Faut-il le rap­pel­er ? Inu­its dans la jun­gle (comme son nom l’indique) est né en 2008 de la fusion entre deux revues précé­dentes : Jun­gle (péri­odique créé par Le Cas­tor Astral vers 1978) et Inu­its (fondé par Jacques Dar­ras, un peu avant). Les deux revues se sont asso­ciées par l’in­ter­mé­di­aire du poète lux­em­bour­geois Jean Por­tante. Aus­si le lecteur ne s’é­ton­nera pas de trou­ver Jacques Dar­ras inter­ro­geant Jean Por­tante (qui lui répond à pro­pos des ten­dances de la poésie d’Amérique latine con­tem­po­raine) et André Vel­ter (à pro­pos du 50ème anniver­saire de la col­lec­tion Poésie / Gallimard).

            Les 16 Chants du Despotat de Morée du Mex­i­cain Hugo Gutiér­rez Vega sont traduits par Mar­tine De Clerq. Il fut ambas­sadeur en Grèce de 1987 à 1994 et écriv­it cette suite en 1991 après avoir vis­ité les ruines de Mis­tra, la cap­i­tale de cette prin­ci­pauté, cette cité byzan­tine… jadis de chair et de rires. C’est l’oc­ca­sion pour le poète d’une évo­ca­tion mélan­col­ique de la ville et de l’his­toire dom­inée par la dynas­tie des Paléo­logues. Mais c’est aus­si celle d’une médi­a­tion philosophique sur la dis­pari­tion des civil­i­sa­tions : “Je ferme les yeux et pense à mes dossiers, / ces doc­u­ments qui furent mon his­toire / flot­tent désor­mais, décol­orés, sur le fleuve de l’ou­bli”. Ne restent sur les ruines de la ville que les poèmes, c’est du moins ce qu’af­firme la prose VIII… Et un poème, en vers, est dédié à Yan­nis Rit­sos pour bien mon­tr­er la puis­sance de la poésie. Car les empires “sont plus périss­ables encore que les petites choses de tous les jours”… Ce que vient con­firmer le chat de la prose XV.

            Jean Por­tante présente et traduit trois voix féminines de la poésie d’Amérique latine : Car­ol Bra­cho, Yolan­da Patín et Mayra Oyuela. Il répond égale­ment aux ques­tions de l’an­cien rédac­teur d’I­nu­its… Il met en évi­dence la per­ma­nence de la poésie dans ce sous-con­ti­nent et son inscrip­tion dans la lit­téra­ture mon­di­ale, une inscrip­tion qui ne nég­lige pas les “grands mythes hérités de l’ère pré­colom­bi­enne” ni une “con­science sociale et poli­tique” à un degré moin­dre ; son orig­i­nal­ité. Un  tableau enrichissant qu’il­lus­trent, à leur façon, les trois femmes présen­tées… Mais il faut lire ce que dit Jean Por­tante pour décou­vrir le four­mille­ment poé­tique en Amérique latine car c’est l’in­di­vidu qui domine…

            André Vel­ter revient sur la col­lec­tion Poésie /  Gal­li­mard qu’il dirige depuis 1998 et son his­toire. Il en souligne les fluc­tu­a­tions (économiques et lit­téraires)  et met ain­si en lumière l’évo­lu­tion de la col­lec­tion. La pub­li­ca­tion de douze poètes vivants pour les 50 ans de cette série relève d’une volon­té de change­ment et de ren­dre vis­i­ble la diver­sité qui ne remet pas en cause la voca­tion pat­ri­mo­ni­ale. En tout cas, cet entre­tien est captivant.

            Un cahi­er de créa­tion vient com­pléter la livrai­son ; il est con­sacré à trois poètes :  Chan­tal Dupuy-Dunier, Thomas Vin­au et Gabriel Zim­mer­mann… J’y retrou­ve avec plaisir et intérêt la pre­mière dont j’ai ren­du compte ces dernières années de plusieurs recueils. J’ai lu avec émo­tion ses deux poèmes. Thomas Vin­au exprime excellem­ment son indi­vid­u­al­ité dans des poèmes jus­ti­fiés par le milieu, mais ce n’est pas ce que je demande à la poésie. Gabriel Zim­mer­mann capte ces moments de la vie entre chien et loup, il leur donne sens par la chute du poème, fût-ce sous forme de questions…

            Il faut lire Inu­its dans la jun­gle, non pour avoir une vision com­plète de la poésie fran­coph­o­ne et mon­di­ale (ce qui est impos­si­ble) ; mais lire régulière­ment aus­si d’autres revues poé­tiques pour ne pas mourir totale­ment anal­phabète. C’est le prix à pay­er pour décou­vrir l’in­croy­able richesse de ce genre littéraire.

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