1)     Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action poli­tique et méta-poé­tique révo­lu­tion­naire : et vous ? (vous pou­vez, naturelle­ment, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamé­trale­ment opposé au nôtre)

     Je ne suis pas cer­tain de pou­voir devin­er le sens que vous attribuez pré­cisé­ment à cette affir­ma­tion   qui, me sem­ble-t-il, peut don­ner lieu  à une grande var­iété d’interprétations.  

Je vous rejoins sur le fait que la poésie puisse être con­sid­érée  comme  un acte. Rap­pelons ici que l’étymologie grecque du mot poésie,  poiein,   sig­ni­fie « faire ». Mais s’agit-il d’une « action poli­tique » ? Il m’apparaît, au con­traire, que l’action poé­tique est  par­faite­ment libre des con­tin­gences et de la néces­sité  aux­quelles l’action poli­tique est soumise et qu’elle a pour devoir de gér­er.  A l’inverse,  en para­phras­ant Nico­las Diéter­lé, le  poète peut se per­me­t­tre de con­tourn­er le monde pour voir, der­rière, le Monde. Au fond,   la poésie est essen­tielle­ment une vision  —  l’art de voir  l’In­vis­i­ble dans le vis­i­ble et  l’Im­per­cep­ti­ble dans les objets des sens. Certes, un tel regard porte en lui une dimen­sion « révo­lu­tion­naire », en ce sens qu’il tranche avec l’aveuglement nihiliste qui gou­verne notre époque (et il con­viendrait cer­taine­ment à notre époque  non pas  de voir plus, ni même de voir mieux,   mais de chang­er rad­i­cale­ment de regard). 

La poésie, dans son accep­tion la plus élevée,  est une vision spir­ituelle sur laque­lle la théorie a peu de prise.  Quelques poètes occi­den­taux l’ont su intu­itive­ment. Ain­si Arthur Rim­baud,   dans la fameuse let­tre dite du voy­ant : « Je veux être poète, et je tra­vaille à me ren­dre voy­ant ». Ou Jean Cocteau dans Opéra : « Toute ma poésie est là : Je décalque / L’invisible (invis­i­ble à vous) ».  Le poète voit et donne à voir au-delà des apparences trompeuses,   dans une ten­ta­tive de com­mu­ni­quer ce qui se situe au-delà du lan­gage, « car la poésie, observe Fray Louis de Léon, n’est rien d’autre qu’une com­mu­ni­ca­tion du souf­fle céleste et divin ». Si elle n’est pas tra­ver­sée par ce souf­fle, elle ne vaut alors guère mieux qu’un bavardage de plus.

 

2)    « Là où croît le péril croît aus­si ce qui sauve ». Cette affir­ma­tion de Hölder­lin paraît-elle d’actualité ?

     Indis­cutable­ment, l’humanité tra­verse une crise pro­fonde. Toutes les espèces vivant sur la terre sont aujourd’hui men­acées,   dans leur exis­tence même, du fait de l’activité humaine. Plus de 26 000 espèces issues de la faune et de la flo­re dis­parais­sent en moyenne chaque année. Par ailleurs,  les besoins ali­men­taires crois­sants, en rai­son du triple­ment de la pop­u­la­tion mon­di­ale depuis 1950, sont mal gérés sur le plan de la poli­tique agri­cole et provo­quent  une déforesta­tion sans précé­dent, ain­si qu’une  explo­sion de la sous-nutri­tion dans les pays du Sud. D’après l’UNICEF, une per­son­ne meurt de faim dans le monde toutes les 3,6 secondes…Pourquoi ? Gand­hi — prêchant dans le désert sans eau que représente l’individualisme  tout-puis­sant de notre époque —  répondrait que la terre a suff­isam­ment de ressources  pour sub­venir aux besoins de tous, mais pas pour assou­vir l’avidité de cha­cun. Or, aujourd’hui, l’extrême avid­ité d’une  minorité  d’individus suf­fit  à com­pro­met­tre  la sat­is­fac­tion des besoins du reste de l’humanité.  Tous les indi­ca­teurs sta­tis­tiques mon­trent une évo­lu­tion défa­vor­able  de la répar­ti­tion des richess­es depuis vingt ans. A l’échelle mon­di­ale, les 80 per­son­nes les plus for­tunées pos­sè­dent autant de richess­es que les 3,5 mil­liards les plus mod­estes[i]. Même dans les pays rich­es, les iné­gal­ités se creusent  un peu plus chaque année : au seuil de 50 % du revenu médi­an après trans­ferts soci­aux,  20% des Améri­cains vivent au dessous du seuil de pau­vreté et 14% de Français, ce qui représente une aug­men­ta­tion rel­a­tive de 29 % depuis 2002 en France, alors que ce taux n’avait jamais cessé de baiss­er depuis les années 70. En con­séquence, la pre­mière fois depuis plusieurs généra­tions, les français nés après 1968 sont, en moyenne, sen­si­ble­ment plus pau­vres que ne l’étaient  leurs par­ents au même âge[ii]

