Joëlle Gardes, à la mémoire de A.

2018-01-08T16:16:31+01:00

 

Elle a semé au gré des ren­con­tres cinq enfants comme les doigts d’une main
sa main creusée en forme de nid

image de la grand-mère et du grand-père aux six enfants
mais sa main à elle suf­fit à rassem­bler à retenir

elle les a sculp­tés comme la pierre ou le bois qu’elle travaillait
hum­ble­ment patiem­ment lente­ment elle si impa­tiente exces­sive et unique

dans sa main ouverte d’impalpables richess­es semées aux grands vents de la vie
au vent mau­vais de la mort qui arrive

 

*

 

Nous avons pris con­gé un dimanche de print­emps maus­sade doux et triste
et lourd d’attente
l’attente du pas­sage vers la rive indistincte

Deux voix séparées par la distance
loin de leur enfance com­mune dont une par­tie va sombrer
séparées par l’anecdote de chemins différents
mais sem­blables dans la dif­fi­culté de la vie quotidienne
l’absence à soi dans les tâch­es mul­ti­pliées et une temps trop bref pour arracher à l’anxiété la sérénité d’un retour à soi

Le soir les enfants dor­ment et ce serait si bon de sculpter les heures de la nuit ou de les écrire
la fatigue les émi­ette les disperse
un enfant pleure
l’espoir se déchire en une toux sèche

Elles ne se rassem­blent que dans la tor­peur chaude du grand lit sans homme

Douceur amère du congé
tant de mots retenus
tant de choses sues et partagées
mais jamais dites
jusqu’à cette heure d’acceptation pétales que le vent emportera éphémères morts presqu’aussitôt que nés

Le fil ténu des voix est celui de l’eau sur laque­lle glisse la bar­que vers la rive sableuse sous les saules

Mur­mure des voix que l’imminence noue
par-dessous l’épaisseur de que l’on a vécu de ce qui restait à vivre de ce qui aurait été vécu s’il exis­tait des règles et des mesures autres que celles d’Atropos

fil de la voix fil de la riv­ière fil de la que­nouille le fil n’est fait que pour être rompu

La bar­que s’est échouée trop tôt sur la rive sableuse et sur l’autre berge, je reste éton­née à ten­ter de retrou­ver la  voix au téléphone

les mots déjà sont décol­orés défor­més et il n’en reste qu’un écho qui s’affaiblit.

Présentation de l’auteur

Joëlle Gardes

Joëlle Gardes est née en 1945 à Mar­seille, ville près de laque­lle elle vit. Uni­ver­si­taire, elle a enseigné la gram­maire et la poé­tique à l’université de Provence, puis à Paris IV-Sor­bonne. Elle est actuelle­ment pro­fesseur émérite de cette uni­ver­sité. De 1990 à 2010, elle a dirigé la Fon­da­tion Saint-John Perse et a édité chez Gal­li­mard les cor­re­spon­dances du poète avec Jean Paul­han et Roger Cail­lois. Sous le nom de Joëlle Gardes Tamine, elle a pub­lié de nom­breux arti­cles et plusieurs ouvrages sur le lan­gage, plus par­ti­c­ulière­ment dans les domaines de la rhé­torique et de la poé­tique. Tard venue à l’écri­t­ure, elle a com­mencé par les mono­logues de théâtre (Madeleine B., édi­tions de l’A­mandi­er), puis a pub­lié plusieurs romans (dernier paru, Le poupon, éd. de l’A­mandi­er). Depuis quelques années, elle se tourne vers la poésie (nom­breux poèmes en revue, deux recueils pub­liés aux édi­tions de l’A­mandi­er, Dans le silence des mots, 2008 et L’eau trem­blante des saisons, 2012). Elle col­la­bore régulière­ment avec des plas­ti­ciens et des pho­tographes. Elle est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Place de la Sor­bonne.

Joëlle Gardes

© Pho­to Marie-Hélène Le Ny

www.joelle-gardes.com

  • Un recueil de nou­velles, A perte de voix, a paru en 2014 aux édi­tions de L’Amandier.
  • Un recueil de poèmes en prose, Sous le lichen du temps, a paru en octo­bre 2014 aux édi­tions de l’Amandier.
  • Un roman, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’en­cre et du mal­heur, édi­tions de l’A­mandi­er, 2015

 

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