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Marie-Claire BancquartDe rêve en rêve, et autres poèmes

 

De rêve en rêve
le dormeur mâche un mot
qu’il peine à retrouver à son réveil

peut-être : « ostinato » ?

peut-être : « osmose » ?
Tout était simple. Des créatures
connues et inconnues
faisaient la queue avec les hommes
tous pressés de renaître en leur état ancien d’indivision

Ah , si compacte et douce, cette nuit,
l’étendue
indifférenciée
de la matière !

∗∗

Entre le blanc de lune et celui de la mer
le dormeur se faufile encore
avec d’autres rêves laiteux :
pain, visage, neige sur montagne.

Au réveil il regarde ses mains pâles .
Il soupire.

il n’a pas mérité
d’être le candidat de l’aube
ni de la fleur de cerisier.

Il vivra un jour comme un autre.

∗∗

… Même en plein jour, la pierre
encore tiède de soleil

l’odeur du romarin
doucement
allégé de ses vieilles branches

le pelage d’un chat
qui palpite
secret
sous ses doigts :

de quoi se mettre en place
au moins
dans un délicat côte à côte avec l’univers.

 

Présentation de l’auteur

Marie-Claire Bancquart

1932-2019. Professeur émérite à la Sorbonne, auteur de nombreux essais critiques, plusieurs fois primée pour cette activité, romancière,  et poète. Une trentaine de recueils de poèmes publiés entre 1967 (Mais) et 2017 (Figures de la terre)  parmi lesquels :  Avec la mort, quartier d’orange entre les dents, Obsidiane, 2007 ; Terre Énergumène, Le Castor Astral, 2009 ; Explorer l’incertain, L’Amourier,2010. Une anthologie: Rituel d'emportement, le Temps qu’il fait/Obsidiane, 2002... et l'anthologie qui lui est consacrée dans la collection Poésie/Gallimard, en 2019 : Terre énergumène et autres poèmes (préface d'Aude Préta-de Beaufort).
Sur sa poésie , un essai de Pierre Brunel et Aude Préta-de Beaufort,  A la voix de Marie-Claire Bancquart Le Cherche-midi, 1996)un livre de Peter Broome, In the Flesh of the Text, The Poetry of Marie-Claire Bancquart, Rodopi,2008 ; un colloque à Cerisy-la-Salle, 3- 10 septembre 2011, Marie-Claire Bancquart, dans le feuillage de la terre,  sous la direction de Béatrice Bonhomme, Jacques Moulin et Aude Préta-de Beaufort, publié en 2012 (Berne,  Peter Lang),  

Autres lectures

Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène

Dans ce livre qui est la réunion de plusieurs recueils, les âmes vagabondes nous attirent, leurs corps viennent se réchauffer contre le cœur des oiseaux. Au milieu des visages, des arbres, de la [...]




Marie-Claire Bancquart, De l’improbable précédé de MO®T

Un livre ultime, rendu possible par la fidélité de son entourage à son œuvre. Marie-Claire Bancquart nous livre une belle méditation poétique sur le « somptueux mystère de la mort » et sur son « afflux d’interrogations ». Textes écrits dans « l’enclos de la maladie », dans la « violente solitude » et dans l’expérience d’une souffrance qui fut pour elle fondatrice. « Et toi douleur/tu t’obstines/dans les côtes, les poignets/qui seront inertes après notre mort ».

 

Marie-Claire Bancquart est décédée en février 2019 à l’âge de 87 ans. De l’improbable réunit des textes inédits de l’auteure, pour la plupart écrits dans la période de rémission partielle de sa maladie et recueillis par le musicien Alain Bancquart, le compagnon de toute sa vie. Marie-Claire Bancquart, qui a connu la maladie dès son plus jeune âge, a néanmoins pu mener une vie de professeur de littérature française  et entamer une vie d’écrivain en commençant par le roman puis en le poursuivant par la poésie. Son œuvre est entrée dans la collection Poésie-Gallimard sous la forme d’une anthologie intitulée Terre énergumène.

 

Claire Bancquart, De l’improbable précédé de MO(R)T, Arfuyen, 98 pages, 12 euros.

