Suite à la paru­tion de l’article de Matthieu Bau­mi­er con­sacré, la semaine passée, à la revue Diérèse, Daniel Mar­tinez, directeur de pub­li­ca­tion de Diérèse, poète et édi­teur (Les Deux-Siciles), nous a demandé un « droit de réponse ». Nous le lui accor­dons bien volontiers.

 

Cher Matthieu Baumier,

Pour com­mencer, mer­ci pour votre recen­sion de Diérèse opus 63. D’accord, nous le sommes, entière­ment : sur le fait que la beauté est d’abord une sur­prise. Sim­ple­ment, parce que la beauté n’est pas facile à voir et quand bien même elle serait à portée de nos yeux, dans quelque pays que ce soit, nous pour­rions pass­er à côté sans même la remar­quer (un comble). Il y a en effet une édu­ca­tion du regard, néces­saire. Sur le thème du regard, ma lec­ture du jour est celle de Paul Celan, in Strette : « Tournoy­ant / sous les comètes / du sour­cil / le regard – masse sur / laque­lle, éclip­sé, minus­cule, / le cœur-acolyte tire / avec son / étin­celle alen­tour traquée. »

L’institutionnel ne saurait inter­venir que pour canalis­er – au pire, brid­er – la créa­tion, lisez par exem­ple ce que dit du CNL l’éditeur Bruno Msi­ka des édi­tions Cardère : « Lorsqu’un recueil est sub­ven­tion­né, le CNL apporte une aide à hau­teur d’environ 40 %, mais impose un tirage min­i­mal de 300 exem­plaires (le triple d’un tirage nor­mal de lance­ment) ; la pub­li­ca­tion d’un recueil sub­ven­tion­né par le CNL revient ain­si tou­jours plus chère que pour le même non sub­ven­tion­né… » : sur le site de Pierre Kobel, http://pierresel.typepad.fr

(Le tirage moyen de Diérèse est de 150 exem­plaires et mon chiffre d’affaires est à mille lieues de celui de Bruno M. Qu’à cela ne tienne !).

Qu’est-ce à dire ? Que la légitim­ité de la parole poé­tique sort du cadre restreint de ceux qui peu ou prou la tuteurent. Elle se lit dans la mesure du regard, hon­nête, qui s’y pose : pour une revue, ce sont en tout pre­mier lieu les lecteurs, qui la suiv­ent pas à pas et la font vivre. Pour un livre, garder aus­si à l’esprit que l’auteur crée son lec­torat. Que ce qui s’édite aujourd’hui puisse, dans le meilleur des cas, laiss­er une trace dans l’histoire lit­téraire, pourquoi pas ? Mais nous ne pou­vons en juger dans l’instant, l’auteur étant tou­jours dépassé par sa pro­pre création.

Au fil du temps, que remar­quons-nous ? Pour aller vite, il y a d’abord ceux qui y croient plus que les autres ; puis ceux qui atten­dent des sub­ven­tions pour fonc­tion­ner et met­tent la clé sous la porte quand elles vien­nent à man­quer, c’est le cas de bon nom­bre de revues. Il con­vient d’ajouter ici : ce sont les indi­vidus qui font le col­lec­tif (sa rai­son d’être) et pas l’inverse. Ceci n’est pas une parenthèse.

A mes yeux, sauf à se moquer, un livre n’a rien d’archéologique, au con­traire : il est tout ce qu’il y a de plus vivant, dans les pos­si­bles con­nex­ions que génère l’auteur. Per­me­t­tez-moi, vous m’avez lu un peu trop vite. J’ai com­mencé mon édi­to par : « On peut déjà imag­in­er un monde où il y aura des mass­es de livres, mais plus per­son­ne pour les lire… ». J’ai bien écrit : imag­in­er, tout mon développe­ment est com­mandé par cette pre­mière phrase, les sit­u­a­tions envis­agées en page 7 de Diérèse 63 sont donc à pren­dre au sec­ond degré. Comme un risque encou­ru, pour le moment une fiction.

Les puis­sants, qui ne jurent que par le pro­duc­tif, pour­raient voir dans la créa­tion poé­tique un dérivé tolérable, à fêter dans l’Hexagone une fois l’an avec le Print­emps des poètes, his­toire de se don­ner bonne con­science. A la vérité, c’est devenu un lieu com­mun que d’évoquer l’inculture symp­to­ma­tique de nos dirigeants… Ou de déplor­er le peu de recueils de poésie com­men­tés dans « Le Monde des livres » par exem­ple. Le chiffre d’affaires du ray­on « poésie » n’est certes pas celui du « roman ».

Par ailleurs, je ne m’oppose pas au numérique, ayant créé un blog : http://diereseetlesdeux-siciles.hautefort.com, par­al­lèle­ment à la revue. Mais, entre le papi­er et le numérique, que l’un n’éclipse pas l’autre, car ils peu­vent être, en fait, com­plé­men­taires. C’est à cela qu’il con­vient de veiller : qu’ils le soient bien, com­plé­men­taires. Notre société étant celle de l’hyper con­nex­ion, le monde de la poésie subit un effet d’entraînement. Le sub­strat poé­tique s’inscrit dans ce monde-ci, y prend sa source, sans se laiss­er phago­cyter pour autant. En défini­tive, ce qui fait la force de la poésie, c’est qu’elle n’est pas directe­ment utile. Libre, elle pour­rait devenir, pour le meilleur, sa pro­pre référence.

Mille mer­cis de m’avoir lais­sé pré­cis­er mes pensées.

Bien ami­cale­ment,

Daniel Mar­tinez
Diérèse
Les Deux-Siciles

 

 

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