Je dois à la semes­trielle revue Con­férence les meilleures décou­vertes, depuis le Jour­nal de Gus­tav Her­ling, jusqu’aux poèmes du Tri­estin Vir­gilio Giot­ti. On n’a pas trop de six mois pour lire, relire et appro­fondir près de 800 pages d’essais, de doc­u­ments et de poèmes —  on peut la trans­porter dans un sac de plage grâce à son fin et léger papi­er bible, et la couleur ivoire de celui-ci laisse au seul con­tenu le soin de nous éblouir. L’histoire, le droit et l’urbanisme voisi­nent avec des artistes et des poètes sou­vent inat­ten­dus : comme, dans le précé­dent numéro (41), Bruno Arcadias :

J’ai hérité de ma mère
Ce don très particulier
De voir très vite
Ce qu’il y a
Dans la tête des gens.

J’ai hérité de ma mère
Ce don très particulier
De ne savoir qu’en faire.

S’il est une éthique, c’est celle de com­pren­dre plutôt que juger. Un cer­tain tro­pisme ital­ien sem­ble guider les choix de Christophe Car­raud, infati­ga­ble tra­duc­teur et passeur.

Ce numéro 42 pour­ra forte­ment intéress­er nos lecteurs par les poèmes de José-Flo­re Tap­py (à qui nous devons entre autres l’édition de la cor­re­spon­dance de Philippe Jac­cot­tet avec Gus­tave Roud et avec Ungar­ret­ti). Elle fait, dans un vers libre qui épouse la res­pi­ra­tion inap­par­ente des gens et des choses de l’ombre, le por­trait sai­sis­sant d’une vieille femme :

Petite, elle se sauvait pour échapper
aux ombres, aux reflets trompeurs,
aux vieilles faces éden­tées, rejoignant
d’un seul bat­te­ment de cils
le soleil des rues vides

aujourd’hui, dans le doute,
elle véri­fie, redresse les pieux
des clô­tures qui penchent, entourant
d’une enceinte fic­tive quelques fruits
à venir, encore noués dans sa pensée

Plutôt prévenir qu’abandonner les choses
au pire. Sinon qui l’aiderait, elle,
à rassem­bler les planch­es, brisées
par les rafales, d’une si vétuste
embar­ca­tion ?

Autre superbe décou­verte, Pièges, de Fran­co Mar­coal­di, traduits par Roland Ladrière et dont nous atten­dons la paru­tion prochaine en vol­ume au Tail­lis Pré :

Tu regardes les rou­vres, les chênes-lièges
les poiri­ers sauvages, les frênes et
les oléas­tres, et tu pens­es que l’arbre
est là, tout entier devant toi : la base,
le tronc, la chevelure lumineuse.
Mais une autre chevelure existe,
humide, souter­raine, vermineuse —
une arbores­cence à demi cachée,
abritée, qui jumelle de la première
recherche l’eau plutôt que la lumière. (…)

 

Par­mi tant d’autre tré­sors, sig­nalons les hom­mages de Philippe Jac­cot­tet et Alain Paire à Louis Mar­tinez (qui traduisit Paster­nak) dis­paru dernière­ment. Mais encore la nou­velle tra­duc­tion d’un arti­cle fon­da­men­tal paru en 2002 : Com­ment enseign­er la lit­téra­ture mod­erne, d’Alfonso Bernar­dinel­li, entre-temps retouché par son auteur. Ques­tion­nement d’actualité sur les rap­ports entre l’institution enseignante et l’esprit lit­téraire mod­erne « qui met des indi­vidus jaloux d’autonomie face à une société de plus en plus organisée ».

Si on n’en lit qu’une, que ce soit celle-là.

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