Dans ses derniers textes, publiés aujourd’hui, elle nous dit : « Oui, belle la vie ». Et s’empresse d’ajouter que cette vie « exige d’être calcinée, bercée, tournée vers la plus petite des herbes, comme vers une existence immense, embellie ». Ah ! Les herbes dont elle vante la « musique imperceptible ». Elles parcourent son livre. Marie-Claire Bancquart se penche vers elles comme si elle y trouvait un ultime secours. A moins qu’à travers les herbes elle ne nous parle, d’abord, de notre fragilité foncière. « D’ossature en ossements, se creuse toute une vie, jusqu’à l’herbe qu’on partage avec l’oiseau mort ». Ailleurs elle s’interroge : « Pourquoi est-ce que je vous aime/particulièrement/racines et mauvaises herbes »… Sans doute, comme l’a dit le poète Richard Rognet, « l’herbe a la grâce du temps qui passe avec/l’innocence du silence ou la patience/de l’espoir » (Poésie-Gallimard)

Marie-Claire Bancquart ne nous parle pas d’un au-delà de la mort. Elle attend sa réunion avec la terre « dans l’indistinction » pour se reconnaître « comme éléments du presque rien/désormais complices ». Quant à Dieu, « cet inconnu », il « pourrait être l’arbre du jardin/ou tel nuage/traversé d’oiseaux ». Elle en donne une autre définition qui ne manque pas de force. « N’est-il pas le nom le plus connu, le plus probable, donné à nos désirs ? »

Présentation de l’auteur

Marie-Claire Bancquart

1932-2019. Professeur émérite à la Sorbonne, auteur de nombreux essais critiques, plusieurs fois primée pour cette activité, romancière,  et poète. Une trentaine de recueils de poèmes publiés entre 1967 (Mais) et 2017 (Figures de la terre)  parmi lesquels :  Avec la mort, quartier d’orange entre les dents, Obsidiane, 2007 ; Terre Énergumène, Le Castor Astral, 2009 ; Explorer l’incertain, L’Amourier,2010. Une anthologie: Rituel d'emportement, le Temps qu’il fait/Obsidiane, 2002... et l'anthologie qui lui est consacrée dans la collection Poésie/Gallimard, en 2019 : Terre énergumène et autres poèmes (préface d'Aude Préta-de Beaufort).
Sur sa poésie , un essai de Pierre Brunel et Aude Préta-de Beaufort,  A la voix de Marie-Claire Bancquart Le Cherche-midi, 1996)un livre de Peter Broome, In the Flesh of the Text, The Poetry of Marie-Claire Bancquart, Rodopi,2008 ; un colloque à Cerisy-la-Salle, 3- 10 septembre 2011, Marie-Claire Bancquart, dans le feuillage de la terre,  sous la direction de Béatrice Bonhomme, Jacques Moulin et Aude Préta-de Beaufort, publié en 2012 (Berne,  Peter Lang),  

Autres lectures

Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène

Dans ce livre qui est la réunion de plusieurs recueils, les âmes vagabondes nous attirent, leurs corps viennent se réchauffer contre le cœur des oiseaux. Au milieu des visages, des arbres, de la [...]




Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène

Dans ce livre qui est la réunion de plusieurs recueils, les âmes vagabondes nous attirent, leurs corps viennent se réchauffer contre le cœur des oiseaux. Au milieu des visages, des arbres, de la mémoire et du temps qui passe, c’est un voyage qui inaugure les poèmes, un voyage intérieur qui navigue entre les murs, les feuillages, les montagnes, les voix, et même si l’Europe est dérivante, les humains accoudés aux branches des étoiles ont encore soif d’inconnu et de bonheur.

Marquée par une grave maladie dans son enfance, Marie-Claire Bancquart oscille entre la peur de vivre et l’amour des êtres dans leur fragilité native et leur volonté existentielle. Cette âme errante a des lieux, dans des villes ouvertes ou des chambres closes, aussi dans le silence de la nuit qui est une porte de la terre où le monde matériel est omniprésent, où, « sur l’échine de cette terre », on sent les dents du vent qui nous mord, et bien que la mort nous accompagne souvent, ce sont des perles de vie que l’on retient précieusement dans ses mains.

