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John Keats : La poésie de la terre ne meurt jamais

Contemporain de Byron, Wordsworth et Coleridge, poètes majeurs de son époque, le Britannique John Keats (1795-1821) n’a pas eu le temps de déployer tout son talent. Décédé à l’âge de 26 ans, il est l’auteur de longs poèmes narratifs et surtout d’odes qui ont assis sa réputation. A l’occasion du bicentenaire de sa disparition, les éditions POESIS nous proposent des extraits de sa correspondance ainsi qu’un choix de poèmes (traductions de Thierry Gillyboeuf et Cécile A.Holdban) la plupart axés sur une forme de célébration de la nature.

« La poésie de la nature ne meurt jamais ». C’est le premier vers d’un poème intitulé « La sauterelle et le grillon » que John Keats écrit en 1816. Il y parle de « pré frais fauché » où se repose la sauterelle, du grillon dont le chant « par une soirée d’hiver solitaire » monte du poêle. Tout l’art de Keats s’exprime dans des poème de quatorze vers à la gloire de la nature et de ses habitants les plus minuscules.

Ce qui ne l’empêche pas, parallèlement, de s’émerveiller d’une nature « majuscule » quand, par exemple, il se rend à Windermere dans le Lake district ou dans les Highlands d’Ecosse. En juillet 1818, il écrit ainsi à son ami Benjamin Bailey. « Je ne me serais pas consenti ces quatre mois de randonnée dans les Highlands, si je n’avais pas pensé que cela me fournirait davantage d’expérience, me débarrasserait de davantage de préjugés, m’habituerait à davantage d’épreuves, identifierait de plus beaux paysages, me chargerait de montagnes plus majestueuses et renforcerait davantage la portée de ma poésie, qu’en restant chez moi au milieu des livres, quand bien même j’aurais Homère à portée de main ».

Le jeune Keats avait mis la poésie au cœur de son existence. Et il dit comment il la conçoit dans une autre lettre à son ami Bailey.

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, POESIS, 125 pages, 16 euros

« La poésie devrait être quelque chose de grand et discret, qui pénètre dans votre âme, et la surprend ou l’émerveille non par elle-même, mais par son sujet. Qu’elles sont belles, les fleurs qui restent en retrait ! Elles perdraient toute leur beauté si elles prenaient la grand-route d’assaut en s’écriant : « Admirez-moi, je suis une violette ! Adorez-moi, je suis une primevère ! ». Des propos qui signent véritablement son art poétique et sa manière d’habiter poétiquement le monde.

Si Keats dit son amour de la nature, il le dit moins quand il s’agit de parler des hommes. Il a pour eux peu de considération, « tout en affirmant, malgré tout, qu’il aime la nature humaine », note Frédéric Brun dans l’avant-propos de ce livre. Keats était, avant tout, en proie au doute et les jugements sévères portés sur ses textes par les journalistes de l’époque l’atteignaient donc profondément. Mais on connaît la notoriété posthume dont bénéficiera le poète britannique. Il est aujourd’hui traduit dans le monde entier.

                                                                                                  

Présentation de l’auteur

John Keats

John Keats est un poète anglais né à Finsbury Pavement, près de Londres , le 31/10/1795, et décédé à Rome , le 24/02/1821.

Orphelin à 15 ans, il est placé par son tuteur à l'école d'Enfields, puis placé  en apprentissage auprès d'un chirurgien d'Edmonton.

En 1813, il quitte le chirurgien pour effectuer un stage à l'Hôpital de Saint Thomas comme assistant en médecine chirurgicale, et en 1815, il décide d'abandonner la chirurgie pour se vouer totalement à l'écriture. Fréquentant les cercles littéraires, il rencontre très rapidement des écrivains de renom comme Leigh Hunt et Percy B. Shelley. Leigh Hunt l'aide à publier dans un magazine son premier poème, "Lines in Imitation of Spencer".

Il commence par publier un premier recueil, intitulé "Poems" et se fait beaucoup d'amis dans les cercles londoniens. C’est durant cette période qu'il ressent les premiers signes de la maladie qui va l’emporter.

Il entreprend un tour d’Écosse avec son ami Charles A. Brown. Il compose dans ce cadre la "Ballade de Meg Merrilies". Alors qu’il commence "Hyperion", il rencontre chez des amis Fanny Brawne. À la Noël 1819, ils se fiancent. La même année paraissent différentes ballades et odes. Sa maladie commence alors à s’aggraver sérieusement et, sur le conseil de ses médecins, il quitte l’Angleterre pour l’Italie où il meurt.

Bibliographie 

  • Lines in Imitation of Spenser : Vers imités de Spenser
  • Endymion
  • Tales and Poems, contenant le poème Hyperion
  • The Eve of St Agnes : La Vigile de la sainte Agnès
  • Hymn to Solitude : Hymne à la solitude
  • La Belle Dame sans merci
  • Ode sur l'indolence
  • Ode sur la mélancolie
  • Ode à Psyché
  • Ode sur une urne grecque
  • Ode à un rossignol
  • Ode à l'automne
  • To one who has been long in city pent : « À celui qui depuis longtemps est confiné dans la ville »
  • On first looking into Chapman's Homer : « Après avoir ouvert pour la première fois l'Homère de Chapman »
  • A song about myself : Chant sur moi-même
  • Traductions en français

  • John Keats, traduit par Élisabeth de Clermont-Tonnerre, Paris, Émile-Paul frères éd., 1922 (1923?) (3e éd. ; nouv. éd.)
  • Albert Laffay, Keats, Selected Poems, Poèmes choisis, collection bilingue Aubier, Paris, Aubier-Flammarion, traduction, préface et notes, 1968, 375 pages.
  • John Keats, Seul dans la splendeur, traduit et préfacé par Robert Davreu, éd. bilingue, Éditions de la Différence, coll. « Orphée », Paris, 1990.
  • John Keats, Poèmes et poésies, préface de Marc Porée, traduction de Paul Gallimard, NRF. Poésie/Gallimard, 1996.
  • John Keats, Ode à un rossignol et autres poèmes, édition bilingue, traduit par Fouad El-Etr, La Délirante, 2009.
  • John Keats, Les Odes, édition bilingue, traduit par Alain Suied, Arfuyen, 2009.
  • John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, extraits de correspondances et florilège de poèmes, traduits par Thierry Gillybœuf et Cécile A.Holdban, Conception, choix des textes et avant-propos de Frédéric Brun, Poesis, 2021.

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Francopolis, 170ème Édition : Janvier-Février 2022

Francopolis est une revue de poésie en ligne qui paraît tous les deux mois. Créée en 2002, elle offre une place d'honneur à la poésie "mais pas seulement", elle "en appelle" aussi  "à toutes les francophonies, et raffole des arts…".

 

Ce numéro a été réalisé grâce à Gertrude Millaire, Éliette Vialle, Michel Ostertag, Dominique Zinenberg, Mireille Diaz-Florian, François Minod et Dana Shishmanian qui est aussi la cheffe d'orchestre de ce sommaire d'une grande richesse comme à l'accoutumée.

Les rubriques habituelles sont aussi nombreuses que variées :

ACCUEIL - SALON DE LECTURE - LECTURES-CHRONIQUES - CRÉAPHONIE - UNE VIE, UN POÈTE - D’UNE LANGUE À L’AUTRE - FRANCO-SEMAILLES - VUE DE FRANCOPHONIE - ANNONCES & LIENS - BIBLIOTHÈQUE FRANCOPOLIS - COUP DE CŒUR - PIEDS DES MOTS - GUEULE DE MOTS - SUIVRE UN AUTEUR - TERRA INCOGNITA - APHORISMES & HUMEURS - CONTES & CHANSONS - ÉDITION SPÉCIALE  - LES AUTEURS PUBLIÉS - LES ANCIENS NUMÉROS

 

A côté des exercices classiques, comme les "Lectures - chroniques" ou le "Suivre un auteur" le lecteur trouvera de véritables lieux uniques à Francopolis. Un "Salon de lecture" par exemple qui présente des lectures, auteurs, avec pour ce numéro Jean-Louis Bernard introduit par Monique W. Labidoire, et des recherches réalisées par Dana Shishmanian.

