Dominique Hecq : Archive Fever / Mal d’archive et autres poèmes

Par |2023-07-06T15:05:07+02:00 6 juillet 2023|Catégories : Auteurs, Dominique Hecq, Poèmes|Mots-clés : |

Archive Fever Making Tracks

the arkhē appears in the nude Jacques Derrida

You are I am a track­er bent crouched close to the page ground looking
for traces and signs that sense you has have passed this way

You sniff sniff­ing for the scent of absence you
but above all feeling
for the gap in your my life
that wants to fill this page
alone


The air is incan­des­cent


The white page track glows

Empti­ness talks back talks back talks back
to the heat that cracks open the world ground


This is a land of sur­feit and lack
of hard­ness and clar­i­ty of image
of absence that opens out
or clos­es up the world
and some­times the heart

Der­ri­da, J 1998 Archive Fever: A Freudi­an Impression. 
Chica­go: Uni­ver­si­ty of Chica­go Press. Trans Eric Prenowitz, p. 92.

Mal d’archive

l’arkhē appa­raît à l’état nu — Jacques Derrida

Traque­ur, tête penchée sur la page, yeux avides
de traces et de signes témoins de sens

Tu recherch­es l’odeur de l’absence
mais par-dessus tout
c’est le vide dans ta vie que tu désires sentir

L’air est incandescent

La page blanche s’embrase

Et le vide se fait l’écho écho écho
de la chaleur qui fra­casse le monde

Cette terre d’excès et de manque
d’images à la fois dure et claires
d’absence agrandissant
ou refer­mant ce monde
et par­fois aus­si le cœur

Der­ri­da, J 1995 Mal d’archive: Une impres­sion freu­di­enne. Paris: Galilée, p. 98

Hushed

Light pours down
the unre­lent­ing sky
to earth ribbed and ridged
with the tough stroke
of Drysdale’s brush

I track down words
for hues and shades in books
envy the skill of artist-explorers
who forged new ways of seeing

The cries of crows fall

Through blues onto rusty ochres
puls­ing with raven dust

This place stills my tongue

Stupeur

La lumière coule à flots
d’un ciel implacable
sur la terre ridée et striée
d’un coup de pinceau
dru à la Drysdale

Je traque des mots voisins
D’ombres et de teintes dans mes lectures
enviant l’adresse des artistes-explorateurs
qui forgèrent de nou­velles façons de voir

Les cris des cor­beaux tombent

Au tra­vers de bleus sur des ochres rouillés
pal­pi­tant de pous­sière de jais

Ce pays me coupe la langue

Fire relies on the leaves of gum trees

No sound fits this spec­ta­cle No sound
but the hiss of fire bark grass
sear­ing your world into sheer whorls
of allit­er­a­tions Hallucinations
of words resound­ing with nothing

Fol­low­ing fault­lines a gorge aflame
fur­rows erased in gran­ite and sandstone
lines of scrib­ble gums forever
reced­ing The gorge
               bar­ring you

Now how could I speak again
when syl­la­bles shat­ter on my page
turn­ing words inside out
when let­ters hov­er in the air
like the smell of your burn­ing skin?

We were dis­cussing poetics
on our mobiles How we didn’t need
man­u­als for wordsmiths
pre­ferred to work words as an end
in itself make a poem fulfilled

in its enac­tion look inwards
to the mate­ri­al­i­ty of language
on the page and in the mouth
stress the event not the effect
                 You said good bye

And now I dream that you flit
out of my skin your voice
let­ter­ing me Poet­ic enjoyment
per­haps as if to resist
the eti­o­la­tion of language

Don’t put indi­vid­ual utter­ances on show
you say Per­form their moves
of rep­e­ti­tion re-use reiteration
             show your read­er the absurd
desire to contain ( )

For here is the gum and its infer­no remains
the grave among blis­tered roots
the mouth­less earth lulling one to leave

                  If it could speak it would say
here is the silence here is the question

Le feu s’élève des feuilles d’eucalyptus

Aucun son ne rend compte de ce spec­ta­cle Aucun son
hormis ce sif­fle­ment feu écorce herbe
don­nent de ce monde la brûlure le tour­bil­lon­nement pur
des allitéra­tions Hallucination
des mots qui réson­nent de rien

Suiv­ant les fis­sures une gorge enflammée
creuse secrète le gran­it le grès
avale des lignes d’eucalyptus
à jamais Cette gorge
qui te nie

Com­ment réap­pren­dre à parler
quand les syl­labes se fra­cassent sur ma page
met­tent les mots sens dessus dessous
quand les let­tres flot­tent dans l’air
comme l’odeur de ta peau qui brûle ?

