Amelia Rosselli, La libellule. Panégyrique de la liberté (suite)

2018-03-05T11:45:26+01:00

 

Et la tourneuse langue des saints tombés avec les
allumettes ont fail­li incendi­er le vrai ciel tellement
déchiré de ser­mons bien admin­istrés à la meilleure
jeunesse. Non que l’obstructionnée jeunesse sache
dire qui sera son père, qu’elle hait, mais elle sait
recon­naître sa mère, qui l’allaite. Je vivrai avec
une mul­ti­tude tout en restant bien clair, dit alors
ce requin qui n’est plus en vie. Dans le caractère
c’est, de sur­v­ol­er les étoiles, que ma volon­té soit
la reine des étoiles et des nuits. Je n’ai aucune espèce
d’appel et aucun cre­do par où com­mencer mon long
appel, aus­si, silen­cieux soyez royales nuits comme la
fleur qui défleurit.

    Il par­le de lui-même en un lugubre monotonage,
je fleuris les vers d’autres alti­tudes, les externes
ennuis, élu­cubra­tions, auto­mo­biles ; qu’est-ce qui
m’a pris ce jour dans la fine pous­sière d’un après-midi
plu­vieux ? Sous le rideau le pois­son chante, sous le cœur
le plus pur chante la libre mélodie de la haine. La vengeance
salée, l’intellect assoupi, les rimes dénon­ci­a­toires seront mes
plus fidèles lecteurs assidus, créa­teurs dessous l’espoir rebelle ;
d’inégaux enchante­ments se fera ta plainte, à moi, qui prête serai –
te recevoir avec toutes les dues intel­li­gences avec l’ennemi, comme
l’est la voiture trop légère pour toutes les vïo­lences. Alors il sera
temps toi et moi nous retiri­ons dans nos tentes, et rythmiquement
alors tu opposeras ton pied con­tre mon avant-bras, et ténuement
peut-être moi, je t’enduirai de mon sourire à peine intelligible,
si tu sais le saisir, mais si tu ne sais que ban­queter, sif­fler au
bec du vin e de l’ambitieuse plus sévère même que cette aspiration
que j’ai vers ta par­tie la plus sévère, alors détends-toi seulement
par­mi tes planètes. Je ne sais si moi oui ou non je me mourrai
de faim, peur, les yeux trop ouverts pour miraculeusement
manger, la terre qui enveloppe et sou­tient toute l’eau bien
trop noire pour la légèreté du ciel. Com­bi­en est étrange
ce rire de chauve-souris que j’ai, com­bi­en étrange est cet
extrav­a­gant délire mien sans oreilles, com­bi­en extravagant
cet étrange délire mien sans oiselles. Com­bi­en étrange est cet
aimer les amères oisivetés de la vie.

    Et si les sol­dats qui firent irrup­tion dans la tente de
Dieu furent cette dés­espérée dis­pute qu’est la haine ;
alors j’avance le poignard dans un poing bien serré,
et je te tue. Mais l’univers c’est tout pareil et tu le
sais ! L’air, l’air pur, la mal­adie, et le somniolent
adieu. L’air, l’air pur, le bon bifteck pourri,
et l’ultime vert de l’été. Et la graine de l’ultime
vio­lence de l’été.

    La veste de tous les tours d’adresse me prenait
fort sur mon côté faible : oh moi j’aime plus peut-être
les collines et les fraîch­es bris­es et les vert sombre
pinèdes, que les géants pas de l’homme : je rêve
le soleil d’hiver et voici que les fraîch­es brises
m’éveillent l’été ! C’est pas pour toi ! que je crie
hors de toute lim­ite, mon souf­fle court contre
le léger et secret souf­fle des étoiles ; ce n’est
pour aucune main ter­restre. Mais qui me fit donc
si aveu­gle ? Si ce n’est pas pour moi, que ce soit
pour toi ! N’ai pas le temps entre les mains : lumières
et ter­rains, vis­ages et foules impi­toy­ables, vis­ages agonisants,
vous vous poussez en direc­tion du clair avec un regard de la
lune.