Une rubrique qui fait écho à "Terra incognito" qui propose de nouveaux auteurs. Après une présentation et une biographie du poète choisi quelques poèmes sont offerts, ce mois-ci le propos d'Eliette Vialle accompagne les textes d'Eric Costan, rubrique qui enrichit encore si besoin était la pléiade de poètes cités sur Francopolis, qui dans ses rubriques "D’une langue à l'autre" et "Coup de cœur des membres" convoque encore d'autres noms, d'autres recueils, présentés avec quelques extraits. Pour ce numéro 170  Jean-François Agostini, choix Dominique Zinenberg, Patricia Ryckewaert, accompagné des propos d'Éliette Vialle, Anna Akhmatova, présentée par François Minod, Christian Viguié, accompagné par Mireille Diaz-Florian, Jean-Pierre Otte, choisi et introduit par Dana Shishmanian, Hélène Dorion, un choix Gertrude Millaire et René de Obaldia, offert aux lecteurs par Michel Ostertag.

Cette revue est mue par une forte volonté de servir la poésie, de faire découvrir des noms, ou des recueils. Sa démarche d'ouverture sur la francophonie tout comme sur ses consœurs guide les choix éditoriaux, comme en témoignent les sections dédiées à l'actualité, "Liens et trouvailles", "Annonces" et "Vue de francophonie" qui en ceci font écho à ces "Trouvailles" proposées par les rédacteurs. Ouverture qui s'offre comme un festival ludique et créatif,  tonalité contenue dans la sémantique des titres de chapitres, comme les "Créaphonies", ou encore "Guelues de mots & dialogues", "Pieds de mots",  et les "Francosemailles" qui proposent pour cette 170ème édition "Les aphorismes poétiques de Lionel Mar", des "Poèmes inédits de Cathy Garcia Canalès" et "Trois poètes lus par Monique W. Labidoire".

On l'aura compris, c'est une somme déployée à chaque numéro, placée sous le signe de l'ouverture, et de l'accueil de toutes les voix poétiques mais pas seulement. La rubrique "Suivre un auteur" propose dans ce numéro des nouvelles. Véritable lieu ouvert et accueillant, Francopolis se veut l'écho de la variété et de la vie d'un monde poétique bien enraciné dans l'univers d'une vie artistique qui est ici intimement mêlée à la dynamique contemporaine de la création, dont le panorama est déployé dans le synchrétisme fertile qui préside à tout acte de création. 




GUSTAVE JUNIOR

Il y a eu D’écol, à l’épi de seigle autour des années 2000. Il y a Cairns, notre minuscule revue et voici à présent GUSTAVE JUNIOR.

Le point commun entre les trois : le désir d’apporter, d’offrir des poèmes aux enfants ou aux enseignants et autres médiateurs culturels de l’enfance. GUSTAVE JUNIOR s’inscrit dans les dynamiques du CENTRE DE CRÉATIONS POUR L'ENFANCE DE TINQUEUX particulièrement attentif à la transmission de la poésie d'aujourd'hui. www.danslalune.org

 

C’est un mensuel. L’abonnement est gratuit sur le site www.gustavejunior.com.

GUSTAVE JUNIOR est librement utilisable en classe, en médiathèque et pour toute activité pédagogique.

Dans ce premier numéro on trouvera Liliane Giraudon, Frédéric Forte, Bernard Bretonnière, Pierre Soletti, Souad Labbize avec des poèmes sérieux ou rigolos, un souci de proposer des poèmes contemporains, libres de tout dogme et bien vivants.

GUSTAVE JUNIOR, à donner à lire à tous et en particulier aux enseignants.

Rendez-vous lundi 2 mai pour le N°2 !




Stéphane Lambion, Bleue et je te veux bleue

Livre bleu. Couleur du ciel. Lettre blanches. Une couverture qui sied particulièrement au premier livre d’un jeune auteur, tant le contenu vous éclabousse d’une étrange lumière.  Récit, fiction, prose poétique, le recueil oscille, hésite, mais emporte l’adhésion du lecteur.

L’histoire d’un amour inassouvi ou l’histoire du désir d’un amour…  « N’est-ce pas en pointillés que l’on aime, ou plutôt que l’on vit l’amour et ses secousses… ? » dit Jean-Michel Maulpoix dans sa préface.  Le narrateur s’interroge sur la vie à deux, sur le vide vertigineux en lui qu’elle ne peut combler.  Il plonge dans sa mémoire, évoque, relate, constate.

Une petite gitane fantôme, insaisissable, « rieuse et triste » hante le recueil.  « Incertaine, insolente, elle avance » et le narrateur balance entre la femme réelle, qui partage sa vie « depuis cinq années » et celle qui marche dans la rue indifférente.  Il voudrait « construire un pont de mots » pour que l’amour avance sur du solide, pour que « nous » existe, dure.  Il veut croire que « tout irait mieux », mais il a conscience d’un engloutissement, de l’impossibilité d’un pont, même si le poids des mots devrait être gage de durabilité. 

Parfois le désir flamboie dans l’ivresse d’une nuit, mais le matin ramène l’amertume et « laisse un arrière-goût de flamme oubliée ».  Alors il reste l’illusion, le fantôme qui erre dans la ville, celle qu’on cherche sur les quais du hasard. 

Stéphane Lambion, Bleue et je te veux bleue, L’Échappée Belle Édition, 2019, 94 p, 15 €.

Il avance, il recule, une danse de la mémoire et du langage, qui permet l’évocation, l’analyse, l’immersion dans sa vie, et la projection dans le désir, dans le voyage imaginaire/imaginé, « comme en apesanteur », voyage qui ne débouche sur rien.  Où la « petite gitane » s’est-elle évanouie ?  Que reste-t-il quand le froid envahit tout ?

Avec ce premier livre, Stéphane Lambion fait montre d’une belle maîtrise dans la construction et l’art d’emmener son lecteur, avec une langue à la fois simple, poétique et émaillée d’images originales, d’une justesse à couper le souffle.  « En refermant ce recueil, on en conserve quelque chose comme une rengaine tournant en boucle » dit encore Jean-Michel Maulpoix, comme l’odeur d’une cigarette quand la présence s’est évaporée.  

Bleue et je te veux bleue, un livre qui accompagne longtemps, un air d’accordéon dont la mélancolie suinte au détour d’une rue, d’un petit matin… Un bien beau livre.

Présentation de l’auteur

Stéphane Lambion

Stéphane Lambion est né en 1997 à Bruxelles. Écrivain de poésie et de prose, il a également traduit de la poésie contemporaine. « Stockholm », poème issu d'une série longue, et a reçu le prix de la Francophonie au Concours international de poésie de la Sorbonne.

Poèmes choisis

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Stéphane Lambion, Volutes de fumée bleue

Poussez la porte de ce livre, le premier d’un jeune auteur, entrez ! Cela ne manquera pas, dès les premières phrases, vous serez saisi par la netteté de l’écriture : comme un habit coupé avec [...]

Stéphane Lambion, Bleue et je te veux bleue

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Le rôle de la documentation dans Les Communistes de Louis Aragon

Bernard Leuilliot remarque à propos de la documentation utilisée pour la rédaction des Communistes, dans le tome IV des Communistes : « Il s’entoura enfin d’une si vaste documentation qu’Elsa s’en épouvanta. On en retrouve la trace dans la bibliothèque d’Aragon, au Moulin de Saint-Arnoult-en-Yvelines ». Suit alors une liste qui va de Paul Allard pour son ouvrage, L’énigme de la Meuse, publié en 1941, jusqu’à Paul Reynaud pour un tome de ses Mémoires, La France a sauvé l’Europe, publié en 1947 1.

A cette documentation livresque, il faut ajouter la question qu’Aragon posa à Jean Roire : « Où étiez-vous et qu’avez-vous fait le 10 mai 1940 et ensuite ? » Bernard Leuilliot ajoute (p 1361) : « Jean Roire se souvenait  d’y avoir répondu au cours d’un entretien  avec Aragon, son voisin d’immeuble, rue de la Sourdière, à Paris ». Bernard Leuilliot commence son paragraphe, à la même page, par ces mots : « Aragon, en pleine rédaction de ce roman, posait à qui voulait l’entendre  la question »  qu’il posa à Jean Roire.

A quoi, il faut encore ajouter les nombreux voyages que fit Aragon en 1946, 1947 et 1950 dans le Nord de la France  et dans les Ardennes, en janvier 1951, « sur les lieux d’une débâcle qu’il n’avait pas connue directement, celle de la 9ème armée, un voyage de dix jours, enquêtant simultanément auprès des témoins de l’évènement  et aux archives départementales » (B Leuilliot, p 1361, tome IV d’Aragon, Œuvres romanesques complètes)  2.

