Mathieu Hilfiger, Nuit

Par |2018-02-12T16:19:55+01:00 2 juin 2012|Catégories : Mathieu Hilfiger, Poèmes|

     Le cré­pus­cule estompe l’horizon. La lumière vient à se taire, alors que luit l’étourneau dans l’ornière, con­stel­la­tion au fir­ma­ment de feuillage.

     Il fait nuit. « Faire nuit », ce serait con­tenir l’audace de défi­er l’affaissement des chants et des couleurs, accueil­lir le silence et les ténèbres venus d’ailleurs que de soi – venus de nulle part, ou lente­ment exhalés de la terre par les soupirs des morts.

     Ce soir j’entends braver la nuit. Les étoiles réson­nent en moi de mots yid­dish évadés d’un poème de Celan. Fétus que je voudrais arracher à la paluche noire de l’éther – trop abon­dante récolte pour deux mains humaines jointes en navette.

     Que je frôle les écailles des buis, où veil­lent ensem­ble l’instinct pro­tecteur de la haie et l’amer fer­ment de la stase et, dévalant par myr­i­ades les coteaux sur ma demeure, me fla­gel­lent la soie des papil­lons de nuit.

     Der­rière sa cape trem­pée à l’encre de Chine, la nuit dis­simule son art de plieuse rap­porté du Lev­ant. Sur les pau­mières de leurs ailes, les papil­lons con­ser­vent de leur maîtresse une pincée de fard. L’infiniment grand aime à faire pli­er l’infiniment petit.

     Que je sois lapidé par l’averse, ren­ver­sé par la crue et noyé par la peur, si je n’ose enjam­ber les cordeaux des cul­tures et me ren­dre cause de mes foulées vers le Ponant !

     Je pro­je­tais de rejoin­dre la cohorte des som­nam­bules, de dépos­er mon fardeau de sable dans les cen­dres, là où avaient crépité les feux de la Saint-Jean, et enfin de gag­n­er les matins ros­es, au lieu de quoi je reste hyp­no­tisé par les étangs cer­nant le pre­mier car­refour. Leurs pupilles, fix­es comme le sort, pronon­cent sur mon sang une sen­tence bilieuse.

     Pour­tant, l’approche du sol­stice promet­tait l’avantage, les meilleures chances d’allumer les mèch­es des rites de feu, de faire ful­min­er les bran­dons d’éteule, et de froiss­er à l’aube, vain­queur, les champs de luzerne patrouil­lés de lièvres !

     Plus dens­es au con­traire sem­blent les ténèbres, plus perçantes les étoiles, et plus grosse la lune débor­dant les mares.

     Les relents de graisse rance, et les restes des fres­sures embrochées par les bou­viers pris de démence, achèvent d’effaroucher mon allant et ma con­fi­ance en la gloire. Je bats en retraite vers les murets de ronces où se tapis­sent déjà renard et loir.

     La somme des plaies me laisse désem­paré, mon pro­pre infir­mi­er. Puis­sé-je glan­er entre les chardons des restes de météorites, afin de croire encore à la nais­sance et me traîn­er jusqu’au berceau de l’aurore mort-née !

     Survient l’aube, démen­ti des rumeurs d’apocalypse. Gizeh elle aus­si fut illu­minée le lende­main de la Dix­ième Plaie, car même la colère de Dieu se dis­perse avec le brouil­lard au réveil de ses créatures.

     Le doigt sur ma blessure, sur les sen­tiers vac­il­lant, j’ai con­fon­du audace et colère, nuit et abîme. Quelle sur­prise et quelle con­so­la­tion que le matin, puisque me fiançant à la nuit sans le con­sen­te­ment du cré­pus­cule, j’éteins à la rosée les tisons qui m’enfiévraient et je dépose la lanterne veil­lant les morts !

Présentation de l’auteur

Mathieu Hilfiger

Math­ieu Hil­figer, né en 1979 à Stras­bourg, est écrivain, poète et édi­teur. His­to­rien de la philoso­phie de for­ma­tion et doc­teur en lit­téra­ture française (Stras­bourg). Il est le fon­da­teur de la revue Le Bateau Fan­tôme (2001–2012), dev­enue en 2014 une mai­son d’édition lit­téraire qu’il dirige. Il développe une œuvre mêlant théâtre, poésie, réc­its, et recherche en poésie mod­erne. Par­mi ses dernières pub­li­ca­tions : La tour des cor­beaux (Cor­levour, 2025, un réc­it suivi d’un dia­logue), Voy­age depuis l’inconnu (Le Bal­let Roy­al, 2024, théâtre), Braver la nuit (Le Silence qui roule, 2020, poésie), Sam­son sur la colline (Thot, 2018, théâtre), Ful­mi­na­tions (Hen­ry, 2017, poésie).

© photo Isabelle Poinloup

Œuvre

La tour des cor­beaux suivi de Faits d’armes, Cor­levour, 2025 (un réc­it suivi d’un dialogue).
Voy­age depuis l’inconnu, Le Bal­let Roy­al, 2024 (théâtre).
Braver la nuit, Le Silence qui roule, 2020 (poésie en prose, livre d’artiste avec Marie Alloy).
Prox­i­ma Cen­tau­ri, Le Bal­let Roy­al, 2018 (théâtre).
Sam­son sur la colline, Thot, 2018 (théâtre).
Ful­mi­na­tions, Hen­ry, 2017 (poésie en prose).
Les Rési­dents, Thot, 2016 (théâtre).
L’aube ani­male, Recours au poème édi­teurs (e‑book) et en tirage de tête hors com­merce, 2015 (poésie en prose).
De jour comme de nuit, avec Pierre Dhain­aut, Le Bateau Fan­tôme, 2014 (poésie en prose et entretien).
D’une craie qui s’efface suivi de Reflets et Dis­grâce, L’Harmattan, 2009 (poésie en vers).
Let­tres touchées, Pier­ron, 2003 (poésie en vers).

Autres lectures

image_pdfimage_print

Sommaires

Aller en haut