63e numéro de la revue Diérèse, près de 350 pages de poésie et de lit­téra­ture… Cha­peau ! Qui n’a jamais réal­isé con­crète­ment de revue de poésie ne peut pas se ren­dre compte de ce que cela sig­ni­fie, sur le plan de l’abnégation, du courage ; de la générosité, surtout. Mer­ci à vous, Daniel Mar­tinez et Isabelle Lévesque pour toute cette générosité, ce temps per­son­nel, ces parts de vie con­sacrées à la poésie d’autrui. Car, en effet, ain­si que le pro­pose l’exergue du numéro que j’ai en mains, des mots du poète Bernard Noël : « La beauté n’est jamais ce qu’on avait cru, c’est une sur­prise que nous font nos yeux ». Cela me fait penser à ces répliques de films de genre, du type : « il y a deux types d’acteurs dans le monde (de la poésie), ceux qui brassent du vent avec leur bouche et ceux qui agis­sent (envers l’autre) ; les pre­miers répè­tent en dodeli­nant de la tête « tolérance », « amour »,  « poésie », « sub­ven­tions » (le mot « ma », « ma », « ma », évidem­ment résonne dans le cerveau et on a du mal à l’empêcher de sor­tir par acci­dent), les sec­onds posent des actes. Dans le réel. Dans le con­cret. Je pense pour ma part que seuls les actes comptent vrai­ment, ce qui reste finale­ment. Le reste… Les bavardages…

L’être humain est ce qu’il fait.

Les mots… On peut bien se pay­er de mots…

C’est pourquoi, de mon point de vue, la revue Diérèse compte. On ne se paie pas de mots creux dans cette belle et forte mai­son. On donne à lire, jugez du « peu » ! de et/ou sur : Pierre Dhain­aut, poète essen­tiel ren­dant hom­mage à Rüdi­ger Fis­ch­er, Michaël Krüger, Hanne Brammes et Bai Juyi, dans la par­tie « poésies du monde ». Superbe ! Bien d’autres choses évidem­ment, et je ne vex­erai pas en ne citant pas toutes les beautés qui émail­lent les pages (matérielles) de Diérèse : Luce Guil­baud, Nathalie Riou, Isabelle Lévesque, Raphaële George, présen­tée par Jean-Louis Gio­van­noni et Isabelle Lévesque, très bel ensem­ble, pour le moins. Jean-Louis Gio­van­noni qu’on lira par ailleurs dans le tout récent et frais numéro de la revue Europe (Il sem­ble, si nous com­prenons bien, que nous avons des désac­cords mais cela ne nous empêchera pas d’affirmer haut et fort que Gio­van­noni est un poète majeur). Et puis… et puis… Gilles Lades, Marie Huot, Hubert Lucot, Jean-Jacques Nuel, des notes, des chroniques….

Une revue à lire, et à se procurer. 

Cela ne sig­ni­fie évidem­ment pas que nous devons être en accord avec tout ce qui est écrit dans Diérèse. C’est que, démoc­rates assidus, nous aimons les échanges d’idées, le débat, la con­fronta­tion des valeurs divers­es et la richesse des visions du monde. Et nous ne dou­tons pas un instant que cet état d’e­sprit soit large­ment partagé dans le milieu de la poésie. Débat­tons. Ain­si, de ce sen­ti­ment exprimé par Daniel Mar­tinez selon lequel saisir un livre tiendrait de l’archéologie… Nous pen­sons, nous, que con­tenu et con­tenant ne sont pas à con­fon­dre. Un livre, ce n’est pas seule­ment un objet, un livre c’est ce qui vit dans l’objet. C’est cette vie là qui est vivante, et elle peut voy­ager sous bien des formes. De même, nous ne croyons pas un instant que l’acte de lire soit en voie de dis­pari­tion ou « une vieille aven­ture ». Et même, nous pen­sons qu’il y a par­fois une sorte de ressen­ti­ment à croire cela, devant les trans­for­ma­tions en cours (ce n’est pas ce que dit ou laisse enten­dre Daniel Mar­tinez, au con­traire, j’élargis mon pro­pos à une mod­este par­tie de l’air ambiant). Toute trans­for­ma­tion, bien sûr, n’est pas par nature bonne. Elle n’est pas plus par nature… mau­vaise ! Nous pré­ten­dons, nous, que l’humain occi­den­tal­isé lit aujourd’hui autant qu’hier, et il n’est pas le seul en plus. Autant mais… autrement. Et alors ? La lit­téra­ture ne va pas cess­er d’être parce que mon mode d’être lecteur se trans­formerait. Pré­ten­tion que cela… Qu’elle soit, qu’elle évolue, qu’elle vive ! Et ce, sous tout sup­port pos­si­ble et imag­in­able. La lit­téra­ture vit même dans les con­di­tions les plus effroy­ables, que l’on pense aux manières de dif­fuser des écrits dans les pris­ons et/ou les pays où la cen­sure est à l’œuvre… À ce sujet, mer­veille par­fois de la nou­veauté : on peut écrire et dif­fuser ses écrits, on peut lire sur sup­port virtuel… là où le papi­er ne peut être dif­fusé, Etats policiers et autres… Ain­si, Recours au Poème a des lecteurs dans les pires dic­tatures de la planète, lecteurs qui parvi­en­nent (grâce au numérique) à nous com­mu­ni­quer leur bon­heur d’avoir accès à ce qui s’écrit et se pense au-delà des bar­rières de leurs fron­tières… lecteurs qui décou­vrent, par exem­ple Diérèse, dans nos pages. Je par­le ici de deux pays d’Asie.

Le vrai souci n’est pas là. Le souci est dans l’état de l’esprit qui sem­ble avoir saisi le col­lec­tif que nous sommes ou seri­ons, cette espèce de morosité qui paraît s’abattre sur tout un cha­cun, pour divers­es et sou­vent som­bres raisons. Mais… depuis quand l’être humain oublie-t-il que la vie est faite d’espoir, de change­ments, de trans­for­ma­tions per­ma­nentes ? Les modes d’accès à la lit­téra­ture évolu­ent ? Grand bien leur fasse ! Et grand bien pour la lit­téra­ture, et les livres. Sous toutes leurs formes ! Car un livre est… un livre. Et une revue est une… revue. Le papi­er ne meurt pas du numérique, il meurt (ou pense mourir. Nous pen­sons nous, qu’il n’en est rien) de cet état de l’esprit.

Car… « La beauté n’est jamais ce qu’on avait cru, c’est une sur­prise que nous font nos yeux ». Oui, c’est exacte­ment cela.

Diérèse.
Daniel Mar­tinez.
8 av. Hoche. 77330 Ozoir-la-Ferrière
Abon­nement : 40 €
Le numéro : 15 €

 

 

 

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