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Gérard Le Goff, Ebauche du secret et autres poèmes

L’eau verse de la cruche de grès bleu, maniée par une main déliée qui accomplit ce geste si simple, si dénué de toute garde, qu’il en devient solennel, comme soudain empreint d’une sagesse issue du fond des âges.

L’eau coule de l’hydrie de terre, délivre ses saveurs secrètes. Elle entonne le chant de la rivière et de la pluie, du ciel et des vagues, du vent et des nuages. Elle proclame le triomphe de leur féconde réciprocité et, par le don de sa fraîcheur suave, révèle aux hommes un peu de son savoir sourcier.

 

Extrait de : L’inventaire des étoiles

Ils dansent

Ils dansent
Et leur fait mal l’ombre de l’étreinte
Tant ils se tiennent si fort enlacés

Ils dansent
Et souffrent du reflet de leurs mains crispées
Dans les miroirs de la mer

Ils dansent
Et se grisent de l’éclat de leurs bouches en sang
Dans leurs yeux

Ils dansent
Et tremblent tant s’effraient de la déchirure
Qui va séparer leurs corps

Ils éprouvent
Soudain le vide du ciel
Dans une pâleur de vertige

Ils s’envolent
Vers un horizon de fenêtres
Multipliées à l’infini

Fenêtres closes comme des reposoirs
Ouvertes comme des veines
Brisées comme le cœur des hommes

Extrait de : L’inventaire des étoiles

 

Childhood farewell
(en hommage à Joë Bousquet)

Noël sans mémoire
Où l’enfance s’est tue
Aux promesses du soir
Les fruits défendus

Dans nos yeux ouverts
S’exile la noirceur
A travers l’hiver
Où nous fûmes passeurs

Fûmes témoins des ombres
Et des anges sans âge
D’un ciel en décombres
Oublié des sages

Et la houppelande
Enfuie dans la nuit
S’effrange dans la lande
Aux ronces de l’ennui

Pleurez donc sans moi
Qui n’en vaut la peine
Je suis autrefois
Au deuil des marraines

La noire visiteuse
Hante l’aube des toujours
Nos âmes voyageuses
S’égarent par amour

Se perdent les enfants
Dans l’oubli des rêves
Sur les routes des grands
A peiner sans trêve

Leur cœur est trop vaste
Pour réduire le ciel
Les pleurs les dévastent
Pour une faute vénielle

Quand le froid enlace
Leur maigre bout de vie
Quand leurs yeux se lassent
De la moindre envie

Quand tombent les grands lys
D’un ciel de frimas
Tissant la haute lisse
D’un monde en coma

Pourquoi ces soupirs
Ces pleurs de pauvres fous
Tous nos souvenirs
Ne sont que cailloux

Extrait de : Les chercheurs d’or

 

Le revenant
(en hommage à Xavier Grall)

Te voici de retour
et n’en crois pas tes yeux
Le gravier
dans ton soulier
ne retient ton pas

Pèlerin ou revenant
naufragé peut-être
tu ne vaux guère
voyageur sans autre bagage
que ton cœur lourd

Un linceul de bitume
voile les sentes
tout au long desquelles naguère
des crosses de rouille et d’or
bénissaient ta marche

Le béton sur la dune
avorte l’étreinte de l’écume
Qui sait encore
là où finit la terre
commence l’éternité de la mer

Te voici de retour
et n’en crois pas tes yeux
Le gravier
dans ton soulier
ne retient ton pas

Tu ne reconnais plus
l’oratoire de la forêt
rongé de lichens et de ronciers
que délitent toutes les pluies
et l’oubli des hommes

Face à l’ostensoir du soleil
s’est tue la grive musicienne
Quel porche passer qui point ne se dérobe
quels vents désormais porteront les cantiques et les sônes
en ce pays si vieux qu’il oublie de mourir

Les grands ducs désertent les fêtes de nuit
et plus personne ne pardonne
Sur les dalles des sanctuaires
ne résonne plus le sabot
et leur nef naufrage au seuil de l’hiver

