1

Claudine Bohi, Un couteau dans la tête

Pour ce 31e recueil, la poète s'est jetée coeur et âme dans la déchirure incommensurable des familles qui ont connu la perte, l'absence, la séparation, à cause de l'effroyable guerre, à cause de toutes les blessures.

Alors, il reste à cette petite fille blonde de cinq ans comme "un couteau dans la tête", cette arme qui lacère, sépare, fouille les chairs, abat les corps.

Tout écrit en distiques qui rythment l'aveu, la reconnaissance, la blessure familiale, le livre cisèle la peine, le chagrin, les pleurs. Toute une famille est brisée, esseulée : la grand-mère qui a perdu "son monstre" à la guerre, la mère, la fille. La fille aujourd’hui témoigne de l’inceste que le grand-père a commis à l’adresse de sa propre fille. Cette douleur intime, l’auteure l’a gardée pour elle pendant quarante ans. Elle s’en délivre à présent par la force du poème.

Les images crues, nues, entaillent le coeur, le mettent à vif.

La poésie, seule, peut exposer ainsi, grâce à son chant, sa plainte, ce que chacun peut vivre, dans ces temps de souffrance.

la mère défait l'amour
comme on brise un miroir (p.25)

tout ce brouillard en elle
ce cocon plein de blanc (p.31)

Claudine Bohi, Un couteau dans la tête, L'herbe qui tremble, 2022, 60p., 14 euros.

Pas un mot de trop dans ce chant de douleur, pas de métaphore clinquante, la nudité seule prévaut. Un livre à la fois de compassion et de générosité, que la mémoire familiale nourrit d'une émotion non feinte.

Présentation de l’auteur

Claudine Bohi

 Claudine BOHI vit entre Paris, Strasbourg et St Pierre des champs. Elle est agrégée de lettres et poète. Elle a publié une trentaine de recueils, elle participe à de nombreuses revues françaises et étrangères, figure dans plusieurs anthologies. Elle collabore à de nombreux livres d’artistes, est traduite en plusieurs langues. Certains de ses textes ont donné lieu à des compositions musicales.  Elle dirige actuellement la collection 2Rives aux éditions Les lieux dits. Elle est membre du jury des prix Mallarmé et Louis Guillaume. Elle est membre du conseil d’administration de la maison de poésie de Paris.

Elle a reçu les prix Verlaine, Aliénor, Georges Perros et le prix Mallarmé en 2019.

Bibliographie 

Dernières publications : Un père (Les lieux dits 2021), Regarde, avec Anne Slacik (coéditions l’herbe qui tremble et Papiers d’Art) 2022, Un couteau dans la tête,  éditions l’herbe qui tremble 2022, Parfois l’un d’entre nous,  L’herbe qui tremble, 2023.

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Claudine Bohi, Quelques poèmes inédits

1

Il faudrait surtout pleurer
parfois nous aimons beaucoup ça

c’est si simple de se laisser couler
noyés dans l’ampleur du désastre
perdus dans toute cette agonie

c’est si simple d’acquiescer de dire
oui à toute cette misère
à cette abolition

si simple de se perdre et d’habiter la perte
de se sentir vaincu

mais du fond du sommeil
du fond de tous nos cris
repousse une aventure

un frémissement s’ouvre
au-dedans au dehors 

une chair vient aux mots
c’est là qui recommence
une caresse d’âme une langue profonde

derrière les mots une étrange parole
tout entière musique
tout entière couleur

infiniment tactile tout entière vertige

nous roulons à nous-mêmes
et pourtant sans limite

l’immensité nous suspend
qui ouvre tous nos signes

qui recoud tous nos mots
à leur profonde source

qui nous remet au monde

un par un si multiple
un par un si divers

 

2

Nous parlons dans nos corps

nous arrachons le sens avec des mots
qui furent d’abord des sensations

roulés dans notre chair
avalés dans le consentement

toujours venant de l’autre le mot nous fut offert

ce cadeau nous précise

il nous augmente en même temps
qu’il nous diminue  

nous sommes ce tragique déploiement
nous sommes cet indépassable manque

nous l’habitons
pleins de couleurs et de frissons

3

Le combat est obscur
qui ouvre dans les mots  
le retour du silence

qui soulève leur sens
jusqu’aux portes de chair

la parole est un chant oublié
disparu dans ses signes

que la voix des poètes
retrouve et recommence

la voix
son gouffre d’origine
où le corps fait berceau

ce chant premier
que nous n’oublions pas

 

4

Nous sommes sous les signes
habitués au silence

habités par les mots
nous savons les murmures
le glacis de nos gestes

la grande farandole où nous rêvons le sens

nous continuons

au loin nous reconnaîtrons
cette sorte de bleu
qui entièrement nous déplace

qui lentement nous conduit

 

5

Ce qui déplie son règne nous ne le tenons pas

nous le manquons

ce qui fut au respir sa cascade lointaine
son eau de jour et de partage
ce qui fut sa lumière

nous l’espérons
nous le rêvons

nous cherchons plus loin que nous
cette part de nous-mêmes
qui nous a abandonnés

qui nous a désertés

que toutes nos mains rassemblent
sous une peau obscure   

quand de cascade en cascade l’eau vive du soleil
vient réparer nos yeux
pour entrer dans les mots  

