Pen­dant de l’exposition qui vient de fer­mer ses portes au musée Paul Valéry, de Sète http://www.huffingtonpost.fr/francois-xavier/salah-stetie-et-les-peint_b_2314436.html, la BnF accueil­lait Salah Stétié (http://www.salahstetie.com) au sein de la galerie des dona­teurs (jusqu’au 14 avril), à l’occasion de l’ouverture du Fonds Salah Stétié : man­u­scrits et cor­re­spon­dance, doc­u­ments et œuvres sur papi­er réal­isées avec de grands noms de la pein­ture con­tem­po­raine (Alechin­sky, Tapiès, Ubac, Velick­ovic, Titus-Carmel, Hol­lan, Bal­tazar, etc.) sont offerts à la curiosité des vis­i­teurs qui peu­vent, grâce à un sub­til jeu de vit­rines, assou­vir leur appé­tence en plongeant leur regard sur la genèse de cer­tains livres.
Point d’orgue de cette man­i­fes­ta­tion, l’hommage qui s’est déroulé jeu­di 4 avril 2013 (http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_auditoriums/f.hommage_stetie.html?seance=1223909973877), con­sacré à cette œuvre entière­ment écrite en français, désor­mais incon­tourn­able, pour ne pas dire majeure. En atten­dant le col­loque qui se tien­dra à Bey­routh les 18 & 19 avril 2013.
Par­al­lèle­ment, trois nou­veaux ouvrages vien­nent scin­tiller dans l’air déjà élec­trique, con­duc­teurs d’émotions et de savoir, donc com­plé­men­taires, ponc­tu­ant cette arrivée du print­emps de la plus noble des manières. Délivr­er la parole poé­tique dans la clameur des foules libérées des mor­sures de l’hiver est un acte d’amour qu’il con­vient de saluer. Mer­ci à Salah Stétié d’ouvrir l’accès à d’autres miroirs. Une poésie en réver­béra­tion de l’histoire lit­téraire qui se com­plète chaque jour. Un idiome qui enri­chit le verbe français, cajolé dans l’écrin d’un livre imprimé sur vélin de Byblos.
D’une langue, estampil­lé par la griffe de Tapiès, s’ouvre sur l’idée du Non-Où pour bien imprimer qu’ici il ne sera ques­tion que du feu de l’amour, ce songe après lequel nous courons comme mort de soif après sa bouteille. L’amour en fris­sons de désir ou d’espoir, en pluie de décep­tions, l’amour repoussé et tou­jours recher­ché. “L’amour [qui] est pour l’individu une émi­nente occa­sion de mûrir, de devenir quelque chose en soi-même, de faire de soi un monde, un monde en soi pour le prof­it d’un autre, c’est une grande et une immod­este exi­gence qu’on adresse à l’autre, qui l’élit entre tous et l’ouvre à de vastes des­seins”, rap­pelle Rilke dans ses Let­tres à un jeune poète, que Salah Stétié ne man­qua pas de lire et relire en son temps…
Fidèle par­mi les fidèles à la langue française, Salah Stétié ren­ver­sa le souf­fle de sa cul­ture ori­en­tale au miroir de l’appel mater­nel de l’arabité, pour aller con­cass­er les mots de Voltaire en ouvrant grand la voi(e)x d’un ressen­ti per­son­nel dépassé pour embrass­er toutes les cul­tures dans un seul et même idiome. Poète de l’amour, Stétié œuvr­era pour déclin­er la dialec­tique du désir dans le désert de la langue par lui enfin enrichie. Toutes les vari­a­tions seront con­vo­quées, à défaut inven­tées, pour livr­er à la criée cette langue unique faite sienne depuis l’enfance, coup de foudre pré­coce sous le soleil du Liban…
Une langue française qui est sauvée, en quelque sorte, souligna le “tout-jeune” académi­cien Michael Edwards (http://academie-francaise.fr/les-immortels/michael-edwards), par l’apport des étrangers qui vien­nent écrire en français et qui, apprenant cette langue, s’emploient à la dépli­er pour dénich­er des espaces nou­veaux entre le dif­fi­cile et le pos­si­ble. En cela ils par­ticipent à l’enrichir sans la pervertir.

Larme

L’air est au fond de l’air avec la longue feuille
Touchée par le cristal de la saison
Longue sai­son de l’air par­mi les longues feuilles
De l’arbre, en partage avec l’enfant
L’agneau dans le ray­on­nement de l’esprit
Domine, le regard de l’air le regarde,
L’enfant avance dans l’esprit vers la nuit
Et le jas­min du soleil le découronne
L’enfant grandit dans l’air soudain grandi
Sur un chemin, larmes gelées qui brûlent,
La corne de la lune au théâtre des arbres
Promène, un peu de sang aux doigts, l’enfant

Par­courant la trame comme vagabond la steppe enneigée, le poète frig­ori­fié saisira le feu dans le jardin des soies con­fus­es, balise de survie, pour témoign­er une fois encore, une fois de plus, que les dieux et les déserts ne peu­vent finale­ment rien con­tre l’appel inhab­ité des colombes. Papil­lon d’un songe, ce chantre du vers libre ira dans les glycines en cheveux d’abandon pour ques­tion­ner, une fois encore, l’eau froide gardée, s’y abreuver et goûter au délice d’une renaissance.
Le lecteur décou­vri­ra cette ques­tion d’infini portée par une langue musi­cale d’images pro­jetées dans nos cœurs, estom­acs noués, yeux humides, ape­san­teur vain­cue : on lit Salah Stétié sur un nuage, en apesanteur.