Peut-être, au cœur de ce discours poétique, y-a-t-il un pessimisme viscéral, voire un désespoir profond, mais ce vide vers lequel on est poussé n’est-il pas le reflet de notre monde ? Heureusement, au centre de cette fragilité primitive persiste un élan vital, une forme de résistance : « vivre n’est jamais pauvre ». Et le cœur se soulève, pareil aux marées, et nous visitons les mystères de l’autre rive, pour sentir, au creux de nos mains pâles, le pollen d’un « outre-fleuve ». Maintenant que « les dieux parlent avec le regard » et que « le temps a pris ses distances ».

Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène, Poésie Gallimard, janvier 2019.

 

Sommes-nous en exil de nous-mêmes ? Le Christ, Antigone, Ulysse, Lazare, Icare, Isis et bien d’autres rôdent entre les lignes noires, nous trions et nous rangeons ces papiers anciens avec quelques photographies qui parlent de notre vie éphémère et des amitiés perdues qui s’effacent peu à peu de notre mémoire. Comment vaincre cette déperdition ? En émiettant les secondes, en prenant de longues vacances au fond d’une forêt originelle, alors que « nos mots sont comme des oiseaux lestés ».

La dernière partie, « Terre énergumène », commence par un « il » mystérieux, une île peut-être, celle de la solitude à la fin de la vie, avec une « pierre à bonheur » dans une poche, et la « nécrologie du journal » dans l’autre. Nous sommes devenus des « rois gris », sans cœur et sans idéal, en état de siège de la peur, et le monde physique domine, « les billets de banque sont frappés de mots inconnus », « l’histoire s’est déchiré ». Prenons à pleine main la minute qui coule comme un fruit mûr.

A l’intérieur de l’absence il y a une absence, dans le rêve un autre rêve, et le temps traverse le corps, et on tremble, voilà comment attendre la mort, en habit de cérémonie ! Sous le chêne centenaire, là où un petit oiseau fait encore une ombre, où une petite musique poétique brille de mille et un feux !   

Présentation de l’auteur

Marie-Claire Bancquart

1932-2019. Professeur émérite à la Sorbonne, auteur de nombreux essais critiques, plusieurs fois primée pour cette activité, romancière,  et poète. Une trentaine de recueils de poèmes publiés entre 1967 (Mais) et 2017 (Figures de la terre)  parmi lesquels :  Avec la mort, quartier d’orange entre les dents, Obsidiane, 2007 ; Terre Énergumène, Le Castor Astral, 2009 ; Explorer l’incertain, L’Amourier,2010. Une anthologie: Rituel d'emportement, le Temps qu’il fait/Obsidiane, 2002... et l'anthologie qui lui est consacrée dans la collection Poésie/Gallimard, en 2019 : Terre énergumène et autres poèmes (préface d'Aude Préta-de Beaufort).
Sur sa poésie , un essai de Pierre Brunel et Aude Préta-de Beaufort,  A la voix de Marie-Claire Bancquart Le Cherche-midi, 1996)un livre de Peter Broome, In the Flesh of the Text, The Poetry of Marie-Claire Bancquart, Rodopi,2008 ; un colloque à Cerisy-la-Salle, 3- 10 septembre 2011, Marie-Claire Bancquart, dans le feuillage de la terre,  sous la direction de Béatrice Bonhomme, Jacques Moulin et Aude Préta-de Beaufort, publié en 2012 (Berne,  Peter Lang),  

Autres lectures

Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène

Dans ce livre qui est la réunion de plusieurs recueils, les âmes vagabondes nous attirent, leurs corps viennent se réchauffer contre le cœur des oiseaux. Au milieu des visages, des arbres, de la [...]




Un éditeur et ses auteurs : les Éditions Arfuyen, avec NOVALIS, Marie-Claire BANCQUART, Cécile A. HOLDBAN.