 

6

De mot en mot
de phrase en phrase
nous n’approchons d’aucune porte

ce qui vient d’ailleurs
nous ne le savons pas
ne le connaissons pas

il n’y a pas de trace

et pourtant cela surgit

la lumière est en nous
ce qui en nous échappe

elle est ce qui nous éclaire
et nous fait croire en elle

tous les mots lui font signe  

 

7

routes perdues
où rôde encore un bout de ciel

le blanc approche une démesure
un silence de joie
que crève alors le couteau des mots

la découpe est profonde
en même temps qu’impalpable

résiste le silence où tournoie quelque peur

la blancheur neige d’où surgit le désir
on ne sait pas de quoi

mais qui est si violent

il ferme tout l’espace avec sa main absente
son lieu de regard fixe et de cri inaudible

ce fut d’abord perdu cela revient toujours

l’éternité est blanche et nous ferme les yeux

8

Quelque remous de rêve dites-vous

une balançoire de neige douce   
une musique de peau

on pourrait croire un sommeil

juste au bout de la main
un friselis d’eau claire   

l’ancêtre d’un baiser

ce que nous disons commence là
car ce regard perdu
car ce premier oubli
renverse le silence

il y bâtit d’ inconnaissables demeures

et donne à nos paroles
leur obscur goût de ciel

9

Il y a un trou dans les mots
une porte y bat doucement

on ne peut ni la voir ni la toucher

elle est ce que nous avons de plus proche
mais que nous ne voyons jamais

chacun de nos cœurs en est l’accès
miroir au plus profond de nous posé

nous ne le voyons pas

il est dans chaque mot
ce qui nous porte vers lui

10

Ce qui bouge dans les mots
nous le cherchons

 ce qui les porte

cette lente coulée de brume et de clarté
dans la voix où s’étire un vieux sommeil

comme une caresse de cristal

car chacun d’eux vient d’un rêve multiple
multiplié encore

d’un territoire ouvert sur notre insondable immensité

Il surgit de très loin pour ajuster nos chairs
à l’inaccessible réalité

 

11

Car nous venons de si loin parmi l’écume et le soleil
dans l’abandon caressant de l’eau et des nuages

nous venons d’avant nous-mêmes

dans l’éternelle aventure des hommes et de la lumière
dans le jeu des songes et des planètes

dans la terrible invention de la parole
qui va s’engouffrer dans les mots    

nous venons dire une sorte de peau
une sorte de rêve et d’étoile sonore

nous venons réduire l’immensité
nous venons l’oublier

nous venons aussi la contenir 
et la donner

 

12

Nous parlons soliloque avec des mots d’avant

avec des mots d’ailleurs
que d’autres inventèrent que nos morts ont repris

nous parlons soliloque je m’invente avec vous
qui suis-je et rien ne me l’assure
car rien de vous ne vient et tout de moi
m’échappe je parle soliloque mais d’un seul coup
frémit cette peau de vertige et
ces mains de cascades

le corps et sa musique dans le tamis des mots
lui qui toujours se glisse lui qui nous fait unique

l’inépuisable corps dans la marée des signes

lui qui s’ouvre partout vers ce qui nous précède
et qui mêle à la chair tout le senti du monde

il donne à notre parole ce qui la fait unique
et qui vient du temps même où nous étions muets

 

Présentation de l’auteur

Claudine Bohi

 Claudine BOHI vit entre Paris, Strasbourg et St Pierre des champs. Elle est agrégée de lettres et poète. Elle a publié une trentaine de recueils, elle participe à de nombreuses revues françaises et étrangères, figure dans plusieurs anthologies. Elle collabore à de nombreux livres d’artistes, est traduite en plusieurs langues. Certains de ses textes ont donné lieu à des compositions musicales.  Elle dirige actuellement la collection 2Rives aux éditions Les lieux dits. Elle est membre du jury des prix Mallarmé et Louis Guillaume. Elle est membre du conseil d’administration de la maison de poésie de Paris.

Elle a reçu les prix Verlaine, Aliénor, Georges Perros et le prix Mallarmé en 2019.

Bibliographie 

Dernières publications : Un père (Les lieux dits 2021), Regarde, avec Anne Slacik (coéditions l’herbe qui tremble et Papiers d’Art) 2022, Un couteau dans la tête,  éditions l’herbe qui tremble 2022, Parfois l’un d’entre nous,  L’herbe qui tremble, 2023.

Autres lectures

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Le dernier recueil de Claudine Bohi, lauréate en 2019 du Prix Mallarmé, est illustré  par sept magnifiques peintures aériennes d’Anne Slacik dont la couverture elle-même. Le blanc, mêlé à des variations de bleu et [...]

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Claudine Bohi et Anne Slacik, Regarde

C’est lors d’une visite d’une exposition des œuvres d’Anne Slacik qu’ « un certain bleu », nous dit la poète, « a foudroyé en moi toute résistance. / Très vite, une parole est venue, une sorte de rêve où la réalité s’étire vers ce qui la déborde, / et qui l’appelle.

