Adeline Miermont Giustinati, Poèmes

Par |2025-09-06T07:22:55+02:00 6 septembre 2025|Catégories : Adeline Miermont Giustinati, Poèmes|

je glisse dans une fente de la souche
recou­verte de laine 
pul­sa­tion de caillou

je flotte dans le ven­tre de l’arbre 
dans la nuit des racines
le silence désossé

j’aperçois des portes d’ivoire
un tun­nel tapissé d’œillets rouges 
et des lamelles de brume

je rampe dans une fosse 
des ombres tremblent 
des vents s’épuisent

j’at­teins un palais aux pier­res bleues 
devine la matrice de l’outre-monde

je ren­con­tre le fantôme du soleil 
et les osse­ments de la lune

je quitte ma peau de laine
le silence s’élargit à mon passage
des oiseaux sans plumes font leur nid dans ma gorge
je suis tous les visages
toutes les écumes

je gravis une grande cité
je tra­verse une croûte de fer et de nickel

 

je goûte aux entrailles de Pangée
me frotte con­tre le mag­ma noir et dur­ci de sa bouche

je me lamente dans une steppe interminable 
je me noie dans un fleuve
tapissé de coraux et d’insectes

je m’ac­croche aux cheveux de Méduse 
j’at­teins la mai­son de l’obscurité

je n’ai plus de souffle
je n’ai plus de visage
je n’ai plus de squelette

je trem­ble aux pieds de la déesse 
elle ouvre grand sa gueule
elle m’en­gloutit entièrement
elle me mâche goulûment

je naufrage dans sa poitrine
j’emprunte l’échelle d’en­tre les mondes 
les eaux elles-mêmes chavirent

je n’ai plus de souffle

je n’ai plus de visage
je n’ai plus de squelette
j’ex­pire mon dernier atome
je retourne à mon argile
au tam­bour du commencement
et au fleuve qui coule dans mes racines

extrait de « la mue » (inédit)

marcher
un pas devant l’autre
un mot devant l’autre

marcher
par­mi les herbes grasses
encore bril­lantes de gouttes d’eau bien fraîche

par­mi les roches imposantes 
le long du sen­tier escarpé
le long de la côte
entre deux immensités
entre l’avant et l’après
entre se réfugier et se jeter à l’eau

marcher entre
dans sa pro­pre peau et son pro­pre pas

marcher
par­mi les genêts en fleurs
le jaune se mêlant au bleu au blanc et au brun

je suis ivre de couleurs et de
pensées traversantes
qui affluent
au rythme de mon souf­fle et de mon pas

le mou­ve­ment de mon corps est un coryphée 
au paysage alentour

marcher
au son de la rumeur marine 
foire d’écume con­tre les rochers 
en contrebas

j’entends la voix de la pierre
se mêler à celle des oiseaux

c’est le printemps
je crée mon chemin
chaque pas est l’empreinte d’une promesse

inédit, 2025

 

les pre­miers temps j’avais le corps en friche et 
la cervelle poisseuse
mon ter­ri­er était devenu caduque
ma forêt était en dormance
mon regard s’était calcifié
et le courage de regarder l’horizon
par delà la timidité des cimes
me manquait

les jours
et les nuits
ont passé
sans rien dire
et
ton souffle
ton souf­fle qui a tra­versé ce jour-là ma peau
ton souf­fle qui a transpercé ce jour-là mes muscles
ton souf­fle tend désormais
tout doucement
ma colonne vertébrale
ton souf­fle fait vibr­er les racines de mes allées
je m’en remplis
je le bois
le moin­dre geste fait cra­quer des bouts de sou­venirs de nous
l’horizon avale le jour et chaque matin le soleil revient avec ton odeur 
à cause de toi je mets un pas devant l’autre
à cause de toi je mets un jour devant l’autre
à cause de toi je mets un mot devant l’autre
les sap­ins me par­lent à nou­veau et
reboisent mes cellules
leurs sourires caressent mon écorce et
je sens mon courage se ramifier
désormais le sou­venir de toi
ne me déchire plus le ventre
il s’est métamorphosé en
une source chaude jail­lie des profondeurs
une présence dif­fuse le long de mon dos

un vent tiède sur ma peau désertée 
un mica scin­til­lant dans mes organes

même si je suis tou­jours comme l’akène
ce fruit sec qui ne s’ouvre pas et
ne con­tient qu’une seule graine
je joins les mains et j’espère

que
comme au désert d’Atacama
il suf­fi­ra d’un filet d’eau
pour frag­menter mon écorce 
et faire pouss­er des merveilles