Aragon, dans son troisième entretien avec Dominique Arban 3, note : «  Qu’en 1966 j’aie entrepris de remanier, pour la prose comme pour le contenu romanesque, ce long roman, ne signifie aucunement de ma part une condamnation de la première version, mais seulement le souci d’apporter à un livre qui joue sur les graves événements de l’histoire de 1939-1940 la lumière que je pouvais difficilement en avoir dix ans plus tôt… ».

Luis Aragon, Les Communistes, Première époque, Novembre 1939 - Mars 1940, La bibliothèque française, 1950.

Voilà qui dit clairement les choses : tant sur les raisons de ce remaniement (on aurait tort d’en chercher d’autres, par exemple un éventuel désaccord) que sur le rôle de l’enquête aussi bien à travers les livres que sur le terrain…

Les voyages d’Aragon de 1946, 1949 et 1950 dans le Nord.

Aragon est à Lille en avril 1946, il est à Lorette (près de Lens) en juillet 1949 et plus tard il est dans le bassin minier. A partir d’une lecture des Mémoires de Léon Delfosse qu’Aragon a sans doute rencontré (alors qu’il était à Lorette pour la journée) et en 1950 alors qu’il se documentait, entre autres,  pour la rédaction de Mai-Juin 1940, je me livre à une comparaison entre ces mémoires et ce qu’il a dû raconter à Aragon qui l’interrogeait alors pour écrire Les Communistes. On me pardonnera cette longue auto-citation mais elle est nécessaire pour bien comprendre comment travaillait Aragon : « Mieux, dans le détail, la comparaison  attentive entre le récit de Léon Delfosse (et je le répète, son texte des années 1983-1986 est à considérer comme la trace écrite du récit qu’il a dû faire à Aragon) montre comment Aragon distribue ce qu’il a recueilli d’un homme (le témoignage) sur ses personnages. Ainsi, à propos de Léon Delfosse, on relève trois utilisations du témoignage : Léon Delfosse devient, sous son propre nom, un personnage (certes secondaire, un figurant pourrait-on dire) du roman (Léon Delfosse dans le stade d’Hénin-Liétard), Léon Delfosse est le pilotis de ce mineur du 3 qu’Aragon décrit comme « un jeune coq  frisé, maigre de visage » et enfin  les informations qu’Aragon tire du témoignage de Delfosse sont attribuées à d’autres personnages du roman (à Gaspard Boquette, par exemple) ou à des points de vue narratifs anonymes ou collectifs (ce que voient les hommes de la colonne en marche  vers Hénin-Liétard…) 4.

Le voyage d’Aragon dans les Ardennes en janvier 1951.

Après avoir rappelé les éléments de la biographie d’Aragon et les débuts de la seconde guerre mondiale, je m’intéresse aux textes relatifs au périple que fit Aragon dans les Ardennes tant françaises que belges. On me pardonnera (bis) cette longue citation : « Le séjour d’Aragon dans les Ardennes en 1951 est donc intéressant à plus d’un titre. Il attire bien sûr l’attention sur un écrivain relativement oublié aujourd’hui, Jean Rogissart. Mais une étude minutieuse de ce séjour montre aussi combien  le recueil d’informations par Aragon sur le terrain, au plus près de la réalité qu’il décrit, influe sur la rédaction du roman, même lorsque celle-ci a déjà été étayée par des sources livresques. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple : c’est en lisant aux Archives départementales  des Ardennes  la relation d’un officier qu’il corrigea l’erreur faite dans le premier état du  manuscrit de la version originale des Communistes quant à l’absence de portes métalliques dans les fortins : « Dans les blocs, les fantassins  sont à leur merci (des attaquants allemands) : pas de volets métalliques, pas de portes arrière, ou s’il y en a, l’obligation de la laisser ouverte pour permettre aux gaz que dégage le tir des armes automatiques, et les assaillants tournent les blocs, les prennent à revers, lancent des grenades, à l’intérieur ou par les embrasures fermées avec des sacs de sable, facilement déplacés » 5.

Il est vrai qu’Aragon avait écrit : « Il n’y avait qu’une chose à quoi on n’avait pas pensé : que des éléments avaient pu s’infiltrer en arrière par une sente, et tandis que les quatre hommes surveillaient en avant par les fentes du blockhaus, un Allemand a jeté par une des embrasures arrière une grenade à l’intérieur de la maison forte. Tout a sauté, les hommes sont morts… » 6. Ah, cette obligation de laisser la porte ouverte !

Le remaniement…

On peut s’interroger, outre les raisons que donne Aragon, sur celles de ce remaniement. Il est évident que l’œuvre d’Aragon est en mouvement… Lui-même remarque : « … je considère Les Communistes sous leur forme dernière, comme le parachèvement du Monde réel » 7. Et ce n’est pas seulement parce qu’on retrouve dans Les Communistes certains des personnages du Monde réel de ses ouvrages précédents !

Faisons rapidement un sort à la critique littéraire. Aragon écrit : « Il me semble que la critique n’a pas regard avec le sérieux désirable l’aventure de ce roman récrit, laquelle ne répond, à ma connaissance, à aucun précédent » 8. Après être revenu au déroulement de la soirée de la Grange-aux-Belles (le 17 juin 1949), Aragon entre dans le vif du sujet en abordant les modalités de la récriture des Communistes : « Je me bornerai à dire quelques mots de certaines modifications qu’il supposait et qu’on peut classer sous trois chefs : le style, les personnages, l’esprit de responsabilité » 9.

Passons rapidement sur le style : la modification essentielle de cette Fin du monde réel consiste en le remplacement du passé par le présent défini (d’autres changements de temps vont avec ce remplacement, pour des questions de concordance). Cela crée un contraste entre passé et présent (qu’Aragon caractérise par ces mots : « Cécile quittée, Jean est ramené au petit écran, au train-train de l’imparfait », les souvenirs et l’actualité… A cela, l’auteur ajoute qu’il « allait falloir débarrasser la nouvelle version ce qui lui était désormais inutile, et me décidai à une série d’opérations chirurgicales» 10. Ce qui montre qu’Aragon a  pris la décision d’arrêter son roman à juin 1940… Par contre, l’esprit de responsabilité mérite plus d’explications (d’ailleurs, Aragon consacre à ce thème environ 4 pages ou 8, à peu de choses près, (réservées au réalisme car Aragon a bien l’idée d’écrire un roman réaliste) sur les 27 que compte La Fin du monde réel, soit un peu plus du tiers de l’édition de la Pléiade.  Je ne peux résister  à raconter l’histoire que narre Aragon dans Mai-Juin 1940, à savoir celle de Jean de Moncey et de Raoul Blanchard parlant de L’Histoire du Parti communiste (bolchevique) de l’URSS (dûe à Staline), Aragon se contentant d’ajouter à la version primitive ces termes : « C’est beau la confiance » 11. A quoi il faudrait ajouter l’affrontement verbal entre le communiste Prache et le socialiste Dansette (p 633), les interventions de Blanchard, etc… Ce ne sont pas les exemples qui manquent !

Notes

1.  Aragon, Les Communistes, tome IV de la collection La Pléiade, éditions Gallimard, Paris, 2008, pp 1361-1362.

2. Lucien Wasselin, à lire dans Les Annales de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet n° 9 (2007), pp 235-249, Aragon, Léon Delfosse et mai-juin 1940 (sous-titré Une contribution à l’archive des Communistes), dans la même revue n° 10, Aragon et Rogissart en janvier 1951, (2008), pp 134-145 (enrichi d’une carte montrant les localités visitées par Aragon tant dans les Ardennes françaises que belges) et dans le n° 59 de Faites Entrer L’Infini, la revue semestrielle de la Société des Amis de Louis Aragon & Elsa Triolet, La Maison forte, un prétexte romanesque, (juin 2015), pp 24-29, les deux études précédentes. 

3. Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers éditeur, Paris,1968, p 153.

4. Les Annales de la SALAET, n° 9, p 248.

5. Les Annales de la SALAET n° 10, pp 142-143.

6. Aragon, Les Communistes (version originale), éditions Stock,  Paris, 1998, p 740.

7. Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers éditeur, Paris, 1968, p 154.

8. Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers éditeur,  Paris, 1968, p 153.