Un flot de poèmes ». Ce flot, on le sent au fil de la lecture naître à la source du bleu, là où le bleu est nuit, nuit révolue, peut-être celle de l’enfance, dont l’artiste vient peindre nos yeux, nous dit le poème qui clôt le recueil, artiste devenue arpenteuse des mers subtiles de notre désir de vie et d’amour :  « vous voguez maintenant loin de nos gouffres vous voguez / sur cette mer étonnante et rassurante sur cette marée d’images / et d’eaux lisses qui apprivoisent qui apaisent / et qui donnent à la mort comme à l’amour / ce goût d’espace et de miel inachevé / car vous le savez vous voguez là où le bleu prend sa source ». Lire Regarde est une longue traversée des espaces du bleu originel, celui de ces quatre larges panneaux (« terre et pigments sur toile de lin ») occupant une double-page, intitulés Ombre (cobalt), ou Ombre (bleu paon), ponctuant le recueil des horizons mêlés de la mer et de la nuit évoquant la présence lointaine d’une lisière, quelque léger bord de lumière où se laisser glisser dans le bercement des mots : « vous retournez le bleu / dans le sens du mystère la caresse est profonde / vous ne pouvez la perdre et / lentement remonte cette langue oubliée disparue dans / nos lèvres et qui toujours recommence vos songes ». Ce flot de poèmes, c’est du cœur qu’il remonte, on le comprend, de ce que nos lèvres retiennent peut-être de notre premier cri d’enfant, dont toute notre vie l’écho résonne dans nos rêves. Cet Écho des lumières reproduit sur la page de couverture, avec ses blancheurs d’écume ou de nuage, ses zébrures on ne sait si de pluie ou de lumière, n’est-il pas écho d’une lumière d’avant le souvenir, ultime écho peut-être de la lumière dont est né le monde, et avec lui chacun d’entre nous pensant le monde ?

Claudine Bohi et Anne Slacik, Regarde, L’herbe qui tremble, 2022, 88 pages, 20 €.

Tableaux où partout du bleu s’ouvre dans du bleu, de la forme se déploie dans la couleur, fœtus, papillon, tortue, poissons phosphorescents, micro-organismes aux complexions multiples, brume sur des marécages, danse virevoltante à la Matisse de figures sveltes, ombres agenouillées, méduses en flocons, naissance peut-être du monde dans les transparences de l’océan primitif, immémoriale main de la création :

clapotis de nuages fil tendu du rêve appuyé sur l’épaule
vous avez dit regarde et dans vos grands yeux d’eau la pluie
muette fait de vagues cercles bleus que votre main remue
depuis très longtemps
personne ne connaît la nuit aussi bien que vous
cette nuit si secrète qu’elle ressemble à la clarté

La poète, à partir des tableaux, compose ses poèmes de mots bleus, « couleur de l’âme », on se dit peut-être en état de semi-conscience, quand ce sont les doigts qui parlent avant la pensée, quand la voix est d’avant les mots : « bleu tout ce bleu … / … / et qui vient de si loin / de cette contrée très oubliée à l’intérieur de la parole / là où un jour a commencé la mer ». Car Regarde est avant tout une plongée en soi-même, une quête de la première nuit, du premier rêve de la première nuit, à l’écoute de cette voix première, tôt oubliée et qu’il nous faut nous réapproprier : « j’irai dormir au fond de votre rêve / j’irai dormir au fond de votre corps disait la voix / qu’elle ne connaissait pas / mais qu’elle reconnaissait toujours ». Le bleu se fait dans ces poèmes celui de la matrice, du bruissement originel de l’arbre, de cet arbre que l’enfant au tréfonds de sa naissance caresse de ses mains : « il y a des arbres tout au fond de vos yeux il y a de grands / arbres bleus que retrouvent vos mains dans leur nid de caresses ». Le retour à l’origine est ici recommencement, comme si à travers l’œuvre plastique contemplée et s’épanouissant en mots, c’est le rêve de l’artiste que la poète venait partager, si les mots se faisaient couleur au bout des doigts de la peintre, la couleur lumière, la lumière regard : « quelque chose de nous est repris dans vos songes / quelque chose de nous tout au bout de vos mains / rattrape la lumière / recommence nos yeux ». C’est un ciel que la démiurge du bleu tend à la poète, son cœur qu’elle lui ouvre : « oui ce ciel bout à bout revenu / d’entre vos mains et d’entre les couleurs pour nous / verser son étrange musique pour nous donner son cœur ». Et ce ciel de l’amour recommencé, n’est-il pas tout simplement condition d’un futur, d’un monde où existerait un futur plus grand que nous : « vous vous enroulez au sommeil des oiseaux / et vous redevenez une aile / alors c’est vrai vous ouvrez le futur / vers ce qui le contient » ? De cette ouverture aux lointains de l’espace et du temps, c’est, par un mouvement de reflux, un sentiment d’apaisement et de bonheur qui nous revient : « tu vois là-bas tout penche vers / ce bleu dans son nid d’étincelles / tout redevient sourire sur nos / lèvres d’eau douce une à une posée sur nos cris / alors d’un coup le grand désir au large fait retour en nos mains ». Dans l’instant du soir, celui de l’infini comme de la proximité des choses, la nuit éclate et le bleu se fait chair, s’installent de nouvelles constellations de signes :

alors quand triomphe le soir vous venez ouvrir le bleu
avec vos mains ouvrir cet inépuisable du bleu
cet infatigable du bleu
et quelque chose vient heurter la nuit la déplier la défaire
la fracasser toute une chair s’enroule à nos détresses
et vient d’un coup recommencer tous les signes

