À l’heure où de plus en plus de revues sont thématiques, La Main Millénaire garde cette qualité de lieu de parole — un café — ; chacun s’y produit hors de toute catégorie, on y écoute des voix singulières. Choix éditorial, choix de vie. Pour le lecteur qui aime cheminer en bonne compagnie, ça tient dans une poche étroite.
Le choix iconographique, d’élégantes petites vignettes, est l’autre détail qui participe au charme de chaque livraison et, cette fois-ci, Jean-Pierre Védrines rend hommage à « L’âne d’or » (1922–1926), autre revue montpelliéraine d’envergure nationale, en semant au long des pages quelques bois gravés qui illustrèrent ses numéros.
Après quelques lignes sur Paul Farrelier en guise d’éditorial, on commence par un florilège en partie inédit de René Truel :
Dans les plis du temps naufragé
advient qu’affleure en déshérence
quelque chaste venin
secrets au bois dormant
laissés pour morts
au débarcadère de l’âge
oubliés de l’oubli
gemmes d’enfance
mal époussetée
bribes de bonheur tombées
des guenilles de l’âme
Né en 1926, collaborateur régulier de la revue Souffles, l’auteur, ancien magistrat, nous parle de l’âge (Te voici nu de sens/ évidé de questions/ aux berges où tu t’attardes) mais parle à l’enfant « que j’habitai/ l’écolier qui m’hébergeas ». Dialoge lucide entre l’idéal et le concret, le style allant des lamentations aux psaumes : L’heure vacille. Le jour dépose son fardeau./ C’est le temps {…} du déhanchement mystique des filles d’Orient {…} Rends grâce, ô pèlerin, à la bonne aventure des puits, à la seigneurie de la halte.
Puis quelques pages de Haydar Ergülen (traduites du turc par Claire Lajus) :
Ma grand-mère disait : mon fils, l’homme est infime,
il feint de l’ignorer sinon il n’aurait pas défié
les routes, ni élevé des maisons vers le ciel (…)
Poésie qui explore des motifs peu courants, comme le voisin (… nos cœurs ne peuvent pas/ être toujours à l’unisson avec nos voisins …) et sous des dehors simples offre une courageuse spiritualité : il y a deux êtres en l’homme/ pas un de plus/ juste être quelqu’un/ des deux êtres laissés par le néant/ l’un vers les profondeurs devient homme/ l’autre étouffé (…) Il n’est pas de trop d’entendre cela en ces temps d’idéalisme sanguinaire et de transhumanisme siliconé.
En chemin disais-je, Jacky Gil ondule entre ciel et terre :
Je ne sais jusqu’où mes pas suivront mes pensées, mais se mettre en marche vaut toujours la peine.
Chercher sans fin les mots/ … devenir. nous dit Annie Cat au terme d’une entêtante recherche de sens.
Comme en réponse, Roland Nadaus invite à humer le cerisier :
Le cerisier dans la nuit ! Le grand cerisier ! Je mourrai d’aimer vivre. Je mourrai d’un coup de vie. L’amour en moi éclatera, nu et profond, chargé de fruits de sucs. Cerisier dans la nuit.
Un côté gaiement franciscain dans sa sensibilité aux plantes et aux bêtes : Je le sais : je mourrai de la mort d’autrui.
Des animaux, Jean-Pierre Védrines nous en offre, destinés aux enfants mais déposant leur candeur lucide dans nos vieilles oreilles :
Le lièvre m’a dit
j’observe le monde
je le parcours
à la vitesse de l’étoile
La glace fond
dès le printemps venu
et pourtant le rêve me manque
car l’homme
ne sait plus
me parler
du pays perdu
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Pour des renseignements sur L’âne d’or : http://bibliophilelanguedocien.blogspot.fr