Coup d'oeil sur deux collections des éditions Arfuyen : la collection Ainsi parlait et Les Cahiers d'Arfuyen. Dans la première vient de paraître un volume consacré à Novalis, dans la seconde, deux recueils de poèmes, l'un  dû à Marie-Claire Bancquart, l'autre à Cécile A Holdban…

 

*

 

Ainsi parlait Novalis (choix de Jean et Marie Moncelon)

Novalis : sa vie est une légende, il est mort à 29 ans, en pleine jeunesse. Je ne l'ai jamais lu mais je l'ai découvert dans les œuvres de Pierre Garnier qui, fin connaisseur de la littérature allemande, ne manquait pas de se référer aux grains de pollen ou à la fleur bleue tant dans sa poésie spatiale que dans ses poèmes linéaires. La publication de "Ainsi parlait Novalis" (en édition bilingue) est une bonne occasion de (re)lire ce poète et philosophe pour le découvrir dans toute sa complexité. Il faut affirmer d'emblée que le concept de fleur bleue n'a rien à voir avec la bluette qu'il est devenu de nos jours mais serait plutôt l'articulation de la réalité et de la symbolique, pour dire les choses vite. Il faut donc remercier les auteurs d'avoir accordé la préférence aux fragments philosophiques (et non aux poèmes) qui expriment parfaitement la volonté de transformer pratiquement le monde. Il n'est donc pas étonnant que le philosophe marxiste Georg Lukacs lui ait consacré un essai, "Novalis et la philosophie romantique de la vie" dont j'extrais cette citation : "… il interrogeait la vie et c'est la mort qui lui a répondu". Mais il ne faut pas simplifier la pensée de Novalis car, finalement, ce que dit ce dernier quand il affirme que "le monde doit être romantisé" (p 31), c'est la prééminence de la contradiction.

Mais si Novalis semble avoir retenu la leçon de Boileau, dans son Art Poétique ("Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. / Et les mots pour le dire arrivent aisément"), ici il dit "L'expression juste rend l'idée claire. Dès que l'on possède les noms exacts, on a les idées. Expression transparente, directrice" (p 37). Je relève aussi le volontarisme de Novalis : "La vie doit être non un roman qui nous est donné, mais un roman que nous faisons nous-mêmes" (p 41). Certes, c'est la présentation d'une pensée en fragments qui rend possible ma lecture : je ne retiens d'un fragment que ce qui me parle, en bien ou en mal ; mais Novalis semble avoir répondu d'avance à ma remarque (cf p 47/2)… Je ne suis pas un fanatique du rejet de ce que je lis mais force m'est de constater que ce choix de fragments ne me convient pas… Ou que j'ai été marqué plus que je ne le pense par Pierre Garnier et son usage des concepts de Novalis : me sont étrangers ces propos où Novalis parle de Dieu, de philosophie ou d'autre chose... Mais je suis sensible à ce qu'il écrit à propos de l'amour, j'y reconnais même son amour pour Sophie (p 71/1). Sensible aussi à ce qu'il dit des commerçants de son époque (je ne suis pas loin de penser que nos commerçants actuels, quelle que soit leur taille, ne sont que des boutiquiers !). Il y aurait encore à relever chez Novalis le goût du paradoxe, celui de la tautologie… ou encore cette propension qu'il possède à proférer des sentences brèves qui sont de purs joyaux de poésie comme : "L'eau est une flamme mouillée" (p 115/1).

Peut-être finalement faut-il picorer de-ci de-là dans cet ouvrage et aller voir de près ensuite dans les œuvres complètes de Novalis ? Mais en aurai-je le temps ?

 

*

 

 

Marie-Claire Bancquart, "Tracé du vivant"

