France Burghelle Rey, La maison loin de la mer

Par |2021-09-21T21:37:32+02:00 21 septembre 2021|Catégories : France Burghelle Rey|

Que la joie soit ma demeure !

Le titre évac­ue un lieu (la mer) pour mieux met­tre en exer­gue l’objet de toute l’attention : la mai­son. C’est comme dans Autant en emporte le vent ; ce à quoi tient l’héroïne du roman comme celle des « Frag­ments 1 » c’est à une terre, avant tout. « Je suis tirail­lée par l’idée que le Lieu tou­jours l’emportera sur l’Autre. » (p.32) Elle évac­ue l’eau pour le sol, pour la terre, pour la mai­son de l’enfance.

Toute­fois le titre n’est com­plet que si l’on ajoute « Frag­ments 1 » qui pré­cise de quel genre de texte il s’agit. Non un réc­it, non un roman, non de la poésie, mais des frag­ments, mais des frag­ments de quoi ? D’autres tes­selles comme dans « Petite Antholo­gie », mêlant poèmes, essai, bribes de con­tes, réflex­ions, cita­tions, et auto­bi­ogra­phie, façon puz­zle ? Oui tout cela à la fois en un tis­su ser­ré qui ne lâche rien des divers­es dimen­sions du moi, qui noue le réflexif à l’intime, le loin­tain au proche, l’espace au temps, tel recueil à tel autre car tout se tient, tout finit par s’emboîter d’une œuvre à l’autre et toutes les expéri­ences lit­téraires qui ont forgé la per­son­nal­ité de l’écrivaine France Burghelle Rey ont con­tribué à son enrichisse­ment, à son accom­plisse­ment, à son équili­bre men­tal. Aus­si ne faut-il pas s’étonner si un de ces plus grands plaisirs est de « glan­er » des cita­tions d’auteurs qui sont comme les fon­da­tions de la mai­son-écri­t­ure. Elles étayent sa pen­sée, émer­veil­lent son imag­i­naire, lui per­me­t­tent de rassem­bler le trou­peau de ses auteurs fétich­es. Son glan­age n’a rien de pédant. Il est pure­ment poé­tique, pure­ment de grat­i­tude et de pas­sion, pure­ment architectural.

Un poète n’est-il pas plus que d’autres attiré par le frag­men­taire ? Le poème n’est-il pas dans sa struc­ture même frag­ment ? Dans un même recueil, chaque poème est frag­ment par rap­port à cha­cun des autres et à l’intérieur du poème lui-même il se frag­mente sou­vent en stro­phes, se dif­fracte en vers. La spa­tial­ité, en poésie, est une ques­tion clé, d’où la prédes­ti­na­tion du poète à faire du frag­ment une voie privilégiée.

France Burghelle Rey, La mai­son loin de la mer, Édi­tions Douro, 96 pages, 15 €.

 

Le frag­ment est espace ouvert, passerelle d’un ter­rain à un autre, d’un ouvrage à un autre. Il per­met de créer des liens sans s’enfermer en eux. Il est essen­tielle­ment musi­cal puisqu’il favorise l’enchantement des échos, le rap­pel des thèmes, des fan­tasmes, des ravisse­ments, des ful­gu­rances et des obses­sions. Il par­ticipe de l’infini et de l’inachevable. La cita­tion de Michel Leiris que glisse France Burghelle Rey à la toute fin du livre est emblé­ma­tique de l’entreprise de la poète : « Un livre qui ne serait ni jour­nal intime ni œuvre en forme, ni réc­it auto­bi­ographique ni œuvre d’imagination, ni prose, ni poésie, mais tout cela à la fois. Livre conçu de manière à pou­voir con­stituer un tout autonome à quelque moment que (par la mort s’entend) il soit inter­rompu. Livre donc éventuelle­ment posthume et per­pétuel work in progress. »

 