    Je ne sais pas si ta fig­ure sait répéter une
fis­sure en toi ou si mes sen­ti­ments savent mieux
que cette tête vir­ile mienne que c’est vrai, ou si est
faux celui qui est beau, beau parce que sem­blable à.
Ou beau parce que bon ? Je cherche et cherche, tu cours
et cours. Et je cours ! et tu ris aux foules épouvantées !
Ne sais quelle grandeur nous fut pré­parée : Dieu
ne par­donne pas à qui porte du bout des lèvres seulement
son dif­fi­cile nom, son don de sang en héritage, sa
jaune forêt. J’aplanis un ter­rain pour le recevoir,
mais je m’enfuis avant que les tam­bours ne résonnent.
Comme ça tu sauras qui je suis ; la sotte abeille qui bourdonne
pour un point fixe, en le cher­chant Lui, cette jun­gle aux
arbres de fer forgé.

    Et la voix rhé­torique du bel­lâtre que je
vois sans amer­tume m’implique magiquement
et par lux­u­re dans ses braves bras grands ouverts.
De blancs et bruns Anges sur­v­oleront, et le temps
et le chan­tage des vieux et le chan­tage de la musique
et le lieu de toute la beauté. Si je te vends le joug
léger de mon esprit malade cepen­dant qu’entre
les deux rideaux des impos­si­bles cer­cles qui
se sont ten­dus entre nos âmes, dans l’air, lequel
pal­pite entre ta révolte et la mienne, et qui pousse
et gémit devant la grand’porte, dans le gre­nier ouvert
à la plus pro­fonde tristesse qui m’unissait à tes rêves
rap­pelle les mots écrits sur les murs des plus grandes
forter­ess­es des Égyp­tiens. Je suis une femme qui fait
des expéri­ences avec la vie et ne peut laiss­er aucun
rival lui touch­er le cœur, les mem­bres insatiables.
Je suis une femme qui laisse volon­tiers la gloire
aux autres mais se désole d’être retenue par les
mal­heureux nœuds de sa gorge. Je suis une parmi
tant de voraces comme moi mais par Dieu je forgerai
si je peux un autre canal pour mon besoin et mes
envies seront d’une autre trempe ! Et si assurée
je tri­om­phe sur de ces peines, tri­om­phante et pénitente
je pour­su­is le par­don total, et que Dieu permette
ma pré­somptueuse dis­cor­dance d’avec les guides
du ciel per­lé. Sou­viens-toi que je fus par­mi les plus
fatigués des cav­a­liers de nos imper­fec­tions. Souviens-toi
que nous tous fûmes mis au monde pour présen­ter toutes
les fatigues. Rap­pelle-toi cette vie par moi-même attachée
à l’inconnu déguster goutte à goutte de tes pupilles. Repose
dure­ment jusqu’à la fin – et qu’éclatants soient tes clairs
jours sans repos.

    Je ne sais pas si entre le sourire du vert été
et ta verte dif­férence il existe une différence
je ne sais pas si je rime par charme ou tourmenteuse
peine. Je ne sais si je rime par charme ou par raison
et je ne sais si tu le sais que je rime entièrement
pour toi. Trop de soleil a imbibé la mer dans son
tran­quille empris­on­nement, où le fleurage de la
mer ne veut pas met­tre la main aux bâti­ments coulés.
L’aube loin­taine se meut à des gri­sailles. Je ne sais
si par­mi les pâles roches je ren­con­trais le regard,
je ne sais si par­mi les monot­o­nes cris je rencontrais
ton regard, je ne sais si entre la mon­tagne et la
mer, il existe quand même un fleuve. Je ne sais
si entre côte et désert revient à soi un fleuve accosté,
je ne sais si par­mi la brume tu accostes. Je ne
sais si tu tombes ou trem­bles, tu ne sais si je pleure
ou dés­espère. Dés­espér­er, dés­espér­er, désespérer,
c’est tou­jours un fab­ri­quer. Tu ne sais si je pleure
ou dés­espère, tu ne sais si je ris ou dés­espère. Je
ne sais si par­mi les pâles roches ton sourire.

