MARC KOBER, L’OURS DES MERS

Par |2018-04-06T13:41:01+02:00 6 avril 2018|Catégories : Essais & Chroniques, Marc Kober|

D’UN MONDE L’AUTRE

Le livre est mince et il tient à l’aise dans la poche. Il n’en est pas moins grand, il con­tient le monde sous « une nuit piquetée de points lumineux. » Bref, il tient sa place et son rang.
Le poète l’a divisé en six « sec­tions », elles paraîtront ici et cha­cune à son tour.

L’OURS DES MERS n’a pas volé son nom, il aime à se baign­er : nous assis­tons à « son pre­mier bain / au plus pro­fond du nu ».  On le devine blanc, car il porte des lunettes noires, selon celui qui le dessi­na avec finesse et élé­gance, Vin­cent Rougi­er. Il paraît dans son cos­tume naturel, sous ses poils, tout comme un homme c’est prob­a­ble, tout comme le « dieu nu dans les flots » de l’épigraphe, sous « la con­stel­la­tion du Grand Ours. » On le devine aus­si peu ras­suré que le lecteur ou que l’homme moyen « sans com­bine ». Ses pen­sées ne sont pour­tant pas des plus pures (on y ren­con­tre Dédé-la-saumure) et c’est le chaud mois de juin, tout cela est bizarre… pour un ours ! Les envi­rons sem­blent peu­plés de nud­istes et d’étranges indi­vidus, qui vont « Sous l’œil unique de Ganymède au naturel  / La matraque en berne  / La dou­ble lune à l’air ».  Voilà qui sem­blera plus belge que nature au lecteur aver­ti. L’animal est à deux têtes, tel Janus ici, là il fait le singe dans l’eau tan­dis que s’érigent phares et arbres au « roy­aume des hommes nus …  […]  tous soumis à l’acupuncture solaire ». Rarement mots et images se seront accordés à ce point. Des femmes passent « inac­ces­si­bles », lui s’apprête à « entr­er dans le sexe liq­uide la mer. »  Cette fable, cette allé­gorie ne sont-elles pas étranges et néan­moins d’une limpi­de clarté ? La poésie ne doit-elle pas, dans ses tâch­es pre­mières, nour­rir l’imagination ? 

Marc Kober : L’ours des mers, Rougier V.

MARC KOBER, L’OURS DES MERS, Dessins et Gravures de Vin­cent Rougi­er, Rougi­er V, 2017, 50 pp., 13 €

Les MÉDUSES POÉTIQUES sont « d’eau douce », se goû­tent en sor­bets, se cro­quent avec du « sel neige ».. Ce monde grandit dans des pro­por­tions inavouables, il ne ressem­ble à aucun monde con­nu, peut-être relève-t-il d’une désor­gan­i­sa­tion sin­gulière ou d’une organ­i­sa­tion sur­réelle, pour ne pas dire sur­réal­iste. « Taquin­er la méduse… »  N’en rêvez pas trop. Peut-être est-ce impos­si­ble. Dans un coin du tableau, vous ver­rez un amandi­er ban­der. C’est étrange aus­si, un amandi­er qui bande. Mer­ci au poète et à son illus­tra­teur qui voy­a­gent ensem­ble avec tant de bon­heur. J’ai con­nu des per­son­nes qui n’admettaient pas l’humour dans la poésie, encore moins le sourire et l’ironie portée sur les choses : ces per­son­nes étaient plutôt mal­heureuses ! Lecteur, meurs en paix, car « Les Grecs met­taient des petits cail­loux sur les morts » et tu auras, en prime, « un œuf qui te par­le de la nais­sance de la mer », avec « l’odeur vio­lente des nar­ciss­es blancs ». Autrement dit, prosaïque­ment dit, philosophique­ment dit : qu’est-ce que la mort ?

Les POÈMES  DE  L’OUEST  PARISIEN sont deux,  presque orphe­lins. Ques­tion sub­séquente : qu’est-ce que l’est parisien ? Qu’y a‑t-il vers l’est parisien ? En apparence (c’est le cas de le dire), on y trou­ve  « les poètes de Lou­ve­ci­ennes », de vains ges­tic­u­la­teurs, et les chevaux du roi Soleil au car­refour de Marly : une illu­sion et un holo­gramme. Dis­ons-le, notre monde est car­ré­ment autre et le poème nous l’aura changé. C’était d’ailleurs « l’hommage d’une caméra de sur­veil­lance »  du temps où il y en avait ue à chaque carrefour.

