Corporéité et silence dans Palpable en un baiser d’Irène Duboeuf

Par |2025-11-06T12:42:15+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Essais & Chroniques, Irène Duboeuf|

Irène Duboeuf est une poétesse française née à Saint-Eti­enne. Elle a écrit une dizaine de recueils, par­mi lesquels nous pou­vons citer Le pas de l’ombre, Un rivage qui embrase le jour, La trace silen­cieuse et Pal­pa­ble en un bais­er qui con­stitue l’objet de notre article.

Le recueil Pal­pa­ble en un bais­er com­porte trois sec­tions et compte une cinquan­taine de poèmes, tous titrés, dont les sources d’inspiration sont divers­es : la musique, les pho­togra­phies et la lec­ture. En effet, Irène a écrit son recueil en écoutant Alkan (La Vision), Dvo­rak (Silent Woods), en regar­dant des pho­togra­phies, celles d’August Colom­bo, de Thier­ry Duboeuf et de Clau­dio Scan­del­li, ou encore après avoir lu Bobin, Aragon, Yourcenar.

Mais mal­gré la diver­sité des sources d’inspiration, une voix unique et claire domine l’ensemble : celle de l’ineffable qui émane du « vis­age des choses », du silence. Le poème est par­cou­ru par une ques­tion cen­trale : celle des rap­ports entre les mots et les choses. Son souci pre­mier est d’écrire ce qui « unit l’invisible au réel »1.

Notre présent tra­vail repose essen­tielle­ment sur la dichotomie vis­i­ble et invis­i­ble, monde pal­pa­ble, tan­gi­ble et monde immatériel et imag­i­naire. Nous allons traiter ce rap­port entre lan­gage et corps suiv­ant une approche à la fois sémi­ologique et phénoménologique, en dépas­sant la dual­ité : abstrait et con­cret, invis­i­ble et vis­i­ble — car toute abstrac­tion nait du con­cret et le con­cret s’organise par l’abstraction – ain­si qu’en nous référant aux travaux de Roland Barthes, ceux de Mau­rice Blan­chot sur le lan­gage et ceux de Mau­rice Mer­leau-Pon­ty sur la phénoménologie.

Irène Dubœuf, Pal­pa­ble en un bais­er, Edi­tions du Cygne, 2023, 60 pages, 10 €.

Notre analyse vise à mon­tr­er que la trame voire le socle, le soubasse­ment du recueil d’Irène Duboeuf n’est autre que l’Amour, cet invis­i­ble qui est pal­pa­ble. Il va sans dire que le poème est un lieu par excel­lence où s’incarne l’invisible. Notre intérêt porte en pre­mier lieu sur la matéri­al­ité des mots et en sec­ond lieu sur le silence des mots : l’ineffable.

1/La con­cré­tude :

Écrire un poème, pour Irène Duboeuf, ne con­siste pas à s’abstraire du con­cret. La poésie n’est pas une abstrac­tion qui nous éloigne de la réal­ité. L’enjeu de la poésie d’Irène est la con­cré­tude de tout ce qui intel­li­gi­ble, impal­pa­ble, invis­i­ble. Il con­vient de définir briève­ment la notion du con­cret et celle de l’abstrait afin de dégager le socle pri­mor­dial du recueil.

Éty­mologique­ment, con­cret vient du latin con­cre­tus qui sig­ni­fie ce qui a une exis­tence réelle, matérielle, ce qui est con­cret immé­di­at, ce qui peut être appréhendé, sans médi­ta­tion, via les sens. L’amour, cet invis­i­ble qui n’a pas de corps, devient pal­pa­ble en un bais­er. Ain­si la mise en exer­gue de Marc Alyn met l’accent sur la pal­pa­bil­ité de l’invisible, entre autres l’amour : « Tout l’invisible est là/palpable en un bais­er »2

Le sen­si­ble est tou­jours con­cret. On pour­rait définir le con­cret : ce qui est don­né. Le con­cret, c’est l’immédiat, au sens éty­mologique du mot : sans médi­a­tion. Certes l’amour tel qu’il est défi­ni dans le dic­tio­n­naire est une abstrac­tion, mais tant qu’il est éprou­vé et vécu, il est con­cret. L’amour est donc la con­créti­sa­tion d’un pen­chant, d’un désir. Dans ce sens Jean-Jules Richard, dans Neuf jours de haine, affirme que « l’amour est quelque chose de pal­pa­ble. Ce doit être à portée de la main. Autrement, c’est du rêve. Le rêve ne sat­is­fait les sens »3.