Te voici de retour
et n’en crois pas tes yeux
Le gravier
dans ton soulier
ne retient ton pas

Les si patientes tombes
s’abreuvent d’azur et d’averses
Le chant des ancêtres
s’épuise au contre-chant
de son écho

Poursuis ta route vers l’ultime présence
guidé par les étoiles
ignore la tourbe et les sables mouvants
de l’indignité
Et de tes yeux tombera la taie

Avec la boussole des eaux
tu trouveras la croix des chemins
et parmi le chardon et l’ortie
sous la vague des broussailles
découvriras l’ossuaire fécond du renouveau

Te voici de retour
et n’en crois pas tes yeux
Le gravier
dans ton soulier
ne retient ton pas

Extrait de : Les chercheurs d’or

 

Samain
(en hommage à Angèle Vannier)

Samain (*)
chaque année
à la prime brume
tu enténèbres la forêt
par l’appel de nos morts

Les vitraux des feuillées laissent passer si peu de lumière
à laisser croire en la divine vision

Je n’espère plus de Beltane la venue
Samain
tu m’as imposé la nuit en un partage
que je récuse
Les soleils m’ont fuit
mais les étoiles criblent mon corps et mon cœur
Seule la harpe issue des sources de la pluie
berce ma longue nuit sans sommeil
mon sang exilé

Les miroirs sans tain prolongent les couloirs vides
de mon château
recèlent des escaliers sans autre issue
qu’une autre noirceur

Les horloges tournent sans moi
qui ne suis plus en retard
pour les secrets du monde

J’entends les portes battre
le cœur de la nuit
et dans l’odeur d’un grenier
délaissé
monte l’écume de l’enfance

C’était à l’heure des pommes rouges
si visibles dans la peine
Les hommes s’inclinaient devant nous
fugueuses des étangs
qui passions en robes sang
éperdues
vers les portes ouvertes sur le vent

Mon adieu ne se négocie pas
pas plus que mon pardon
Je m’en remets aux chardons comme aux algues
Tu m’as crevé les yeux
à l’orée de ma vie

Samain
sans pourtant endeuiller mon âme
Je m’en remets aux oiseaux comme aux loups

Samain
chaque année
à la prime brume
tu enténèbres la forêt
par l’appel de nos morts

Extrait de : Les chercheurs d’or

 

Note

(*) Dans la mythologie celte, les saisons ne correspondent pas à celles de notre calendrier. Ainsi, le gué jeté entre les beaux jours et la froidure n’appartient ni à la période qui s’achève, ni à celle qui commence : il marque le passage de la saison claire à la saison sombre. Dans cette temporalité annuelle, la transition ne s’inscrit dans aucune durée. Cependant, on consacre toute une semaine à célébrer la divinité nommée : Samain. Cette fête est vouée à la conjuration de l’ombre, à l’exorcisme du mauvais sort. Ses jours coïncident avec ceux dévolus au souvenir des morts dans notre tradition chrétienne. Bien entendu, ils évoquent aussi l’avènement de l’hiver et la venue des nuits les plus longues. A l’opposé, le culte de Beltane célèbre l’arrivée du printemps, le retour à la lumière, le triomphe de la vie.

Présentation de l’auteur

Gérard Le Goff

Né en 1953, à Toulon, Gérard Le Goff, après l’obtention d’une maîtrise-ès-lettres à l’Université de Haute-Bretagne, effectue toute sa carrière professionnelle au sein de l’Education nationale dans les académies de Caen et de Rennes ; il a été successivement : enseignant, cadre administratif et conseiller en formation continue.
Il écrit depuis l’adolescence mais ne cherche pas à publier. Désormais à la retraite, il entreprend de mettre de l’ordre dans ses nombreux manuscrits, tout en reprenant une activité d’écriture. Il travaille en parallèle la peinture et le dessin au sein d’une association.
Ses premiers textes paraissent dans la revue Haies Vives en 2017. Puis dans d’autres publications : Le Capital des Mots (2018, 2019, 2020), Festival Permanent des Mots (2018), Traversées (2019) et à nouveau dans Haies Vives (2019, 2020)
S’en suivent l’édition de plusieurs recueils de poésie aux éditions Encres Vives et Traversées, d’un roman et d’un recueil de nouvelles.

