Giovanni Pascoli, Myricae (extraits)

2018-03-05T12:49:12+01:00

La félicité

Quand, à l’aube, elle affleure de l’ombre,
   descend les bril­lants escaliers,
dis­paraît, et der­rière la trace
   d’une aile, ce souf­fle léger,

je la suis par les monts, par les plaines,
   dans la mer, au ciel ; dans le cœur
je la vois déjà, je tends les mains,
   j’ai déjà la gloire, l’amour.

Ah ! ce n’est qu’au couchant qu’elle rit,
   sur la ligne d’ombre lointaine,
et me sem­ble en silence montrer
   le loin­tain tou­jours plus au loin.

Le chemin par­cou­ru, la douleur
   me désigne son doigt tacite ;
tout-à-coup – on entend bruire à peine –
   elle est au silence infini.

  Myri­cae, 1891 (1re éd.)
                         

 

Le bois (souvenir)

Ô vieux bois ver­doy­ant d’arbousiers,
han­té d’odeur lourde et de magie,
où j’ai sou­vent enten­du ces bruits
d’oiseaux et de cigales cachées,

en toi vivent les faunes rieurs
qui mènent la brise à la houlette ;
vit la nymphe, et nos pas elle guette,
blonde d’ombre en ombre à ses cheveux.

Blancheurs de nymphes sous la ramée,
inter­mit­tentes, si leur envie
les offre à l’œil quand le soleil entre.

Dis­parues ! mais vivent les fourrés
encore de per­vench­es ! et vit
tou­jours l’acacia aux grappes grandes.

  
Myri­cae, 1892

Lapide

Dietro spighe di tas­so barbasso,
  tra un rovo, onde un passero frulla
improvvi­so, si legge in un sasso:
  QUI DORME PIA GIGLI FANCIULLA.

Radic­chiel­la dall’occhio celeste,
  dianto di por­po­ra, sai,
sai, viluc­chio, di Pia? la vedeste,
  libel­lule tremule, mai?

Ella dorme. Da quan­do raccoglie
  nel cuore il soave oblio? Quante
oh! le nubi pas­sate, le foglie
  cadute, le lagrime piante; 

quan­to, o Pia, si morì da che dormi
  tu! Pura di vite create
a morire, tu, vergine, dormi,
  le mani sul pet­to incrociate.
  
Dor­mi, vergine, in pace: il tuo lene
  respiro nell’aria lo sento
assonare al ronzìo delle andrene,
  coi bri­v­i­di bre­vi del vento.

Las­cia argen­tei il car­do al leggiero
  tuo ali­to i pap­pi suoi, come
il morente alla morte un pensiero,
  vago, ulti­mo: l’ombra d’un nome.

Pierre tombale

Der­rière des fleurs de molène,
   dans la ronce où bat une aile
imprévue, on lit sur la pierre :
   CI-GIT PIA, JEUNE FILLE.

Chicorée à l’œil bleu, dïanthe
   de pour­pre, et toi, liseron
sais-tu de Pia quelque chose ?
   vous l’avez vue, libellules ?

Elle dort. Depuis quand a‑t-elle
   au cœur ce suave oubli ?
Com­bi­en, oh ! de nues en-allées,
   de feuilles, de pleurs sans bruit ?

Com­bi­en, Pia, sont morts depuis
   que tu dors ! Toi, pure d’autres
êtres créés pour mourir : si
   calme, les mains sur ton sein. 

Dors là, vierge, en paix ; ton léger
   souf­fle dans l’air, je l’entends
s’accorder au vol des andrènes
   avec le fris­son du vent.

Le chardon laisse où tu respires
   quelques aigrettes d’argent
comme, à la mort, qui meurt confie
   en pen­sée l’ombre d’un nom.

Patrie

Rêve d’un jour d’été.

Tous ces étourdissants
tré­mo­los de cigales !
Crissantes dans l’allée
les feuilles au mistral
remuaient desséchées.

Descendaient dans les ormes
les rayons poussiéreux ;
au ciel seule­ment deux
nuages légers, floches :
deux blanch­es touch­es peintes

dans l’étendue bleutée.

Des haies de grenadiers,
touffes de tamaris,
le bat­te­ment au loin
d’un engin moissonneur,
l’angélus argentin…

où étais-je ? Les cloches
me dirent où j’étais,
pleu­rant, alors qu’un chien
aboy­ait au forain
qui tête basse, allait.

Myri­cae, 1894

Le passereau solitaire

Toi dans la tour ancienne,
   passereau solitaire,
   tu essaies ton clavier,
   comme en son sanctuaire
   moni­ale prisonnière
   l’orgue, à ses doigts légers ;

que, pâle tout-à-coup,
   saisit l’étonnement
   de trois notes cachées,
   dans l’orgue, seulement
   trois, fuyant comme mots
   ensevelis, en paix.

D’un loin­tain sanctuaire
   empreint de mort encens
   dans ses grands caveaux vides,
   par le silence immense
   tu envoies tes trois notes,
   ô esprit solitaire.

Myri­cae,1896

 

Tra­duc­tion Jean-Charles Vegliante

Une tra­duc­tion légère­ment dif­férente de ce dernier texte a paru, avec une réflex­ion sur La beauté, dans le site  www.mouvement-transitions.fr, que nous remercions.

Présentation de l’auteur

Giovanni Pascoli

Gio­van­ni Pas­coli (né le 31 décem­bre 1855 à San Mau­ro di Romagna dans la province de For­lì-Cese­­na en Émi­lie-Romagne, Ital­ie — mort le 6 avril 1912 à Bologne) est un poète ital­ien de langue latine et italienne.

Œuvres

  • Myri­cae 1891 (1re édition])
  • Car­men « CORDA FRATRES » (1898)
  • Can­ti di Castelvec­chio (1903)
  • Pri­mi poemet­ti (1904)
  • Poe­mi con­vivi­ali (1904)
  • Odi e inni (1906)
  • Nuovi poemet­ti (1909)
  • Poe­mi del Risorg­i­men­to (1913)

Traductions

  • Poèmes traduits en français par J.Ch. Veg­liante (2009)

Sources Wikipedia

Giovanni Pascoli

© Crédits pho­tos : Wikipé­dia

Autres lec­tures

Giovanni Pascoli, une traduction inédite : Le 10 Août (élégie)

Jean-Charles Veg­liante nous offre la pre­mière tra­duc­tion française de Pas­coli depuis 1925 (Edi­tions Mimé­sis). Voici une occa­sion unique de revis­iter l’œuvre d’un annon­ci­a­teur de notre moder­nité. Poète du début du vingtième siè­cle, grâce à […]

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