9. Aragon, Les Communistes, tome IV de la collection La Pléiade, éditions Gallimard, Paris, 2008, p 627.

10. Id, p 630.

11. Id, p 633.

Présentation de l’auteur

Louis Aragon

Textes

Louis Aragon est un poète, romancier et journaliste français, né probablement le 3 octobre 1897 à Paris et mort le 24 décembre 1982 dans cette même ville. Avec André Breton, Tristan Tzara, Paul Éluard, Philippe Soupault, il fut l'un des animateurs du dadaïsme parisien et du surréalisme.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures




Anthologie mondiale de la poésie…

« Plaisir de lecture »

C’est un pari audacieux, voire hautement risqué que nous propose les éditions CARACTERES, sous la houlette de sa directrice Nicole Gdalia, également poétesse et universitaire. Docteure en Sciences de l’art et des religions, elle a été notamment responsable de la chaire UNESCO, pour le dialogue interculturel. - dans le cadre du 71èmeanniversaire de la fondation des éditions Caractères par Bruno Durocher. Une maison d’édition discrète implantée au 7, rue de l’Arbalète dans le cinquième arrondissement de Paris, mais qui a fait ses preuves depuis quelques décennies,  grâce à son important catalogue dans le domaine étranger.

Une anthologie de la poésie mondiale, en deux volumes, sous un luxueux coffret, qui ne tardera pas, soyons-en certains, à devenir « collector ». 372 auteurs répartis sur  96 pays avec d’étonnantes surprises. Un travail titanesque réalisé en collaboration avec Sylvestre Clancier et Jean Portante, et avec le concours la Région Ile de France. Un graphisme particulièrement singulier et soigné, il faut le souligner, avec de nombreuses illustrations couleurs et des photographies d’auteurs.

Perdurer la mémoire de son fondateur…

Occasion aussi de rendre hommage à son fondateur le poète Bruno Durocher ou Bronislaw Kaminski, né à Cracovie (Pologne) en 1919.  Sa mère médecin le confie très tôt pour sa scolarité, à l’institution des frères Piaristes, ou Ordre des frères des écoles pies, fondé au VIIème siècle par Saint José de Calasanz, où il se révèle être un élève particulièrement brillant et précoce avec un fort attrait pour le mysticisme, une qualité rare d’ailleurs qui ne le quittera jamais et  qui de fait ne sera jamais contestée par la suite. Vers la fin de sa vie, on le qualifiera même de « Prophète », un qualificatif réputé insondable car « non révélé » au commun des mortels (non pris, non-dit, non communicable).

Ainsi, très jeune adolescent, il se révolte contre les injustices sociales, contre la vie littéraire figée, contre tous les aspects conventionnels de la société, en déclarant ouvertement sa liberté de parole et de ton.

Anthologie de la poésie mondiale, (sous la direction de Nicole Gdalia, Jean Portante, Sylvestre Clancier). Pack en 2 volumes A-L ; M-Z, 55 euros, éditions Caractères.

A l’âge de 17 ans, il publie un premier recueil de poèmes qui fera date et qui lui vaut le surnom fort enviable de « Rimbaud Polonais », de quoi bien débuter dans le monde des lettres. Malheureusement au cours de l’été 1939, l’Allemagne nazie envahit la Pologne et le poète n’échappera pas à l’arrestation. On l’enregistre comme jeune intellectuel. Il est ensuite interné successivement aux camps de Struthof et Sachsenhausen.  Il passera ensuite cinq longues années dans le camp de Mauthausen endurant le froid, la malnutrition dans des conditions hygiéniques épouvantables et inhumaines. Il survit néanmoins par miracle. Lorsqu’il est enfin libéré en 1945. Il est alors conduit à Paris par la Croix-Rouge française où une nouvelle vie va pouvoir enfin commencer malgré la disparition de toute sa famille. Il rêve alors de fraternité et de langue universelle. Il apprend l’Espéranto, se consacre à la lecture et à l’écriture avec une fougue inhabituelle. Le poète malgré les souffrances n’a pas perdu de son désir de vivre en montrant au monde, que la dignité retrouvée est porteuse de tous les espoirs. Mais il faut continuer à se battre enfin de pouvoir se regarder en face dans un miroir sans rougir « d’être ce que l’on est ». Et il est clair que le poète, lui, le rescapé des camps de la mort, n’a pas à rougir d’avoir ainsi survécu à l’infamie troublante des hommes sans cerveau. Pourtant et paradoxalement il ne leur voue aucune haine manifeste. L’Homme aurait-il pardonné à ses bourreaux ? Là encore c’est tout un mystère !  Et c’est au cours de cette période qu’il fonde avec quelques amis poètes, Jean Follain, Jean Tardieu, André Frènaud, la Revue Caractères qui publiera les plus grands noms de l’époque, puis les éditions Caractères qui à leur tour révéleront de jeunes talents. Il fait d’ailleurs l’acquisition de sa propre imprimerie artisanale qui finit par devenir célèbre avec le temps.  Pour ceux qui ont eu la chance de le connaitre, on se souvient d’un personnage effacé derrière son petit bureau, à peine éclairé presque en contre-jour.  Un homme au regard lumineux, aimant, mais portant les stigmates d’une souffrance encore présente. Un homme à la parole quasi silencieuse, souvent douce et mesurée, parlant rarement de lui mais plus facilement de l’AUTRE. Et très à l’écoute des jeunes poètes de son temps, il s’amusait parfois d’ailleurs d’écouter ces jeunes « trublions » utopistes et impatients voulant refaire le monde à leur manière, non sans quelque naïveté toutefois, mais certainement sincère…. Après sa disparition Nicole Gdalia reprendra le flambeau avec l’enthousiasme qu’on lui connait, ne parle-t-elle pas d’ailleurs elle-même, souvent de Fraternité. Ainsi « Le Prophète » ne disparaitra-t-il pas….

 

« Quand le silence fut sur les cendres de mon monde j’ai tâté mon corps sans croire qu’il existe car il était composé des os et de la peau comme un squelette habillé d’un drap »

« Langue de mon pays natal végétait en moi comme une mauvaise racine comme un souvenir qui revenait à la réalité »

A l’image de l’homme

Editions Caractères 1975-1976

Des choix judicieux et éclairants …

Les anthologies de poésie font actuellement légion, mais admettons-le toutes n’ont pas le même attrait et la même vocation. Souvent thématiques et répondant le plus souvent à une ligne éditoriale bien définie, permettant de mettre en valeur des auteurs de tout bord, et c’est tant mieux, elles n’en demeurent pas moins éphémères, voire vite oubliées, maladroitement rangées dans les rayons des rares librairies qui les accueillent. De même que le choix des auteurs proposés s’avère souvent aléatoire et très ciblé, chaque éditeur ayant ses petites préférences littéraires, ce qui somme toute semble assez logique. Certes l’on retrouve certains d’entre eux dans de nombreuses publications avec une belle visibilité à force de patience et de temps. Mais leur nombre demeure fort limité, sorte de loterie implacable propre à générer des frustrations et des rancœurs chez » les oubliés de l’histoire littéraire », mais il est assez rare qu’une grande œuvre passe inaperçue.

Une poésie qui se veut bien vivante et au-delà des frontières !

Qui permet au lecteur de se faire une idée assez précise de la production poétique et littéraire d’une période donnée. Et c’est tout le mérite de cette anthologie où l’on côtoie inlassablement des poètes disparus, mais qui ont marqué leur temps, Antonin Artaud, Claude Aveline, jacques Bens, Luc Bérimont, Michel Butor, Jean Cassou, Georges Emmanuel Clancier, Juliette Darle, Pierre Emmanuel, Isidore Isou, Pierre-Jean Jouve, Jean Laugier, Joyce Mansour,  Bernard Noel, Jean  Rousselot, Raymond Queneau, et tant d’autres encore que  nous ne nous lassons pas de lire ou relire ; et les vivants , Jacques Alyn, Jacques Ancet, Ben Vautier,  Sylvestre, Clancier, Michel Deguy, , Jacques Jouet, Nelly Kaplan, Nohad Salameh,, Vénus Khoury- Ghata etc… Et puis bien sûr des poètes de tous les continents pour n’en citer que quelques-uns.  Frederico Garcia Lorca, (Espagne), Edouard Glissant (Martinique), Vahé Godel, (Suisse), Ossip Mandelstam, (Russie), Edouard Maunick (Île Maurice), Paula Meehan, (Irlande), Czeslaw Milosz (Pologne), Géo Norge (Belgique), Erza Pound (Etats-Unis)  Bejan Ratour (Turquie), Yannis Ritsos (Grèce) etc…

En clair une publication rare qui tombe à pic, dans une période désabusée, où chacun se regarde en chien de faïence, sans trop savoir quelle direction prendre faute de marqueurs probants - où les rapports humains apparaissent parfois disloqués, voire mortifères, où la parole et les mots ne semblent plus avoir de réelle importance -où l’on confond la fragilité du sable et du vent, avec la force du granit et du fer, multipliant les confusions du genre humain. La poésie s’affirme alors, comme le meilleur rempart de notre liberté. Merci à toi Nicole, et nous n’en attendions pas moins de toi, pour ce rappel pour le moins salutaire…




Florence Saint-Roch, Rouge peau rouge

Si les « Peaux rouges » sont déjà entrés dans la poésie française par Les Natchez de Chateaubriand ou par « Le bateau ivre » de Rimbaud (« Des Peaux-rouges criards les avaient pris pour cibles / Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs »), c’est grâce au dernier livre de Florence Saint-Roch qu’ils réapparaissent aujourd’hui pour apporter un don d’énergie à la vie comme à la poésie.