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L’entreprise dans laque­lle la poète entraîne son lecteur s’appelle, dit-elle page 26 une « auto­biopoésie ». On y entre in media res par effrac­tion. On doit s’y débrouiller, démêler les éche­veaux ou com­pren­dre à mi mot les rela­tions des uns avec les autres. La nar­ra­trice n’explique pas, ne présente pas les pro­tag­o­nistes de l’histoire, elle fait comme les enfants quand ils racon­tent : elle ne se soucie pas que l’énonciation ne soit pas claire pour son lecteur car en ouvrant le petit vol­ume on entre d’emblée et de plain-pied dans le mys­tère, ce mys­tère pour lequel elle écrit : « J’aspire à com­pren­dre tout en ayant peur d’éclaircir ce mys­tère. » (p.23) Et pour y par­venir il faut être dans « ce lieu » de l’enfance où quelque chose a eu lieu.

Ce qui toute­fois décide de ce qui a eu lieu c’est ce qui se passe dans le texte même qui s’écrit comme si l’écriture tout à la fois dérobait le mys­tère et le fai­sait naître. Dans l’écriture de La Mai­son loin de la mer la pre­mière trans­for­ma­tion c’est l’autorisation que se donne l’auteur d’écrire au féminin : « Voici que, pour la pre­mière fois, j’écris un livre au féminin. Quinze car­nets et comme un refuge, par choix, au mas­culin. J’ai amputé tant d’adjectifs, de par­ticipes de leur dernière voyelle. Mais peut-être l’ai-je fait pour exprimer un neu­tre, une absence de genre, sans que m’en importât la ques­tion. » (p.19) Cette autori­sa­tion lui per­met de faire resur­gir la petite fille qu’elle fut et d’évoquer sa pre­mière expéri­ence de la beauté qui se hisse dès l’aube de la vie en expéri­ence mys­tique : « Le sec­ond lien qui cor­re­spond à un extrait de La Source que je cherche de Lyt­ta Bas­set con­firme ce rap­port entre lieu et spir­i­tu­al­ité et me rap­pelle ce que j’ai dû vivre, enfant, dans mon vil­lage : une fil­lette de qua­tre ans en vacances, l’été, regar­dant les hiron­delles vol­er autour d’un clocher, est soudain envahie d’une pléni­tude, un bon­heur absolu, au point de courir le racon­ter à ses par­ents. » (p.53) Un flash de joie sans mélange qui s’apparente à une révéla­tion dont la con­science et la sig­ni­fi­ca­tion ne naîtront que bien plus tard. Ce qui compte, dans le par­cours sen­suel, sen­si­tif, affec­tif, intel­lectuel et spir­ituel plein de méan­dres, d’obscurités, de douleurs et d’empêchements, c’est cette joie pre­mière qui revient – intacte – au cours du temps depuis le lieu de l’enfance et cette joie s’appelle aus­si poésie. Que la joie soit à saisir, voilà qui lève un pan du mys­tère de la vie, de toute vie ! Qu’il faille pour la recueil­lir pleine­ment dans sa chair, dans son nid, dans l’art et l’écriture, demande une dis­ci­pline et une apti­tude que les con­tes (de l’enfance) nous aident à acquérir. Il n’est donc pas éton­nant que les références au Petit Poucet, à La Belle au Bois dor­mant, à Cen­drillon tra­versent l’ouvrage de France Burghelle Rey. Ils ont été la nour­ri­t­ure de la petite fille de la mai­son de Rose. C’est par eux qu’elle a su la valeur d’un bal, du bais­er, la valeur des mots qu’on goûte, malmène, tri­t­ure, avec lesquels on joue, on se trompe, on se laisse bercer. Et grâce à ces his­toires anci­ennes, elle s’est pré­parée à fil­er la métaphore, à se faire piquer par le fuse­au, ou par l’épine, à inter­roger le miroir qui réflé­chit pour se deman­der Qu’ai-je donc filé avant de m’endormir ? (p.41) et d’entrer grâce à toutes ces strates intel­lectuelles et poé­tiques dans les prob­lé­ma­tiques de la moder­nité d’ici et maintenant.