Puisque est abstrait tout ce qui n’est pas perçu par les sens, tout ce qui ne pos­sède pas l’existence matérielle d’un corps, tout ce qui est impal­pa­ble, Irène, ancrée dans le monde scrip­turaire, poé­tique, par son corps, refuse l’abstraction en optant pour la concrétude.

Sa poésie est tra­ver­sée par le pal­pa­ble, par ce qui est per­cep­ti­ble par les sens. Ain­si le socle de sa créa­tion poé­tique émerge bel et bien de sa sen­si­bil­ité. La poésie n’est-elle pas le lan­gage des émo­tions ? La per­cep­tion de sa poésie se décline sur le mode de la sen­sa­tion, du ressenti.

Elle décou­vre le monde par ses sens. Elle écrit ce qu’elle sent. Si elle évoque une idée c’est pour lui don­ner une vie pal­pa­ble, don­ner corps à une idée, à un mot : « Sais-tu que la peau des mots/frissonne sous mes doigts ? »4. Il con­vient de dire qu’on écrit corps à corps : le corps des mots effleure, étreint celui de la poétesse. Le poème tire élo­quence « Dans l’oratoire secret/du poème/l’air brûle en silence/pas à pas /j’écris »5 p.11. La chair des mots nous ren­voie à la con­cep­tion barthési­enne du lan­gage. En effet, dans Frag­ments d’un dis­cours amoureux, Roland Barthes affirme « Le lan­gage est une peau : je frotte mon lan­gage con­tre l’autre. C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots »6.

C’est sa main aus­si qui court sur le papi­er afin de capter quelques impres­sions. Irène Duboeuf a une prédilec­tion pour le touch­er car il n’y de vrai que le touch­er. La poétesse perçoit bien l’écriture poé­tique comme œuvre du corps. Par con­séquent la lim­ite entre le corps et le cor­pus, le recueil, devient insai­siss­able. Écrire un poème, c’est ten­dre la main aux autres, s’ouvrir au monde, s’y incor­por­er « Tout poème est une main ouverte/ où la ligne de vie croise celle du cœur/ et je vais tra­ver­sant les non-dit­s/des aubes musi­cales »7. La poésie, sal­va­trice, généreuse, vient au sec­ours de la poétesse, lui per­me­t­tant de s’aventurer dans le monde inex­primable, inef­fa­ble d’une pen­sée libre et sauvage.

Imprégnée de phénoménolo­gie, Irène Duboeuf, à l’instar de Mau­rice Mer­leau-Pon­ty, conçoit le corps non pas comme un objet tel qu’il est dans la con­cep­tion cartési­enne, mais comme un sujet qui perçoit et vit l’expérience poé­tique. Tout émane du corps et se propage dans l’écriture. Elle prend con­tact avec l’écriture, le monde, avec son corps, par­ti­c­ulière­ment la main « tu savais que tu touchais/au suprême bais­er du poète »8. Dans son ouvrage L’œil et l’esprit, Mau­rice Mer­leau-Pon­ty cer­ti­fie que toute pen­sée passe par la main « je ne pense qu’avec mes mains »9. La main effleure légère­ment la page en vue de not­er quelques vers qui flot­tent dans son esprit.

Le poème épouse la légèreté via des mots sim­ples, brefs comme « nuage », « lumière », « ailes ». Leur choix con­tribue à don­ner une impres­sion de légèreté, de beauté angélique au poème voire au recueil « une plume blanche/est tombée à mes pieds:/était-ce un oiseau ou la chute d’un ange ? /J’ai voulu la ramasser/mais le vent l’a emportée »10.  Cette plume qui tombe ne réfère-t-elle pas à l’écriture poé­tique, au poème que la poétesse est en train d’écrire mais qui fuit et qui est fugace pareil à une rose ?