Mais avec Florence Saint-Roch, c’est moins « l’Indien » exotique qui est convoqué que « l’indien en chacun de nous », notre « indien intérieur ». Car, même si nous l’ignorons, nous avons tous un « indien intérieur ». Ces pages nous le font découvrir, ce livre est l’éveilleur de « l’Indien » en nous.

Composé de dix « chants » en vers non ponctués, porté par des strophes courtes et denses, ce recueil monochrome donne la parole aux « Indiens » qui, dans une forme de prosopopée libre et joueuse, parlent d’eux-mêmes à la première personne du pluriel (« nous ») ou par l’entremise du pronom indéfini (« on »). Ce dispositif ingénieux permet peu à peu l’identification des lecteurs aux « Indiens » qui, dans une relation spéculaire, sont de plus en plus nous-mêmes.

Baudelaire rêvait d’une œuvre où « la couleur pense par elle-même ». C’est ce qui a lieu ici où la couleur « rouge », qui déjà encadre le titre, semble douée d’une force autonome grâce à laquelle elle a l’ascendant sur le langage. Mais qu’est-ce que le « rouge » pour Florence Saint-Roch ? Couleur emblématique des « Peaux-rouges », pour lesquels elle est dotée d’une force magique et thaumaturgique, le « rouge » ici a pour vocation de revivifier le mot et le monde. Le « rouge », qui submerge tout (« Rouge dedans rouge dehors », « Rouge esprit / Infusé en tout »), incarne la vie par excellence. 

Florence Saint-Roch, Rouge peau rouge, Le Castor Astral, 2021, 88 pages, 12 €.

« Vivre » « rouge » : tel est l’enjeu. Détachée à la fin du poème initial en italiques, l’expression « on vit rouge », où le verbe « voir » et le verbe « vivre » effacent leurs dissemblances, est à la fois un art poétique et un art de vivre auquel nous invite Florence Saint-Roch. Ce don de vie à nos « mondes décolorés » est encore souligné par la dissémination du signifiant « vi » dans tout le livre : « vit » / « vif » / « vite » / « souvient » / « vivre » / « vibrations » / « vivant ». Comment résister à une telle perfusion de vie par le « rouge » ?

Si notre « Indien intérieur » exacerbe la vie en nous, qui en manquons trop souvent, cette exacerbation est encore accrue par la plénitude des cinq sens (en particulier l’olfactif : « Aussitôt on flaire les pistes ») démultipliée par les synesthésies. L’union sans cesse célébrée des quatre éléments (« Ciel et terre s’embrasent ») fait de Rouge peau rouge une poésie élémentaire qui travaille à l’avènement d’une éthique de « l’Indien intérieur » : éthique du mouvement ( « Aérien notre élan »), de l’osmose de l’être et du monde (« On gagne les hauteurs de l’arbre / Qui grandit en nous »)  et de la confiance dans l’avenir (« D’avance on fait alliance / Avec ce qui viendras ») ; éthique du peu (« On n’a pas grand-chose entre les mains »), du transitoire (« Nos campements sont provisoires ») et du départ (« Alors vite partir sans tarder »). Il y va de l’invention d’un nouveau rapport au temps et à l’espace (« Se dessine un autre temps dans le temps / Dans l’espace un autre espace ») à vocation thérapeutique (« Soigner et guérir ») où l’acte de vivre et de « danser » coïncident enfin (« On danse à l’aplomb du haut mât ») dans une invitation à la légèreté (« Notre usage du monde / Tenu et léger »). Ce que répare Rouge peau rouge, c’est la « peau » de l’être, qui engage à la fois la surface et la profondeur. Comment ne pas se rappeler, à la lecture de ce livre, d’une pensée de Valéry : « Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau » ?

C’est bien à la métamorphose de l’être qu’œuvre ce livre, pour lequel Florence Saint-Roch invente une langue qui claque comme le « vent » qui traverse les pages : langue où les « pigments » de la couleur libèrent aussi le rythme ; langue qui travaille la matière sonore (« Syllabes rugueuses menées réfractaires ») ; langue qui revivifie les proverbes ( « Pas de fumée sans feu », « Fi du commerce de peaux / On ne vendra ni celle de l’ours/ Ni la nôtre ») ; langue dans laquelle le langage quotidien puisant sans cesse sa force dans l’oralité  (« On est des drôles d’Indiens ») alterne avec la saveur sonore de mots rares , botaniques ou gemmologiques, souvent groupés par triades scandées ( « Echinacée onagre hamamélis / Lobélie sassafras géraniums », « Jaspe calcite cornaline », « Amarante cadmium vermillon »).

Qu’est-ce que vivre en poésie ? N’est-ce pas libérer « l’Indien » en nous ? Car ces « Indiens intérieurs » ressemblent aux poètes. Comme les poètes, ils vivent de « signes » (« Les signes arrivent / brefs et urgents »), ils ont le sens de la tribu (« La tribu scellée / Grande âme vivante »), ils unissent les « mots » aux « choses » (« les mots jamais plus grands que les choses »), ils sont accordés aux « songes » (« Nos songes / Leur sens si aigu de la réalité ») et à l’« énigme » (« On s’endort on part / Rejoindre l’énigme »). Surtout, comme les poètes, ils identifient vie et « risque » : « N’importe / On se risque. Aussi le dernier vers du livre est-il fondé sur un travail de distorsion grammaticale du verbe « oser », qui en sort doté d’une énergie nouvelle : « Dans les yeux de ceux qui regardent plus loin / Qui s’osent plus avant ».

Dans notre modernité inquiète et instable, nous avons besoin de ce que j’aimerais appeler l’œuvre au rouge de Florence Saint-Roch, forme originale et neuve d’écopoésie qui, réveillant « l’Indien » en chacun de nous, invente une façon de répondre de la terre, d’en être enfin responsable.

Présentation de l’auteur




Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire, Mi-graines

Orphée lunaire, dernier opus d’Ara Alexandre Shishmanian, suit de près le Mi-graines paru aux éditions L’Echappée belle en 2021. Disparité sémantique entre ces deux titres, mais on retrouve dans ces deux recueils la marque distinctive de ce poète unique.

Et c’est sans aucun doute cette acuité, cette lucidité à laquelle rien n’échappe qui sert un style reconnaissable entre tous. Visée réflexive sur le langage, et posture supra-consciente, tissent des poèmes où le propos balaie le prisme entier des existences, et interroge sans concession les passages de chacun de nous.

Orphée lunaire convoque une référence explicite et tutélaire. Mais le lyrisme d’Ara Alexandre Shishmanian qui s’inscrit dans le sillage de celui des romantiques, désabusés et lucides, atteint une modernité qui dépasse ses prédécesseurs. Ce recueil arrive après ces années d’épreuve planétaire. Il dit, et demande. La figure du poète devient agissante, mage qui prend place dans la cité et se saisit de ces paramètres sociétaux.  Cet horizon apocalyptique n’est pas subi, mais interrogé, transmué en énergie transcendante, tout comme le langage est soumis à l’épreuve de la plume de cet énonciateur droit et ascendant comme sa parole.

C’est grâce à une poésie agencée pour renverser les images, et les ouvrir telles des coupes béantes remplies du reflet des étoiles, qu’Ara Alexandre Shishmanian convoque les archétypes qui sous-tendent notre conscience. 

Et pour comprendre comment s'agencent ces couches sémantiques successives, il faut plonger dans cette syntaxe vagabonde, il faut suivre ce lexique parachuté dans des champs inédits,  recevoir ces références tutélaires mises à l'épreuve du présent, et alors on arrive en terre poétique.

Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire, traduit du Roumain par Dana Shishmanian, et revu par l'auteur, L'Harmattan, Collection Accent tonique - Poésie, Novembre 2021, 96 pages, 12,50€.

Cette langue est faite de musique, mais une musique percutante, puissante, à double, triples, multiples niveaux, et qui convoque pour finir les archétypes les plus enfouis en chacun de nous. 