La dis­lo­ca­tion du réc­it, son opac­ité, sa fragilité impor­tent peu. Ce qui fait sens c’est une tra­jec­toire qui sug­gère (car il ne faut pas expliciter afin que la magie du secret con­tin­ue d’opérer) un lien généalogique entre l’aimé et la nar­ra­trice, un lien lié au lieu comme si la rela­tion amoureuse, accom­plie ou non, rêvée, fan­tas­mée, esquis­sée dans cette vie ci, avait déjà eu lieu bien avant, de même que la trahi­son per­son­nifiée par la belle cou­sine. « Pourquoi vient-elle me voir cet été là ? Sous la ton­nelle ils se con­nais­sent. Regards, sourires dès le pre­mier instant. C’est vrai qu’elle me ressem­ble. J’ai inven­té les mots « mir­a­cle noir ». Belle cou­sine que j’aimais tant ! » (p.26)

Le factuel est réduit à une pincée de sel bien qu’il soit au cœur de l’inquiétude ou de « l’intranquillité » de la nar­ra­trice. La force de ce réc­it dis­con­tinu, morcelé c’est d’y avoir mis au cen­tre, l’amour et la joie, qui ne sont pas racon­ta­bles car inef­fa­bles. Seul sur­git et s’y inscrit la trace ou « le résidu chantable » (comme a si bien dit Paul Celan), qui est la véri­ta­ble trame poé­tique de la vie.  « Finale­ment ce n’est pas lui peut-être que j’aime mais cette terre que j’ai per­due et que j’aimerais aimer encore. Mais il est vrai qu’auprès de lui je me repo­sais et me rem­plis­sais de l’esprit de mon lieu. » (p.27)

Pour que le vif, la vie jail­lis­sante bruisse du réc­it-poème, la nar­ra­trice exclut le « réc­it chronologique. » Quel sens aurait-il ? « Il ne serait qu’artifice. Seul est naturel le chemin pas à pas de l’écriture : celle-ci, comme la vie, une res­pi­ra­tion. » (p.39) D’où l’impression d’une cer­taine spon­tanéité presque comme dans un jour­nal intime où les trou­vailles, les recherch­es, les flâner­ies, les con­ver­sa­tions, les douleurs du deuil, les lec­tures du moment, tout est don­né en pâture au lecteur dans un appar­ent fouil­lis, cartes sur table, poèmes d’autrui et poèmes per­son­nels joux­tant la prose per­son­nelle à celle d’autrui. Elle rejoint par « ses sauts et gam­bades » Mon­taigne qui lui aus­si citait en abon­dance les auteurs latins ! Main­tenant les poètes et penseurs du monde entier peu­vent être cités et loués. Ils con­for­tent, récon­for­tent quand cha­cun à sa manière fait l’éloge des choses de l’esprit. Alors, puisqu’il faut finir, eh bien je fini­rai (et je ne crois pas que France Burghelle Rey m’en tien­dra rigueur), non par elle mais par une cita­tion de René Char qu’elle donne page 58 :

 

 Il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté.

Présentation de l’auteur

France Burghelle Rey

 

France Burghelle Rey est Paris, a enseigné les Let­tres clas­siques et vit actuelle­ment à Paris où elle écrit et pra­tique la cri­tique lit­téraire. Elle est mem­bre de l’As­so­ci­a­tion des Amis de Jean Cocteau et duP.E.N. Club français.

Plus de cent textes parus dans de nom­breuses revues et antholo­gies ain­si que plus de soix­ante-dix notes cri­tiques(Nou­velle Quin­zaine lit­téraire, Poez­ibao, Europe, La Cause lit­téraire, Place de la Sor­bonne, CCP, Recours au poème, Tex­ture, Tem­porel etc.). 

 Elle a écrit une quin­zaine de recueils dont Lyre en dou­ble paru aux édi­tions Inter­ven­tions àHaute voixen 2010 puis chez La PorteRévo­lu­tionen 2013 sui­v­ideComme un chapitre d’His­toireen 2014 et deRévo­lu­tion IIen 2016. Le Chant de l’en­fance(Prix Blaise Cen­drarsadultes)a été pub­lié aux édi­tions du Cygneen juil­let 2015, Petite antholo­gie, ( Con­fi­ance, Patiences et Les Tes­selles du jour )chezUnic­itéen 2017 et Après la foudrechez Bleu d’en­creen 2018. 