Quatre suites de poèmes très libres constituent ce recueil. La première ("Toute minute est première") commence par ce vers : "Je ne crois pas au ciel" ; voilà qui est dit. Comme Marie-Claire Bancquart ne croit pas non plus à une écriture de femmes. De fait, dans ces poèmes, elle dit l'adhésion au monde au moment où elle écrit (ce qui fait la simplicité de cette écriture poétique) et ce n'est pas un hasard si la première suite est traversée de chats et de chiens car il me semble qu'ils symbolisent bien la "chasse royale au bonheur" : "Petites fatigues prises en compte / mains sur le pelage du chat / tiède, tiède,".   C'est que malgré (ou grâce à) la maladie rencontrée dans son enfance, Marie-Claire Bancquart goûte au plaisir de vivre : "… je partage avec eux [la chatte, le bourdon] une place sur terre, un instant très bref dans les millénaires". Rien de plus, rien de moins que cette place, que cet instant pour faire le bonheur : surtout pas l'horrible prétention de partager la vie de la chatte ou du bourdon… Dans la deuxième suite, "Le cri peut être tendre, aussi", Marie-Claire Bancquart relève l'éphémère mais pour autant elle n'est pas insensible aux misères de l'univers. C'est qu'elle est attentive à "l'incertitude de la vie" tout en la célébrant : "- L'odeur / et l'idée que / le monde tout entier / restera peut-être ocre clair, été sucré, abeille". Ce peut-être permet à Marie-Claire Bancquart d'éviter la naïveté… La troisième suite, "En célébration du vivant", est paradoxalement la plus sombre car la conscience de la fugacité des choses étreint Marie-Claire Bancquart : "Dans l'extrême nous retrouvons / la soupe d'origine, où tressaillaient vaguement des cellules". Signe que la poésie n'ignore pas les avancées de la science. Enfin, dans la dernière suite, "Au grand lit du monde", éclate à nouveau la conscience de l'humaine finitude. Mais Marie-Claire Bancquart dit les choses sur le mode de l'euphémisme : "Alors je nous sens provisoires". Le ton se fait plus grave mais avec une certaine légèreté : "La vieille femme dit à Phèdre : / Nous aimons l'existence / parce que d'une autre, nul / n'est jamais revenu pour donner nouvelle". Mais, car il y a un mais, le goût de vivre (c'est ce que dit à sa manière le tercet suivant) se mesure aux petits plaisirs de l'existence comme la lumière ou la douceur d'une orange. Et le syncrétisme de l'avant-dernier poème peut se lire comme un chant d'amour ou une leçon de sagesse…

Je parlais plus haut de la simplicité de l'écriture de Marie-Claire Bancquart. Il m'en faut dire quelques mots. Celle-ci sait isoler un adjectif qualificatif (par exemple) pour le mettre en relief : il constitue alors un vers et ce n'est jamais gratuit. Le poème se fait parfois aphorisme, comme à la page 39. La ponctuation est précise et c'est rare en ces temps. La leçon du passé n'est pas oubliée : c'est ainsi qu'on peut lire (p 64) , "Plutôt que d'écrire sur toi / je te silence" : on pense alors à Henri Pichette et c'est bien… "Tracé du vivant" est à lire de toute urgence.

 

*

Cécile A. Holdban, "Poèmes d'après" suivi de "La Route de sel"

Osons une hypothèse : et si Dieu n'était qu'une invention de l'Homme ? Puisque "C'était une période où Dieu se taisait" et que "des langues de haillons captives / se taisent dans la nasse des bouches"… C'est du moins ainsi que je lis, au risque de me tromper,  ces poèmes. Et ce ne sont pas les textes des poètes traduits par Cécile A Holdban qui viendront contredire cette première impression : je lis plutôt dans ce recueil un mysticisme sans dieu, une inquiétude "dans le sombre des rues""quelque chose bondit" qui n'est pas nommé (p 24). Peut-être la clé du livre se trouve-t-elle à la page 34 : Cécile A Holdban écrirait alors une poésie tantôt suave, tantôt sombre pour conjurer le fait d'avoir quitté son pays d'origine et d'être née à l'étranger ? Toute la deuxième suite met en scène "la petite fille". Mais la patience d'exister pourra-t-elle mûrir ? La "Prière aux arbres" (p 51) semble indiquer que Cécile A Holdban est à la recherche de ses racines… Le troisième chapitre de "Poèmes d'après" est un chant d'amour et d'espoir. Cela ne va pas sans une certaine obscurité : "Tu révèles, silence, / l'univers fondé sur tes mains" (p 62). Ce qui n'empêche pas une attention extrême aux mots, à la langue : "Tu es langue en ce paysage, sa langue, son voyage" (p 75) ou "ces mots qui jamais ne te ressemblent" (p 69).