 

la lune allumée dans la plus vielle nuit •
au-delà est un mot plus chaud que jamais •
l'automobile aux coquillages paris les étoiles •
décousues •
le train de la mort se dissout dans le Styx de mon sang •
je suis hadès - et je suis Morphée - et je chante l'enfer •
le manteau du lointain engendre les barques de l'énigme •
je nais le sphynx à la main - temps aux deux miroirs •
mais comment pourraient-ils - les vampires des secondes,
déposer leurs images tels des œufs •
moi - bien. trop au-delà d'eux •
eux - bien trop en deçà de moi •

 

Le lexique tantôt usuel tantôt nourri de pierres précieuses est soumis aux bourrasques syntaxiques et aux jeux avec l'espace scriptural, pour créer le plus souvent des figures de retournement. Italiques, emploi d'un point qui clôture la plupart des vers mais pas tous, chiasme et anaphore, façonnent une langue inédite et forment un ensemble qui mène l'expression  d’une poésie qui révèle, qui exhume, qui transmute la puissance symbolique des figures archétypales.

Toute la dimension du mythe d’Orphée est là, mais lunaire comme le dit le titre. Union des principes masculins et féminins, réconciliation des polarités, dans un synchrétisme  temporel, artistique et conceptuel, car le poète ne cesse d'interpeler la langue, Ara A Shishmanian actualise la guirlande séculaire des symboles orphiques et offre au poème cet ultime point de bascule.

Et que l’on ne s’imagine pas que dans Mi-graines recueil qui précède l’Orphée lunaire, publié  fin 2021, cette intensité soit moindre. Le titre dessine un horizon d’attente placé sous le signe de l’humour à cause du jeu de mots. Et toute la poésie d’Ara Alaxandre Shishmanian est remplie d’humour, mais aussi de gravité. Une sorte de structure antithétique qui sous-tend l’œuvre et les recueils, qui oscillent entre un lyrisme qui place l’être face à l’espace infini de sa dimension augurale, et la présence d’un sujet pensant, qui adopte une posture spéculaire pour interroger le langage, fouiller toutes ses dimensions, avec intelligence, humour, amour, et clairvoyance. Ici aussi le poète n’ignore rien de la puissance sonore des mots, ni de ce qu’ils recèlent de traces qui résonnent en chacun de nous de manière différente. Livre de la conscience de la conscience, cette dimension spéculaire ne quitte pas la langue d'Ara Alexandre Shishmanian qui sans cesse ouvre des tiroirs sémantiques, étage le verbe, additionne les silences.

 

le mangeur d'outils

je m'évertue à manger mes outils •

les outils de fer, de bronze et de pierre -

d'os - d'argent et d'or •

les outils de temps et les outils de syllabes -

les outils d'espace et les outils de pensée •

les outils de sensation et les outils d'esprit -

les outils de migraine et les outils de néant •

et - l'outil moi-même - le mangeur d'outils •

Ara Alexandre Shishmanian, Mi-graines, couverture, Le trône et la lyre, dessin de Dana Shishmanian, L'échappée belle édition, collection Ouvre-boîtes POESIE, 85 pages, 15 €.

Le langage est le territoire d’Ara Alexandre Shishmanian, mais il n’y reste pas, il demeure dans les sphères archétypales. Et lorsqu’il se saisit des mots, il se produit alors un événement, une transmutation alchimique que peu parviennent à rendre efficiente, la poésie.

Présentation de l’auteur

Ara Alexandre Shishmanian

Né à Bucarest en 1951, diplômé de la faculté de langues romanes, classiques et orientales, avec une thèse sur le Sacrifice védique, opposant au régime communiste, Ara Alexandre Shishmanian a quitté définitivement la Roumanie en 1983. Poète et historien des religions, il est l’auteur de plusieurs études sur l’Inde védique et la Gnose, parues dans des publications de spécialité en Belgique, France, Italie, Roumanie, États-Unis (dont les actes du colloque « Psychanodia » qu’il a organisé à Paris sous l’égide de l’INALCO en mémoire de I. P. Couliano, disciple de Mircea Eliade : Ascension et hypostases initiatiques de l’âme. Mystique et eschatologie à travers les traditions religieuses, 2006, et le premier numéro d’une publication périodique : Les cahiers Psychanodia, I, 2011 ; ces deux publications sont éditées par l’Association « Les amis de I. P. Couliano » qu’il a créée en 2005).

Il est également l’auteur de 18 volumes de poèmes parus en Roumanie depuis 1997 : Priviri / Regards, Ochiul Orb / L’oeil aveugle, Tireziada / La tirésiade, regroupés dans Triptic / Triptyque (2001, éd. Cartea românească), le cycle Migrene / Migraines, I-VI (2003-2017), le cycle Absenţe / Absences, I-IV (2008-2011), et enfin Neştiute / Méconnues, I-V (2012, 2014, 2015, 2018).

Deux volumes de poèmes traduits en français par Dana Shishmanian sont parus aux éditions L’Harmattan, dans la collection Accent tonique : Fenêtre avec esseulement (2014), et Le sang de la ville (2016), les deux plusieurs fois recensés dans des revues littéraires françaises (dont Recours au poème).

Autres lectures

Ara Alexandre Shishmanian, Fenêtre avec esseulement

Historien des religions, auteur de plusieurs études sur l'Inde Védique et la Gnose, Ara Shishmanian a également organisé, puis édité avec son épouse, Dana, les actes d'un colloque sur la mystique eschatologique à travers les religions mais aussi de 14 volumes de poèmes parus en Roumanie depuis 1997.

Ara Alexandre Shishmanian, Les Non-êtres imaginaires

Avouons-le : il s'agit, à première vue, d'un livre difficile, érudit, qui fait appel, entre autres, à des auteurs majeurs tels Borges, Poe, Kafka, Novalis, Rilke... Ce d'autant que nous sommes face à [...]

Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire, Mi-graines

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Davide Napoli, Les Ombres du vide

L'encre. Les encres, les dessins, les poèmes, se croisent et s'entrecroisent dans les recueils de Davide Napoli, se dispersent et se rassemblent, se tracent et s'effacent, se trouvent et s'annihilent, de manière itérative. Mais surtout, tout cherche ce point de rencontre où le trait sera la lettre et où le tracé des figures deviendra le discours témoignant de la possible invention d'un langage global. 

C'est dans ce recueil que l'évidence de cette démarche d'une cohérence absolue apparait. Dans Les Ombres du vide, les poèmes offrent un cadre aux encres, d'autant plus efficient que l'ensemble formé par la totalité des poèmes opère grâce à la régularité structurelle permise par le dispositif mis en œuvre. L'anaphore organise le passage d'un texte à l'autre  car  chaque poème commence par "Comme si de loin",  et le nombre récurrent de vers, quatre, ainsi que l'emploi des italiques systématisé dans les deux derniers vers,  rythment le recueil, et accompagnent les dessins qui, eux aussi, mettent à jour cette posture itérative, celle de l'œuvre, celle de l'artiste, qui appellent dans cette circularité celle du monde, dans ce balancement celui d'avant la vie, lorsque le mouvement de la marche maternelle berçait le silence.

comme si de loin
la poussière des voix
entre les vibrations des anneaux
symphonie des branches d'eau

 

Davide Napoli, Les Ombres du vide, éditions unicité, collection Le metteur en signe, 2021, 56 pages, 13 €.

Les phrases nominales qui clôturent  les poèmes ouvrent sur les encres, dessins où apparaissent l'ébauche d'un visage, toujours le même, présence fantomatique redondante, perdue  dans ce magma de traits qui encerclent la représentation inachevée de l'être.  Cette isotopie graphique rejoint l'isométrie des poèmes et ancrent/encrent l'enchâssement de ces deux polarités  artistiques dans un enchaînement virtuellement infini. Tout recommence sans être ni pareil ni différent.

comme si de loin
un chemin de l'inimaginable
images sans voix
gestes sans langue.