inédit, écrit et lu pour La P’tite veillée de Chloé, Chez Mona, mars 2023

sous ma peau
il y a une femme
quelqu’un l’a laissée là
de dos
assise
la tête penchée
sa main appuyée
con­tre ma craie
dans la galerie profonde
dans la pénombre
elle n’en­tend ni le vent ni les oiseaux
ni les hommes ni les femmes
juste le bruit sourd des pioches et les pas des soldats 
dans sa galerie il n’y a ni arbres
ni paroles
ni naissances
juste le silence de l’eau qui per­le sur son corps
elle a vu pass­er les visages
elle a sen­ti la peur dans leurs souffles
la peur des hommes prêts à mourir
elle a pris leur douleur
leurs regards de bêtes sonnés
quand les char­i­ots avec les corps
ont défilé
dans un chaos de métal et de sang
elle qui tour­nait le dos
elle a tout vu tout reçu
les fusils les cris le désordre
elle a tout gardé
elle en perd l’équilibre
elle se tient
fragile
prostrée dans sa peau
incrustée dans ma chair
ma mémoire calcaire
depuis trois décennies elle sent
que des êtres la scrutent
que des lam­pes l’observent
sous toutes les coutures
elle ne dit rien
elle sait tout
elle tourne le dos
aux pas­sants des galeries
elle voudrait oublier
le chaos
le sang
le métal
les cris
les chariots
rem­plis de corps
comme des pois­sons tor­dus de douleur
elle voudrait parler

elle voudrait raconter
comme ces hommes étaient beaux 
dans leur courage et dans leur peur 
que le pays à tous manquait 
qu’elle pleu­rait le soir
à les voir
regarder les photos
les trésors de leurs poches
les amis les mères les soeurs
les pères les frères
les voisins
ils allaient mourir bientôt
ils le sentaient
ils regar­daient les photos
ils priaient
ils dessinaient
ils gravaient
des mots qui font vivre
et des vis­ages d’ancêtres
et un dos de femme
nu

extrait de Kauhanga, inédit, 2024

Présentation de l’auteur

Adeline Miermont Giustinati

Née à Nan­cy en 1979, Ade­line Mier­­mont-Giusti­­nati est diplômée en Humanités et en Création littéraire. Nav­iguant pen­dant plusieurs années entre Bre­tagne et Nor­mandie, elle a jeté l’an­cre, en 2018, à l’in­star de Jacques Prévert, dans La Hague. près de Cher­bourg. Elle a exercé les métiers de rédactrice et relec­trice dans la presse écrite et sur le web, pro­fesseure de français et de français langue étrangère, avant de se con­sacr­er entièrement à l’écriture et la littérature.

Auteure de plusieurs recueils de poésie et de textes publiés en revues, antholo­gies et sous forme de livres d’artiste, elle se dit également “passeuse d’écriture”, et met ses compétences d’écriture et littéraires, au ser­vice de différents publics, sous le nom de Calame, assur­ant la relec­ture et le suivi de man­u­scrits et en pro­posant de l’ac­com­pa­g­ne­ment rédactionnel, notam­ment pour des récits de vie.

Elle a fondé la revue Cara­bosse, à sen­si­bilité poétique et féministe, et l’a dirigée pen­dant deux ans. Enfin, elle a créé la Mai­son de poésie en Cotentin, baptisée La Péninsule, située dans le hangar de La Cherche, à Cher­bourg, et qui met à l’hon­neur le mat­ri­moine et la création sonore. Elle y organ­ise, depuis deux ans, des événements poétiques (lec­tures, ren­con­tres, per­for­mances, ate­liers d’écriture, scènes ouvertes, pro­jec­tions vidéos, pod­casts), et accueille également, à l’Autre lieu, des auteurs en résidence.

Bibliographie 

De Chair et de chimères (La Bruyère,2007)
Entre les côtes de Mehen (Sélénites2, 2013)
Incis­es (CMJN, 2016)
Tra­vers­er (antholo­gie, éditions de l’Aigrette,2018)
Vivant(e)s (antholo­gie, éditions de l’Ai­grette, 2019)
Sum­ballein (Tar­mac, 2018; Phloème, 2021, pour la réédition)
Rage écarlate (antholo­gie, éditions Folazil, 2020)
Désert-Désir (antholo­gie, éditions Folazil, 2022)
Désobéissances (antholo­gie Bac­cha­nales, Mai­son de la poésie Rhône-Alpes, 2022) La Traversée de Sed­na (L’Oeil de la Méduse, 2022)
Creuser ma nuit (éditions de l’Ai­grette, 2024)

Autres lec­tures

Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein suivi de Le Tunnel,

Peut-être s’avère-t-il néces­saire, pour com­pren­dre toute la quête poé­tique, toute la démarche d’écriture dans laque­lle s’est lancée Ade­line Mier­­mont-Giusti­­nati, à tra­vers le partage de ce recueil, entre con­fi­dence, poème, essai et réc­it, de […]

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