Les HAÏKUS  DE  BANLIEUE ont ceci de sin­guli­er qu’allant par trios tran­quilles (ils sont donc fort peu japon­ais), ils tra­versent une con­trée où « les pros­ti­tuées sont à Genève »  (enten­dons : elles ne sont pas où on les cherche), où les voitures n’ont nul besoin de plaques d’immatriculation et où, pour une jeune fille, avoir de grands pieds n’est pas un vice de forme. Incon­vénients et avan­tages. Chaque lieu a les siens. Un ours est présent, il a les oreilles ros­es comme les fleurs des jardins. Toute cette douceur est peut-être trompeuse. Les mots nous piègeraient-ils, surtout s’ils ne cachent aucun piège. 

DIEU EST UNE FEMME COMME UNE AUTRE. Dans l’envers des choses d’ici-bas ou d’ailleurs, une genèse toute nou­velle nous attend. Elle est l’œuvre d’un Dieu assis sur son coussin de nuages, dieu per­son­nel donc. Son ven­tre s’arrondit au point qu’il fut dans l’impossibilité de « [voir] sa divine » !  Ô mon Dieu ! Il accoucha de lui-même, soit de « sa plus belle créa­tion ». Cela nous a un petit air spin­oziste bien réjouis­sant. Ensuite il n’accoucha plus que d’un mod­este vent, fit pipi sur l’aile d’un ange ce qui ne fut prob­a­ble­ment pas facile, des seins lui poussèrent, il fut femme enfin et « con­nut la joie, l’insulte et le crachat. »

Le recueil se clôt sur un car­net de recettes culi­naires de l’autre monde : on y cui­sine le crabe chi­nois, la soupe con­fucéenne, le tartare coréen dont on se four­nit à Paris, entre les avenues d’Ivry et de Choisy, et on y boit des alcools asi­a­tiques dont cer­tains, plus légers, sont aisé­ment tolérés par les jeunes filles. On y mange aus­si à la pointe des baguettes. Si une demoi­selle se sent mal, on lui masse les orteils. L’esprit ayant été nour­ri, Marc Kober entend nour­rir les corps de mets qui seraient exo­tiques s’ils n’appartenaient à cet ailleurs où il nous emme­na en vis­ite. Non pas dans l’inepte souhait touris­tique, mais dans l’aventure de la ren­con­tre et de l’expérience explo­ratrice. Les ques­tions sont : quel est ce monde aux con­tours par­fois asi­a­tiques, mais assez mélangé ? Est-il d’hier, d’aujourd’hui, de demain ? On recon­naît ici la rigid­ité de nos caté­gories. C’est un monde du rire, par­fois de la déri­sion, sou­vent de l’ironie. Il est bon d’avoir entre­pris le voy­age. Si l’on veut bien y réfléchir, un monde infin­i­ment plus sérieux que celui dans lequel nous mari­nons depuis plus de 5000 ans comme des crabes « à la cara­pace molle ».

Présentation de l’auteur

Marc Kober

Marc Kober est poète, uni­ver­si­taire et essay­iste. Entre autres. Digne descen­dant du sur­réal­isme influ­encé par Man­di­ar­gues et par Arcane 17, Marc Kober a créé une belle revue inscrite dans ce domaine dans les années 90 du siè­cle passé, La Révolte des chutes, revue qui a joué un grand rôle dans le développe­ment des édi­tions post-sur­réal­istes Rafael de Sur­tis, avant de devenir rédac­teur en chef de Supérieur Incon­nu puis mem­bre du comité de rédac­tion de La Sœur de l’Ange.

Auteur d’un roman (Fayard) et d’un recueil de nou­velles (A Con­trario), il affec­tionne les beaux objets livres.

Marc Kober

Recueils de poésie

  • Déposition/Deposizione, dessins d’Enrico Baj, Fer­rare : Lib­er­ty House Edi­tore, 1992.
  • Suite Coréenne, gravures de Gérard Serée, Poitiers : Édi­tions Rafael de Sur­tis, 1999.
  • Un Creux d’obscur, gravures de Gérard Serée, Nice : Ate­lier Gestes et Traces, 2003.
  • Soix­ante Bais­ers, Paris : Édi­tions La Mez­za­nine dans l’Éther, 2007. Réédi­tion 2008.
  • Les Fèves bleues, Nice : Ate­lier Gestes et Traces, 2010.
  • Un Hareng diep­pois à Fécamp, deux gravures d’Olivier O. Olivi­er, Soligny-la-Trappe : Rougi­er V. éd., 2011.
  • Traité du mous­tique en zone libre, gravures de Vin­cent Rougi­er, Soligny-la-Trappe : Rougi­er V. éd., 2015.
  • Tat­su to kumo (drag­ons et nuages), Nice : Ate­lier Gestes et Traces, 2015.
  • Quelques mots sans art, col­lec­tion « Médail­lon », gouach­es de Marc Jan­son, Tours : Le Livre pau­vre (Daniel Leuw­ers), 2015.