 

Poésie :

Cahier de songes - Editions Encres Vives (septembre 2018).
De l’inachèvement des jours - Editions Encres Vives (octobre 2018).
L’arrière-pays n’existe pas - Editions Encres Vives (décembre 2018).
Intermède vénitien - Editions Encres Vives (février 2019).
Passants - Editions Encres Vives (avril 2019).
Le reste du peu - Editions Encres Vives (juin 2019).
La note verte - Editions Encres Vives (décembre 2019).
Simples suivi de Par quatre chemins - Editions Encres Vives (décembre 2019).
Arsenal des eaux - Editions Encres Vives (janvier 2020).
L’orée du monde - Editions Traversées (janvier 2020).
L’élégance de l’oubli - Editions Encres Vives (novembre 2020).
Brisées - Editions Encres Vives (décembre 2021).
La cité chimérique - Editions Encres Vives (janvier 2022).

Prose :

Argam, roman - Editions Chloé des Lys (novembre 2019).
Trajectoires tronquées, nouvelles- Editions Stellamaris (mai 2020).
La raison des absents, roman- Editions Stellamaris (avril 2022).

Publications en revues :

Poésie :

Revue Haies Vives N°5 (septembre 2017).
Revue Haies Vives N°7 (septembre 2019).
Revue Haies Vives N°8 (septembre 2020).
Revue Haies Vives N°9 (septembre 2021).
Revue Haies Vives N°10 (septembre 2022).
Revue Festival Permanent des Mots (FPM) N° 18 (mars 2018).
Revue Festival Permanent des Mots (FPM) N° 20 (septembre 2018).
Revue Le Capital des Mots - Eric Dubois (revue en ligne) (novembre 2018, décembre 2018, janvier 2019, février 2019, avril 2019, novembre 2019, décembre 2019, janvier 2020, février 2020, mars 2020, avril 2020 & mai 2020.
Revue Poésie Mag - Eric Dubois (revue en ligne) (novembre 2020).
Revue Traversées N°98 (avril 2021).
Revue Recours au poème (en ligne) (N° 213 mars-avril 2022).

Prose :

Revue Traversées N°90 (mars 2019).

Critique :

Revue Traversées (en ligne) (août 2020) : Golgotha de Claude Luezior.
Revue Traversées (en ligne) (novembre 2020) : Angèle Vannier, la traversée ardente de la nuit de Dominique Bodin & Françoise Coty.
Revue Traversées (en ligne) (mai 2021) : Au milieu du gué (Attestato) de Giuliano Ladolfi.
Revue Traversées (en ligne) (septembre 2021) : Initiale de Lieven Callant.
Revue Traversées (en ligne) (mars 2022) : Ensoleillements au cœur du silence de Sonia Elvi­reanu.
Revue Traversées (en ligne) (août 2022) : Sur les franges de l’essentiel suivi de Ecritures de Claude Luezior.
Revue Recours au poème (en ligne) (N° 206 janvier-février 2021) : Le chant de la mer à l’ombre du héron cendré de Sonia Elvireanu.
Revue Recours au poème (en ligne) (N° 207 mars-avril 2021) : Un Ancien Testament déluge de violence de Claude Luezior ; Epître au silence de Claude Luezior.
Revue Couleurs Poésie 2 - Jean Dornac (en ligne) (janvier 2021) : Le souffle du ciel de Sonia Elvireanu.

Sur l’auteur :

Les belles phrases d’Eric Allard, Mondes francophones, Babelio, Traversées, Site de l’AREW, Couleur poésie, Recours au poème…

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