Mais la mis­ère de notre époque ne se lim­ite pas à a son expres­sion matérielle. Il existe aus­si une forme de fail­lite spir­ituelle,  une désori­en­ta­tion pro­fonde qui per­met par exem­ple au marché de la drogue d’être celui qui con­naît la plus forte crois­sance au niveau mon­di­al.  Il est devenu le deux­ième marché économique au monde, devant le pét­role et juste der­rière la vente d’ armes[iii] !  Ajou­tons qu’en par­al­lèle du traf­ic de drogue, le marché licite des nou­velles sub­stances psy­choac­tives (drogues de syn­thèse  et eupho­risants légaux) pro­lifère à vive allure  — plus 50% entre 2009 et 2012[iv] —  et celui des « pilules du bon­heur » con­naît un suc­cès que rien ne sem­ble ni pou­voir ni vouloir arrêter. La France est d’ailleurs la cham­pi­onne du monde des pays con­som­ma­teurs de psy­chotropes : un quart de la pop­u­la­tion française en con­somme quo­ti­di­en­nement.  Qui ne con­naît pas, dans son entourage, quelqu’un qui ne peut ni s’endormir sans avaler un som­nifère, ni affron­ter sa journée sans un anti­dé­presseur ou un tran­quil­lisant ? Ces réal­ités sont sig­ni­fica­tives du pro­fond mal-être intérieur éprou­vé par  beau­coup de nos con­tem­po­rains, qu’ils l’admettent ou le dénient.

     Venons-en à la cita­tion d’Hölderlin. Ce dernier s’est prob­a­ble­ment inspiré de l’analyse que pro­pose son ami Hegel du cou­ple action-réac­tion : toute action provo­querait, selon le philosophe alle­mand, sa réac­tion con­traire. Ain­si serait-il légitime d’espérer que le péril menaçant notre civil­i­sa­tion provoque  des réac­tions salu­taires des Etats ou de la société civile, sus­cep­ti­bles de faire émerg­er une nou­velle civil­i­sa­tion, plus égal­i­taire, plus sol­idaire,  plus juste car mieux éclairée,  guidée par une con­science plus large  de l’interdépendance de tous les êtres sur cette Terre. Mais vouloir n’est pas savoir et, pour être sincère, je demeure cir­con­spect quant à la nature pro­fonde des réac­tions que la crise a pu engen­dr­er jusqu’à aujourd’hui ; elles me sem­blent illus­tr­er, trop sou­vent, le troisième temps de la dialec­tique hégéli­enne, en ver­tu duquel « ce qui sauve » ou sem­ble sauver est por­teur  d’un nou­veau péril. Mal­heureuse­ment, si les con­tra­dic­tions d’un sys­tème pro­duisent les con­di­tions de leur pro­pre fail­lite, rien n’assure en revanche qu’elles pro­duisent in fine celles de leur pro­pre dépasse­ment, c’est-à-dire qu’elles accouchent d’un sys­tème en tous points supérieur et durable­ment salutaire. 

Quelque chose cherche à naître aujourd’hui. Nous pou­vons en percevoir les signes épars.  Mais nul ne sait ce qui vien­dra au monde ni quand.  Au niveau des Etats, l’approche « thérapeu­tique » de la crise demeure prin­ci­pale­ment symp­to­ma­tique quand il s’agirait surtout de s’attaquer aux racines du mal ; non plus de se con­tenter de gér­er l’existant,  de recourir à des mesures cos­mé­tiques pour  ten­ter de ren­dre le vis­age malade de notre société moins repous­sant, mais de penser et d’organiser un véri­ta­ble change­ment de par­a­digme socié­tal. La société civile, dans son ensem­ble, demeure de son côté figée dans une pos­ture émo­tion­nelle de dénon­ci­a­tion des dys­fonc­tion­nements du sys­tème exis­tant, mais ne sem­ble pas non plus encore prête, sauf excep­tion, à renon­cer con­crète­ment aux acquis de ce sys­tème, c’est-à-dire à mod­i­fi­er pro­fondé­ment et durable­ment ses habi­tudes de vie, pour per­me­t­tre l’émergence d’un autre monde plus juste, plus sen­sé et viv­able pour tous. C’est d’ailleurs pré­cisé­ment pour cette rai­son  que le monde tra­verse une crise pro­fonde : « il y a crise, jugeait Anto­nio Gram­sci, quand l’ancien monde ne veut pas mourir et que le nou­veau monde ne veut pas naître. » 