Laissons pour terminer la parole à la poète : « Est-ce la brûlure elle-même qui s’est mise à rêver ? / Plus tard j’ai su par Anne que ce bleu-là avait surgi juste après la mort de son père. / Alors j’ai pensé à cette phrase de Paul Celan : / “La poésie, cette parole qui recueille l’infini, là où n’arrivent que du mortel et du pour rien”. »

Présentation de l’auteur

Claudine Bohi

 Claudine BOHI vit entre Paris, Strasbourg et St Pierre des champs. Elle est agrégée de lettres et poète. Elle a publié une trentaine de recueils, elle participe à de nombreuses revues françaises et étrangères, figure dans plusieurs anthologies. Elle collabore à de nombreux livres d’artistes, est traduite en plusieurs langues. Certains de ses textes ont donné lieu à des compositions musicales.  Elle dirige actuellement la collection 2Rives aux éditions Les lieux dits. Elle est membre du jury des prix Mallarmé et Louis Guillaume. Elle est membre du conseil d’administration de la maison de poésie de Paris.

Elle a reçu les prix Verlaine, Aliénor, Georges Perros et le prix Mallarmé en 2019.

Bibliographie 

Dernières publications : Un père (Les lieux dits 2021), Regarde, avec Anne Slacik (coéditions l’herbe qui tremble et Papiers d’Art) 2022, Un couteau dans la tête,  éditions l’herbe qui tremble 2022, Parfois l’un d’entre nous,  L’herbe qui tremble, 2023.

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Claudine Bohi, L’Enfant de neige

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Entre le questionnement et l’appel, Claudine Bohi signe dans la délicate collection du Loup bleu un bouleversant poème, une chanson lancinante et pudique en mémoire de son père. Comme [...]

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C’est lors d’une visite d’une exposition des œuvres d’Anne Slacik qu’ « un certain bleu », nous dit la poète, « a foudroyé en moi toute résistance. / Très vite, une parole est venue, une sorte [...]

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La minute lecture, Claudine Bohi, Un père

Entre le questionnement et l’appel, Claudine Bohi signe dans la délicate collection du Loup bleu un bouleversant poème, une chanson lancinante et pudique en mémoire de son père.

Comme un refrain, pour évoquer cette figure qui fut tout à la fois socle et absence, elle interroge : « Qu’est-ce qu’un père au juste » ?  Lui ne peut répondre, n’a peut-être jamais su, ne saura plus jamais. Il s’est refusé à elle, demeure introuvable, vide immense. Un manque emplit tout le poème. Seuls les mots ont ce pouvoir de rejoindre ce qui était distance, ce qui était silence. Là sont les retrouvailles. Claudine écrit, la petite fille a grandi et compris : comment être père quand on souffre tant d’être ? Quand la peur est aussi celle d’aimer ? Cette question reste suspendue, une infinie recherche, pour elle, pour lui, dont le « regard clair » veille pour toujours sur le poème.

En attendant de commander ce très beau livre chez ton libraire ou auprès de l’éditeur, tu peux en écouter un extrait ici :

Claudine Bohi, Un père, éditions Les Lieux-Dits, Cahiers du Loup bleu, 2021, 7 €.

Présentation de l’auteur

Claudine Bohi

 Claudine BOHI vit entre Paris, Strasbourg et St Pierre des champs. Elle est agrégée de lettres et poète. Elle a publié une trentaine de recueils, elle participe à de nombreuses revues françaises et étrangères, figure dans plusieurs anthologies. Elle collabore à de nombreux livres d’artistes, est traduite en plusieurs langues. Certains de ses textes ont donné lieu à des compositions musicales.  Elle dirige actuellement la collection 2Rives aux éditions Les lieux dits. Elle est membre du jury des prix Mallarmé et Louis Guillaume. Elle est membre du conseil d’administration de la maison de poésie de Paris.

Elle a reçu les prix Verlaine, Aliénor, Georges Perros et le prix Mallarmé en 2019.

Bibliographie 

Dernières publications : Un père (Les lieux dits 2021), Regarde, avec Anne Slacik (coéditions l’herbe qui tremble et Papiers d’Art) 2022, Un couteau dans la tête,  éditions l’herbe qui tremble 2022, Parfois l’un d’entre nous,  L’herbe qui tremble, 2023.

Autres lectures

Claudine Bohi, L’Enfant de neige

Le dernier recueil de Claudine Bohi, lauréate en 2019 du Prix Mallarmé, est illustré  par sept magnifiques peintures aériennes d’Anne Slacik dont la couverture elle-même. Le blanc, mêlé à des variations de bleu et [...]