Omniprésente dans le recueil Pal­pa­ble en un bais­er, la rose sym­bol­ise la fugac­ité de l’amour et de la vie. Rouge, elle évoque la pas­sion et la brièveté du poème et de la vie « une rose est tombée dans l’eau d’une fontaine. /Le vent l’a‑t-il poussée jusqu’à toi ? /Tu lui as ten­du la main »11 p.9. Cette plume blanche, comme la rose, ne cesse d’être une source inépuis­able d’inspiration parce qu’elle émane d’une réserve vide, mais promet­teuse de pléni­tude : le silence qui est dense, qui pèse sur la poétesse. Il est aus­si un corps con­cret « la den­sité char­nelle du silence »12.

2/L’ineffable :

Irène Duboeuf poé­tise avec brio l’amour et le rend pal­pa­ble. Il faut peu de mots ou le sans mot pour échap­per à l’abstraction et aboutir à la con­créti­sa­tion. C’est pourquoi Irène Duboeuf rac­courcit le vers, le réduit au max­i­mum « Le jour s’éteint/J’attends »13. Ne dis­ant rien, la poète écoute en dedans, refu­sant toute log­or­rhée ver­bale, préférant ain­si le min­i­mum de mots qui ren­ferme beau­coup de sens.

Elle le bride au point d’opter pour une esthé­tique du dépouille­ment pour saisir la chose dans son immé­di­ateté, sans pen­sée, ni lan­gage, ou plutôt avec le min­i­mum de mots voir aus­si l’absence de mots, rival­isant ain­si l’art qui dit d’une seule traite. La pho­to, la musique, ce lan­gage muet qui ne pose pas un sens, mais le pro­pose, un lan­gage qui dit sans dire, qui dit en se taisant.

Force est de soulign­er qu’une poésie sans mot est une poésie qui met en ques­tion l’essence même de la créa­tion poé­tique, qui trans­gresse les con­ven­tions de l’art poé­tique clas­sique. Si l’espace vide de la page blanche domine la trace écrite c’est parce que le tra­vail poé­tique est le fruit d’une médi­ta­tion. Ain­si il s’avère que le sens n’émerge pas des mots, d’une énon­ci­a­tion ver­bale, mais d’une énon­ci­a­tion sans énon­cé, de la con­tem­pla­tion. Car en con­tem­plant, en pen­sant sans mot on rate la chose, à cet égard Mau­rice Blan­chot pos­tule «la chose devient image, où l’image, d’allusion à une fig­ure, devient allu­sion à ce qui est sans fig­ure et, de forme dess­inée sur l’absence, devient l’informe présence de cette absence, l’ouverture opaque et vide sur ce qui est quand il n’y a plus de monde, quand il n’y a pas encore de monde »14.

Il en découle que dans l’espace poé­tique il n’y a de prédi­cat que l’absence. La poésie d’Irène Duboeuf est le lieu par excel­lence de l’inexprimable et l’écho muet de la con­tem­pla­tion. Irène Duboeuf, plus elle con­tem­ple, plus les mots lui échap­pent, car à mesure qu’elle se plonge dans l’infini cos­mique, elle décou­vre les failles du lan­gage et de son être. Dans son poème inti­t­ulé « Con­tem­pla­tion », la nature est sere­ine : « Assis dans la sérénité des pier­res »15. La poétesse, ébaubie de soleil et de lumière se heurte au silence : « tu sais que les mots se taisent/à la hau­teur du cœur »16. Par­fois ce qu’on écrit ne dit rien de ce qu’on sent « les mots se taisent à la hau­teur du cœur » car les mots ten­dent à abstraire. Alors il faut don­ner un corps aux mots, objec­tiv­er, pour exprimer cet essen­tiel qui échappe aux mots abstraits.

Il va de soi que l’ineffable occupe une place impor­tante dans la poésie d’Irène Duboeuf : ce qu’elle sent au moment de la con­tem­pla­tion ne fran­chit pas le bout des lèvres. « Cette nuit j’aurais aimé écrire…/j’ai noté quelques vers/l’air froid gelait les mots…/Cette nuit, je ne t’ai pas écrit »17. La poétesse évoque dans son poème « je ne t’ai pas écrit » une page blanche où elle se heurte à l’ineffable qui n’est pas un tarisse­ment poé­tique, mais une promesse de plénitude. 