 Une chose est cer­taine : la réac­tion engen­drée par la crise pro­fonde que nous tra­ver­sons sera d’autant plus salu­taire que le diag­nos­tic établi sera juste. Or les crises poli­tique, économique, écologique, iden­ti­taire, morale, etc., sont  autant de man­i­fes­ta­tions symp­to­ma­tiques du même mal, de la même fail­lite spir­ituelle. Pour être salu­taire, la réponse apportée au péril actuel devra donc spir­ituelle­ment éclairée. Rap­pelons ici que dans le poème dont la cita­tion de votre ques­tion est issue, Hölder­lin appelait de ses vœux le salut d’un monde déchu, où les hommes seraient enfin réc­on­cil­iés avec la transcendance :

« Proche est
Et dif­fi­cile à saisir le Dieu.
Mais là où il y a dan­ger, croît aus­si Ce qui sauve.

Quand j’é­tais enfant, un dieu sou­vent me reti­rait des cris et du fou­et des hommes »

 

 

3)    « Vous pou­vez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui dis­ent le con­traire se trompent : ils ne se con­nais­sent pas ». Placez-vous la poésie à la hau­teur de cette pen­sée de Baudelaire ?

     Cette cita­tion me remé­more une pen­sée de  Mari­na Tsve­tae­va, par­lant de  poésie : « par­tant de la terre — c’est le pre­mier mil­limètre d’air au-dessus d’elle[v] ».

En ce qui con­cerne la pen­sée de Baude­laire, je pense que celui ou celle qui se con­naî­trait  en vérité saurait, par expéri­ence directe, que la poésie n’est pas vrai­ment une nour­ri­t­ure dont il serait dépen­dant pour sa sub­sis­tance, mais sa sub­stance pro­pre.  Ou, plus pré­cisé­ment,   il saurait que son être pro­fond n’est pas dif­férent  de la Lumière qui donne à la poésie sa splen­deur, son pou­voir illu­mi­na­teur et son rayonnement. 

Pour répon­dre à votre ques­tion, je serais  ten­té de dire que la place  que j’accorde à la poésie n’est ni au-dessus ni au-dessous de cette pen­sée de Baude­laire, mais rad­i­cale­ment ailleurs : sur l’invisible som­met de ce Lieu hors de tout lieu où la civil­i­sa­tion védique a su l’ élever. Ain­si l’Agni-Purâ­na : « L’état d’Homme est dif­fi­cile à attein­dre en ce monde et la con­nais­sance alors est très dif­fi­cile à attein­dre ; L’état de poète est dif­fi­cile alors à attein­dre  et la puis­sance créa­trice est alors très dif­fi­cile à attein­dre[vi]».

 Si l’ensemble des poètes est de nos jours désigné, en Inde, par le terme « kavi » [vii], qui sig­ni­fie « voy­ant » ou « vision­naire » en san­skrit,  il  désig­nait à l’origine une caté­gorie de Rishis qui jouis­sait d’un statut par­ti­c­uli­er.  Qui sont les Rishis ? Les livres d’indologie occi­den­tale  en font le plus sou­vent les auteurs  des Vedas [viii]. Il s’agit d’une con­cep­tion erronée.  S’ils étaient vrai­ment les auteurs des Vedas,  la tra­di­tion  les nom­merait « Mantra-kar­tas », ceux qui ont « fait » les Mantras, or elle les nomme « Mantra-drashtâs »,  ceux qui les ont vus.  Faut-il pré­cis­er qu’il ne s’agit évidem­ment pas  d’une per­cep­tion visuelle ordi­naire ?  Ce n’est, bien enten­du, pas l’œil physique qui est ici l’instrument de per­cep­tion,  mais l’œil de la con­nais­sance (jñâ­na-cak­shuh[ix]), c’est à dire la Con­science.  C’est en effet la Con­science, qui est une des grandes déf­i­ni­tions védan­tiques de l’Absolu (Brah­man), qui dirige  tout selon les Upan­ishads, ces textes méta­physiques d’une épous­tou­flante beauté sym­bol­ique­ment situés à la fin des Vedas car ils en con­stituent l’accomplissement : elle est l’œil (netra) et le fonde­ment (pratishthâ) de tous les êtres et de toute chose[x].