La minute lecture, Claudine Bohi, Un père

Entre le questionnement et l’appel, Claudine Bohi signe dans la délicate collection du Loup bleu un bouleversant poème, une chanson lancinante et pudique en mémoire de son père. Comme [...]

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Claudine Bohi, L’Enfant de neige

Le dernier recueil de Claudine Bohi, lauréate en 2019 du Prix Mallarmé, est illustré  par sept magnifiques peintures aériennes d’Anne Slacik dont la couverture elle-même. Le blanc, mêlé à des variations de bleu et de vert, y est celui des nuages mais aussi de la neige.

Un texte liminaire annonce dans ce sens : « Entrer dans la neige / aller au blanc… » et ouvre un prologue, «  La Porte de la neige ». Puis mystère, inconnu et paradoxe définissent l’incipit comme une accroche pour la lecture :

 

Il y a dans la neige
un trou

une porte de brume
où ce qui brille est une absence

on ne sait de qui

cette absence est du monde
la chose la plus ignorée

la mieux partagée
pourtant

 

Claudine Bohi, L’Enfant de neige, 
L’herbe qui tremble, 2020.

Le récit d’une absence commence et la langue elle-même, par « cette hésitation des mots », en témoigne. Il s’agit d’avancer dès le premier volet qui s’intitule « Les mots sont des pas sur la neige ». L’exergue de Serge Pey définit cette vocation dont la nature et ses habitants sont les adjuvants : « sous chaque lettre / une musique du grand infini / nous appelle ».

La neige, ce sont des traces, c’est un léger bruit ; une merveille, dans le silence de la nuit, qui « atténue la menace » et de son blanc naît l’infini. L’enfant qui naît va faire naître, lui aussi, un langage. Mettre au monde et créer, pour la poète, sont intimement liés.

Les mots apparaissent comme des flocons composant des vers brefs au rythme léger et au cœur d’un espace qui se veut souvent aéré :

 

la nuit est tombée
de ce côté du sens

d’un coup se lève
une blancheur interne

le temps a défait ses lacets
s’échappe de lui-même

 

Après des variations sur les mêmes motifs qui ont apporté le calme, un deuxième volet, au titre éponyme, s’ouvre sur l’in-fans silencieux à qui justement la neige ressemble. Comme celui-ci qui « marche vers son nom » et vers la parole, la narratrice s’en va vers le pays des mots où se trouve « un puits / où chercher la langue » malgré glissements et dérapages et à l’aide de la main.

Il y a aussi le regard de l’enfant qui, bientôt, va « informer les mots ». Le premier regard qui doit être toujours celui de la poète. Il s’agit alors d’hésiter peut-être mais surtout de redessiner le monde nouvellement perçu en recommençant sans cesse la parole car

 

entre ton corps
et tes mots
un pont
toujours est à reconstruire 

 

Des images délicates ponctuent un texte qui se cherche à la fois dans la douceur et la douleur : l’oeil de l’enfant est une « plage inconnue », la parole est « un collier de chair ». On peut lire également la « fourrure des mots ».

Puis, après une clôture sur l’attente de « quelqu’un », le troisième volet s’ouvre sur un espace-temps pour une nouvelle variation nommée « Secret de la neige ». En effet il y a avant le blanc, il y a les «autres blancheurs» et toujours « l’étonnement » devant cette magie indéfinissable. La neige n’est-elle pas synonyme de confiance, d’identité enfin trouvée avec ce blanc qui « réconcilie.../ qui réunit ». Elle fait bouger le coeur, elle fait vivre et apporte la joie. L’anaphore « il neige » tombe alors harmonieusement sur la page comme un flocon pour chacun qui a justement sa «  part de flocon » selon les mots du dernier titre et ceux de l’incipit :

 

il neige

on cherche la merveille

il neige

quelqu’un dans ton corps
s’envole

c’est ta part de flocon

 

La part des mots aussi, peut-on dire, sur la neige de la page qui est du « silence parlé ». Tout se mêle : l’enfant, sa naissance, celle du langage, le blanc, avant et entre les mots, qui « recule / vers sa  propre lumière ».

 

Présentation de l’auteur

Claudine Bohi

 Claudine BOHI vit entre Paris, Strasbourg et St Pierre des champs. Elle est agrégée de lettres et poète. Elle a publié une trentaine de recueils, elle participe à de nombreuses revues françaises et étrangères, figure dans plusieurs anthologies. Elle collabore à de nombreux livres d’artistes, est traduite en plusieurs langues. Certains de ses textes ont donné lieu à des compositions musicales.  Elle dirige actuellement la collection 2Rives aux éditions Les lieux dits. Elle est membre du jury des prix Mallarmé et Louis Guillaume. Elle est membre du conseil d’administration de la maison de poésie de Paris.

Elle a reçu les prix Verlaine, Aliénor, Georges Perros et le prix Mallarmé en 2019.

Bibliographie 

Dernières publications : Un père (Les lieux dits 2021), Regarde, avec Anne Slacik (coéditions l’herbe qui tremble et Papiers d’Art) 2022, Un couteau dans la tête,  éditions l’herbe qui tremble 2022, Parfois l’un d’entre nous,  L’herbe qui tremble, 2023.