Au cœur de l’expérience poé­tique, la con­tem­pla­tion ne se lim­ite pas à un regard super­fi­ciel sur l’espace physique, elle est une immer­sion sen­sorielle médi­ta­tive pro­fonde. Ain­si elle désigne indu­bitable­ment le regard émer­veil­lé que la poétesse porte sur l’amour, le poème, son être en vue d’en saisir l’essence au-delà des apparences immé­di­ates. Obser­vant le monde intérieur et extérieur via ses divers­es sen­sa­tions visuelles et tac­tiles, Irène Duboeuf vise à ren­dre l’expérience con­crète et immer­sive, à traduire son émo­tion et son émer­veille­ment et à met­tre en valeur cette fusion entre le con­tem­pla­teur et l’objet con­tem­plé. Elle réus­sit avec brio à vain­cre ce hia­tus entre la con­tem­pla­trice « con­tem­pleuse » et l’objet de la con­tem­pla­tion. Il en découle que la fron­tière entre le « je » con­tem­pla­teur et l’objet con­tem­plé (l’amour, le poème, la vie…) s’estompe.

Certes, la con­tem­pla­tion est un moment de vide par excel­lence, qui est dû à quelques moments dif­fi­ciles de sa vie, comme la perte de sa mère. En effet, en dépit du deuil, la poétesse ne s’empêtre pas dans le dolorisme, dans le poème « sans toi », dédié à sa mère : « Dans la défla­gra­tion du silence/je n’ai pas pleuré/mes larmes étaient épuisées/depuis que j’imaginais/la vie sans toi »18. L’absence de la mère pèse beau­coup sur Irène, fille et poète dont l’absence de larmes sig­ni­fie qu’elle hurle en silence à cause du vide. Mais ce vide implique dans le recueil une con­nivence, une cer­taine com­plic­ité avec soi voire un silence intérieur. C’est via le blanc typographique, l’économie du lan­gage poé­tique, l’esthétique du dépouille­ment que nous avons men­tion­née précédem­ment que la con­tem­pla­trice Irène se retrou­ve. Par con­séquent la con­tem­pla­tion implique un recueille­ment avec beau­coup d’espoir. Irène plonge dans la rêver­ie, peint un monde de sen­sa­tions pour exal­ter et recueil­lir « le pre­mier soleil », « l’or du soleil ».

Le « je » con­tem­pla­teur veut se détach­er du monde. Apparem­ment il est à l’extérieur du monde, mais en réal­ité il est à l’intérieur du monde ou plutôt le monde est à l’intérieur de lui. Le monde est dans ou sur la langue, dans l’œil qui con­tem­ple, dans la main, le cœur et dans le corps car dans une per­spec­tive phénoménologique, notam­ment celle de Mau­rice Mer­leau-Pon­ty, le monde ne peut pas être dis­tin­gué du corps « vis­i­ble et mobile, mon corps est aux nom­bres des choses, il est l’une d’elles, il est pris dans le tis­su du monde »19.

Il va sans dire que le recueil est une cueil­lette de beauté, de ros­es (poème) si bien qu’il appa­rait comme un bou­quet de vers, de poèmes qui se hument, se palpent, qui après s’être répan­dus autour d’elle, lais­sent leur sil­lage auprès du lecteur. Ce lecteur anonyme qui butine chaque rose sans se pos­er sur aucune.

Le recueil sert à affich­er une présence con­crète du poème, des mots que la poétesse sent, matéri­alise en leur don­nant un corps pal­pa­ble, en atténu­ant l’expression, jusqu’au silence. Même le deuil s’allège au con­tact de vers légers, con­cis. Irène Duboeuf écrit pour dire ce qui ne se dit pas. Le pari d’unir l’invisible au réel a pour corol­laire l’ineffable car ce qui est matériel se mon­tre, ne se dit pas. C’est pourquoi, c’est le blanc qui domine la trace écrite.

