Chris­t­ian Saint-Paul, toulou­sain d’origine, nous pro­pose ici un voy­age en terre bre­tonne. Chaque ville tra­ver­sée fait l’objet d’un texte qui entrelace à la fois  des descrip­tions de lieux, des ren­con­tres, des sen­sa­tions ou images fugi­tives avec des cita­tions emprun­tées à tous ces poètes bre­tons qui accom­pa­g­nent ses pas : G. Per­ros, Arman Robin,  Max Jacob, Yvon Le Men par exem­ple. Ain­si le chem­ine­ment réel se dou­ble d’une péré­gri­na­tion lit­téraire. L’imaginaire accom­pa­gne cette réal­ité  rugueuse et âpre en sa sauvage beauté où il s’agit de se laiss­er guider et enseign­er par le ressac de la mer quelques vérités par­fois amères :

Il nous fal­lut encore appren­dre la mer
Cette mer qui va et vient et repart
Vers des énigmes d’îles et de tempêtes
Et s’endort fausse­ment pais­i­ble du sommeil
De l’après-désespoir. (p.13)

 

Christian SAINT-PAUL, Toiles bretagnes, Préface Alem SURRE GARCIA, Monde en poésie éditions, 2017, 12 €

Chris­t­ian SAINT-PAUL, Toiles bre­tagnes, Pré­face Alem SURRE GARCIA, Monde en poésie édi­tions, 2017, 12 €

Ce recueil se présente égale­ment comme une sorte d’hymne ou d’ode à la mémoire de tous les dis­parus dont cer­tains mon­u­ments por­tent encore la trace : naufragés, morts à la guerre, écrivains dis­parus dont on suit les traces. Tous ces absents accom­pa­g­nent et guident le poète dans son appren­tis­sage de cette terre bre­tonne qui « veille dans sa parole » :

Dans l’épaisseur du temps
Les goélettes coulent au fond
Leurs car­gaisons d’hommes et de morues
Par mil­liers leurs noms se gravent
Sur les « Mémoires ». (p.35)

Ain­si escorté par quelques présences spec­trales, la houle du vent et des vagues fait écho égale­ment à l’onde des sou­venirs  et l’on devine que ce voy­age s’accompagne d’une quête intérieure presque ini­ti­a­tique à l’image de cette cita­tion emprun­tée à Per­ros lors du pas­sage à Douarnenez :

C’est l’avenir qui m’intéresse
Ecrire que nous allons vivre
Est vrai­ment très aventureux.
La men­ace sévit tou­jours (p.29)

Le titre du recueil, Toiles bre­tagnes, ren­voie à la fois à sa struc­ture puisque chaque poème est conçu comme un tableau mais aus­si fait l’écho à l’enfance. En effet, cette Bre­tagne fasci­nante et aimée lui fut révélée  à tra­vers une pein­ture accrochée aux murs de l’école primaire :

Un nuage monte et colore
Ces ciels de Bretagne
Qui font accourir les peintres
Et les poètes
Plein de mots qui brû­lent (p.66)

Il y a donc plusieurs bre­tagnes à décou­vrir comme nous l’indique cet inti­t­ulé. Elle se révèle aus­si changeante que ces ciels et ces marées, aus­si diverse et incer­taine que la vie elle-même sans doute et cette enfance « liq­uide » qu’il évoque au détour d’une phrase. Par­fois la marche prend des allures de pèleri­nage et de nom­breux lieux con­sacrés sont évoqués :

Ne pas regarder nég­ligem­ment vers Dieu
Est-ce vie soumise celle d’une seule espérance ? (p.32)

Dans une con­férence pub­liée à la fin du texte, l’auteur développe sa con­cep­tion de la poésie comme une forme de résis­tance  et de révolte face à notre frag­ile des­tin dont sans doute il aura su trou­ver un écho métaphorique à tra­vers ses lan­des ou ses îles bre­tonnes où affleure sans cesse l’image de quelque naufrage ou dan­ger immi­nent accoudé à la splen­deur des paysages. On peut donc sup­pos­er que pour lui Bre­tagne et poésie se con­fondent ou se rejoignent. Cette terre étrange du bout du monde est elle-même déjà un poème :

La poésie est une réponse à la détresse de la con­di­tion humaine. Elle signe la révolte face à notre fini­tude. L’acte même d’écrire est une forme de lib­erté. « …même au creux du fond du noir, écrire ou lire un poème est encore un geste de vivant », affirme Antoine Emaz. Ce geste est un geste de résis­tance. La poésie niche dans la résis­tance. (p.123)

C’est à cette affir­ma­tion que font écho les vers suiv­ants qui don­nent peut être la clé de cette fer­veur bre­tonne auquel C. Saint-Paul rend un riche et vibrant hom­mage, mal­gré par­fois, peut-être, un petit effet de surabon­dance dû à la mul­ti­plic­ité des sites dont il veut nous ren­dre compte. Toute­fois la qual­ité du style et des images com­pensent cet effet et c’est bien vers un véri­ta­ble voy­age poé­tique que l’auteur nous embar­que con­tre « vents et marées » :

Des voiles friv­o­les ce jour
Ne tuent plus que l’ennui
Et détour­nent l’horreur
De tout ce qui est mort (p.39)

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Véronique Elfakir

Véronique Elfakir est doc­teur en lit­téra­ture et exerce égale­ment la psy­ch­analyse à Brest.

Ses recherch­es por­tent essen­tielle­ment sur le lien entre lit­téra­ture et psy­ch­analyse, mais la poésie reste sa « langue » et son ter­ri­toire de prédilection.

Après quelques con­tri­bu­tions dans divers­es revues, elle pub­lie son pre­mier recueil : Dire Cela, en 2011, aux édi­tions l’Harmattan, col­lec­tion « Poète des cinq continents ».

En 2008, elle pub­lie égale­ment un essai : Le ravisse­ment de la langue : la ques­tion du poète qui inter­roge la dimen­sion poé­tiques dans l’articulation entre la vie et l’œuvre de V. Segalen, Rilke, Hölder­lin, E. Jabès, E. Dick­i­son et S. Plath…

Sa bib­li­ogra­phie com­plète est à retrou­ver sur parolesnomades.blogspot.fr.