C’est un bel et touchant hom­mage que le Jour­nal des poètes rend à son ancien rédac­teur en chef, Jean-Luc Wau­thi­er (1950–2015).  Lui qui, pen­dant vingt-qua­tre années « aura tenu la barre de ce bateau de papi­er bat­tant pavil­lon poésie. Avec pro­bité, atten­tif à son équipage (…) soucieux de trans­porter des car­gaisons de poèmes vers de nou­veaux lecteurs », ain­si que l’écrit Philippe Mathy dans l’éditorial.

Une antholo­gie d’une ving­taine de pages offre, à tra­vers un choix inspiré et sub­jec­tif, une tra­ver­sée d’une œuvre qui s’étend sur presque quar­ante ans :
 

Avance
Encore.
Ombre de mon ombre
Au roy­aume des évi­dences nues.
(extrait de La neige en feu, 1980)

 

S’y retrou­ve, comme des bribes chu­chotées au moment de se quit­ter, une sagesse riche d’interrogations :

 

Et si l’oiseau, sur la branche du plus jeune bouleau, te don­nait l’ultime leçon ? (Chaque nou­veau print­emps, c’est un nou­v­el oiseau qui chante.)
Sois ton pro­pre print­emps. Et ne sois que ce passage.
(Sur les aigu­illes du temps, 2014)

 

Il suf­fit de ces quelques pages pour entr­er en réso­nance avec une écri­t­ure, un chem­ine­ment vif :

 

Les arbres y chantaient
et, au loin, la mer
mar­chait d’un bon pas
sur la digue et le sable.

 

 … vif et scep­tique, comme cet usage du « peut-être » moins dila­toire qu’inspiré par la pleine con­science des lim­ites de l’humain et de son langage :

 

Loin du rivage
Le dur cristal de vivre
T’appelle

L’œil garde le secret

Il y aura peut-être
Autre chose
De l’autre côté
Du poème.
(extrait de La soif et l’oubli, 1994)

 

Man­i­feste­ment guidée par l’émotion, la rédac­tion a com­posé un tombeau lumineux et fidèle au grand sourire généreux que quelques pho­tos nous mon­trent. Sourire de patience, une sorte d’affabilité dans le chemin spir­ituel. Au chapitre des hom­mages, on croise, out­re Lucien Noullez et Abdel­latif Laâbi, Pierre Dhain­aut qui par­le d’une poésie qui ne « dis­simule rien de notre con­di­tion en proie aux doutes (…) mais tel est le para­doxe de la poésie, une voix se délivre, se soulève, com­mu­nique par son rythme inlass­able un élan qui, en dis­ant le mal­heur, nous empêche de croire que tout va bien­tôt s’achever ».

Loin d’un exer­ci­ce d’affliction, les arti­cles, à com­mencer par la « let­tre » qu’André Schmitz écrit au dis­paru, célèbrent le sens de l’amitié du bâtis­seur de ren­con­tres qu’a été Jean-Luc Wau­thi­er. Philippe Mathy, dans « Human­isme et fidél­ité », évoque les nom­breux textes que le poète a écrit pour des pein­tres, fidèle­ment fréquen­tés, sans aucun esprit d’école, pourvu que ces derniers « boule­versent les rou­tines, défrichent des ter­res nou­velles ». Je laisse au lecteur le plaisir de décou­vrir la rai­son pour laque­lle le groupe que Wau­thi­er avait fondé en 1982 avec deux pein­tres s’appelait Car­réH et non tri­an­gle… Dif­fi­cile alors de ne pas tourn­er les pages en arrière pour relire, dans l’anthologie :

 

Essay­er
ten­ter
je ne dis pas : savoir

Aller à contre-ciel
à con­tre-voix
se blot­tir une dernière fois
au creux des mots

Finir, enfin,
comme on a commencé
la porte fermée
la page blanche

 

Par­fois l’amitié se fait plus con­frater­nelle, per­son­nelle, comme dans cette anec­dote relatée par Anne Richter où l’on voit Jean-Luc Wau­thi­er lui faire lire un man­u­scrit, non pour chercher le suf­frage d’une amie mais parce que la recherche du mot juste qui lui man­quait ne pou­vait pass­er que par l’autre. Belle leçon de vie en poésie.

Il n’est pas pos­si­ble de ter­min­er cette recen­sion sans par­ler de la sœur de Jean-Luc, Françoise Wau­thi­er, qui donne trois courts poèmes dont voici le dernier (je respecte la ponctuation) :

 

Deux enfants, de dos, au bord du rivage Devant eux, la mer infinie est calme et promet­teuse (Ah, que de men­songes !) L’un pousse douce­ment l’autre, pour que la peur soit douce Mais la peur, elle, s’est ancrée dans le sable mou­vant L’océan du temps n’est ni calme ni infini
Il reste sur le sable la trace d’un pas, plus grand, Qui vient de tra­vers­er le temps.

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