Trad. J.Ch. Vegliante

[La pre­mière par­tie a été publiée
par CIRCE, Univ. Paris 3 — S.N.]

Présentation de l’auteur

Amelia Rosselli

Amelia Rossel­li (Paris, 28 Mars 1930 — Rome , 11 Févri­er 1996), poète ital­ien qui a fait par­tie de la “généra­tion des années trente”, avec quelques-uns des noms les plus con­nus dans la lit­téra­ture italienne.

Née à Paris, fille  de Car­lo Rosseli ayant fui le fas­cisme, théoricien du social­isme libéral, et Mar­i­on Cave, mil­i­tante du Par­ti du Tra­vail de la foi quak­er. 1940, assas­si­nat de son père et de son oncle aux mains des mil­ices fas­cistes en France (1937).

Les Rossel­li s’in­stal­lent d’abord en Suisse , puis aux États-Unis. Amelia Rosseli ter­mine ses études à l’étranger.

Dans les années 40 et 50, elle se voue à la théorie musi­cale, eth­no­mu­si­colo­gie et de la com­po­si­tion, la trans­po­si­tion de ses recherch­es dans une grande série d’es­sais. En 1948 elle com­mence à tra­vailler comme tra­duc­teur de l’anglais vers plusieurs maisons d’édi­tion de Flo­rence et de Rome et de la Rai. Elle con­tin­ue à se con­sacr­er aux études lit­téraires ain­si qu’à la philoso­phie. En 1950 , elle ren­con­tre l’écrivain Scotel­laro, qui lui présente ensuite Car­lo Levi. Puis les artistes qui ont par la suite don­né nais­sance à “l’a­vant-garde du groupe 63”.

 

Amelia Rosselli

Dans les années soix­ante, elle rejoint le PCI et com­mence à pub­li­er ses écrits prin­ci­pale­ment dans les mag­a­zines, atti­rant l’at­ten­tion de Zan­zot­to , Raboni et Pasolini .

En 1963 , elle pub­lie dans “Les Fauss­es” vingt à qua­tre poèmes. L’an­née suiv­ante, parait son recueil de poèmes, “la guerre Vari­a­tions”, pub­lié par Garzan­ti , et en 1967 la col­lec­tion “Série hôpi­tal.” En 1981 parait “Impromp­tu”, un long poème divisé en treize sections.Plusieurs de ses his­toires en prose ont été pub­liés en 1968 sous le titre “Jour­nal terne”.

Deux longues mal­adies et la mort de sa mère la plon­gent dans une dépres­sion nerveuse. Elle n’a jamais accep­té ni le diag­nos­tic de schiz­o­phrénie para­noïde qui a été don­né par un cer­tain nom­bre de clin­iques en Suisse et en Angleterre, ni celui de la mal­adie de Parkinson.

Fig­ure de l’écrivain mul­ti­lin­guiste, elle tente de com­bin­er l’u­til­i­sa­tion de la langue et l’u­ni­ver­sal­ité de la musique. Elle a vécu les dernières années de sa vie à Rome, à son domi­cile dans la Via del Coral­lo, où elle se sui­cide le 11 Févri­er 1996 pour des raisons liées à la dépres­sion sévère

Autres lec­tures

Impromptu, d’Amelia Rosselli

En une mat­inée romaine de 1979, Amelia Rossel­li trou­ve soudain la force de bris­er le mur de silence qui l’enserre depuis des années (« questo / mio muro d’un più alto […]

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