Écrire un poème sem­ble alors met­tre du blanc sur le noir. Ce blanc qui est un poème absent, s’explique par le fait que la poésie provient de l’expérience sen­sorielle, elle ne se nour­rit pas du logos mais des infor­ma­tions que les poètes reçoivent du monde extérieur via les cinq sens, par­ti­c­ulière­ment le touch­er, dans ce recueil.

Tout passe par le corps que ce se soit pour l’écrivain ou le lecteur. Irène Duboeuf, la source du recueil à nos yeux n’est pas une écrivaine, mais plutôt une « écriveine ». Le lecteur lit tout ce qui coule de « l’écriveine » par ses cinq sens tra­di­tion­nels. Nous nous inter­ro­geons sur la pos­si­bil­ité d’un pacte de lec­ture sen­sorielle. La lec­ture, comme l’écriture poé­tique pour­rait être une expéri­ence sen­sorielle. Dans ce con­texte Chris­t­ian Bobin croit en une lec­ture tac­tile : « On lit avec les mains autant qu’avec les yeux. Le touch­er d’une main calme sur la page d’un livre, c’est la plus belle image que je con­naisse, l’image la plus apaisante qui soit : une main ten­dre sur une épaule d’encre ». Irène ne trempe pas sa plume dans un encrier, mais dans ses veines.

3/Conclusion :

En pre­mier lieu notre analyse nous a per­mis de mon­tr­er, selon une optique sémi­ologique, que ce recueil est une osmose entre la matéri­al­ité et l’immatérialité. Une fusion du sen­si­ble et du men­tal, du vis­i­ble et de l’invisible, jalonne les poèmes d’Irène. Le sens nait de cette fusion entre lan­gage et corps. L’arrière-plan de la con­cep­tion d’Irène Duboeuf est cer­taine­ment la théorie barthési­enne sur le rap­port entre lan­gage et mot : selon la poétesse, les mots ne sont pas des signes abstraits ; ils ont une matéri­al­ité. Ils sont pal­pa­bles. On rejoint ain­si la réflex­ion de Roland Barthes qui a per­mis d’enrichir les études con­tem­po­raines sur la corporéité.

En sec­ond lieu, selon une per­spec­tive phénoménologique nous avons mis l’accent sur la cor­poréité. Il s’avère que l’écriture poé­tique est conçue comme un acte cor­porel qui engage notam­ment la main. On écrit ce qui nous touche lit­térale­ment. Nos sen­sa­tions, sen­ti­ments, pen­sées et même le monde sont dans nos mains.

Par l’écriture, ce geste du corps, Irène Duboeuf visu­alise le sen­ti­ment amoureux étant don­né qu’elle est enrac­inée dans le monde scrip­turaire ain­si que dans le monde physique par son corps. C’est le corps ancré dans le monde qui perçoit et con­cré­tise tout ce qui est abstrait. À cet égard Mau­rice Mer­leau-Pon­ty affirme : « Percevoir c‘est se ren­dre présent quelque chose à l’aide du corps »20.

Il s’avère que dans le recueil, il est une appréhen­sion sen­si­ble plus impor­tante qu’une vision intel­lec­tu­al­isée. La poétesse a une prédilec­tion pour l’expérience sen­si­ble et non pas l’élaboration abstraite de l’esprit. Elle écrit ce qu’elle sent. 

Depuis Babel, il faut chercher la sig­ni­fi­ca­tion du lan­gage dans son rap­port au monde et non plus dans les mots eux-mêmes. Irène perçoit et poé­tise l’amour, la vie avec son corps. La chose, le lan­gage et le monde lui sont don­nés avec les sens.

La poésie, cette quête de sens et d’expression a une affinité avec l’art, par­ti­c­ulière­ment la musique et la pho­togra­phie. C’est une poésie muette où le silence est plus impor­tant que les vers, les mots car en écoutant son corps que les poèmes ont pu être notés sur la page blanche briève­ment. Irène Duboeuf dit sans dire des poèmes suc­cincts qui touchent les pro­fondeurs de l’expérience humaine en matéri­al­isant ce qui est impal­pa­ble et en prenant con­science du monde via le corps car l’ineffable peut être con­cret, pal­pa­ble en un baiser.

