Mar­i­on Graf, que nous con­nais­sons comme tra­duc­trice des œuvres de Robert Walser, dirige cette très belle revue qui est une insti­tu­tion. Il sem­ble que, dans notre chère fran­coph­o­nie, ce sont les march­es et autres périphéries qui savent con­cili­er la longévité et la bonne santé.

En témoigne ce numéro con­sacré aux poètes de la caraïbe. Avec l’ambition, non de « s’ouvrir à l’exotisme et à l’étrangeté » mais « à une forme de con­nais­sance partagée ». Qu’il est bon de partager ain­si ce spic­ilège qui com­mence par la géo­gra­phie de Césaire :

Îles mau­vais papi­er déchiré sur les eaux
Îles tronçons côte à côte fichée sur l’épée flam­bée du Soleil

… et s’achève par le Guyanais Élie Stephen­son : J’écris ce poème pour vous / Qui portez le cœur de vos hommes / Et leurs pas et leurs blessures / Vers le pays que vous rêvez / Le soleil que vous inventez

Belle ren­con­tre, beau partage, avec entre autres Franké­ti­enne, Lionel Trouil­lot, Édouard Glis­sant et sa Déroute des sou­venir. Une touchante let­tre de Yacine à Glis­sant… C’est un choix réfléchi, au ser­vice des auteurs et d’une véri­ta­ble uni­ver­sal­ité respec­tant les sin­gu­lar­ités. L’Haïtien Coutechève Lavoie Aupont donne une irré­sistible let­tre à son chien :

Une foule c’est du monde
Du monde c’est beaucoup
Et beau­coup ça transpire

Le lecteur gyrovague appréciera le CD qui accom­pa­gne la revue : écouter telle poésie incar­née en voiture quand on patiente sous les affich­es et les bri­se­vues est tout bon­nement roboratif.

Ce numéro s’ouvre par un cahi­er poé­tique et icono­graphique du Mal­gache Mar­cel Mir­a­cle : L’haile de l’irondelle / Par­don / L’aile de l’hirondelle / Dépasse tou­jours du ciel // C’est une vir­gule d’encre / qui ne sèche jamais.

°°°

Franck Venaille est l’invité du deux­ième numéro. La « matière même du rêve », dont la sonorité inau­gu­rale d’incertaine voyelle fait vac­iller, « au petit jour il ne sait tou­jours pas quelle est son iden­tité véritable ».

Je fus cet homme élégant
du moins le pen­sait-on. De braves personnes.
Et tout autour de nous, le mys­tère entier, ce don des oiseaux nés ici.

Des essais accom­pa­g­nent ce long poème, celui d’Alain Madeleine-Per­drillat com­mençant par « Dans tous le livre (La Bataille des Éper­ons d’or) règne une sorte d’état de guerre général… », et celui de Pierre Voélin écrivant du bate­lier de l’Escaut : Une âme, ô com­bi­en harassée, mais survivante.

Après le « beau gris de fer » de Venaille, le cahi­er icono­graphique est con­sacré au « ver­mil­lon » de Claude Garache.

Il est à not­er une très intéres­sante cri­tique de Jean-François Bil­leter de l’Antholo­gie de la poésie chi­noise parue en Pléi­ade. L’auteur offre de com­par­er pra­tique­ment des tra­duc­tions de ce livre et les siennes « en pre­mière approx­i­ma­tion », lesquelles pour moins fidèles sont belles et piquantes à lire. En huit pages, une excel­lente leçon de pas­sage de fron­tière, con­crète et modeste.

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