Ain­si le Rishi, authen­tique kavi,  est-il capa­ble de voir ce qui est invis­i­ble (kav­ih kran­tha dar­shano bha­vati), la Réal­ité voilée der­rière le réel appar­ent (kavaya satyashru­tah[xi]) et de la don­ner à voir aux autres hommes.  « Directe­ment reliés au divin par un cor­don ombil­i­cal [xii] »,  il pos­sède une con­nais­sance directe de l’ordre cos­mique man­i­festé dans le cours réguli­er des étoiles et la suc­ces­sion régulière des saisons à l’origine des lois qui régis­sent l’univers. Il est  le médi­a­teur entre la Parole éter­nelle (Vâc) et les êtres humains, car sa vision intérieure dépasse, dis­ent les Vedas, les lim­ites de l’espace et du temps (krân­tadarshin).

Toute la vision de l’art et de l’esthétique clas­siques de l’Inde est inspirée par l’idéal incar­né par le Rishi, arché­type du sage accom­pli et du poète vision­naire qui a su  déchir­er le voile des apparences,  « voir » le Réel qui nous voit sans être vu. A l’évidence, l’idéal du kavi qui en découle lim­ite les pré­ten­dants au statut de poète ! D’autant que de nos jours comme prob­a­ble­ment de tous temps, rares sont les kavi-vara, les poètes authen­tiques chez qui il existe une adéqua­tion entre l’expérience intérieure et le dire du poème. 

Cet idéal se situe à l’opposé du type de poésie que Carl Jung qual­i­fi­ait de « névro­tique », majori­taire dans la poésie occi­den­tale, où se joue la sub­li­ma­tion des névros­es de l’auteur et l’adhésion à une cer­taine forme de fas­ci­na­tion pour les replis les plus obscurs de l’âme humaine. Il se rap­procherait davan­tage de l’autre type de poésie que Jung qual­i­fi­ait de « poésie vision­naire », celle qui atteint selon lui la réal­ité de la « psy­ché objec­tive ». « L’essence de l’œuvre d’art, écrit Jung, n’est pré­cisé­ment pas con­sti­tuée par les par­tic­u­lar­ités per­son­nelles qui l’im­prèg­nent ; plus il en est, moins il s’ag­it d’art. Mais au con­traire par le fait qu’elle s’élève fort au dessus du per­son­nel et que provenant de l’e­sprit et du cœur elle par­le à l’e­sprit et au cœur de l’hu­man­ité. Les élé­ments per­son­nels con­stituent une lim­i­ta­tion, ou même un vice de l’art[xiii]. »       

Dans cette per­spec­tive qui est pré­cisé­ment celle de la poé­tique indi­enne égale­ment, l’enfermement dans les lim­ites de la sub­jec­tiv­ité indi­vidu­elle, si chère à l’Occident post­mod­erne, est un obsta­cle à l’inspiration la plus haute — cette forme de per­cep­tion intu­itive qui fait jail­lir le savoir à la con­science dont le grand gram­mairien Bhar­tri­hari (455–510)  fit le piv­ot de sa théorie de la con­nais­sance. Plus la poésie échappe aux caté­gories lim­itées de l’ego du poète, plus elle  est inspirée ; plus elle est inspirée, plus elle donne à « voir » objec­tive­ment la Réal­ité telle qu’elle est,  le sub­strat intem­porel ou l’écran immuable  sur lequel les images du spec­ta­cle tem­porel défi­lent et disparaissent. 

 D’une cer­taine manière, la poésie authen­tique « déplace le moi au plus loin » (le moi lim­ité et mor­tel s’entend, triple­ment con­di­tion­né par l’espace, le temps et la causal­ité), comme l’avait pressen­ti Paul Celan dans Le Méri­di­en. D’où la remar­que du Pro­fesseur Louis Renou, par­lant de la poésie religieuse de l’Inde antique : « Il arrive, il est vrai, que des par­tic­u­lar­ités de lan­gage ou de fond unis­sent ensem­ble les poésies attribuées à tel auteur ou à telle famille. Mais nulle part, dans cette lit­téra­ture assu­jet­tie à des normes rigoureuses, on ne ren­con­tre l’expression immé­di­ate d’une per­son­nal­ité[xiv]. »

 

4)    Dans Pré­face, texte com­muné­ment con­nu sous le titre La leçon de poésie, Léo Fer­ré chante : « La poésie con­tem­po­raine ne chante plus, elle rampe (…) A l’é­cole de la poésie, on n’ap­prend pas. ON SE BAT ! ». Ram­pez-vous, ou vous battez-vous ?