Les derniers textes aug­men­tés de L’En­fant et le dra­peau (à paraître chez Vaga­mun­do), nais­sance rédemptrice d’un ” ange ” dans un monde en déso­la­tion, veu­lent exprimer l’ex­pres­sion d’une néces­saire présence au monde en souf­france. Elle achève en 2017 un recueil encore inédit en trois par­ties sur le thème du lieu puis en 2018 com­mence un réc­it poétique.

Elle a col­laboré avec des pein­tres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un cer­tain nom­bre de livres d’artistes.

 

L’un des ses romans, le pre­mier,  L’Aven­ture, est pub­lié chez Unic­itéau print­emps 2018

 

http://france.burghellerey.over-blog.com/# :Un blog de plus de 27.000 pages de vues

 

Elle a écrit une dizaine de recueils  dont qua­tre sont pub­liés chez Encres Vives, coll. Encres Blanch­es : Odyssée en dou­ble, La Fiancée du silence, L’Or­pailleur, Le Bûch­er du phénix,  Lyre en dou­ble aux édi­tions Inter­ven­tions à Haute voix, 2010 et Révo­lu­tion chez La Porte,2013. Pour un texte du Chant de l’en­fance, inédit, elle a obtenu le prix Blaise Cen­drars et pour L’Un con­tre l’autre, Gegenüber, a été final­iste du prix Max-Pol Fouchet. 

Elle col­la­bore avec des pein­tres et notam­ment avec Georges Badin  pour des livres d’artistes.
http://france.burghellerey.over-blog.com/#

Notes cri­tiques dans de nom­breuses revues comme Place de la Sor­bonne, Recours au Poème, Lieux d’être, Cahiers du Sens, Ter­res de Femmes, Trace de poète, Lit­térales, Diérèse

Autres lec­tures

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Dominique Zinenberg

Je m’appelle Dominique Zinen­berg. Je suis née à Paris en 1953. J’ai fait des études de Let­tres mod­ernes. Je suis dev­enue enseignante, d’abord cer­ti­fiée, puis agrégée de Let­tres mod­ernes. J’ai enseigné jusqu’en 2014, essen­tielle­ment en province. J’ai pub­lié dans plusieurs revues : Frich­es, Arpa, L’arbre à Paroles. J’ai été pub­liée en lignes pour des arti­cles (Paysages écrits, Lev­ure lit­téraire) mais essen­tielle­ment depuis 2014 chaque mois dans la revue Fran­copo­lis dont je suis un des mem­bres act­ifs du comité. J’y écris des poèmes, des nou­velles, des études sur des poètes et romanciers con­tem­po­rains, je dirige des inter­views etc. Pub­li­ca­tions : deux poèmes pub­liés dans le col­lec­tif Poètes pour Haïti, l’Harmattan, 2011. Fis­sures d’été, novem­bre 2014 ; Les Feuil­lets d’obsidienne, novem­bre 2015 aux Édi­tions du Cygne. Dexu poèmes pub­liés dans la revue Voix (2017) ain­si que des extraits de « À l’âme en secret » dans la revue Voix en ligne (2016) ain­si que des con­tri­bu­tions régulières au Buf­fet Lit­téraire ini­tié et dirigé par François Min­od et dont les textes sont acces­si­bles chaque mois en ligne. L’Intimité de l’air, mars 2018, chez Encres Vives. 1 poème dans l’anthologie Femmes, poésie et lib­erté, prix de poésie fémi­nine Simone Landry, Année 2018. Une nou­velle : Faux pas au Cahi­er des Sens, Le Nou­v­el Athanor, 2018 (ain­si que 3 poèmes et une note de lec­ture) Une nou­velle : Cacoph­o­nie pas­torale dans l’Anthologie « Des­sine-moi un… » aux Edi­tions Nut­ty Sheep 2018. Pour saluer Apol­li­naire, aux Edi­tions Unicité.
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