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Claudine Bohi, L’Enfant de neige

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C’est lors d’une visite d’une exposition des œuvres d’Anne Slacik qu’ « un certain bleu », nous dit la poète, « a foudroyé en moi toute résistance. / Très vite, une parole est venue, une sorte [...]

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Pour ce 31e recueil, la poète s'est jetée coeur et âme dans la déchirure incommensurable des familles qui ont connu la perte, l'absence, la séparation, à cause de l'effroyable guerre, à cause de [...]




Fil autour de Claudine Bohi, Yann Dupont, Françoise Le Bouar, Didier Jourdren

Claudine BOHI : « Mettre au monde »

Il y a dans ce recueil comme une musique d’amour inconnu qui cherche son objet… Ce qui ne va pas sans obscurité car ce long poème, comme le dit le prière d’insérer joint au livre, lui-même ne va pas sans obscurité.  Claudine Bohi écrit, mais elle doute de ce qu’elle cherche : « cette porte/fermée//qui n’a pas de clé » (p 13). D’où des tournures elliptiques, ces mots comme peut-être qui marquent le poème ; ce qui explique sans doute l’absence de majuscules et de points à la fin du vers et du poème.  

Claudine Bohi, Mettre au monde. L’Herbe qui tremble éditions, 160 pages, 14 euros. Peintures d’Anne Slacik.

Chant d’amour car il s’agit de mettre au monde : et si l’objet de ce livre n’était que d’accoucher de ce livre ? Claudine Bohi maîtrise parfaitement l’art d’évoquer sans dire les choses directement : « dans le songe/de naître » écrit-elle (p 141). La polysémie, propre au langage poétique, a besoin d’être décodée. Le vers est bref, incisif même, souvent réduit à un seul mot ; « on bouge les mots » écrit-elle (p 28) ; sait-on jamais « là où ça commence », qui est le titre d’une des huit sections de l’ouvrage (p 33) ?  Que penser de l’emploi bizarre de certains verbes comme « on t’obstine » (p 46), qu’est ce « disparu pas passé » (id) ? Claudine Bohi ne cesse de s’interroger « est-ce la chair/est-ce le mot » (p 35, mais il  faudrait citer le poème dans sa totalité).   Les mots  changent même d’une lettre seulement : « rassembles/ressembles » p 47). Cependant, qui est ce tu qui apparaît page 39 ? L’autre moi du poète ? Ou qui d’autre ?

C’est la poésie, l’expression (car "peindre" revient souvent vers la fin du recueil), et si le but de ce livre n’était que de démêler le vrai du faux, de trouver les chemins de la création poétique ? Mais voilà que je me pose aussi des questions, et ce n’est pas par pur mimétisme ! C’est plus profond que cela ; je cherche à démêler « une pelote/de mots de chair de silence » (p 47). On se souvient alors que Claudine Bohi est psychanalyste et le lecteur se trouve, à son corps défendant, embarqué sur une piste de lecture relevant de cette discipline. La cinquième section du recueil intitulée Le lieu premier (pp 51-61) y invite. D’autant que le poème de la page 55 y pousse : « nous avançons (…)//vers ce visage en nous/qui n’a pas de nom//nous avançons vers ça ». Et les mots qui reviennent dans les poèmes suivants : chair, absence, lieu, sexe, corps, mots, langues … Mais, peut-être que je me trompe, que la solution à ce livre réside dans l’amour qui se chante ici (« cela réunit les deux bords/du trou/où tu tombes toujours/et chacun à son tour//pour resurgir unique/ensemble//c’est du rassemblé/tout ça », p 74, et je m’aperçois que j’ai cité tout le poème, de la suite suivante ! Cependant, dans la section qui vient après (et qui porte en titre Là où se noie) les adjectifs de couleur apparaissent : bleus, rouges, noirs, jaune, mauve… Que veulent alors dire ces deux vers : « une main se lève  /elle est remplie de couleur » (p 89) ? Ou ces deux autres : « cette langue d’avant les mots/où tu me commences » (p 95) ? 

Un livre qui résiste à la lecture, un livre de poèmes qui n’est pas donné, un livre qui ne laisse pas indiffèrent… Oui, quel est ce tu qui apparaît dans maints fragments ?

 

 

Yann DUPONT : « Fragilité(s) »

Christophe Chomant éditeur publie sous un format à italienne, comme nous y a habitués La Porte, la récente édition de Yann Dupont. Je ne sais pourquoi (ou je n’en connais que trop les raisons) mais j’ai l’impression, d’avoir déjà vu le poème liminaire dans une toile ou un dessin d’Edward Hopper, le peintre de la solitude… Yann Dupont est un poète de la solitude : « Quand une seule mouche/se cogne contre la vitre »… Un seul être vous manque et tout se repeuple grâce à une mouche ! Ailleurs, « le sang du périphérique coule dans ses veines » (p 10). Mais Yann Dupont ne se fait pas l’écho du seul Hopper, il se fait aussi l’écho d’un poète comme Guillaume Apollinaire « Sous le pont Mirabeau coule la Seine » : « Dans le regard de ce masque en plâtre coule la Seine » (p 12). Poésie savante, bourrée de références et de connivences !