Peut-on réelle­ment se bat­tre, quand on s’imagine poète, con­tre autre chose que sa pro­pre igno­rance et sa pro­pre céc­ité spir­ituelles,  sans par­ticiper du « grand sim­u­lacre » dont on se voudrait étranger ? 

 

5)    Une ques­tion dou­ble, pour ter­min­er : Pourquoi des poètes (Hei­deg­ger) ?  En pro­longe­ment de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?

Pour voir et don­ner à voir la Réel qui nous voit sans être vu. 

 

 


[i] Source : OXFAM, 2015.

[ii] Source : Obser­va­toire des inégalités.

[iii] Source : Rap­port mon­di­al sur la drogue de 2013.

[iv] Ibid.

[v] Mari­na Tsve­tae­va, L’art à la lumière de la con­science, Cognac, Le Temps qu’il fait, 1987, p. 54.

[vi] Agni-Purâ­na, Lec­ture 336, st. 3 et 4. Cité par Robert Lin­sen, in Les Cahiers du Sud, Mar­seille, juin-juil­let 1941 (n° spé­cial “Mes­sage actuel de l’Inde”).

[vii] D’après les recherch­es du Pr G.C. Tri­pathi,  cinq syn­onymes du mot kavi sont util­isés dans les Vedas : kâru, sûri, vipra, ved­has et, naturelle­ment, rishis.   Kâru, lit­térale­ment le « faiseur [vii]» désigne le com­pos­i­teur, le tech­ni­cien, l’artisan dont l‘œuvre est par­fois com­parée à celle d’un char­p­en­tier ou d’un archi­tecte (tvashtâ). On retrou­ve ici une cor­re­spon­dance avec l’étymologie grecque du mot poésie, poiein, qui sig­ni­fie « faire ». Sûri (à ne pas con­fon­dre avec la divinité orac­u­laire de la mytholo­gie étrusque) désigne le poète illu­miné, de nature con­tem­pla­tive, celui qui médite dans le but de décou­vrir les mys­tères de l’univers. Vipra  est l’adjectif util­isé pour qual­i­fi­er le poète éru­dit,   qui a fait l’expérience directe d’une réal­ité spir­ituelle  que l’inspiration — Prat­i­b­hâ — lui per­met de com­mu­ni­quer   aux autres hommes  à l’aide de mots. Dans le Rig-Veda, un vipra n’est pas tou­jours un Rishi mais un Rishi, tou­jours un vipra[vii].   Ved­has  est le créa­teur par excel­lence, celui qui unit la con­nais­sance et l’action. 

[viii] Le Rig-Veda ou « Veda des hymnes » est un des qua­tre Vedas. Deux grandes sources de textes sacrés sont recon­nues dans le Sanâ­tana Dhar­ma (« Loi éter­nelle », le nom tra­di­tion­nel de l’hindouisme) : la Shru­ti et la Smri­ti. La Shru­ti (-lit­ter. « ce qui a été enten­du », de la racine « SHRU– » : « Enten­dre ») est  sans com­mence­ment (ana­di), c’est-à-dire éter­nelle et donc d’o­rig­ine non-humaine (apau­rusheya) :   la révéla­tion védique,  les qua­tre Vedas ( racine « VID-» : « sci­ence, con­nais­sance ») dont font par­tie le Upan­ishads. La  Smri­ti (racine « SMR– » : « mémoire ») est d’o­rig­ine humaine (pau­rusheya) : la somme de textes mémorisés et trans­mis  par la tra­di­tion en accord avec le con­tenu de la révéla­tion des Vedas, dont fait par­tie la célèbre Bhagavad-gîtâ. 

[ix]  Cf. Bha­gavad-Gîtâ XV, 10 et XIII, 34.

[x] Cf. Aitareya Upan­ishad III, i, 3.

[xi] Rig Veda, V. 57.8.2

[xii] Asmâkam teshu [deveshu] nâb­hayh, Rig-Veda, I, 39,9.

[xiii] Carl Jung, in Prob­lèmes de l’âme mod­erne (“Psy­cholo­gie et poésie”)

[xiv] La poésie religieuse de l’Inde antique, P.U.F, Paris, 1942, page 6.

 

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