Notes

1. Irène Duboeuf, Pal­pa­ble en un bais­er, Edi­tions du Cygne, Paris, 2023, p.19

2. Op.cit, p.5

3. Jean-Jules Richard, Neufs jours de haine, Edi­tions de l’Arbre, Mon­tréal, 1984, p.71.

4. Irène Duboeuf, Pal­pa­ble en un bais­er, op.cit, p.11

5. Ibid., p11

6. Roland-Barthes, Frag­ments d’un dis­cours amoureux, Edi­tions de Seuil, Paris, 1985, p. 64.

7. Irène Duboeuf, op.cit., p16.

8. Ibid., p.9

9. Mau­rice Mer­leau-Pon­ty, L’œil est l’esprit, Gal­li­mard, 1960, p25.

10. Ibid., p.23.

11. Op.cit., p9.

12. Ibid., p30.

13. Op.cit., p44.

14. Mau­rice Blan­chot, L’espace lit­téraire, Gal­li­mard, Paris, 2009, p.23.

15. Irène Duboeuf, Op.cit., p8.

16. Ibid., p.8.

17. Ibid., p56

18. Op.cit., p.29.

19. Mau­rice Mer­leau-Pon­ty, Le vis­i­ble et l’invisible, Gal­li­mard, 1964, p.19.

20. Mau­rice Mer­leau-Pon­ty, La prose du monde, Gal­li­mard, 1969, p.104.

Présentation de l’auteur

Irène Duboeuf

Textes

Irène Duboeuf, native de Saint-Eti­enne, vit depuis 2022 dans la Drôme, près de Valence. Elle est l’auteure des recueils Le pas de l’ombre, Encres vives, 2008, La trace silen­cieuse, Voix d’encre, 2010 (prix Marie Noël, Georges Riguet et Amélie Murat 2011), Trip­tyque de l’aube, Voix d’encre, 2013 (Grand prix de poésie de la ville de Béziers), Roma, Encres vives, 2015,  Cendre lis­sée de vent, Unic­ité, 2017 (final­iste du prix des Trou­vères), Bor­ds de Loire, livre pau­vre col­lec­tion Daniel Leuw­ers 2019 avec Véronique Arnault, Efface­ment des seuils, Unic­ité, 2019, Vol­can, livre pau­vre col­lec­tion Daniel Leuw­ers, 2019, Un rivage qui embrase le jour, édi­tions du Cygne, 2021, Pal­pa­ble en un bais­er, édi­tions du Cygne, 2023 ain­si que sa ver­sion ital­i­enne Il bacio del­l’in­vis­i­bile, Libre­ria Ticinum Edi­tore, 2024 qui donne lieu à la tra­duc­tion en roumain, par Eliza Macadan,d’un large extrait inti­t­ulé Cuvân­tul rătăc­i­tor / La paro­la errante, Cos­­mopoli-Eikon, Bucarest, 2024. En 2025 Véronique Arnault la sol­licite pour faire un livre d’artiste : Un her­bier de mots.

En tant que tra­duc­trice, elle a pub­lié Neige pen­sée, d’Amedeo Anel­li, Libre­ria Ticinum edi­tore, 2020, L’Alphabet du monde d’Amedeo Anel­li, Édi­tion du Cygne, 2020, Kranken­haus suivi de Car­net hol­landais et autres inédits, de Lui­gi Carotenu­to, Édi­tions du Cygne 2021, Hiver­nales et autres tem­péra­tures, d’Amedeo Anel­li, bilingue italien/français, Libre­ria Ticinum Edi­tore, 2022, Quatuors, d’Amedeo Anel­li, Libre­ria Ticinum Edi­tore, 2023, Des voix entourées de silence, Édi­tions du Cygne, 2023, Deviens une fleur, de Lui­gi Carotenu­to, Édi­tions du Cygne 2024, Entre les mains des mots, de Margheri­ta Rimi, Édi­tions du Cygne, 2025. Une quar­an­taine de poét­esses et poètes ont été traduits, dont sept pub­liés dans Babel, sta­ti di alter­azione,antholo­gie mul­ti­lingue d’Enzo Campi, Bertoni Edi­tore, 2022 (Ital­ie) ; les autres sont parus dans des revues français­es (Arpa, FPM, Recours au Poème, Souf­fle inédit, Terre à ciel, Ter­res de femmes) ou belges (Tra­ver­sées). 