« Un bas résille lui serre la gorge » (p 15) : Yann Dupont ne dit pas clairement les choses, il n’a pas une précision d’entomologiste ou d’enquêteur sur les lieux d’un crime, mais on devine qu’il y a eu meurtre. Plus loin, il récidive avec un poème : « Sans doute a-t-il plu/Dans le cratère de sa peau jaunie/Mais rien ne ressuscitera /Ce qui lui avait plu » (p 24). Le poète n’oublie pas  qu’il n’y a nul besoin qu’en poésie les choses soient dites nettement, et en plus il y a l’homophonie de la fin des vers 1 et 4. D’ailleurs Yann Dupont répète ce procédé dans le vers liminaire du poème - imprimé page 46  «  Alanguie elle a la langue » mais c’est pour aboutir au désastre final « … le désir//Celui des hommes de son corps qui maintenant gît dans la brume rose des marécages ». On comprend alors mieux les vers finaux de la plaquette : « Et on se sent plus libres/Nos corps enfouis sous terre » ( p 56). 

Yann Dupont : « Fragilité(s) ». Christophe Chomant éditeur, 68 pages, 13,50 euros. 

 

 

Françoise LE BOUAR : « Le fouillis du ciel, de la terre et des eaux »

C’est une poésie pleine de sensibilité  que donne à lire Françoise Le Bouar avec ce recueil, son premier livre de poésie, car elle était surtout connue jusque maintenant comme auteur d’études sur la littérature enfantine publiées essentiellement dans la revue Strenæ de l’Association Française de Recherches sur les Livres et les Objets Culturels de l’Enfance (AFRELOCE). Si Arz est une île du golfe du Morbihan, face à Vannes, le premier poème de Arz vient donner un sens éclairant au titre du recueil : fouillis de ciel, de terre et d’eau… Même le cimetière est dit avec beaucoup de délicatesse (p 20) : le rythme du poème se fait lent et attentif. Mais les aquarelles de Joseph Orsolini sont juste là pour souligner cette lenteur du temps qui passe sur le paysage de l’île, « accordé(e)/à la respiration des marées ». Il y a cependant trop de cascades de perles qui viennent caractériser les rires (p 27) mais ce n’est rien, sinon pas grand-chose, à côté du murmure/de ce qui vient (p 28) car Françoise Le Bouar a l’art de suggérer. 

L’aquarelliste n’est pas oublié : un poème lui est même dédié (p 30). Mais Françoise Le Bouar s’intéresse aussi au passé : « c’était là le bassin/d’un très vieux jardin  »  (p 36) ou les mourants :  « Supérieurs, les mourants/ont un œil/qui voit » (p 38). Françoise Le Bouar capte le peu de la vie ; elle célèbre le réel, elle s’en émerveille : elle révèle le monde et c’est bien un fouillis qui en émerge… La poète essaie d’y mettre un peu d’ordre, elle interroge ce semblant d’enfance chez l’adulte qu’elle est devenue.

Mais Françoise Le Bouar s’inquiète de son corps : «  et mon corps/lointain vaguement humain »  (p 49) ; il est vrai que c’est à l’occasion d’une convalescence (c’est du moins le titre de la suite de poèmes) ; l’état de faiblesse ( ? ) est prétexte à des poèmes comme décousus mais précis quand même. On remarquera la présence de qualificatifs ou de substantifs antagonistes  : les choses-syllabes (p 58) permettent au lecteur de se repérer dans ces poèmes : le projet de Françoise Le Bouar est bien de nommer le réel… Même la pollution semble positive , le bord de la Marne est là pour le prouver (p 90).

 

Françoise Le Bouar : « Le Fouillis du ciel, de la terre et des eaux ». L’Herbe qui tremble, 100 pages, 14 euros. (En librairie ou sur commande via le catalogue).

Il me faut cependant confesser une gêne ressentie à la lecture ode ce recueil : c’est que je remarque un décalage entre le titre des ensembles de poèmes et le contenu ou le nombre de ces pièces de vers. Ainsi Arz, s’il parle bien de cette île ou de la commune parle aussi d’autres lieux (Petite suite ariégeoise, Entre Larnaca et Nicosie …) De même, Convalescence : douze poèmes comporte beaucoup plus que les annoncés (une quarantaine !) : il est vrai que je suis sans doute trop carré

 

 

Didier JOURDREN  : « Le chemin dans l’herbe »

Didier Jourdren est en particulier poète : il a publié, entre autres, deux recueils aux éditions Folle Avoine. Ceci pour expliquer que dans le texte passé en quatrième de couverture, il est noté que le poète poursuit sa quête à partir de rencontres fugitives. Et ça commence bien : Didier Jourdren donne raison à Jeanine Baude (qui a sans doute écrit cette présentation du livre de nouvelles), à savoir qu’il est à la recherche de ces sensations fugitives dont il ignore les noms botaniques (p 10) ! Et ce n’est pas pour rien que le mot fugitive revient de nombreuses fois. L’impression (auditive), cette fois, c’est le chant d’un rossignol que l’auteur ne reconnaît pas de prime abord. C’est écrit dans une prose lisse, aux circonvolutions multiples ; mais Didier Jourdren maîtrise parfaitement l’art de la chute puisqu’il nomme l’arbre vu au bas du talus dont il ignorait l’appellation au moment où il l’admirait : l’alisier torminal (p 20). Cela s’appelle poésie : « La poésie vient quand on ne sait plus rien, quand on ne peut plus parler » (p 25). Je n’ai jamais trouvé au cours de mes lectures de définition plus claire de cette chose étrange qu’on désigne sous le vocable de poésie et la place de la vie est bien « entre terre et ciel » (p 27).