Alors que se passe-t-il entre l'encre et les encres ? Il n'y a pas de dialogisme, pas plus que de commentaire, il n'y a pas d'illustration ni de reprise, pas de discours et encore moins de désir d'établir un cadre référentiel. Le rythme est celui d'une globalité où le mots cherche le trait et où les tracés écrivent. L'ensemble s'interpénètre là où les mots ont cessé de vouloir dire et où la représentation ouvre sur un espace inédit, celui d'une quatrième dimension sémantique, qui serait celle d'un langage global qui au-delà du langage et de la représentation ouvrirait à un espace symbolique. Davide Napoli n'écrit pas, et ne dessine pas non plus, il fraie des passages vers les universaux que nous portons tous, vers la manne archétypale enfermée dans nos inconscients, qui sait que nous sommes un. Un est le trait, signe unifié dans le tracé des lettres comme dans l'espace des représentations, qui retrouvent  dans le rythme incandescent de ce recueil leur nature intrinsèque de vecteur vers un syncrétisme sémantique, artistique, et humain.

comme si de loin
poursuite d'un signe
une fois à manquer pour la énième fois
le pas irréversible du silence

Présentation de l’auteur

Davide Napoli

Écrivain et plasticien, Davide Napoli explore les formes fulgurantes de la pensée, à travers les « in-tensions » de l’encre de chine et de l’écriture. Sa recherche sur le geste du vide et sur le temps explore la chute et le vertige du chemin de l’intime.

Docteur en Philosophie et en Arts et Sciences de l’Art, il enseigne Arts plastiques à l’université Paris I, Panthéon Sorbonne et « Méthodologies et techniques du contemporain » à l’Ecole des Beaux Arts de Palerme, Italie. Il est membre de l’équipe de recherche « Art Sciences et Société » Institut ACTE (Sorbonne.)

TEXTES / PERFORMANCES / INSTALLATIONS

2020

« Résidence d’artistes en Brenne » Chantons aux vaches, « Humain non Humain. »

« Workshop : Le jardin comme exposition et l’exposition comme jardin » à Monaco, dans le cadre de « Art et Ecologie les jardins exotiques » accord de recherche entre L’Ecole des Arts de la Sorbonne, L’Ecole des Beaux Arts de Palerme et Le Pavillon Bosco Monaco.

« Effacement et Déconstruction », performance avec Georges Banu et Carole Mesrobian, texte de Georges Banu, et « Symphonie Plastémique » performance participative,  à l’Ambassade de Roumanie à Paris, dans le cadre de « POETICA » événement organisé par les Editions Transignum.

« Méditations de l’ombre » performance textes et encre de Chine, galerie Michel Journiac, dans le cadre des « journée Journiac », Université Paris 1, Panthéon Sorbonne.

« A part être » ,  texte Anne De Commines, dessins Davide Napoli, lecture et performance à la Galerie Espace Le Scribe L’Harmatan, Paris.

2019

« Résidence d’artistes en Brenne » Chantons aux vaches, P/CAS#19, Paris Photo.

« Arts et Jalons » Colette Klein reçoit : présentation du recueil «  Anthologie des ascendances » de Anne de Commines et Philippe Tancelin et rencontre avec les dessins de Davide Napoli, lecture du  « Anthologie des Ascendances » Éd. Unicité, Paris.

« Europalia/art festival/Romania » Théâtre de Liège, performance « Symphonie Plastémique »,Liège.

 « Chantons aux Vaches », résidence performative transculturelle, Châteauroux/Migné, « Timeless Résistance » avec l’installation et performance « L’île de la résonance »

« You living room me » performance immersive avec Elodie Lachaud à l’espace Cabaret de la performance », Paris.

« Seulement un lapsus seul » performance, texte, dessin,vidéo, dans le cadre du cycle « Infra-Rupture » à l’espace Cabaret de la performance, Paris.

Il s’agit de l’action de l’encre et de l’écriture qui s’infiltrent dans les mailles/ entrailles du son, du verbe, du sens, de leur vibration et qui touchent un espace fragile, le temps d’une errance de la faille, en l’élargissant et en étirant sa voie à l’excès...

2018

Cabaret de la Performance a participé PARIS CONTEMPORARY ART SHOW BY YIA ART FAIR, LE CARREAU DU TEMPLE (PARIS), Octobre 18 - 21.

Une digression dans l'espace et le temps de quatre jours où la performance se donne à perte de vue et à perte des corps/présences traversant l'autre côté de la ligne, du miroir, de l'horizon pour échapper au contrôle de la conscience ...

Paroles/corps/images saute, basculent de l'autre côté de l'histoire d'un voyage sans retour...

 « Memory of the future » soirée performative en duplex par skype avec WASP Bucarest.

« Noli me tangere » performance avec Isabelle Maurel et Cornelia Petroiu au Musée National de la Littérature de Roumanie » à Bucarest, Roumanie.

Présentation et performance au salon du livre, stand de la Roumanie, du livre « 101 livres ardoises » Editions Transignum, Paris.

« Effacement » performance avec Elodie Lachaud, dans le cadre du Printemps des poètes, à la galerie du Buisson, Paris.

DDD « Dessein, Dessin, Design » Fabrique médiatique de l’histoire, Agnes Callu dir., discussion et performance sur « le dessin comme membrane sensible de nos mémoires oubliées » à la galerie du Buisson avec l’artiste Françoise Perrono, la galeriste Barbara Tannery, l’artiste et éditrice Wanda Mihuleac et Agnes Callu historienne d’art, Paris. http://www.hubtopia.org/2018/09/10/ddd

«Impression, Tainan Artist in Residency, Tainan-Paris, curateur et responsable M. Huang-Ti Lin professeur d’Art à La National Univerity CHENG KUNG, Tainan Taiwan, département d’architecture, performance et dessin avec Bonnie Tchien et Elodie Lachaud/ performance interactive avec Elodie Lachaud/ Performance « Symphonie Plastémique n°10 avec les étudiants d’Art de La National Univerity CHENG KUNG, Tainan Taiwan, département d’Architecture.

« Lie Down » performance texte, avec Elodie Lachaud, Bonnie Tchien, Amelie Pironneau, Aymeric Ebrard, à l’espace du Cabaret de la performance, Paris.

« Chantons aux Vaches », résidence performative transculturelle/ Performance « Les fantômes de la confusion » et installation land art «Le passage du rochet vert », à l’espace du cabaret de la performance, Paris.

« L’âme conte lame » performance avec Bonnie Tchien et Elodie Lachaud, au Cabaret de la performance, Paris

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PUBLICATIONS

Bibliographie

2021

Intragème, création écriture partition musique de Jean-Yves Bosseur, Poème, création graphique et traduction de Davide Napoli, Éditions Transignum, Paris. 2020

2020

« Le lapsus de l’ombre » Éditions Unicité, Paris, février 2020.  

2019

«  Paris lapsus » à l’intérieur du « Un chant pour Paris , anti-guide poétique » José Muchnik et Philippe Tancelin, éditions Unicité, Paris.

2018
« Noli me tangere » texte en français, italien, roumain et latin, éditions Transignum, Paris.

2017
« 101 livres ardoises »
, livre de textes et de dessins, Éditions Transignum, Paris.

2016
« Errances Cristallines »
texte sur/avec Bonnie Tchien Hwen-Ying, Éditions Transignum, 2016, Paris.

« À part être » dessins de Davide Napoli, textes Anne de Commines, Jacques Flament Editions.

2015
« Eco al colore », Monographie sur l’oeuvre de Alberto Cont, textes de Yves Michaud et Davide Napoli.

2010-2014
« Videsse la vitesse du vide »
, Éditions Transignum, 2014, Paris.

« La pensée Plastémique », Editions Transignum, 2013, Paris.

  

Autres lectures

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Carole Marcillo Mesrobian, De Nihilo Nihil ou la simulation des origines….

Dans un précédent opuscule intitulé secrètement Nihil (éditions Unicité 2021), Carole Carcillo Mesrobian avait surpris par la direction nouvelle et singulièrement inédite que prenait son œuvre poétique.

Un tournant semble t-il nécessaire à la poétesse performeuse pour nourrir une interrogation plus profonde et disons –le, plus extensible à la croisée de nombreux chemins dont l’inclinaison « scripturaire » marque désormais un positionnement se voulant  clarifiant presque visionnaire au sein d’une expérience dépassant les limites de la matérialité. Avec la même verve, l’auteur qui vient de faire paraître De Nihilo Nihil, nous invite dans un même prolongement à nous profiler au sein d’un MONDE étrangement circulaire qui d’une certaine manière corrobore un ensemble de principes énoncés antérieurement. Ici le NOUS se substitue au IL avec une incroyable précision sémantique, cherchant « ici ou ailleurs », « ailleurs et maintenant », de nouvelles bases plus propices à l’immersion souterraine, celle qui plonge chaque personnage dans la nuit tardive et absolue dans un décor certes irréel mais dont les contours se dessinent progressivement.