Nous par­lions poésie
sur nos porta­bles Comme nous n’avions nul besoin
de manuels pour faiseurs de phrases
et préféri­ons le tra­vail des mots comme fin
en soi accom­plir le poème

son pas­sage à l’acte pénétrer
la matéri­al­ité de la langue
sur la page dans la bouche
priv­ilégi­er l’événement non l’effet
                 Tu m’as dit au revoir

Et main­tenant je rêve que tu m’échappes
que tu quittes ma peau ta voix
gravée en moi Jouis­sance poétique
peut-être comme pour résister
à ce qui s’étiole dans la langue

Ne te mets pas en scène
dis-tu Joue de ce qui se déplace
dans la répéti­tion le réem­ploi la réitération
                  mon­tre à ton lecteur l’absurde
désir de maîtriser ( )

Car voici l’eucalyptus et sa dépouille infernale :
tombeau par­mi les racines boursouflées
terre sans bouche qui nous invite à la quitter

                  Si elle pou­vait par­ler elle dirait
voici le silence voici la question

Catch

Smell the rain on the breeze
down at the riv­er mouth
where fish­er­men stand
in the swirl of incom­ing waters
Feel the first drops on your skin
where the mys­tery of the ocean
draws away from salt spray
and the chill of the west wind
Rib­bons of kelp sway in the deep
Refract­ed light dap­ples your face
as the child comes up for air
Your hands, useless
against the sky
Arms, bro­ken wings
skele­ton dust
Osprey kestrel tern skua shear­wa­ter sand­piper swift 

Pêche

Hume la pluie dans la brise
à l’embouchure du fleuve
là où les pêcheurs se tiennent
dans le remous de la marée montante
sens comme les pre­mières gouttes sont douces
là où le mys­tère de l’océan
se retire des embruns salins
comme le vent d’ouest est frais
Des rubans de varech s’enroulent dans l’eau profonde
Des tach­es de lumière miroitent sur ton visage
quand l’enfant fait surface
Tes mains, inutiles
con­tre le ciel
Bras, ailes cassées
poudre d’épave

Paul Klee on the beach

Yel­low major swells and heaves
beneath abstract­ed skies where
angels float across the horizon
cast­ing shad­ows in the foreground
between you and the sea afire
Tex­tures ebb and flow, ebb and flow
expos­ing scoured and scarred surfaces
as if time had scraped the body
of the world clean, leaving
fil­a­ments of salt in the cracks
You can feel the white hot thing
mould­ing itself into shape, thrusting
its arms and legs into the corners
of the dis­solv­ing can­vas, glazing
your eyes and the sand in your soul

Paul Klee à la plage

Crescen­do de jaune majeur
sous des cieux abstraits là où
des angles flot­tent ver l’horizon
insérant leurs ombres au pre­mier plan
entre ta sil­hou­ette et la mer embrasée
Le flux et le reflux des textures
expose des sur­faces raclées et mutilées
comme si le temps avait récuré le corps
du monde à mort, abandonnant
des fil­a­ments de sel dans les cicatrices
On sent la chose chauf­fée à blanc
se mouler en une fig­ure, fourrant
ses bras et ses jambes dans les coins
de la toile qui fond, vitrifiant
tes yeux et ton âme ensablée

Les poèmes ci-dessus sont extraits de Tracks (inédit).

Excep­té “Le feu s’élève des feuilles d’eucalyptus”, dont la ver­sion française est de Claude Held, les tra­duc­tions des textes rédigés en anglais sont de l’auteure.

Les poèmes suiv­ants ont été pub­liés auparavant :

  • 2016 — Archive Fever, In S. Hol­land-Batt, The Best Aus­tralian Poems. Mel­bourne: Black Inc., p. 88.
  • 2015 — Archive Fever, Axon.
  • 2015 — Mal d’archive, La Tra­duc­tière, Revue inter­na­tionale de poésie et art visuel, 33, 121.
  • 2008 — Fire relies on the leaves of gum trees / Le feu s’ élève des feuilles d’eu­ca­lyp­tus. La Tra­duc­tière: Revue Fran­co-Anglaise de poésie et art visuel, 26(June), 96 — 97.

Présentation de l’auteur

Dominique Hecq

© photo Isabelle Poinloup
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