Autres lec­tures

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Michel Host

Né en 1942. Enfance partagée entre petite ville de province et cam­pagne, puis huit années de semi-réclu­sion, c’est-à-dire de pen­sion­nat, dans un col­lège catholique.

Une bonne for­ma­tion lit­téraire, où entrent clas­siques français et étrangers : la Renais­sance, sin­gulière­ment, lui a ouvert les yeux et l’esprit.
Échappe à la vie famil­iale à dix-neuf ans, se rend à Paris, tente d’y devenir insti­tu­teur (en est empêché par les obsta­cles mêmes que lui pro­pose et oppose l’Éducation nationale), épouse une artiste pein­tre et entre­prend des études supérieures d’espagnol en Sor­bonne. Agrégé d’espagnol, il enseigne cette langue dans divers lycées – dont le lycée Jan­son de Sail­ly -, et ensuite la lit­téra­ture espag­nole du siè­cle d’Or aux étu­di­ants de licence, puis aux capésiens et agré­gat­ifs, dans le cadre du C.N.E.D. (Cen­tre Nation­al d’Enseignement à distance).

Par­al­lèle­ment à cette car­rière de pro­fesseur, il entre­prend d’écrire son pre­mier roman. Six années de tra­vail couron­nées par le prix Robert Walser, et un accueil chaleureux dans la presse et le lec­torat. Depuis, ont suivi plus de vingt ouvrages appar­tenant à des gen­res var­iés : roman, nou­velle, poésie. A dû se résoudre à renon­cer à l’écriture dra­ma­tique, pour laque­lle il n’a aucun don. Il refuse de con­sid­ér­er ses activ­ités d’écrivain dans le cadre d’une « car­rière », préférant les situer dans le sens d’un « par­cours », d’un état vital de l’âme et de l’esprit. Il tente d’appartenir à son temps en dirigeant des ate­liers d’écriture en milieux sco­laires dit « dif­fi­ciles », et dans d’autres cadres comme les Ate­liers du Prix du Jeune Écrivain…

Partageant cette con­vic­tion avec Voltaire, il est per­suadé que l’être humain ne naît ni bon ni mau­vais, mais que néan­moins il peut et doit être « bonifié ». Mme de Sévi­gné lui a aus­si appris qu’« il faut faire pro­vi­sion de rire pour l’éternité », car le rire bonifie.
Par ailleurs, avec Mon­taigne, Isaac Bashe­vis Singer, et un cer­tain nom­bre de philosophes con­tem­po­rains — Elis­a­beth de Fonte­nay, Flo­rence Bur­gat entre autres, il s’est con­va­in­cu que l’inattention, le mépris, et très sou­vent la cru­auté que les humains man­i­fes­tent envers les ani­maux — dont ils se font les pro­prié­taires et les bour­reaux — , et envers tous les êtres de la seule nature, prélu­dent au mépris et à la cru­auté envers les hommes, et qu’est donc indis­pens­able un ren­verse­ment total du regard sur l’Autre et des per­spec­tives éduca­tives, dans quelque société que ce soit, afin que la bar­barie et l’absurde n’aient pas le dernier mot.

Ses admi­ra­tions, dans l’ordre de la pen­sée, sont nom­breuses, mais elles vont d’abord à Socrate – qui ne laisse rien qui ne soit dis­cuté ou pris pour argent comp­tant -, à Hér­a­clite, au Christ (« Aimez-vous les uns les autres », les marchands du temps, etc.), à Rabelais, à Mon­taigne, à Jere­my Ben­tham (l’arithmétique des plaisirs, la morale naturelle et le « ne fais rien à autrui que tu ne voudrais qu’il te fît), et à plusieurs autres. -
N’a pas encore eu le temps de trou­ver la vie ennuyeuse.

POÈMES

  • Fig­u­ra­tion de l’Amante, poèmes, éd. de l’Atlantique, coll. Phoï­bos, à Saintes, 2010
  • Poème d’Hiroshima, éd. Rhubarbe, à Aux­erre, 2005
  • Alen­tours (Petites pros­es), éd. L’Escampette, 2001
  • Graines de pages, poèmes sur des pho­tos de Claire Garate, éd. Eboris, Genève, 1999
  • Déter­rages / Villes, poèmes, éd. B. Dumerchez, 1997
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