Nos pas mesurent la profondeur d’une immatérialité théâtrale.  (P.9)

Nos personnages tournent autour d’un vide scriptural… (P.9)

Nous regardons l’absence des spectateurs parce que nous avons enfermé le visage de nos rôles dans le mutisme d’une lecture itérative. (P.9-10)

Carole Carcillo Mesrobian, De nihilo nihil, couverture Sergio Schmidt Iglesias, Tarmac éditions, 2022, 51 pages, 12 €.

Le ton est ainsi donné dans l’exploration soucieuse d’un nouveau monde qui coïncide adroitement avec une mise en scène théâtrale, mais comme dématérialisée de sa propre substance organique (éternellement vivante)  et dans laquelle l’essence originelle s’est littéralement volatilisée comme par magie ou enchantement. Une plongée abyssale dans l’abstraction soudaine mais calculée, où le langage ne ressemble plus qu’à un artifice tronqué - réduit à l’état de poussière cosmique. Dans un contexte si singulier autant que surprenant (car il faut tenir la distance), c’est bel et bien le personnage qui désormais fait la Loi – façonne sa propre Loi, sans tenir compte des contingences funestes d’une telle entreprise. A partir de  RIEN, et c’est un paradoxe,  d’engendrer un autre  RIEN  (de valeur opposée),  qui vient soudainement suppléer à l’inconnaissance de ses intentions initiales ; car il y a bien dans cette folle tentative  – une radicalité expiatoire – à peine dissimulée, mais qui se veut aussi une barrière protectrice sur la mainmise des croyances et des origines. D’ailleurs :

 

Une résonnance manichéenne soutient la durée de notre représentation. (P.10)

 

Mais de quelle résonnance alors,  qui ne soit pas l’envers d’un décor muet,  où précisément l’aveuglement et la surdité restent de mise ?  On peut alors gager que la re-présentation qui la sus tend, est également un leurre qu’il convient de circonscrire afin de se protéger (Ô tumulte des éléments ! ), où « Nos gestes s’identifient sur la résistance de l’air. » (P.10). Résonnance, résistance assimilables à toute forme d’incarnation qui jamais ne prend racine.

Là où  « Une mythologie événementielle détourne l’évidence de l’absurde vers une théogonie arbitraire. » (P. 11) oserais-je dire en ce qui me concerne, pour le moins «  suicidaire ». Théogonie, cosmogonie qui s’affrontent  comme dans un mauvais jeu de rôle, où la victoire n’est jamais complètement assurée. Et si la référence à Hésiode, n’est pas immédiatement perceptible, on peut cependant considérer, sous réserve cependant d’une réponse viable, que la poétesse, habituée des parcours sinueux, n’ignore nullement le « Caprice des Dieux et des Hommes ».

 

Les Dieux logés au ciel firent premièrement
L’humaine race d’or, lors du gouvernement
Qu’avait Saturne au ciel ; or ses hommes sans peine,
Sans travail, sans souci, vivaient une âge pleine
A l’aise comme Dieux… 

                                        (Les travaux et les jours, vers 139 à 164)

 

Ainsi

 

Notre scène mesure la distance de notre effacement.  (P.13)

L’effigie de nos figures dessine un portrait de nos masques.  (P.13)

 

Et à condition toutefois que le masque vienne bien se greffer « après », dans « l’après » d’un quelque chose qui reste plus à définir qu’à démontrer, comme si alors, le jeu inexplicable par nature n’en valait plus la peine.

 

Un nombre métaphorique situe l’emplacement de nos rôles dans un espace perpendiculaire au vide.  (P.17)

 

Et si l’on sent bien que la poétesse est la maitresse d’œuvre de sa propre histoire inventée (revisitée pour la scène finale), il n’en demeure pas moins que les traces, elles, demeurent enfouies ; comme « un chant apocryphe » (P.20). Tout le danger se situant alors dans la confusion des termes (du terme) où chaque pas fait preuve d’éloignement, comme, « Nous traçons un territoire tribal autour d’un décor théâtral. » (P.20) en guise de prosodie. Il n’est donc pas étonnant que, « Nos personnages existent dans la dimension de leur impossibilité. » (P.22) ou plutôt de leur négation, volontaire ou involontaire. À ce stade, cela  importe peu finalement, pourvu qu’ « Une épopée édifie notre scène contre notre spectacle. » (.P.23) . Et c’est donc bien « contre » que le MONDE,  s’intensifie  dans sa propre vacuité, lequel soyons en certain n’a plus rien de céleste.

 

Une fois de plus notre scène édifie un lieu improbable. (P.25)

 

Et cette fois-ci, mais il fallait s’y attendre, sans réplique authentique. Le masque a fini par tomber.

 

Le nom de nos personnages deviendra légendaire, dès que nous cesserons de ne pas exister. (P.27)

 

Le spectacle reste donc bien omniprésent dans lequel chaque tentative de représentation reste rivée à une fiction ancienne, illusoire qui « façonne la légende constitutive de notre histoire. » (P.29). On peut alors se demander à juste titre, si cette histoire en pointillés n’est pas le contraire de ce qu’elle affirme. Un personnage reste un personnage. Une scène s’apparente à une autre scène. Tous deux sont toujours éphémères dans leur simulation inaudible, dès lors que le chapitre de la représentation spectaculaire s’avère moins ordonnée. Et de cela une fois de plus, la poétesse est bien consciente, elle connaît ses limites, et ne se risque pas à se fourvoyer dans un feu trop intense qui lui brulerait les ailes. Elle a appris au détour de la « densité du néant » à reconnaître « le possible de l’impossible »,  « de l’infiniment petit contre l’infiniment grand ». A l’inverse « d’une hypothétique révélation », mais dont « un courant bestial révèle l’impossibilité charnelle de nos personnages ». (P.32). On pourrait alors et dans ce cas précis faire référence au psychanalyste Sigmund Freud, afin de décrypter ce qu’il en est de la charge (surcharge) des rêves (l’imaginaire) à contrario d’une réalité plus acceptable et supportant la traduction de son propre entendement, qui vaut aussi pour une sédentarisation de l’inconscient dans « une démesure du chaos ». (P.29). Or là encore rien de plus incertain de croire à ce qui n’existe pas ou du moins, « contre notre impuissance ». (P.29)

 

Un personnage onirique se détache de notre mémoire dès que nos personnages se déplacent parce qu’ils se taisent avec des gestes incontestables.  (P.37-38)

 

Une fois de plus la puissance des mots fait Loi au cœur du MONDE irremplaçable et incompressible avec l’ultime prétention de déjouer les pièges tendus à l’Homme – pièges qui valent pour « finitude de nos rôles » qui finissent par devenir pesants, exaspérants même. Et si Carole Carcillo Mesrobian refait (retisse) l’Histoire à l’envers ;  elle-même semble persuadée que son propre personnage peut également disparaître derrière un rideau noir, derrière lequel les spectateurs n’ont plus audience, privés de métaphores et d’alphabet. Et pour quelle « invention utopique » (P.39). A ce niveau d’écriture diurne, « le théâtre de notre liberté s’écroule sous la disparition d’une chronologie coercitive. » (P.41)

 

Du reste pas plus alors qu’aujourd’hui les hommes n’abandonneraient au milieu des gémissements la douce lumière de la vie 

                                                                      Lucrèce,  De natura rerum

                                                                      V,v, 988 – 1010)

 

Nec nimio tum plus quam nunc mortalia saccla dulcia linquebant lamentis lumina vitae.

 

Fin de partie….

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Carole Carcillo Mesrobian

Carole Carcillo Mesrobian est née à Boulogne en 1966. Elle réside en région parisienne. Professeure de Lettres Modernes et Classiques, elle poursuit des recherches au sein de l’école doctorale de littérature de l’Université Denis Diderot. Elle publie en 2012 Foulées désultoires aux Editions du Cygne, puis, en 2013, A Contre murailles aux Editions du Littéraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sursis en conséquence, Qomme questions, à Jean-Jacques Tachdjian par Vanina Pinter, Carole Carcilo Mesrobian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Taranov,  Editions La chienne Edith, 2018.

Parallèlement paraissent des textes inédits sur les sites Recours au Poème, Le Capital des mots, Poesiemuzicetc., , ainsi que des publications dans les revues Libelle, et L’Atelier de l'agneau, Décharge, Passage d'encres, Test n°17, Créatures , Formules, Cahier de la rue Ventura, Libr-critique, Sitaudis, Créatures, Gare Maritime, Chroniques du ça et là, La vie manifeste.

Elle est l’auteure de la quatrième de couverture des Jusqu’au cœur d’Alain Brissiaud, et de nombreuses notes de lecture et d’articles, publiés sur le site Recours au Poème.

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