Didier JOURDREN , Le chemin dans l’herbe. Editions Pétra, 152 pages, 15 euros. En librairie. Ou sur catalogue (adresse : https://www.editionspetra.fr/), onglet Les livres aux éditions Pétra, clic sur acheter suivant titre et nom de l’auteur, port gratuit.

Le troisième nouvelle, intitulée Une colline autre part, n’échappe pas à la règle. En fait, ce que dit Didier Jourdren c’est le peu de réalité du réel lui-même. Qu’on en juge : « Je ne cesse de quitter ma colline, je m’éloigne, elle me guide pourtant sans que je le voie, m’ouvrant des sentes inattendues.  Au fond, je me détourne pas d’elle » (p 37) ou  « Quelque chose là nous est propre, intime, au plus profond, au plus impalpable, tout à fait autre, nous dépossède en même temps, nous ouvrant à une autre manière d’habiter le monde » (p 38). C’est que Didier Jourdren ne cherche pas à « habiter le monde, comme je l’ai trop souvent rêvé, ne signifie pas un enracinement définitif, aussi précaire qu’illusoire, mais parvenir à cette appartenance un instant entrevue entre les deux bâtiments de ferme » (p 41). Qu’est alors cette « appartenance » ? Ce sont les choses (un toit, un menhir…) voire des des animaux (un rossignol…) que rencontre Didier Jourdren au cours de ses promenades. Mais c’est toujours la même attention empreinte de curiosité dont il tire une leçon. Il y a fraternité des hommes mêmes lointains dans le temps : « L’éternité a besoin de nous » (p 47), mais la fin de cette pierre approche car en proie aux outrages du temps. Les choses sont à l’image de l’être humain… Belle leçon de modestie. « Au fond, je ne sais rien de ce qui me touche » (p 67) avoue Didier Jourdren. C’est peut-être prétexte à interroger les mots (mis en italiques dans le texte)… 

 

C’est le terme grâce qui vient à l’esprit quand on lit Didier Jourdren (et surtout L’Instant des pins) : « Pour dire en peu de mots ce qui a eu lieu : quelque chose en cet instant en moi a cédé » (p 79) ; il faudrait citer tout le paragraphe, pour saisir ce que ce mot de grâce signifie… Mais qu’est cette brisure ? « Comment vivre ? » (p 89). Accord au monde, acceptation tranquille, jamais l’expression « adéquation soudaine » n’a eu une telle évidence : « C’est vers ce très peu qu’il me faut aller » (p 90). Tout est alors dit, il ne faut pas grand-chose pour trouver le bonheur : un peu de légèreté dans l’air, cette adéquation au lieu, au moment. Quelle est la méthode involontaire pour susciter de telles approches fugitives ? La réponse est donnée à cette question page 97 au début de la nouvelle Dans l’émerveillement des fleurs : « Je ne sais pas ce que j’ai vu. Des fleurs sur le bord de la route, en passant, alors que le regard ne s’attachait à rien et l’esprit suivait des pensées fuyantes et décousues. Je ne les ai pas  vues : aperçues tout au plus, à travers la vitre, au moment où elles disparaissaient mais ce si peu m’a d’un coup arraché à ma  rêverie ». Ce qui n’empêche pas Didier Jourdren d’établir un parallèle entre la disparition de ces fleurs et celle (fantasmée) de la jeune femme qui lui fait face non loin de lui dans le bus…

Reste encore à s’interroger sur la nature de ce qui arrive à Didier Jourdren. Cette fois-ci, c’est l’exergue de l’avant-dernière nouvelle qui en donne les raisons : «  quelque chose en nous est atteint, étonné, enflammé ». « Le plus modeste, le plus pauvre » affirme le nouvelliste (p 108). Cela relève de l’indicible : « Peut-on reconnaître sans reconnaître » s’interroge-t-il. Cela s’appellerait correspondance, fragment oublié, réminiscence, nostalgie ; quelqu’un précise Didier Jourdren (p 110). L’auteur n’arrête pas de se questionner pour mieux préciser. Ce qui vaut au lecteur une digression sur les cabanons au fond du jardin. Et digression dans la digression, ces cabanons de poésie (p 118). Et le dernier texte (intitulé Route des foins), nous amène à ces étendues de foin au bord des routes qui toujours (le) retiennent (p 125). Ce n’est pas simple témoignage pittoresque du passé ; c’est que, marchant, Didier Jourdren a la nostalgie de son enfance, d’un certain passé, de la vie… Entre autres choses !