Ses pro­pres poèmes sont traduits en ital­ien, espag­nol, roumain, arabe et chi­nois classique.

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Abdelhamid Bougatf

Abdel­hamid Bougatf est un chercheur tunisien, mem­bre du lab­o­ra­toire de recherche LARIDIAME (Lab­o­ra­toire de Recherche Inter­dis­ci­plinaire en Dis­cours, Art, Musique et Economie), Uni­ver­sité de Sfax. Son pro­jet : enseign­er à l’Université de Tunis. Il est né le 21 avril 1968 à Bir Ali Ben Khal­i­fa et habite à Ltaiefa. Dans l’enseignement sec­ondaire depuis 1993, il enseigne le français au lycée Bir Ali 1, où il est Pro­fesseur prin­ci­pal émérite classe excep­tion­nelle. Il a obtenu en 2010, avec men­tion très bien et félic­i­ta­tions du jury, mémoire pub­li­able) son mas­tère de recherche en lit­téra­ture française inti­t­ulé L’écriture poé­tique de soi dans « Une vie ordi­naire » de Georges Per­ros. En 2017, il a soutenu, avec men­tion très hon­or­able, une thèse en lit­téra­ture con­tem­po­raine inti­t­ulée La parole et le silence dans l’œuvre de Georges Per­ros. Il a par­ticipé à plusieurs col­lo­ques inter­na­tionaux et pub­lié plusieurs arti­cles en France : — Le style sim­ple dans Une vie ordi­naire de Georges Per­ros (Arti­cle pub­lié dans L’homme dans le style et récipro­que­ment, Press­es Uni­ver­si­taires de Provence, 2015 p.113–122). — Le com­men­taire ou le com­ment taire dans l’œuvre de Georges Per­ros (Com­mu­ni­ca­tion lors du col­loque inter­na­tion­al L’auteur en obser­va­teur de son dis­cours : La ques­tion du métadis­cours, organ­isé à Sfax, les 1ern,2 et 3 décem­bre 2016). — L’art du peu dans l’œuvre de Georges Per­ros (Com­mu­ni­ca­tion lors du col­loque inter­na­tion­al La ques­tion de la brièveté, organ­isé à Sfax les 30 novem­bre, 1er et 2 décem­bre 2017) — Prox­im­ité et dis­tance de l’écrit de femme dans Proche loin­tain de Mar­tine Rouhart (Arti­cle pub­lié dans Infu­sion, revue cul­turelle en ligne, le 20/05/2018. — Être un autre dans Vent d’Est, Vent d’Ouest de Pearl Buck (Com­mu­ni­ca­tion lors du col­loque inter­na­tion­al « La ques­tion de l’altérité et des échanges inter­cul­turels », organ­isé à Mok­nine les 11 et 12 avril 2019) cet arti­cle est pub­lié dans la revue Atraswww.Univ-Saida.dz/lla — La com­mu­ni­ca­tion orale dans le roman rouhar­tien : Inter­ac­tion ou con­struc­tion ? (Com­mu­ni­ca­tion lors du col­loque inter­na­tion­al L’oralité dans la fic­tion nar­ra­tive : Formes et enjeux, organ­isé à Sfax, les 17,18 et 19 avril 2019). — L’écueil du recueil ou la préémi­nence du silence dans Cueil­lette mati­nale de Mar­tine Rouhart » (Arti­cle pub­lié par Le Cap­i­tal des mots, revue de poésie dirigée par Eric Dubois). — La présence de l’absence dans Lui dit-Elle, pour un absent, d’Anne Per­rin (Recours au poème, juin 2023). — Écrire le corps en pein­tre dans Le mod­èle oublié de Pierre Per­rin (Arti­cle retenu pour la pub­li­ca­tion dans les actes du col­loque organ­isé par LARIDIAME, Le Dis­cours et l’imaginaire du corps dans la lit­téra­ture et les arts.)

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