Colette Klein, Après la fin du monde, nuages Requiem
Je suis le savant au fauteuil sombre.
Arthur Rimbaud, « Enfance IV », Illuminations
Un chant, Requiem, traces, pour ceux qui disparus demeurent. Des noms, des souvenirs, comme un parfum encore prégnant, des contours de visages, des sommes de vies, ouvrent la voie aux poèmes. Après la fin du monde, nuages, comme dire qu'après la mort des êtres aimés subsiste un ciel sans couleur. Mais jamais clos, toujours lisible, pour Colette Klein, qui transcrit ce qu'il recèle d'éternité, dans une poésie puissante et profonde.
Pour tenter de ne pas oublier, pour faire la somme des soustraits à la vie, peut-être, ou bien rejoindre le lieu où séjournent les morts, qui ne le sont jamais, pour ceux qui parlent de ce mystère, et essaient d'inventer une langue pour dire combien le chagrin inextinguible des disparitions subies creuse dans le quotidien de ceux qui demeurent.
Ils passent, dit le poète...
Mais,
l'oeil, la rétine, peuvent-ils, d'un coup de pinceau,
saisir les animaux et les villes qu'ils emportent ?Notre vie, à leur image, s'effiloche, se transforme
jusqu'à l'oubli.Troupeau de morts passés et à venir qui dérivent
en ignorant que l'horizon
est tout aussi éphémère qu'une goutte de pluie
prisonnière du soleil.

Colette Klein, Après la fin du monde, nuages - Requiem, Les écrits du Nord, Editons henry, 2023, 79 pages, 12 €.
Cette langue est incontestablement la poésie, ce lieu où les mots s'ouvrent sur des abysses sémantiques capables de laisser entrevoir le silence, celui d'avant, et celui d'après. Verbe créateur et cathartique, vers ourlés du souvenir, mais pas seulement, car Colette Klein n'oublie pas, reçoit le monde dans sa grandeur tragique, et la Mort, de tous, celle des massacrés des charniers enfantés de la folie des hommes, celle d'inconnus que la transfiguration permise par ses poèmes convoque dans un verbe qui rend perceptible cette solitude endogène face à la disparition et cette résilience offerte par l'art.
Poème liminaire comme clausule, En pays de solitude... en signe d'impuissance, accompagnent les notes de ce Requiem, chaque poème, adressé au souvenir.
30 juillet 2009
Pierre
l'amiJe t'écoute me dire
que tu es vivant dans la mort,que des nuages ont germé dans ton cadavre
et l'ont porté jusqu'à l'invisible,que la pluie
protège la poussière de tes os
malmenés par le temps.Je ne crois en rien,
sinon
aux paysages de l'amour,à la foudre qui alimente mes rêves
de tes mots, de ta voix, de ton regard.
Ici la dimension prométhéenne de la poésie prend sens. Loin des chants orphiques, qui auraient pu occuper la poète, c'est la révolte prométhéenne, avortée par la mort, qui sous-tend le propos, et retrouve sa puissance dans l'acte d'écriture. Comme l'affirme Antoine Spire dans sa préface, ici vit "le peuple de ceux qui habitent dans la tête de Colette Klein (...) cette cohorte de ceux qui l'accompagnent aujourd'hui et demain jusqu'à la fin du monde".
Colette Klein a dans ses mains ce feu dérobé à l'impuissance, et elle trace le verbe comme elle peint, en osant défier ce silence définitif qui avale le temps.