“Nous habitons des mys­tères, nous sommes des mys­tères et le plus grand mys­tère est la langue”, rap­pela Salah Stétié à la tri­bune du Petit audi­to­ri­um de la BnF, insis­tant sur la quête de cette dif­fi­cile union entre ce que le poète veut for­muler et ce qu’il parvient à for­muler. Car la poésie est recherche de signes, de sens et donc de la vie dans sa dimen­sion humaine. Le poète puise dans les signes avant-coureurs la force dont il se saisit pour braver le jeu de la con­tra­dic­tion dans la con­struc­tion du poème et approcher au plus près la ten­ta­tion de dire l’innommable.

Annonce

Offrande à mon cœur d’un jardin
Par amour de la vérité des arbres
Par désir de leur contagion
Sous le nuage qui dragonne
Pau­vre feuille
Tu pro­tèges une pal­pi­ta­tion d’insecte
Saveur des hommes. Chaleur des femmes.
La planète au soleil
La terre et ses grands vents pour l’accrocher aux fers
Qui sont rameaux, qui sont naseaux des purs chevaux
– Celui qui l’oubliera sera perdu

Tou­jours en ques­tion­nement, Salah Stétié se fit accom­pa­g­n­er de Gilles du Bouchet qui peignit Une rose pour Wâdi Rum, pierre d’angle d’un fini act­if qui ouvre à l’indéterminé comme pour rap­pel­er que l’entrée de la couleur dans la ville est un leurre : l’œil sat­uré de lumière ne sauve­g­ardera, au final, qu’un binôme noir ou blanc, noir et blanc, que l’esprit brouillera en d’infimes lavis de gris pour rap­pel­er que l’âme pré­domine à la vie. Et ce sera dans ce sub­strat inhab­ité qu’ira se loger la poésie, en prose, illim­itée comme le désert, là où se retire Dieu, en ouver­ture d’un livre au for­mat à l’italienne.

Mais il y a aus­si Rem­brandt et les Ama­zones qui tient dans la main, petit livre de com­pagnon­nage qui doit demeur­er dans la poche du voyageur, surtout s’il lui prend d’aller vis­iter les musées de Hol­lande. Guide spir­ituel et gogue­nard, les feuil­lets ren­fer­ment des clins d’œil et des idées, le cock­tail idéal pour appren­dre plus sans en avoir l’air, et voir alors autrement cet éton­nant pays sous la mer qui déposa au pied du monde par­mi les plus grands pein­tres de tous les temps. Mais les Pays-Bas ce sont aus­si le héron et le hareng, Ver­meer et Baude­laire, Ams­ter­dam et les tulipes… Foi­son d’images réin­ven­tées pour l’occasion sous la plume alerte et guillerette d’un poète à l’écoute d’un monde par­ti­c­uli­er dont il nous donne à appréci­er les codes. À nous d’en déjouer les secrets pour nous plonger avec délice dans les rets de la ten­ta­tion orangiste…

Enfin, somme des ques­tion­nements et des révéla­tions qui accom­pa­g­nèrent Salah Stétié dans ses rela­tions avec le pourquoi et le com­ment, béquilles du poète en face de sa vérité, Sur le cœur d’Isrâfil enflamme l’esprit. Car cela sem­ble si sim­ple, si évi­dent ain­si énon­cé. On croit côtoy­er la pen­sée de Sen­g­hor, Bon­nefoy, Valéry et la com­pren­dre, ruse du poète qui, sans lui, ne nous aurait pas per­mis de nous penser si fin l’espace d’une lec­ture. Isrâ­fil est le plus puis­sant et le plus com­pas­sion­nel des archanges puisqu’il tient en per­ma­nence entre ses lèvres la trompette qui, lorsque l’ordre lui en sera intimé par Dieu, son­nera la fin du monde, même celle des anges. L’écrivain qui nous écrit ici est-il d’aussi red­outable clair­voy­ance ? Se sachant traqué il avoue, donne à lire sa pen­sée écrite, ajustée. Oui, l’écrivain fab­rique, tou­jours, une tapis­serie de ses pro­pres lieux et se plait à éla­guer, adapter pour mieux réap­pren­dre les chemins de l’innocence. Un texte est une forêt de pré­textes cer­ti­fie Salah Stétié qui sait per­tinem­ment qu’écrire c’est s’essayer à sor­tir de prison. Éva­sion couron­née de suc­cès, ce qui laisse présager du meilleur à venir puisque prochaine­ment vont paraître les Mémoires du poète, dont le man­u­scrit est désor­mais sous l’œil pro­tecteur de la BnF et les quelques priv­ilégiés qui ont eu l’infime hon­neur de les lire n’ont de cesse d’en par­ler comme du Grand Œuvre.
 

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