"La Route de sel" est un chant qui s'élève à la gloire d'un pays. On pense bien sûr à la mythique route de la soie mais ici il ne s'agit que (?) de la route de sel qui ouvre la porte à toutes les interprétations possibles. Cécile A Holdban a beaucoup voyagé : je ne sais pas si elle a parcouru la Nouvelle-Zélande mais ce dont je suis sûr, c'est qu'elle dédie "La Route de sel" à Emilia, un hétéronyme. Ce qui montre la complexité de la pensée de Cécile Holdban, une pensée qui bouge sans cesse. Mais, il faut l'avouer : je me heurte à un mur quand je lis Cécile A Holdban ; suis-je un piètre lecteur ? Ne suis-je pas suffisamment réceptif ? Je remarque bien la présence des oiseaux dans ses poèmes mais je ne sais qu'en penser. C'est là la limite de ma lecture et je l'assume. Mais je lirai avec intérêt et curiosité ses prochains recueils...

 

*

 

En librairie, Arfuyen est diffusé par SOFÉDIS et distribué par SODIS. D'autres collections existent qui font d'Arfuyen un éditeur spécialisé dans la spiritualité au sens large, mais pas exclusivement. Si une large place est faite à la création littéraire (et singulièrement à la poésie) cet éditeur, du fait de son implantation à Orbey (68), s'intéresse aussi à l'Alsace et à ce qui s'y écrit…




Parcours

 

Il y a des mots meurtris
derrière la porte

n’ouvre pas

ils sont amoncelés ils tomberaient en désordre
certains montent encore l’escalier

ils cherchent
peut-être
le silence. Leur silence.
Si tu ouvrais la porte
ils entreraient dans nos dictionnaires

ils occuperaient ces calmes logis
d’ordre alphabétique, où rien ne prouve
que l’horreur existe vraiment ,

mais le sang
coulerait d’eux
chaque fois que nous arriverions au mot Sang.

 

 

 

 

 

 

Et toi, douleur
pourquoi ne puis-je te louer
comme firent tant de pieux malades ?

Tu es « sans pourquoi »
comme la rose, mon amie,

mais tu répands une odeur de vengeance .

Vengeance de qui , vengeance pourquoi ? 

…Voici que dans la rose même, se meurt péniblement un puceron …

 

 

L’arche et l’axe :
ces harmonies dédiées au cosmos
nous devrions les retrouver en nous

très simplement

parce que toute existence crie et pense.

Arche, notre commune habitation  sonore.
Polyphonie des bêtes
enfermées deux à deux,
bruissantes , 
même le papillon et la patiente bête à bon Dieu.

Ainsi  résonne notre cœur

et nos vertèbres
d’une architecture très fragile
sont l’axe de notre si passagère haute pensée
qu’on retrouve en esquisse
chez le  poisson des profondeurs.

 

 

 

 

Qu’est-ce qui fait naître le parcours
vers le silence, à travers toutes choses bruissantes ,
halètements, craquèlements, cascades et tambours
du sang qui bat ?

Au grand départ de la musique
succèdent
la  douceur du son, la caresse.

Main légère sur le finale
vie revécue à petit souffle

et le silence enfin s’étend dans tout le corps.

 

 

 

 

 

 

 

 

Toi mon corps, tu  sais
guider en douce
ma vie
qui s’élance sans moi.

Donne-moi
une main où me regarder, un autre corps à caresser

fais-moi mordre
la tartine de vie qui me reste
et penser aux grandes imaginations des métamorphoses
qui
naguère
transfiguraient la vie des hommes.




… Même en plein jour, la pierre

 

… Même en plein jour, la pierre
encore tiède de soleil

l’odeur du romarin
doucement
allégé de ses vieilles branches

le pelage d’un chat
qui palpite
secret
sous ses doigts :

de quoi se mettre en place
au moins
dans un délicat côte à côte avec l’univers.




Entre le blanc de lune et celui de la mer

 

Entre le blanc de lune et celui de la mer
le dormeur se faufile encore
avec d’autres rêves laiteux :
pain, visage, neige sur montagne.

Au réveil il regarde ses mains pâles .
Il soupire.

il n’a pas mérité
d’être le candidat de l’aube
ni de la fleur de cerisier.

Il vivra un jour comme un autre.




De rêve en rêve

 

De rêve en rêve
le dormeur mâche un mot
qu’il peine à retrouver à son réveil

peut-être : « ostinato » ?

peut-être : « osmose » ?
Tout était simple. Des créatures
connues et inconnues
faisaient la queue avec les hommes
tous pressés de renaître en leur état ancien d’indivision

Ah , si compacte et douce, cette nuit,
l’étendue
indifférenciée
de la matière !