qu’on cherchait.
Et il n’y a personne.
Et, tan­dis qu’il tourne et se retourne,
Voilà qu’en une sec­onde le toit s’effondre
De la salle du ban­quet. Dans un bruit de saccage,
de pier­res per­dues, d’horreurs.
Un séisme.

Il n’y a plus d’heure, mais de la poussière
Et des râles.
Sco­pas et tous 
Gisent là dans les décombres.
Qui est là ? Où ?
On accourt, on veut secourir.
Les servi­teurs, les familles.
Puis, on ne court plus. 
Dans le silence maintenant,
Sous la lune qui ne dit rien,
On voudrait reconnaître 
Ces corps broyés.
Qui dira ces vis­ages confondus ?
Qui pour reconnaître 
Le vis­age de cha­cun d’eux,
Ces joyeux ensevelis entre les lyres brisées. ?
Alors, il se rap­pelle, Simonide.
Il revoit les yeux qui rient, les tics, les chevelures,
Lui qui dor­mait déjà,
Elle trop fardée,
Lui qui dis­ait tou­jours oui
Elle qui ne dis­ait jamais non. 
Et beau­coup d’autres,
Il les connaissait.
De tête, il remet cha­cun à sa place
Qui retrou­ve son nom par la bouche du poète.
L’art de la mémoire c’est ain­si qu’il est né.
Ain­si, pas autrement.

*****

ENTRE-TEMPS

Petite mélan­col­ie
l’instant glissé
entre hier et tout de suite
qui danse
comme une image hors cadre
c’est une aube pristine
un ray­on entre des arbres 
tour­nant autour
ce qui un moment
s’interpose
commence 
et finit

*****

MOTS EN L’AIR

Tous les oiseaux, sans y penser,
tra­vail­lent aux couleurs.
Les his­toires qu’ils se racontent, 
elles seules, créent le rouge, le vert, 
le bleu poignant, le jaune mat…
Cer­tains oiseaux bégaient ; ceux-là font des pâtés comme d’amples éclats de rire. 
Dans le désert, c’est tout autre chose,
on dit que les couleurs
dépen­dent plutôt du sable et des vents.

*****

ON AURAIT CRU UN POÈME

On le voy­ait bien
Des oiseaux sor­taient de sa bouche et
De ses aisselles
On entendait de petites cloches
Et le pas ances­tral de vieillards
Qui pas­saient en bas
Leurs bâtons tapaient les pierres
C’était un chant d’histoires
C’est-à-dire de possibles.
À nou­veau il fai­sait jour

Présentation de l’auteur

Éric Sarner

Poète, doc­u­men­tariste et égale­ment tra­duc­teur, il aime à se définir comme un « voyageur-chroniqueur ». Né au car­refour de plusieurs cul­tures, langues et cli­mats, son tra­vail abor­de des thèmes, domaines et formes mul­ti­ples, dans une cohérence secrète, au fil de coups de cœur.

Invité à se définir, Eric Sarn­er affirme : 

J’écris sur Fer­nan­do Pes­soa et sur la boxe, sur les mères de la place de Mai de Buenos Aires et sur Mar­cel Duchamp, sur le ladi­no, la langue des juifs d’Espagne et sur l’art de Frank Sina­tra. Je respire ain­si. Com­plète­ment. J’aime les puz­zles. Les choses atten­dent tou­jours qu’on les conjugue.

Bibliographie

Odessa, Odessa, 2025, Ed. Tarabuste

L’at­trac­tion du ciel, 2024, Ed. Les Ven­terniers, une suite de 22 poèmes cor­re­spon­dants au 22 arcanes majeurs du Tarot de Marseille. 

Lis­bonne est une fable, 2024, Ed. Tara­buste, un réc­it de voy­age, une dérive dans la géo­gra­phie réelle et men­tale de la cap­i­tale portugaise.

99 codas, 2023, Ed. La Rumeur libre, 99 “fins de réc­its” … à ceci près que ces réc­its n’ex­is­tent pas et sont à inven­ter par le lecteur.

Sug­ar et autres poèmes, 2021, Poésie/Gallimard, un recueil en cinq par­ties : Sugar, dans lequel la poésie croise la boxe ; Expéri­ence de l’hiv­er, Petits chants de prox­im­ité, Presque un chant d’er­rance, un lex­ique per­son­nel de 80 mots de judéo-espag­nol et Petit car­net de silence, notes d’une semaine de mutité volontaire.

En 2014, Éric Sarn­er a reçu le prix Max Jacob et en 2024 le Grand Prix de poésie Robert Gan­zo pour l’ensem­ble de son œuvre.

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